Question de Mme DOINEAU Élisabeth (Mayenne - UC) publiée le 20/02/2025
Mme Élisabeth Doineau appelle l'attention de M. le ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice sur la responsabilité de l'État en raison du dépassement du délai raisonnable en matière de justice familiale (article 141-1 du code de l'organisation judiciaire).
Elle rappelle que les procédures judiciaires concernant les modalités d'exercice de l'autorité parentale sur les enfants doivent être traitées avec célérité (CEDH, Hokkanen c. Finlande, 1994, § 72 ; CEDH, Niederböster c. Allemagne, 2003, §39), notamment les affaires concernant l'autorité parentale et le droit de visite, qui doivent être traitées avec une célérité particulière (CEDH, Laino c. Italie [GC], 1999, § 22 ; CEDH, Paulsen-Medalen et Svensson c.Suède, 1998, § 39).
Il est donc demandé au Garde des sceaux, ministre de la justice, de fournir toutes indications utiles sur les condamnations de la France lorsque les procédures judiciaires en matière familiale ont conduit, au cours des trois dernières années, à des délais de jugement anormalement longs. Cette transparence se justifie d'autant plus que la loi organique n°2007-287 du 5 mars 2007 relative au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrat prévoit, en son article 22, que : "Avant le 30 juin de chaque année, le Gouvernement remet au Parlement un rapport faisant état, pour l'année civile écoulée, des actions en responsabilité engagées contre l'État du fait du fonctionnement défectueux du service de la justice, des décisions définitives condamnant l'État à ce titre et du versement des indemnités qui en découlent, ainsi que des suites réservées à ces décisions".
Elle lui demande donc d'indiquer si un élargissement des compétences du juge des enfants dans des situations où il serait nécessaire pour les familles de devoir saisir en parallèle à nouveau le juge aux affaires familiales pour qu'il statue sur l'exercice des modalités de l'autorité parentale, ne serait pas de nature à simplifier et accélérer les procédures dans l'intérêt des familles.
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Transmise au Ministère de la justice
Réponse du Ministère de la justice publiée le 04/12/2025
A titre liminaire, il est souligné que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure, au sens de l'article 6§1 de la Convention européenne des droits de l'Homme, est apprécié au cas par cas par la Cour. L'examen de la jurisprudence relative à cette question permet toutefois de dégager les critères d'appréciation suivants : La complexité de l'affaire ; Le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ; L'enjeu du litige pour le ou les intéressés : à cet égard, la Cour rappelle que « dans les affaires concernant les restrictions au droit de visite d'un parent à son enfant placé à l'assistance publique, la nature des intérêts en jeu pour le requérant et les éventuelles conséquences, graves et irréversibles, de la prise en charge de l'enfant sur la jouissance du droit au respect de la vie familiale font obligation aux autorités d'agir avec une diligence exceptionnelle pour garantir un déroulement rapide de la procédure » (Paulsen-Medalen et Svensson c. Suède, n° 16817/90) ; Les causes du délai, et notamment si elles sont imputables ou non à la juridiction ; L'appréciation de la durée globale de la procédure, en relation notamment avec le degré de juridiction concerné. Concernant les condamnations de la France, au cours des trois dernières années, pour des délais de jugement anormalement longs en matière familiale, l'Etat, pris en la personne de son agent judiciaire, a été condamné sur le fondement de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire à onze reprises en 2022 à verser des dommages et intérêts d'un montant total de 111.290 euros, à neuf reprises en 2023 pour un montant total de 133.525 euros et à neuf reprises en 2024 pour un montant total de 50.636 euros. S'agissant d'un élargissement éventuel des compétences du juge des enfants, un rappel de l'état du droit positif s'impose. En effet, le pouvoir de statuer sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale, qui comprend les droits de visite et d'hébergement d'un parent, relève actuellement des compétences d'attribution exclusives du juge aux affaires familiales, juge naturel de l'autorité parentale. En vertu des articles 373-2-6 du code civil et L. 213-3 3° du code de l'organisation judiciaire, l'office de ce juge est de trancher, au regard de l'intérêt de l'enfant, les litiges entre les parents relatifs aux décisions à prendre concernant l'enfant. En cas de séparation des parents, seul le juge aux affaires familiales est compétent pour statuer sur les modalités de leurs droits de visite et d'hébergement. L'office du juge aux affaires familiales doit être distingué de celui du juge des enfants, juge naturel de l'enfant en danger. Ainsi, le juge des enfants est compétent pour ordonner des mesures d'assistance éducative lorsque les carences éducatives des parents mettent l'enfant en danger dans sa santé, sa sécurité et sa moralité (article 375 et suivants du code civil). Lorsque le juge des enfants prononce une mesure de placement, il devient compétent, à titre exceptionnel, pour statuer sur les droits de visite et d'hébergement des parents (article 375-7, alinéas 4 et 5 du code civil). En effet, la décision de placement, qui conduit à modifier le lieu de vie de l'enfant, nécessite de statuer sur les droits de l'autre parent ou des deux parents. Si cette décision prévaut sur l'éventuelle décision préalable du JAF, elle est toutefois temporaire ne prévalant que tant que le danger n'est pas écarté. Elargir les compétences du juge des enfants en lui confiant le pouvoir de statuer sur les seules modalités des droits de visite et d'hébergement des parents engendrerait une perte de lisibilité entre l'office du juge aux affaires familiales et celui du juge des enfants. En outre, cela complexifierait le contentieux de l'exercice de l'autorité parentale qui, pour toutes les autres questions relatives à celui-ci, resterait de la compétence du juge aux affaires familiales. A l'aune de ces différents éléments, le garde des Sceaux estime donc que le cadre actuellement en vigueur n'appelle pas de nouvelles évolutions législatives qui reviendraient sur la compétence naturelle du juge aux affaires familiales en matière d'autorité parentale.
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