Question de M. LAURENT Pierre (Paris - CRCE) publiée le 27/02/2020

M. Pierre Laurent attire l'attention de Mme la ministre des armées sur les conséquences néfastes d'une application débridée de l'instruction générale interministérielle 1300 (IGI 1 300) de 2011. Celle-ci consiste à soumettre d'innombrables documents tamponnés « secret » de la période 1940-1970, jusqu'ici accessibles librement, à une procédure de déclassement longue et fastidieuse. Elle provoque de ce fait une paralysie du service concerné. Elle entraîne aussi des délais de communication très longs, voire l'impossibilité d'accéder à des archives pourtant communicables de plein droit selon le code du patrimoine. Les chercheurs usagers des archives publiques françaises, en particulier du service historique de la défense, sont depuis peu dans l'impossibilité de consulter des documents postérieurs à 1940 qui devraient être accessibles selon la loi, au prétexte qu'ils ont été tamponnés « secret » lors de leur production. Cela concerne notamment toutes les pratiques opérées dans les terres alors colonisées par la France. Cette restriction qui, au mieux, ralentit de plusieurs mois ou années les travaux et, au pire, les rend impossibles, représente un péril majeur pour la recherche de la vérité, fondement de la recherche historique et, de plus, une atteinte très sérieuse à la réputation internationale de la France en ce domaine. L'application débridée de l'IGI 1300 introduit dans les faits un régime plus restrictif que celui qui prévalait antérieurement et notamment depuis la loi n° 2008-696 du 15 juillet 2008 relative aux archives, et parfois même un blocage de fait des communications de documents de la période 1940-1970. En outre elle criminaliserait toute personne qui divulguerait des informations contenues dans des archives estampillées « secret défense » qui depuis des années voire des décennies ont été massivement communiquées. Pour toutes ces raisons, de nombreux acteurs, dont un collectif de douze historiens de divers pays, expriment une vive inquiétude et demandent à ce que l'IGI 1300 et ses modalités d'application soient réexaminées. Il lui demande ce qu'elle compte faire en vue de prendre des mesures en ce sens.

- page 933


Réponse du Secrétariat d'État auprès de la ministre des armées publiée le 27/05/2020

Réponse apportée en séance publique le 26/05/2020

M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, auteur de la question n° 1149, adressée à Mme la ministre des armées.

M. Pierre Laurent. Madame la secrétaire d'État, ma question porte sur l'accès aux archives historiques. Je souhaite attirer votre attention sur les conséquences néfastes du décret du 2 décembre 2019, qui rend plus restrictive l'application de l'instruction générale interministérielle n° 1300 de 2011.

D'innombrables documents de la période 1940-1970 tamponnés « secret », jusqu'ici accessibles librement, sont de nouveau soumis à une procédure de déclassement longue et fastidieuse. Ces restrictions risquent d'entraîner des délais de communication très longs, voire de rendre impossible l'accès à des archives pourtant communicables de plein droit selon le code du patrimoine.

Les chercheurs usagers des archives publiques françaises, en particulier du service historique de la défense, sont depuis peu dans l'impossibilité de consulter des documents postérieurs à 1940 qui devraient être accessibles selon la loi, au prétexte qu'ils ont été tamponnés « secret » lors de leur production. Cela concerne, notamment, toutes les pratiques opérées dans les terres alors colonisées par la France, ou se trouvant sous des statuts proches – protectorats et mandats.

Cette restriction peut avoir des conséquences extrêmement dommageables pour la recherche de la vérité, fondement de la recherche historique, et pour la réputation internationale de la France en ce domaine.

En outre, ces restrictions risquent de criminaliser toute personne qui divulguerait des informations contenues dans des archives estampillées « secret défense » qui, depuis des années, voire des décennies, ont été massivement communiquées.

