Question de Mme LE HOUEROU Annie (Côtes-d'Armor - SER) publiée le 29/05/2025
Mme Annie Le Houerou attire l'attention de M. le ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice sur les difficultés rencontrées par les conciliateurs de justice face à certains litiges de consommation révélant des faits susceptibles de constituer des infractions pénales, notamment lors de ventes de véhicules d'occasion.
Des conciliateurs de justice font état de dossiers dans lesquels apparaissent des manquements graves : faux certificats de contrôle technique, compteurs trafiqués, ou pratiques commerciales délibérément trompeuses. Ces situations, au-delà du préjudice financier, peuvent engager la sécurité des personnes, notamment en cas de véhicule dangereux vendu comme conforme.
Toutefois, les conciliateurs de justice, bien qu'ils puissent être confrontés à des éléments manifestement frauduleux ou dangereux, demeurent tenus au secret professionnel, à la confidentialité et à la neutralité. Par ailleurs, ils ne sont pas compétents pour qualifier juridiquement ou pénalement les faits portés à leur connaissance. C'est normalement à la victime du litige de signaler les faits, de porter plainte ou d'alerter une autorité compétente. Le conciliateur, même s'il constate des faits graves, ne peut pas engager une procédure pénale à la place de la victime, ni saisir lui-même une autorité.
Certains estiment néanmoins que les faits susceptibles de constituer des pratiques commerciales trompeuses ou de mettre en danger la sécurité des personnes devraient pouvoir être portés à la connaissance de la direction départementale de la protection des populations, relais local de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. Ils se trouvent cependant empêchés de le faire sans risquer de contrevenir à leurs obligations déontologiques, alors même que les victimes ne sont pas toujours en mesure d'effectuer elles-mêmes ces démarches.
Elle souhaite donc savoir si le Gouvernement envisage de clarifier le cadre dans lequel un conciliateur de justice pourrait, sans contrevenir à ses obligations déontologiques, signaler de tels faits à l'autorité administrative compétente. Elle l'interroge également sur l'opportunité d'introduire une exception encadrée au secret professionnel des conciliateurs, à l'instar de celles existantes dans d'autres professions, en cas de risque manifeste pour la sécurité ou la santé publique. Enfin, elle souhaite savoir quelle place peut jouer la notion de qualification pénale dans le déclenchement de l'action publique, lorsque des faits graves sont portés à la connaissance d'un professionnel du droit non compétent pour les qualifier juridiquement.
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Transmise au Ministère de la justice
Réponse du Ministère de la justice publiée le 04/12/2025
Le conciliateur de justice, collaborateur occasionnel du service public, a pour mission, à titre bénévole, de rechercher le règlement amiable d'un différend (article R. 131-12 du code de l'organisation judiciaire). Compte tenu de son statut régi par le décret n° 78-381 du 20 mars 1978, il pourrait être considéré comme un agent public soumis à l'article 40 du code de procédure pénale (CPP). Cependant, en application de l'article 21-3 de la loi du 8 février 1995 et de l'article 1528-3 du code de procédure civile tel qu'issu du décret n° 2025-660 du 18 juillet 2025, la conciliation est soumise au principe de confidentialité, interdisant de divulguer aux tiers ou d'invoquer ou produire dans le cadre d'une instance judiciaire ou arbitrale sans l'accord des parties les constatations du conciliateur de justice et les déclarations qu'il recueille. La confidentialité est un élément clé du processus amiable. Ce principe conditionne en effet la confiance en la mesure de conciliation et la liberté de parole nécessaire à la réussite du processus. La violation par le conciliateur de ce principe l'expose d'ailleurs à des sanctions pénales (article 226-13 du code pénal). Ce principe de confidentialité reçoit toutefois exception dans deux cas : En présence de raisons impérieuses d'ordre public ou de motifs liés à la protection de l'intérêt supérieur de l'enfant ou à l'intégrité physique ou psychologique de la personne ; Lorsque la révélation de l'existence ou la divulgation du contenu de l'accord issu de la conciliation est nécessaire pour sa mise en oeuvre ou son exécution. L'obligation de confidentialité à laquelle le conciliateur de justice est soumis fait donc obstacle à la communication de propos ou de pièces issus du processus de conciliation (constatations du conciliateur, déclarations qu'il recueille etc ), sauf en présence de raisons impérieuses d'ordre public ou de motifs liés à la protection de l'intérêt supérieur de l'enfant ou à l'intégrité physique ou psychologique de la personne. De plus l'article 223-6 du code pénal réprime le fait, pour quiconque peut empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l'intégrité corporelle d'une personne, de s'abstenir de le faire. Ce délit requiert, pour être caractérisé, un élément moral exigeant la connaissance de la commission imminente d'une infraction et un élément matériel consistant en une abstention fautive. Dès lors, la personne qui ignore le caractère infractionnel des faits à venir ne peut être sanctionnée au visa de ce texte. Ainsi s'il est porté à la connaissance d'un conciliateur, dans le cadre d'une conciliation, de manquements qui sont manifestement de nature à engager la sécurité des personnes, ce dernier pourrait être fondé à porter ces éléments à la connaissance de l'administration compétente. Il pourrait s'agir d'une raison impérieuse d'ordre public et d'un motif lié à l'intégrité physique d'une personne qui justifie de déroger à cette règle de confidentialité par application de l'article 21-3 de la loi du 8 février 1995. Il convient toutefois de préciser que la dénonciation d'infractions par le conciliateur de justice, dans les conditions rappelées ci-avant, ne l'astreint pas à qualifier juridiquement les faits ainsi dénoncés, seulement à les décrire factuellement et le plus précisément possible afin que l'autorité judiciaire puisse ensuite, le cas échéant, se livrer à une telle qualification. En conséquence, le conciliateur doit apprécier, au regard du cas d'espèce, si la confidentialité peut être levée du fait de raisons impérieuses d'ordre public et de risque manifeste d'atteinte à l'intégrité physique des personnes. Pour aider le conciliateur de justice à appréhender au mieux les règles déontologiques propres à sa fonction, dont la confidentialité fait partie, l'Ecole nationale de la magistrature organise plusieurs formations, supports utiles aux partages d'expériences. Des échanges nourris avec le magistrat coordonnateur de la protection et de la conciliation, au sein du tribunal judiciaire, ou avec le magistrat coordonnateur de la médiation et de la conciliation, au sein de la cour d'appel, peuvent également l'aider à acquérir de bons réflexes.
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