Question de M. BAZIN Arnaud (Val-d'Oise - Les Républicains) publiée le 07/07/2022

M. Arnaud Bazin attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur et des outre-mer sur la prolifération de garages « clandestins », domiciliés « dans des tours d'habitations à loyer modéré (HLM), des hangars ou des terrains vagues », permettant ainsi à des milliers d'automobilistes de conduire des voitures dûment immatriculées, mais qui n'appartiennent à personne.
L'existence de ce système permettant à des chauffeurs de « véhicule de transport avec chauffeur » (VTC) ou de taxi de s'affranchir des règles de circulation, est d'ailleurs confirmée par la préfecture de police de Paris comme le relate l'article du Journal du dimanche (JDD) du 25 juin 2022.
Les enquêteurs évoquent « un angle mort », « une faille du système », se traduisant par la facilité avec laquelle on peut, sur internet, créer une entreprise et obtenir un certificat d'immatriculation.
Cette brèche numérique concerne les trafiquants de stupéfiants pour franchir les frontières mais des automobilistes ordinaires basculent désormais dans cette arnaque.
Les services de police peinent à remonter les filières, et quand bien même des radiations de garages clandestins sont constatées, la procédure est lourde et les enquêtes longues. Les garages fantômes apparaissent majoritairement dans le cadre d'infractions routières, les conducteurs font l'objet de poursuites pour ces délits et les ­véhicules sont détruits.

Il lui demande quelles mesures il entend prendre, sans remettre en question la dématérialisation des démarches administratives, car ce fléau impacte les finances publiques et met en péril la sécurité routière.

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Réponse du Ministère de l'intérieur et des outre-mer publiée le 29/06/2023

