Question de Mme PHINERA-HORTH Marie-Laure (Guyane - RDPI) publiée le 11/08/2022

Mme Marie-Laure Phinera-Horth attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice sur le sort réservé aux navires saisis dans le cadre de la lutte contre la pêche illégale en Guyane. Chaque année, des dizaines de navires sont interceptés en situation de pêche illégale par les forces de l'ordre avant que le tribunal n'ordonne leur destruction.

La pêche illégale est un fléau qui frappe de plein fouet les professionnels guyanais. À titre d'exemple, 60 % des ressources halieutiques de la Guyane sont exploitées par des navires en provenance du Brésil, du Guyana et du Surinam. Ainsi, après des années de surpêche, nos ressources ont subi des dommages irréversibles. En dépit des nombreuses mesures prises, la pêche illégale est loin d'être éradiquée et semble même proliférer y compris dans les embouchures de nos fleuves.

En matière de lutte contre la pêche illégale, le législateur a mis à la disposition des autorités judiciaires les articles L.943-4 et L.943-5 du code rural et de la pêche maritime qui permettent la saisie et la destruction des navires, sous conditions. Toutefois, cette pratique notamment en Guyane a montré ses limites en raison du coût exorbitant de la destruction. Aussi, l'article L.943-6 dudit code rural prévoit que les frais de la destruction soient à la charge de l'auteur de l'infraction ou de son commettant. La réalité est tout autre : nombre des navires saisis sont, d'une part, dépourvus d'immatriculation et d'autre part les marins interpellés ignorent très souvent l'identité du propriétaire.

D'une part, de nombreuses associations engagées dans le tourisme ou des organismes qui gèrent des réserves naturelles nationales comme le Grand connétable en Guyane sont en demandes de matériel ou d'embarcations pour remplir convenablement les missions qui leur sont confiées. Et d'autre part, l'État poursuit aveuglément la destruction des navires saisis en situation de pêche illégale, aux seuls frais des contribuables français.

Or, une partie des embarcations saisies, celles qui répondent aux normes européennes et aux règles de navigabilité, pourrait échapper à la destruction. L'article L.943-7 du code rural et de la pêche maritime donne à la juridiction la possibilité de surseoir à la destruction en remettant le navire aux institutions spécialisées aux fins de l'enseignement maritime.

À cet égard, elle souhaite connaître sa position quant à la possibilité de faire un don à des associations ou aux réserves naturelles de certains navires saisis dans le cadre de la lutte contre la pêche illégale.

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Réponse du Ministère de la justice publiée le 17/11/2022

