C. LA DIRECTIVE SUR LA PUBLICITÉ COMPARATIVE

Si la publicité comparative a été autorisée en France par la loi du 18 janvier 1992 renforçant la protection des consommateurs : il n'en est pas de même pour tous les Etats membres de l'Union, dont certains, fidèles à la tradition de la " réclame " sont encore réticents à laisser entrer la publicité comparative dans leur univers législatif. Aussi la volonté d'intensifier la concurrence au sein du marché unique et d'harmoniser les législations nationales en matière de publicité comparative a conduit la commission a prendre l'initiative d'un projet de directive.

La directive 97/7/CE adoptée par le Conseil et le Parlement européen, le 6 octobre 1997, se présente comme un texte de compromis, issu d'une période d'élaboration de six années. Lors de l'adoption de la directive du 10 septembre 1984, relative au rapprochement des législations nationales en matière de publicité trompeuse, il avait été prévu d'élaborer dans un second temps, une législation communautaire en matière de publicité comparative. Le 28 mai 1991, la Commission a donc transmis une proposition de directive au Conseil, sur laquelle le Parlement européen et le Comité économique et social se sont prononcés. Enfin, le 19 mars 1996, le Parlement et le Conseil ont adopté une position commune sur la proposition modifiée de la Commission.

La directive 97/7/CE que le Gouvernement se propose de transposer par voie d'ordonnance autorise la publicité comparative dans l'Union européenne sous réserve d'une série de conditions :

- ne pas être trompeuse ;

- prendre en compte des biens et des services " objectivement comparables " ;

- n'engendrer aucune confusion sur le marché ;

- ne pas entraîner le discrédit ou le dénigrement d'un concurrent ;

- ne pas porter sur des reproductions ou des invitations de marques ou noms commerciaux protégés.

Cette publicité ne doit, en outre, porter que sur des biens ou services " répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif ", ainsi que sur " des caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives ".

La transposition de cette directive devrait entraîner une modification substantielle du droit français .

Si la loi du 18 janvier 1992 a autorisé la publicité comparative, elle a soumis son autorisation à des conditions très restrictives. Aussi, le recours à ce type de message publicitaire est dans la pratique très rare, une situation qui devrait changer avec la transposition d'un texte communautaire plus libéral.

Les dispositifs français et communautaires diffèrent, en effet, sur trois points essentiels :

La définition des produits et des services sur lesquels peut porter la comparaison devra être étendue

L'article L.121-8 du code de la consommation issu de la loi du 18 janvier 1992 prévoit que la publicité comparative ne peut s'appliquer qu'" aux biens ou services de même nature ". En droit communautaire, peuvent être majorés des biens et services " ayant le même objectif et répondant au même besoin ".

L'élargissement du champ d'application de la publicité comparative ainsi opéré pourrait avoir des conséquences pratiques importantes. Alors que hier un message publicitaire indiquant que " le gaz naturel est, en coût global, de 15 % à 20 % moins cher que la vapeur, qui est son principal concurrent " était considéré comme illicite, car ne portant pas sur des produits identiques vendus dans les mêmes conditions 5 ( * ) , ce même message sera autorisé une fois la directive transposée. De même, pourraient être autorisées des comparaisons entre un Paris-Lyon par train et par avion. Alors que le droit français n'autorisait la publicité comparative que pour des produits identiques ou quasi identiques, la directive étend le champ des comparaisons à des produits similaires, voire à des catégories de produits ou des segments de marché. Cette ouverture est sans nul doute de nature à aviver la concurrence dans de nombreux secteurs économiques.

La directive élargit la possibilité d'établir des comparaisons de prix

Le code de la consommation français distingue les comparaisons sur les produits des comparaisons sur les prix et fixe des conditions d'autorisation très strictes de la comparaison des prix.

En vertu de l'article L.121-8 du code de la consommation, la comparaison sur les prix " doit concerner des produits identiques vendus dans les mêmes conditions et indiquer la durée pendant laquelle sont maintenus les prix mentionnés comme siens par l'annonceur ". Cette position élaborée par la Cour de Cassation 6 ( * ) puis reprise par la loi de 1992, doit être interprétée rigoureusement. Les produits identiques sont ceux qui émanent du même fabricant : par conséquent, seules les publicités comparatives de prix entre distributeurs sont admises par la jurisprudence. C'est en ce sens que serait qualifiée d'illicite la pratique des " tableaux de concordance " qui expose des différences de prix entre des produits qui ne seraient qu'équivalents. De plus, les produits doivent être vendus dans les mêmes conditions économiques, ce qui signifie que la publicité comparative de prix entre une grande et une petite surface doit être considérée comme illicite.

Autorisée en droit, la comparaison des prix qui intéresse nombre de consommateurs était difficilement praticable et peu pratiquée. Il devrait en être autrement avec la transposition de la directive.

La directive ne distingue, en effet, pas entre ces modes de comparaison. Elle dispose que la publicité comparative est valable si " elle compose objectivement plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives des biens ou des services dont le prix peut faire partie ". La comparaison entre prix n'est donc assortie d'aucune condition particulière. Il serait donc possible de comparer les prix de différents produits répondant aux mêmes besoins.

Vers la fin de l'obligation de communication préalable

Le droit français prévoit une obligation de communication préalable de l'annonce comparative par l'annonceur " comparé " qui permet au concurrent d'opter rapidement pour une défense commerciale ou judiciaire. La directive ne reprend pas cette obligation.

Cette disposition française a été considérée par la grande majorité des Etats membres comme une contrainte contraire à la liberté commerciale et n'a donc pas été intégrée à la directive européenne. Au demeurant, elle est dépourvue de sanction dans le dispositif français.

