Question de M. CHARON Pierre (Paris - Les Républicains) publiée le 07/07/2022

M. Pierre Charon attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice sur les conclusions du rapport au Premier ministre publié fin mars 2022 sur « les actes antireligieux en France ». Ce rapport dresse un diagnostic des actes antireligieux, recense les dispositifs de prévention et de répression.
Les actes antireligieux sont une manifestation de la montée de la violence dans la société, qui touche à la liberté de conscience, de culte, de réflexion, d'engagement de chaque individu. Or, les actes antireligieux ne correspondent pas à une qualification pénale autonome.
Selon les rapporteurs, « l'absence de qualification pénale autonome complique l'estimation des actes antireligieux, car les qualifications pénales commandent aux catégories statistiques utilisées par les ministères de l'intérieur et de la justice. Faute de chiffres émanant du service public statistique, la communication annuelle du ministre de l'intérieur sur le sujet se fonde sur le gros travail de recensement du service central du renseignement territorial (SCRT), réalisé en lien avec les cultes. »
En 2021, 1659 actes antireligieux ont ainsi été recensés par le SCRT, dont 857 faits antichrétiens, 589 faits antisémites et 213 faits antimusulmans.
Après une hausse de 11 % entre 2018 et 2019 du nombre de crimes ou délits à caractère raciste, une nouvelle hausse de 13 % est enregistrée entre 2019 et 2021.
L'essentiel des contraventions correspond à une contravention pénale de 5e classe pour « injure non publique en raison de l'origine, l'ethnie, la nation, la race ou la religion ».
On observe ainsi une augmentation inquiétante d'actes antireligieux et une intensification de la violence. La communauté juive souligne le développement d'un antisémitisme de proximité (les victimes sont touchées à l'intérieur de leurs foyers) et la scolarisation d'enfants dans des écoles privées. Les catholiques s'inquiètent de la montée des atteintes aux personnes (processions prises à partie à Paris et Nanterre…). La communauté musulmane pointe une stigmatisation des musulmans dans la société, en particulier après chaque attentat.
Selon ce rapport, « toute la chaîne judiciaire doit continuer à être sensibilisée et formée pour faire appliquer ce droit, depuis la prise de la plainte jusqu'à la fin de la procédure, en passant par l'enquête. Parallèlement, nos interlocuteurs ont quasiment tous souligné le manque de visibilité de l'état d'avancement des procédures par les victimes. »
Selon les rapporteurs, « le traitement pénal des actes antireligieux pâtit encore du nombre insuffisant de dépôts de plainte, d'une prise en compte incertaine – à tous les stades de la procédure – de la circonstance aggravante ou du caractère discriminatoire, et d'une difficulté à identifier les auteurs. »
Il lui demande quelles sont ses intentions pour assurer un véritable traitement pénal des actes antireligieux.

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Réponse du Ministère de la justice publiée le 29/12/2022

