Question de Mme CUKIERMAN Cécile (Loire - CRCE) publiée le 13/02/2020

Mme Cécile Cukierman attire l'attention de M. le ministre de l'agriculture et de l'alimentation sur la signature, en décembre 2018, d'une déclaration des droits des paysans (DDP) par l'assemblée générale des Nations Unies.
L'adoption de la DDP est un évènement historique qui est le fruit d'une lutte de près de vingt ans menée par de nombreuses organisations de défense des droits des paysans à travers le monde et qui s'inscrit dans un contexte toujours plus difficile pour le monde paysan.
En effet, selon le groupe ETC, l'agriculture paysanne n'occupe que le quart des terres agricoles mais nourrit plus de 75 % de la population mondiale alors que l'agriculture industrielle occupe les trois quart des terres agricoles pour nourrir seulement 25 % de la population. Par ailleurs, depuis plusieurs décennies, la marchandisation et la financiarisation de l'agriculture ont entraîné, partout dans le monde, l'expulsion de communautés rurales dépossédées de leurs biens ainsi que l'augmentation de la violence et de la persécution à leur encontre. Elles ont également conduit à la privatisation des semences, à la déstructuration des marchés locaux, la dégradation et la contamination des espaces naturels, aggravant ainsi la situation d'insuffisance alimentaire et poussant à la migration.
En France, la situation des paysans, déjà précaire, s'est fortement dégradée, poussant au suicide nombre d'entre eux. La défense de leurs droits constitue un enjeu majeur, en termes de sécurité alimentaire et pour la préservation de notre environnement.
Alors que cent vingt pays adoptaient cette déclaration des droits des paysans le 17 décembre 2018 à l'ONU, la France, pays des droits de l'homme, s'est abstenue.
C'est pourquoi elle lui demande les raisons qui ont conduit la France à s'abstenir lors du vote de la déclaration des droits des paysans.

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Transmise au Ministère de l'agriculture et de l'alimentation


Réponse du Ministère de l'agriculture et de l'alimentation publiée le 06/08/2020

La France accorde une attention toute particulière aux préoccupations des agriculteurs et, plus généralement, des populations rurales. Il est essentiel, en particulier, d'aider ces populations à faire face aux enjeux environnementaux, climatiques et à vivre dignement de leur travail. En outre, les populations rurales sont très souvent victimes de discriminations et sujettes plus que les autres à la pauvreté et à la malnutrition : dans le monde, 70 % des personnes souffrant de la faim vivent dans des zones rurales. Toutefois, lors du vote de la déclaration relative aux droits des paysans, la France s'est abstenue, à l'instar de nombreux autres États, notamment de l'Union européenne, en raison de deux difficultés principales. Tout d'abord, la France est attachée à une vision universelle des droits de l'Homme, applicable à tous les individus. La création d'un nouvel instrument international des droits de l'Homme spécifique aux « paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales » renforce la segmentation des droits de l'Homme et soulève des questions d'articulation avec d'autres instruments qui protègent déjà les droits de tous. Cette difficulté s'est avérée d'autant plus prégnante que le champ d'application du texte est défini de manière trop imprécise (notamment le terme de « paysans » n'est pas défini en droit international ni national, où l'on utilise généralement le terme « agriculteurs », et le terme « autres personnes travaillant dans les zones rurales » est encore plus imprécis). Par ailleurs, la France estime que le texte conduit à la création de nouveaux droits, qui entrent en contradiction avec d'autres droits existants et reconnus (droit de propriété et droit de propriété intellectuelle tels que définis par l'union internationale pour la protection des obtentions végétales par exemple, et avec des instruments internationaux tels que le traité international sur les ressources phyto-génétiques pour l'alimentation et l'agriculture ou encore la convention sur la diversité biologique). Certains de ces nouveaux droits n'ont de plus pas fait l'objet de discussions et négociations dans les enceintes internationales compétentes : droit aux ressources naturelles, droit à la terre, droit aux semences, droit à la diversité biologique, droit aux moyens de production. Ils ne s'appliqueraient de fait qu'aux catégories de personnes visées dans la déclaration.

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