La transposition de cette directive devrait également entraîner des modifications mineures du droit français. Le texte communautaire n'a, par exemple, pas prohibé les annonces comparatives figurant sur certains supports. Or l'article L.121-11 du Code de la consommation interdit purement et simplement aux annonceurs, de faire figurer les publicités comparatives " sur des emballages, des factures, des titres de transport, des moyens de paiement, des billets d'accès à des spectacles ou à des lieux ouverts au public ". Le législateur a considéré que de tels supports ne pouvaient que rendre plus difficile le contrôle de la licéité de la publicité comparative et l'application des sanctions éventuelles. Ces conditions de forme n'étant pas prévues par le texte communautaire, on peut penser qu'elles ne devraient pas être prises en considération dans le cadre de la transposition en France de la directive.

De même, en cas de litige, une nouvelle disposition a été introduite à l'article 6 a), à la demande du Parlement européen, afin que l'annonceur soit tenu d'apporter dans un " bref délai ", des preuves relatives à l'exactitude matérielle des données de fait contenues dans la publicité comparative. Cette obligation n'est pas prévue par la loi du 18 janvier 1992 qui dispose cependant que l'annonceur doit être en mesure de prouver l'exactitude de ses allégations, indications ou présentations.

En conclusion, la transposition de la directive du 6 octobre 1997 aura des conséquences sur de très nombreux secteurs économiques et sur la vie quotidienne des consommateurs français.

Ainsi il faut imaginer le développement possible de la publicité comparative dans le domaine de la téléphonie, dans celui de l'informatique, du transport ou du tourisme. La grande distribution devrait également avoir plus largement recours à des comparaisons qui souvent l'avantagent. Les grandes marques internationales d'origine anglo-saxonne qui utilisent couramment la publicité comparative aux Etats-Unis notamment dans les secteurs de la restauration rapide ou des boissons pourraient de même développer ce type de communication.

L'introduction en France de la directive du 6 octobre 1997 pourrait également avoir des conséquences dans des secteurs moins attendus comme le secteur pharmaceutique. La directive publicité comparative s'applique, en effet, également aux médicaments, même si ceux-ci font également l'objet de dispositions spécifiques 7 ( * ) . L'application de ces nouvelles règles aux médicaments pourrait, par exemple, permettre la comparaison du prix du médicament original et de sa copie générique 8 ( * ) . C'est dire combien une transposition présentée comme technique pourrait avoir des conséquences sur les pratiques publicitaires.

La libéralisation du recours à la publicité comparative concerne au premier plan les publicitaires et les annonceurs. Certes, la première étape de cette libéralisation entamée par la loi du 18 janvier 1992 n'a pas entraîné une augmentation significative de la part des publicités comparatives dans l'ensemble des activités publicitaires. Mais il faut y voir moins l'effet d'une réticence culturelle que d'un dispositif juridique extrêmement restrictif. Dès lors on peut imaginer que la publicité comparative puisse prendre la place qui est la sienne aux Etats-Unis ou du moins en Angleterre où elle représenterait 3 à 20 % de l'activité publicitaire selon les secteurs.

Dans ces conditions on ne peut que regretter la méthode employée. Ces dispositions méritent mieux qu'un débat tronqué. Votre commission, tout en estimant nécessaire une rapide entrée en vigueur de ce nouveau régime, juge que la publicité comparative aurait mérité un vrai débat législatif où chacun aurait pu faire entendre sa voix.

La publicité comparative est, en effet, un des domaines du droit de la consommation qui suscite en France comme à l'étranger le plus de contentieux. C'est pourquoi cette transposition doit être l'occasion d'adopter un dispositif juridique clair et précis, mais également un dispositif opérationnel et pleinement compris par les entreprises, les professionnels de la publicité et les consommateurs.

Votre rapporteur pour avis a la faiblesse de penser que le Parlement est mieux à même de garantir ces exigences que l'atmosphère confinée des cabinets et des couloirs de Bercy. Qui mieux, en effet, que le Parlement pourrait garantir ce travail d'explication publique nécessaire dans un domaine qui touche les intérêts économiques de nombreux professionnels et la vie quotidienne de tous les consommateurs ?

La loi du 18 janvier 1992 renforçant la protection des consommateurs avait sur ce point donné lieu à des débats constructifs. Les travaux du Sénat, et, en particulier, la contribution du rapporteur de la commission des affaires économiques, M. Jean-Jacques Robert, qui avait tenu à entendre l'ensemble des professions concernées, les nombreux apports de l'Assemblée Nationale avaient permis à la suite de deux lectures d'aboutir à un texte équilibré. Il aurait été souhaitable que la modification de cette loi fasse l'objet de la même procédure.

Votre rapporteur a néanmoins constaté à travers les nombreux contacts qu'il pris sur ce sujet avec les professionnels concernés, les annonceurs et les associations de consommateurs un relatif consensus sur les grandes orientations d'une directive qui, par ailleurs, laisse peu de marge de manoeuvre aux Etats membres.

Aussi après avoir soupesé les avantages d'un débat parlementaire et les inconvénients d'un retard supplémentaire dans la transposition de ce texte, votre rapporteur conçoit que l'on puisse sur ce point préférer la rapidité au débat.

* 5 SA La Compagnie parisienne de chauffage urbain c/ Gaz de France - TGI Paris - 18-12.1992.

* 6 Cass. Com. 22 juillet 1986 n° 84-12-825.

* 7 Notamment la directive 92/28/CEE du Conseil du 31 mars 1992 concernant la publicité faite à l'égard des médicaments.

* 8 " Médicament et publicité comparative " Christophe Hénin, avocat à la Cour, docteur en droit. Gazette du Palais, 24/10/98.

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