C. L'ABSENCE DE SIGNIFICATION DES COMPTES

1. La réouverture des comptes 2000 du régime général : le déficit 2000 du FOREC finalement pris en charge par la sécurité sociale

a) Un déficit de 1,6 milliard d'euros en 2000, qui place le régime général en situation déficitaire
(1) Un déficit prévisible

Le Sénat, au cours des débats parlementaires consacrés aux projets de loi de finances comme aux projets de loi de financement de la sécurité sociale, a toujours affirmé que la réduction du temps de travail n'était pas financée, le gouvernement lui assurant le contraire.

Nos collègues Charles Descours, Jean-Louis Lorrain et Alain Vasselle, rapporteurs des lois de financement de la sécurité sociale de notre commission des affaires sociales, avaient rendu public un excellent rapport consacré aux fonds sociaux 42 ( * ) , dans lequel ils présentaient les chiffres de ce non-financement, ainsi que les contorsions législatives auxquelles le gouvernement avait dû recourir pour sortir de l'impasse de financement dans laquelle son propre entêtement l'avait conduit. Nos collègues avaient également parfaitement montré que le gouvernement avait constamment cherché à désinformer le Parlement et avait négligé les partenaires sociaux.

Par ailleurs, dans un souci de complémentarité avec le contrôle effectué par la commission des affaires sociales, notre collègue Joseph Ostermann, rapporteur spécial des crédits de l'emploi, s'était attaché à comprendre comment on avait pu en arriver là 43 ( * ) . Il avait cherché à analyser la façon dont les services du gouvernement avaient envisagé, au cours des années 1999 et 2000, la question du financement des 35 heures, et dont ils avaient tenu informé les autorités ministérielles de l'évolution de la situation. Il avait également voulu savoir comment avait été abordée la question des éventuelles conséquences de ce dérapage sur le budget de l'Etat, l'absence de financement assuré de la réduction du temps de travail faisant supporter un risque au budget de l'Etat, celui de « financeur en dernier ressort » des 35 heures, en raison des dispositions de la loi Veil de 1994, en vertu desquelles les nouvelles exonérations de cotisations de sécurité sociale doivent être compensées par le budget de l'Etat.

En 2000, l'équilibre du FOREC n'a donc pas été réalisé, les dépenses s'établissant à un niveau bien supérieur à celui des recettes.

Le tableau ci-dessous rappelle le montant du déficit du FOREC en 2000 :

Il apparaît donc que, en encaissement/décaissement, le déficit du FOREC s'établit à 2,03 milliards d'euros (13,30 milliards de francs), et, en droits constatés, à 1,55 milliard d'euros (10,2 milliards de francs).

Dès lors, et conformément aux dispositions de la loi Veil de 1994 rappelées ci-dessus, c'est l'Etat qui doit prendre à sa charge le déficit du FOREC, puisqu'il doit assurer son équilibre. L'Etat, au titre du FOREC, se trouve donc en situation de créancier des organismes de sécurité sociale.

Or, la ministre de l'emploi et de la solidarité, au cours de la réunion de la commission des comptes de la sécurité sociale du 7 juin 2001, a annoncé que l'Etat ne rembourserait jamais cette créance, au mépris de la loi. Elle a confirmé cette position lors de la seconde réunion de cette commission, le 20 septembre dernier.

A cette occasion, la ministre a déclaré que « nous avons refusé l'artifice qui aurait consisté à « pousser devant nous » cette créance sans en tirer les conséquences dans les comptes » ! Votre rapporteur pour avis considère que « tirer les conséquences dans les comptes » aurait tout simplement consisté à compenser au régime général le déficit du FOREC pour 2000.

Tel ne sera cependant pas le cas, le deuxième alinéa du II de l'article 5 du présent projet de loi de financement de la sécurité sociale annulant la créance inscrite dans les comptes des régimes de sécurité sociale au titre des montants d'allégements de charges non compensés par les réaffectations de recettes fiscales reçues par le FOREC.

(2) L'annulation de la créance de l'Etat sur la sécurité sociale au titre du FOREC

Il convient de rappeler que l'ACOSS 44 ( * ) avait versé aux différentes branches du régime général et au régime des salariés agricoles les recettes encaissées au titre du FOREC au 31 décembre 2000, en les ventilant de la manière suivante 45 ( * ) ;

- 3,66 milliards d'euros (24,01 milliards de francs) à la branche maladie du régime général ;

- 659 millions d'euros (4,32 milliards de francs) à la branche accidents du travail ;

- 2,65 milliards d'euros (17,38 milliards de francs) à la branche vieillesse ;

- 1,54 milliard d'euros (10,09 milliards de francs) à la branche famille ;

- 494 millions d'euros (3,24 milliards de francs) au régime des salariés agricoles.

Soit un total de 9 milliards d'euros (59,06 milliards de francs).

Toutefois, l'insuffisance des recettes pour couvrir ces dépenses se traduit par l'existence d'une créance sur le FOREC au titre des exonérations de cotisations sociales de 2000, dont la répartition, au 31 décembre 2000, est la suivante :

- 984 millions d'euros (6,45 milliards de francs) pour la branche maladie du régime général ;

- 177 millions d'euros (1,16 milliard de francs) pour la branche accidents du travail ;

- 713 millions d'euros (4,68 milliards de francs) pour la branche vieillesse ;

- 423 millions d'euros (2,77 milliards de francs) pour la branche famille ;

- 162 millions d'euros (1,06 milliard de francs) pour le régime des salariés agricoles.

Soit un total de 2,46 milliards d'euros (16,13 milliards de francs).