Le Ministre de la justice porte une attention toute particulière aux atteintes à l'environnement et partage la légitime préoccupation d'un traitement efficace de ce contentieux. Ainsi, à la suite de la loi du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée – visant à renforcer la spécialisation des acteurs judiciaires de cette lutte avec la création de pôles régionaux dans chaque cour d'appel et à rationaliser les prérogatives de police judiciaire reconnues aux fonctionnaires et agents habilités en la matière, via notamment la création du statut d'officier judiciaire environnemental – la circulaire du 11 mai 2021 est venue rappeler et actualiser les orientations de politique pénale en matière d'atteintes à l'environnement. Celles-ci sont centrées autour de la mise en place d'une coordination étroite, pour la définition d'une politique pénale adaptée aux enjeux environnementaux locaux, entre les autorités judiciaires et administratives. Les infractions de pêche illicite se sont plus particulièrement intensifiées dans la zone économique exclusive de la Guyane ces dernières années où les incursions des navires battant pavillon d'un Etat n'appartenant pas à l'Union européenne – principalement brésiliens et surinamais – dans les eaux sous juridiction française sont nombreuses. Elles portent une atteinte grave à la souveraineté de l'Etat et entrainent des conséquences extrêmement dommageables sur la production halieutique au sein de cette zone. Conscient des enjeux attachés à ce contentieux, le Ministère de la justice avait établi le 19 février 2013, une circulaire de politique pénale territoriale pour la Guyane, prévoyant la mise en œuvre d'une action pénale ferme et efficace en la matière. Dans ce cadre, le parquet de Cayenne a initié et mis en place des opérations de contrôle et d'interpellation spécifiques, lesquelles s'appuient sur le déploiement de moyens maritimes et aériens importants afin d'intercepter les contrevenants en action de pêche illicite. Le récent déplacement du garde des Sceaux en Guyane a été l'occasion de la diffusion, le 29 septembre 2022, d'une nouvelle circulaire de politique pénale territoriale maintenant la nécessité de poursuivre une action publique ferme s'agissant des infractions relatives à la pêche illégale. La lutte contre ces pratiques constitue en effet une priorité pour l'État, d'autant plus qu'elles s'accompagnent régulièrement de violences de la part des auteurs lors de leur interpellation. La circulaire invite en conséquence le parquet, lorsque les circonstances le permettent, à privilégier les voies de poursuite rapides et à recourir à des réquisitions empruntes de fermeté à l'audience afin d'éviter le renouvellement des faits et dissuader tout emploi de la force contre les agents de l'Etat. Sur le plan de l'articulation entre services de l'Etat, il est par ailleurs rappelé la nécessité de mettre en œuvre une coopération poussée entre l'autorité judiciaire et les autorités administratives et militaires compétentes dans le but d'intensifier le nombre de contrôles des navires. La compétence reconnue à l'administration pour faire procéder, à titre de mesure conservatoire, à la saisie des matériels de pêche (navires, engins et produits de pêche) servant à commettre les infractions, apparait en effet comme un moyen efficace de lutter contre la récidive en la matière (L.943-1 à L.943-10 CRPM). Dans la même perspective, la possibilité pour l'administration des affaires maritimes de saisir le juge des libertés et de la détention en vue de faire détruire les navires saisis lorsqu'ils présentent un risque pour la sécurité des personnes ou pour l'environnement (L.943-6 CRPM) peut s'avérer particulièrement dissuasif pour les propriétaires de ces embarcations. En complément de ces actions, la direction des affaires criminelles et des grâces vient régulièrement rappeler la priorité qui doit être accordée à la saisie et la confiscation des avoirs criminels et l'objectif de valorisation de ces biens. Dans le cadre du contentieux de la pêche illicite en Guyane, la circulaire du 29 septembre 2022 incite en ce sens le parquet à prendre des réquisitions de confiscation devant la juridiction de jugement, à chaque fois que les conditions sont réunies. En effet, en ce qui concerne les navires de pêches, l'article L.943-7 du code rural et de la pêche maritime prévoit que « L'autorité compétente en application de l'article L. 943-2 décide la saisie des filets, engins et instruments de pêche prohibés en tout temps et en tous lieux y compris dans les locaux de vente et de fabrication. La juridiction saisie au fond ou l'autorité administrative compétente pour prononcer la sanction en ordonne la destruction. Lorsqu'ils ont servi à pêcher en infraction à la réglementation prévue à l'article L. 943-1, les filets, les engins, les matériels, les équipements utilisés en plongée et en pêche sous-marines, d'une manière générale tous instruments utilisés à des fins de pêche qui ne sont pas visés au premier alinéa du présent article peuvent être saisis par l'autorité compétente. La juridiction saisie au fond ou l'autorité administrative compétente pour prononcer la sanction peut prononcer leur confiscation et ordonner qu'ils seront vendus, remis aux institutions spécialisées aux fins de l'enseignement maritime, ou décider leur destruction ou leur restitution. Quelle que soit cette destination, l'auteur de l'infraction ou son commettant supporte les frais résultant de l'opération correspondante et peut être tenu d'en assurer, sous le contrôle de l'autorité compétente, la réalisation matérielle, même s'il s'agit d'une vente ou d'une remise à titre gratuit ou onéreux. » Interrogée en ce sens, l'AGRASC a indiqué avoir été destinataire de plusieurs ordonnances et décisions de vente de bateaux saisis dans le cadre de la lutte contre la pêche illégale : ces ventes peuvent s'opérer dès lors que les embarcations sont conformes à la réglementation française. Au-delà des ventes, il apparait cependant que l'AGRASC n'a pas encore été sollicitée pour procéder à des affectations au bénéfice des « institutions spécialisées dans l'enseignement maritime ». Au regard de la très faible valorisation de ces embarcations au stade de leur cession, il semble cependant que la possibilité d'en faire bénéficier les associations ou les réserves naturelles aux fins de lutter contre la pêche illégale peut s'avérer pertinente. Le cadre juridique le permet : un tel dispositif pourrait ainsi s'exprimer, soit par une convention de don locale signée par le Procureur de la République et les bénéficiaires désignés, ou plus largement passer par la plateforme des dons hébergée par les Domaines qui permet justement les dons aux associations de biens confisqués ou dévolus à l'Etat (https://dons.encheres-domaine.gouv.fr/).

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