La lutte contre le racisme, l'antisémitisme, et les discriminations, qui sont aujourd'hui couramment désignés sous le vocable de « crimes de haine », constitue une priorité pour le Gouvernement. Ils renvoient tant aux comportements qu'aux discours haineux susceptibles d'être motivés par un motif raciste ou discriminatoire lié à la religion. L'engagement du ministère de la justice dans la lutte contre toutes les formes d'atteintes aux droits et libertés fondamentales des citoyens, dont la liberté de conscience, s'appuie sur un socle juridique solide. Si les actes antireligieux ne font pas l'objet d'une définition en droit pénal français, de sorte qu'il n'existe effectivement pas de qualification pénale autonome, le code pénal permet, à plusieurs égards, de sanctionner un comportement ou un discours commis ou tenu à raison de l'appartenance ou de la non appartenance, vraie ou supposée, de la victime, à une religion déterminée. Tel est le cas notamment des dispositions sanctionnant les discriminations, et des circonstances aggravantes telles que celle prévue à l'article 132-76 ou à l'article 222-13 du code pénal. Au surplus, la loi du 29 juillet 1881 sur le droit de la presse sanctionne les délits de provocation publique à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale ou religieuse, à l'injure publique et à la diffamation publique à raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, réelle ou supposée, à une religion déterminée. Sur le plan procédural, la loi du 24 août 2021, confortant les principes de la République, a étendu les procédures rapides de jugement à certains délits de presse, dont la provocation à la haine. Cette loi a également aggravé la répression de l'entrave à l'exercice d'un culte, infraction désormais punie d'une peine d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. Outre cet arsenal législatif complet, le ministère de la justice définit une politique pénale spécifique en la matière, qui repose sur la spécialisation des acteurs afin d'améliorer la prise en charge des victimes, la fermeté de la réponse pénale et la pédagogie à l'égard des auteurs.  A cet égard, 205 magistrats référents ont été désignés sur l'ensemble du territoire national au sein des parquets généraux et des parquets, conformément aux directives issues de la circulaire du 11 juillet 2007 et de la dépêche du 5 mars 2009. Ces magistrats ont pour mission de favoriser les échanges institutionnels à même d'améliorer la qualité de la réponse pénale et la prise en charge des victimes. Leur existence démontre le plein engagement des juridictions en la matière. Leur mobilisation a ainsi permis le développement de bonnes pratiques et la création de partenariats avec certaines associations. Au surplus, tous les magistrats bénéficient d'une offre de formations en matière de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations, dispensées par l'Ecole nationale de la magistrature au titre de la formation initiale et continue. Les magistrats en charge de ce contentieux se sont emparés de ces instructions de politique pénale. Constatant un décalage entre le taux d'infractions racistes et discriminatoires dénoncé notamment par les associations et le faible taux d'affaires traitées par les parquets et/ou jugés par les tribunaux, le ministère de la justice s'est engagé dans une politique pénale visant à faciliter le dépôt de plainte et à libérer la parole des victimes d'actes ou de discours antireligieux. Ainsi, la circulaire du 4 avril 2019 relative à la lutte contre les discriminations, les propos et les comportements haineux a souligné la nécessité d'appeler l'attention des responsables de la police et de la gendarmerie sur la nécessité de sensibiliser particulièrement leurs services sur la qualité de l'accueil des victimes d'agressions à caractère raciste ou antisémite. La démarche de professionnalisation de la mission d'accueil dans laquelle s'est engagée la police nationale depuis 2014 se traduit notamment par l'institution d'enquêteurs référents, spécifiquement formés aux questions de racisme et d'antisémitisme, et sensibilisés, notamment grâce aux procureurs de la République, à l'importance de privilégier le dépôt de plainte par rapport aux simples mains courantes ou procès-verbaux de renseignement judiciaire. Par ailleurs, afin de faciliter la prise en charge et le dépôt de plainte de l'ensemble des victimes, et plus particulièrement des victimes d'infractions à caractère discriminatoire, le décret du 10 mars 2022 portant création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « plateforme numérique de signalement des atteintes aux personnes et d'accompagnement des victimes » a créé une plateforme de discussion en ligne, permettant à toute personne, victime ou témoin, d'entrer en contact avec les services de police ou de gendarmerie grâce à un outil de conversation instantané type « chat ». Enfin, face à la recrudescence des discours de haine en ligne liée à l'essor des réseaux sociaux, qui constituent un vecteur de propagation des discours antireligieux, le ministère de la justice a fait de la lutte contre la haine en ligne une priorité de politique pénale. A cet égard, par circulaire du 24 novembre 2020, le pôle national de lutte contre la haine en ligne a été créé à droit constant au sein du parquet de Paris. Ce dernier est devenu l'interlocuteur privilégié de la plateforme PHAROS, et a ainsi permis de renforcer l'efficacité du dispositif judiciaire en la matière.

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