Le Gouvernement s'est engagé depuis plusieurs mois dans la lutte contre la prolifération des garages dits « clandestins ». Cette pratique consiste à enregistrer au répertoire du commerce et des sociétés (RCS) une société au nom d'une personne fictive ou dont l'identité a été usurpée. Le système d'immatriculation des véhicules (SIV) subissait jusqu'à présent les conséquences de cette fraude au RCS puisque les sociétés ainsi créées réalisaient par la suite des déclarations d'achat de véhicules, en présentant des documents officiels. En cas d'infraction, il était toutefois impossible de sanctionner le propriétaire du véhicule. Un certain nombre de mesures ont déjà été mises en places dans le SIV ou le seront à brève échéance pour lutter contre ce phénomène complexe. Il est notamment prévu d'automatiser la détection des véhicules pour lesquels le délai de mutation du certificat d'immatriculation est échu et de leur interdire de circuler sur la voie publique. Il sera également possible d'identifier les sociétés immatriculées ponctuellement dans le RCS avant d'être dissoutes, de suspendre les autorisations de circuler des véhicules qu'elles possèdent et d'empêcher le transfert de propriété de ces véhicules. De manière générale, les informations présentes dans le SIV restent dépendantes de la mise à jour des autres systèmes auxquels il est interconnecté. C'est pourquoi des travaux interministériels sont également menés sous l'impulsion de la mission interministérielle de coordination anti-fraude (MICAF) pour sécuriser en amont la procédure de déclaration de sociétés auprès des greffes de tribunaux de commerce. Concernant les contrôles, il convient de préciser que les services de police distinguent deux types d'activités. En premier lieu les « garages clandestins » sont le plus souvent cachés dans les cités ou les parkings souterrains. Ils fonctionnent généralement avec des mécaniciens sans papiers qui proposent des interventions clandestines en toute illégalité. En second lieu les « garages fantômes » sont apparus après 2017, parallèlement à la dématérialisation des procédures de délivrance des certificats d'immatriculation ("plan préfectures nouvelle génération" de 2015 en vertu duquel la totalité des démarches liées aux certificats d'immatriculation est réalisée sur internet : les professionnels du commerce de l'automobile, les huissiers et les experts de l'automobile habilités ou agréés au SIV peuvent depuis s'occuper des demandes d'immatriculation, de véhicules neufs ou d'occasion). Les réseaux de criminalité organisée ont recours à des complices inscrits sur le SIV via leur propre compte, leur permettant d'obtenir des certificats d'immatriculation authentiques. La régularité de ces certificats contribue à dissimuler les trafics. La création de sociétés éphémères, spécialisées dans le commerce de l'automobile et ayant une habilitation SIV, permet aux malfaiteurs de profiter du système. Concrètement, de faux garages déclarés en ligne à l'aide d'une identité usurpée ou d'un prête-nom (contre rémunération ou par intérêt dans l'entreprise délinquante), permettent la délivrance de cartes grises et donc l'immatriculation de véhicules en toute légalité, soit au nom du faux garage soit au nom d'individus existants, victimes eux aussi d'une usurpation d'identité. Ces « véhicules fantômes » sont notamment utilisés par des délinquants ou exportés vers des pays étrangers. Rémunératrice, cette délinquance est difficile à réprimer : la multiplicité des intermédiaires, le recours à la gestion de fait ou à l'utilisation par le responsable de la société de manoeuvres dilatoires compliquent les investigations. Dans le cadre du groupe opérationnel national antifraude dédié à « la lutte contre les fraudes aux finances publiques commises via des sociétés éphémères », la MICAF a consolidé un guide, en partenariat avec l'Office central de lutte contre le travail illégal rattaché à la gendarmerie nationale (DGGN), la direction générale des finances publiques, le groupe national de veille, d'appui et de contrôle de la direction générale du travail, l'ACOSS (agence centrale des organismes de sécurité sociale) et l'AGS (association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés). Il s'agit d'aider les services à mieux détecter et sanctionner les fraudes commises via de telles sociétés, notamment au travers des coordinations permises par les comités opérationnels départementaux anti-fraude (CODAF), qui réunissent, entre autres, les services territoriaux de la direction centrale de la sécurité publique (DCSP), les services des finances publiques, des douanes, etc. Les services de la DCSP contribuent au travail des CODAF en apportant notamment des éléments tirés des constats effectués au plan local dans le cadre des « groupes de partenariat opérationnel » et concourent au choix des lieux de contrôle. Les centres d'expertise et de ressources des titres (CERT) sont chargés de la lutte contre la fraude, notamment à la délivrance des certificats d'immatriculation des véhicules. Dans l'agglomération parisienne par exemple, la préfecture de police dispose de 2 CERT. Ils interviennent dans le cadre de la lutte contre « les garages fantômes ». Dès qu'un CERT relève des comportements inhabituels dans l'utilisation du SIV, il transmet un signalement au parquet au titre de l'article 40 du Code de procédure pénale. Le CERT peut également être sollicité par le tribunal de commerce afin d'établir l'authenticité des titres présentés en vue de l'immatriculation de sociétés au registre du commerce et des sociétés. Il transmet également un signalement au Parquet dès qu'une fraude au titre d'identité est établie (faux ou usurpation d'identité). Le CERT peut également être amené à intervenir pour des contrôles auprès des professionnels installés et habilités à réaliser les déclarations d'achat dans le SIV. Le partenariat entre départements est essentiel pour permettre des contrôles coordonnés des différents sites impliqués dans les fraudes. Un référent anti-fraude est ainsi affecté dans chaque préfecture. A titre d'exemple, en octobre 2021, le référent fraude départemental de la Vienne a signalé au CERT de la préfecture de police des déclarations d'achat frauduleuses réalisées par une société domiciliée à Paris 15ème. Ce signalement a conduit la préfecture de police à transmettre au Procureur de la République un signalement. La radiation de cette société a également été demandée auprès du tribunal de commerce de Paris. Un outil de détection automatique des comportements inhabituels dans le SIV est en cours de développement au niveau national, afin de parer plus efficacement à une utilisation détournée du SIV par certaines sociétés de garage. Il permettra d'enrichir les contrôles ponctuels ou aléatoires actuellement conduits par le CERT. La préfecture de police, par l'intermédiaire de la direction départementale de protection des populations (DDPP) de Paris, intervient également en matière de lutte contre les fraudes en matière de vente de véhicules. La direction centrale de la sécurité publique (DCSP) concourt activement à la fraude liée aux trafics de véhicules. Elle est partie prenante du plan de lutte contre les vols et trafics de véhicules et de pièces détachées lancé en 2014. Par ailleurs, les services territoriaux de la DCSP opèrent quotidiennement des opérations de contrôles et démantèlent régulièrement des réseaux de trafic de véhicules. La gendarmerie nationale est également engagée dans la lutte contre le phénomène des garages clandestins et la détection des infractions connexes associées à cette problématique, qui s'intègre dans un dispositif d'investigation complet et transverse, la stratégie étant de lutter contre ce phénomène avec l'ensemble des unités de la gendarmerie, des unités de contact jusqu'à l'échelon central. Au niveau local, l'identification des lieux de travail sur les véhicules et le contrôle ciblé des flux permettent de déceler, contrôler puis de poursuivre les délinquants. Ainsi, en janvier 2022, une procédure de la brigade de recherches de Peronne (80) a permis l'arrestation de 4 individus qui « maquillaient » puis revendaient des véhicules volés. En juin 2022, les investigations réalisées par la brigade de recherches de Besançon (25) ont permis de détecter des faits de travail illégal dans un garage puis de saisir incidemment plus de 700 cartouches de cigarettes et pots de tabacs, importés illégalement. Au niveau national, la détection du phénomène est menée par le service central du renseignement criminel (SCRC). L'institut de recherche criminel de la Gendarmerie (IRCGN) développe des outils techniques d'investigations sur les véhicules réalisé. L'action du SCRC et de l'IRCGN permet de guider et d'appuyer les unités de contrôle et d'investigation dans la lutte contre les trafics et les garages clandestins. La prise en compte des réseaux de criminalité organisée, avec d'éventuels liens à l'international, est du ressort de l'office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI), structure judiciaire en charge des thématiques liées à la fraude, au travail illégal et à la traite des êtres humains sous l'angle de l'exploitation au travail.

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