Question de M. DEMILLY Stéphane (Somme - UC) publiée le 03/12/2020

M. Stéphane Demilly attire l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de la relance, sur la prise de participations d'investisseurs étrangers dans certains secteurs stratégiques pour notre pays, notamment celui de la santé. Des fonds d'investissement étrangers ont en effet manifesté leur intérêt à racheter des parts dans des cliniques indépendantes privées, comme les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).

En France, près de 7 400 EHPAD accueillent un peu plus de 650 000 personnes âgées dépendantes. Durant la crise du Covid-19, plus de 10 400 personnes y sont décédées.

Alors que l'épidémie a mis en évidence le manque de moyens et de personnel de certains EHPAD, les intérêts privés continuent à s'attaquer à ce véritable « business de la santé ».

Si ses informations sont exactes, comme la presse s'en est fait l'écho, un important groupe d'EHPAD en France, dont l'actionnaire majoritaire est un fonds britannique, bénéficierait d'une structure domiciliée à Jersey pour optimiser ses avantages financiers.

Pour le dire autrement, des profits conséquents réalisés par des établissements français s'envolent (ou s'envoleraient) vers des pays à la fiscalité avantageuse.

Car naturellement, baser une structure au Luxembourg ou à Jersey alors que l'activité essentielle se réalise en France n'est évidemment pas anodin. En usant, ou en abusant de l'ingénierie financière consistant à édifier des sociétés-écrans, ou des coquilles s'emboîtant les unes dans les autres il s'agit d'échapper aux règles comptables en vigueur en France. Cette opacité financière est particulièrement choquante.

Cette prise de contrôle des structures nationales se fait au détriment d'investisseurs français pourtant capables de porter ces projets.

La France doit, aujourd'hui plus que jamais, réaffirmer sa souveraineté sur les secteurs stratégiques de son économie et de sa santé.

On ne peut pas, d'un côté, applaudir nos personnels soignants tous les soirs à la fenêtre, regretter les manques de moyens humains et financiers de nos établissements, y injecter des milliards d'euros pour combler ces lacunes et, d'autre part, fermer les yeux sur cette course indécente au profit dans le secteur juteux de la « santé business ».

Il lui demande ce que compte faire le Gouvernement pour protéger les entreprises françaises des prises de participation étrangères.

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Réponse du Secrétariat d'État auprès des ministres de l'économie, des finances et de la relance, et de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques publiée le 16/12/2020

Réponse apportée en séance publique le 15/12/2020

Mme le président. La parole est à M. Stéphane Demilly, auteur de la question n° 1394, adressée à M. le ministre de l'économie, des finances et de la relance.

M. Stéphane Demilly. Nous assistons, depuis quelque temps, à une prise de participation d'investisseurs étrangers dans certains secteurs stratégiques pour notre pays, notamment celui de la santé.

Des fonds étrangers ont en effet manifesté leur intérêt à racheter des parts dans des établissements privés, en particulier dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).

En France, près de 7 400 Ehpad accueillent un peu plus de 650 000 personnes âgées dépendantes, et durant la crise de covid-19, plus de 10 400 de ces personnes y sont malheureusement décédées.

Alors que l'épidémie a mis en évidence le manque de moyens et de personnel de certains Ehpad, les intérêts privés continuent à s'attaquer à ce véritable business de la santé.

Si mes informations sont exactes – la presse s'en est d'ailleurs fait l'écho –, un important groupe d'Ehpad en France, dont l'actionnaire majoritaire est un fonds britannique, bénéficierait d'une structure domiciliée à Jersey pour optimiser ses avantages financiers. Pour le dire autrement, des profits importants réalisés chez nous, en France, par des établissements français s'envolent, ou s'envoleraient vers des pays à la fiscalité avantageuse.

Naturellement, baser une structure au Luxembourg ou à Jersey, alors que l'activité essentielle se réalise en France, n'est pas anodin. Ces sociétés écrans useraient, ou abuseraient de l'ingénierie financière pour échapper aux règles comptables en vigueur en France : c'est une opacité financière particulièrement choquante !

Pourtant, le droit français doit protéger nos établissements de santé, l'article R. 153-2 du code monétaire et financier disposant que « la protection de la santé » fait partie des secteurs d'activité dans lesquels les investissements étrangers doivent être soumis à autorisation préalable.

Ce mécanisme juridique doit être mis en œuvre de façon urgente !

La France doit aujourd'hui, plus que jamais, réaffirmer sa souveraineté sur les secteurs stratégiques de son économie et de sa santé. Cette prise de contrôle de nos structures nationales se fait au détriment d'investisseurs français eux-mêmes capables de porter ces projets : c'est un comble ! On ne peut pas, d'un côté, applaudir nos personnels soignants tous les soirs à la fenêtre, regretter les manques de moyens humains et financiers de nos établissements et y injecter des milliards d'euros pour combler ces lacunes et, de l'autre, fermer les yeux sur cette course indécente au profit dans le secteur juteux de la « santé business ».

Monsieur le secrétaire d'État, que compte faire le Gouvernement pour protéger les entreprises françaises de santé des prises de participation étrangères ?

Mme le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Les relations financières entre la France et l'étranger sont libres. Toutefois, par exception, dans des secteurs limitativement énumérés touchant à la défense nationale ou susceptibles de mettre en jeu l'ordre public et des activités essentielles à la garantie des intérêts du pays, l'article R. 151-3 du code monétaire et financier soumet les investissements étrangers à une procédure d'autorisation préalable.

Un investissement étranger en France doit faire l'objet d'une autorisation dans le cadre de la procédure d'investissements étrangers en France (IEF), si trois conditions, tenant à la provenance de l'investissement, à la nature de l'opération envisagée et à la nature de l'activité de la société cible, sont remplies. Si l'une de ces conditions n'est pas satisfaite, l'investissement ne peut pas être soumis à autorisation.

Bruno Le Maire a annoncé, le 29 avril dernier, une adaptation de la procédure de contrôle IEF dans le contexte de la crise sanitaire et économique en cours, qui fragilise les entreprises françaises et en font ainsi la cible d'investisseurs étrangers.

Deux changements peuvent être soulignés. Premièrement, nous avons d'abord signé un arrêté incluant les biotechnologies dans la liste des technologies dites « critiques », faisant l'objet d'un contrôle spécifique. Deuxièmement, le ministre a annoncé l'abaissement temporaire du seuil de prise de participation dans des entreprises sensibles nécessitant une autorisation. Le seuil précédent de 25 % sera ainsi abaissé à 10 % pour les entreprises cotées, qui ont un actionnariat parfois dispersé et pour lesquelles une prise de participation, même minoritaire, peut être déstabilisatrice, lorsqu'elle est inamicale.

Je veux enfin citer le règlement européen établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers au sein de l'Union européenne, qui est entré en application le 11 octobre 2020. La France qui, avec l'Allemagne et l'Italie, avait pris l'initiative de ce règlement, a anticipé ces évolutions en veillant, dès 2018, à la protection accrue de ces actifs stratégiques : en témoigne la refonte complète du dispositif IEF. Le règlement européen permet aujourd'hui aux États membres et à la Commission européenne d'échanger des informations et de partager leurs analyses des enjeux, et parfois des risques, que peuvent présenter certains projets d'investissement devant avoir lieu sur le territoire européen.

Ainsi, la France peut désormais communiquer des informations et émettre des avis sur un investissement étranger réalisé dans un autre État membre de l'Union européenne, et réciproquement.

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