Pour toutes ces raisons, de nombreux acteurs, dont un collectif de douze historiens de divers pays, mais aussi les membres de l'association Josette et Maurice Audin, expriment une vive inquiétude et demandent que l'instruction générale interministérielle n° 1300 et ses modalités d'application soient réexaminées. Comptez-vous prendre des mesures en ce sens ?

Pourriez-vous également m'indiquer le rôle qu'a joué le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) dans l'élaboration de ce décret du 2 décembre 2019 ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d'État auprès de la ministre des armées. Monsieur le sénateur, vous évoquez les difficultés de communication des archives conservées par le service historique de la défense.

Je souhaite vous indiquer que le ministère applique la loi et les règles. Les premières règles sont celles de communicabilité posées par le code du patrimoine – communicabilité après cinquante ans, sauf exception – et celles relatives à la protection du secret édictées par le code pénal et par l'instruction interministérielle n° 1300 de 2011, qui vient appuyer cette protection du code pénal.

Ces règles indiquent que communiquer aujourd'hui un document classifié sans démarquage préalable menace la sécurité juridique des lecteurs comme celle des personnels des dépôts d'archives.

Cette obligation de protection s'impose à tous et a été rappelée à la mi-juillet 2019 par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale.

Pour appliquer ces règles, il convient de procéder à une déclassification de chaque document revêtu d'une mention de classification, ce qui entraîne, comme vous l'avez souligné, une mise en œuvre complexe et des délais globalement longs.

En aucun cas, le service historique ne ferme des fonds dont la consultation est indispensable au travail de mémoire.

Conscientes de la gêne occasionnée dans l'exercice des missions des chercheurs et historiens par la mise en œuvre de ces instructions, Florence Parly et moi-même avons pris des mesures d'application immédiate.

Premièrement, le chef du service historique des archives a été autorisé à prendre des décisions de déclassification sur les documents du ministère de plus de cinquante ans. Seuls les documents classifiés par des autorités extérieures au ministère continuent ainsi à nécessiter un accord exprès du service émetteur.

Deuxièmement, après un accord interministériel, nous avons accéléré la procédure en faisant procéder à une déclassification au carton d'archives pour les archives de la période 1940-1946.

M. le président. Je vous demande de bien vouloir conclure, madame la secrétaire d'État.

Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d'État. Désormais, la décision de déclassification sera réalisée au carton. Nous étudions actuellement l'extension de cette procédure de déclassification au carton à une nouvelle période postérieure à 1946.

M. le président. Il faut conclure !

Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d'État. Une procédure de recrutement temporaire de 30 agents dédiés à la mission de déclassification a été exceptionnellement autorisée.

Bref, nous avons engagé plus d'agents et nous avons prévu des facilités de déclassification pour que les chercheurs puissent consulter le plus rapidement possible, sans risque pour eux, les archives indispensables à leur travail, car leur travail est indispensable à nous tous !

M. le président. Madame la secrétaire d'État, vous avez dépassé votre temps de parole de cinquante secondes, c'est beaucoup ! Je vous ai laissée faire parce que vous répondiez à la dernière question.

La parole est à M. Pierre Laurent, pour la réplique.

M. Pierre Laurent. Je vous remercie d'avoir autorisé ce dépassement, monsieur le président. C'est parce que la question était importante que Mme la secrétaire d'État a pris quelques secondes de plus pour me répondre !

Je citerai un exemple pour montrer les difficultés, voire les incohérences politiques, auxquelles tout cela conduit. Le Président de la République a décidé d'ouvrir les archives dans l'affaire Maurice Audin. Le service interministériel a mis à disposition des archives, mais il s'agit d'archives triées. Pour le reste, si les mesures que vous venez d'évoquer n'étaient pas prises, le travail des historiens pour aller au bout de la vérité serait entravé.

Les premières mesures que vous annoncez sont nécessaires. J'espère qu'elles permettront véritablement aux historiens de travailler dans les meilleures conditions.

- page 4398

Page mise à jour le