Question de M. DARNAUD Mathieu (Ardèche - Les Républicains) publiée le 29/05/2025
M. Mathieu Darnaud attire l'attention de M. le ministre de l'action publique, de la fonction publique et de la simplification sur les effets préoccupants du nouveau régime de responsabilité financière des gestionnaires publics.
En effet, ce nouveau régime, qui repose largement sur la jurisprudence et ne définit pas clairement la notion de faute grave, conduit à une insécurité juridique majeure pour les décideurs publics locaux, en particulier les dirigeants territoriaux. Ces derniers se retrouvent exposés à des condamnations, même en l'absence d'intention fautive, de bénéfice personnel, ou de manquement avéré à leurs obligations. Cette logique, perçue comme déconnectée de la réalité des contraintes de terrain, suscite chez les agents une forme d'inhibition de l'action publique, un repli prudent et une érosion de l'audace et de l'innovation au détriment de l'efficacité des politiques locales et du service aux citoyens.
Dans ce contexte, il apparaît urgent de redonner de la clarté et de l'équilibre au cadre juridique de cette responsabilité, en y intégrant notamment les principes de proportionnalité, de droit à l'erreur et la prise en compte du contexte, de la bonne foi, ainsi que des moyens effectivement disponibles pour les gestionnaires publics. Il convient également d'assurer une protection fonctionnelle systématique pour les agents mis en cause de manière non fautive.
Aussi, il lui demande quelles mesures le Gouvernement entend prendre pour garantir une responsabilité des gestionnaires publics qui soit juste, sécurisée, lisible et respectueuse de l'engagement quotidien des agents et des élus au service de l'intérêt général.
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Transmise au Ministère de l'action et des comptes publics
Réponse du Ministère de l'action et des comptes publics publiée le 27/11/2025
Le régime de responsabilité financière publique, en vigueur depuis le 1er janvier 2023, est commun à l'ensemble des gestionnaires publics qu'ils soient ordonnateurs ou comptables. Il vise d'une part, à moderniser la gestion publique en promouvant une gestion par les enjeux et par les risques et, d'autre part, dans son volet juridictionnel, à réserver l'intervention du juge financier pour les fautes les plus graves et les plus attentatoires à l'ordre public financier. Ce régime de responsabilité financière des gestionnaires publics a fait évoluer le régime de responsabilité précédemment sanctionné par la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF), auquel étaient déjà soumis tant les ordonnateurs que les comptables (ces derniers étant de surcroît soumis à une responsabilité personnelle et pécuniaire). Il ne s'agit donc pas d'une responsabilité nouvelle : le périmètre des justiciables reste identique (tous les gestionnaires, ordonnateurs et comptables) mais le contentieux est confié à une nouvelle juridiction, la chambre du contentieux de la Cour des comptes et la Cour d'appel financière. Les infractions ont été revues : certaines ont été reprises à l'identique et d'autres ont été resserrées. C'est notamment le cas de l'infraction aux règles relatives à l'exécution des recettes et des dépenses ou à la gestion des biens qui, pour être caractérisée, doit être constitutive d'une faute grave ayant causé un préjudice financier significatif (art. L. 131-9 du Code des juridictions financières - CJF). C'est aussi le cas de l'infraction relative à l'octroi d'un avantage injustifié à autrui (étendue à l'avantage à soi-même), qui n'est désormais constituée que si le justiciable ayant accordé l'avantage a agi par intérêt personnel direct ou indirect (art. L. 131-12 du CJF). Les sanctions sont de même nature que celles qui étaient prononcées par la CDBF. Il s'agit d'amendes dont le montant est proportionné à la gravité de la faute, mais avec un plafond désormais limité à six mois (voire un mois pour certaines infractions) de rémunération de l'agent concerné (contre un an devant la CDBF). Les gestionnaires publics qui agissent conformément aux instructions préalables de leurs supérieurs hiérarchiques ou d'une autorité habilitée ne sont passibles d'aucune sanction (art. L. 131-5 du CJF). Il en est de même pour ceux qui peuvent exciper d'un ordre écrit d'un exécutif local ou d'une délibération préalable de l'organe délibérant d'une collectivité territoriale, d'un de ses établissement ou groupement (art. L. 131-6 CJF). En outre, pour déterminer le montant de la sanction, le juge financier prend en compte l'existence de circonstances aggravantes ou atténuantes, telles que le comportement du justiciable (bonne ou mauvaise foi), la répétition des irrégularités, la persistance dans l'irrégularité malgré des avertissements, le montant du préjudice et les moyens dont dispose le gestionnaire incriminé. Les premiers bilans chiffrés de l'activité juridictionnelle de la Cour montrent un nombre restreint d'affaires portées devant la chambre du contentieux. Deux ans et demi après l'entrée en vigueur de ce régime rénové de responsabilité financière, la Cour des comptes a prononcé près d'une trentaine d'arrêts et la Cour d'appel financière s'est prononcée à quatre reprises. Le parquet général indique au demeurant que près de la moitié des déférés sont classés sans suite, et que deux tiers des affaires donnant lieu à un réquisitoire initial sont classées sans suite ou font uniquement l'objet d'un rappel à la loi. La jurisprudence se construit donc progressivement. Certes, la notion de faute grave n'a pas été définie dans ce nouveau cadre juridique. Mais il ne s'agit pas d'une notion inconnue, elle est présente dans d'autres contentieux, et elle l'était dans la jurisprudence de la CDBF. Les critères retenus par la Cour des comptes sont, à ce titre, de même nature que ceux mis en oeuvre par d'autres juridictions ou par la CBDF. Les premiers arrêts exposent les critères retenus par le juge financier pour caractériser les infractions. Pour l'ensemble de ces raisons, il ne peut être considéré que ce régime rénové de responsabilité financière crée une « insécurité juridique majeure ». Il rappelle surtout la responsabilité éminente, et préexistante, des gestionnaires publics dans le respect de l'ordre public financier auquel nos concitoyens aspirent largement, et la nécessité de développer ou de renforcer des dispositifs de maîtrise des risques et de contrôle interne adaptés aux enjeux de l'entité concernée. La sécurisation de la gestion publique, dont le maniement et l'utilisation des fonds publics, passe indéniablement par la maîtrise des procédures. A cet égard, la direction générale des finances publiques notamment met à la disposition des acteurs, dont les collectivités territoriales, des outils permettant de renforcer leur maîtrise des risques. En ce qui concerne l'octroi de la protection fonctionnelle, le Conseil d'État a confirmé, par une décision du 29 janvier 2025, que les dispositions en vigueur du Code général de la fonction publique n'ouvraient pas droit au bénéfice de la protection fonctionnelle pour les gestionnaires publics mis en cause. Cette interprétation stricte de la loi suscite, il est vrai, des interrogations parmi les agents publics qui exercent des fonctions financières (agents des services de l'État, du secteur hospitalier et des collectivités locales). Dans ce contexte, une disposition législative pourrait étendre le bénéfice de la protection fonctionnelle aux personnes mises en cause devant la Cour des comptes, sauf naturellement en cas de faute détachable du service, et dans les conditions d'application générales de cette protection.
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