L'impact est très fort et diffère donc selon les branches. Il aboutit par exemple à rendre déficitaire la CNAVTS, minorant ainsi directement les ressources du Fonds de réserve des retraites. A ces chiffres, il convient de plus d'ajouter les 162 millions d'euros perdus par le régime des salariés agricoles suite à l'annulation de la créance sur le FOREC, dont le coût pèsera aussi indirectement sur le FRR car il sera compensé par un prélèvement sur la C3S.

Impact sur les comptes du régime général de l'annulation de la créance du régime général sur le FOREC

(en millions d'euros )

CNAMTS

CNAMTS AT

CNAF

CNAVTS

Total

Résultat net arrêté pour 2000

- 1.634

+ 350

+ 1.442

+ 508

+ 666

Annulation de la créance sur le FOREC

- 948

- 177

- 423

- 713

- 2.261

Résultat net 2000 après annulation

- 2.582

+ 173

- 1.019

- 205

- 1.595

Le I de l'article 5 du présent projet de loi de financement valide les opérations effectuées par l'ACOSS au titre du FOREC en 2000, tandis que le premier alinéa du II donne une base légale à la répartition effectuée par l'ACOSS sur la base des instructions ministérielles précitées.

b) Le FOREC, source du déficit du régime général

Au-delà des appréciations politiques relatives à cette décision, les conséquences comptables de cette annulation de créance sont importantes, puisqu'elle aboutit à placer le régime général de la sécurité sociale dans une situation déficitaire, alors que, sans elle, il aurait été excédentaire pour la première fois depuis de très nombreuses années.

En effet, selon les conclusions de la commission des comptes de la sécurité sociale du 7 juin dernier, le régime général devait être pour la première fois excédentaire en 2000 : cet excédent atteignait près de 800 millions d'euros (5,2 milliards de francs) en encaissement/décaissement, et 670 millions d'euros (4,4 milliards de francs) en droits constatés.

Or, la Cour des comptes, dans son rapport sur la sécurité sociale en 2000, a dû réviser le solde en droits constatés ainsi annoncé, qui intégrait la créance des organismes de sécurité sociale sur l'Etat au titre du FOREC, puisque le gouvernement a précisément décidé de ne pas honorer cette créance, qui restera dès lors à la charge de la sécurité sociale. La Cour des comptes est obligée de conclure, in fine , que le régime général est en réalité déficitaire de 137,20 millions d'euros (900 millions de francs) en 2000 46 ( * ) .

Le traitement comptable des exonérations de cotisations sociales :

Des artifices dénoncés par la Cour des comptes

Dans son rapport sur la sécurité sociale en 2000, la Cour des comptes analyse le traitement comptable des exonérations de cotisations sociales, et note que « la création du FOREC a conduit à des modes de comptabilisation différents en loi de financement et dans les comptes du régime général ».

Sans entrer dans les détails de cette question très complexe, la Cour des comptes indique que « ces présentations comptables présentent plusieurs incohérences :

- d'abord, dans la présentation même de la loi de financement de la sécurité sociale, qui fait apparaître la transformation de la contribution budgétaire en impôts et taxes affectés comme étant un transfert de cotisations effectives en impôts et taxes affectés ;

- ensuite, selon que les exonérations sont prises en charge par l'Etat ou par le FOREC ;

- enfin, entre les comptes du régime général selon qu'ils sont présentés en encaissement/décaissement ou en droits constatés ».

La Cour des comptes conclut : « il apparaît nécessaire à l'avenir qu'un mode de comptabilisation plus conforme à la réalité soit adopté et que celui-ci soit le même en loi de financement, dans les comptes des régimes et dans ceux présentés à la commission des comptes de la sécurité sociale ».

Votre rapporteur pour avis ne peut donc que constater que le gouvernement avait cherché à fausser les comptes de la sécurité sociale.

c) Le FOREC accentue l'opacité des relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale

Le rapport élaboré à l'occasion de la réunion de la commission des comptes de la sécurité sociale du 20 septembre 2001 indique, dans son avant-propos, que « les comptes présentés à la commission gagnent progressivement en qualité, en homogénéité et en transparence », mais reconnaît que « cette évolution positive n'est pas toujours perçue par le lecteur qui tend parfois à imputer aux comptes le sentiment d'opacité qu'il éprouve devant la complexité croissante de la sécurité sociale et notamment de ses circuits de financement. Mais elle est réelle » !

Votre rapporteur pour avis voit dans cette laborieuse et piètre démonstration, qui ne recule pas du reste devant la contradiction la plus flagrante, une tentative d'auto-persuasion en décalage complet avec la réalité, qui n'a toutefois pas échappé à la Cour des comptes.

Dans son rapport précité sur la sécurité sociale en 2000, la haute juridiction financière se montre en effet extrêmement critique sur le fait que, en 2000, l'état des comptes de la sécurité sociale est rendu plus complexe encore par le FOREC.

L'Etat et la sécurité sociale : des relations financières incompréhensibles

Dans son rapport précité, la Cour des comptes note que « la complexité des relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale est le signe le plus net à la fois du désordre où il est parvenu et de la nécessité de réformes : les flux de financement croisés, les dettes et restes à recouvrer qui en résultent, les règles hétérogènes de facturation des services rendus par l'Etat à la sécurité sociale, et par la sécurité sociale à l'Etat, l'existence de fonds à vocations très disparates, multiples, financés de façon diverse et variable d'une année sur l'autre, l'existence de structures « à part », qui ne sont ni dans l'Etat ni dans la sécurité sociale, mais qui jouent un grand rôle comme la caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES), tout tend à rendre la situation incompréhensible ».

Assurément, l'existence du FOREC a encore accentué la complexité de ces relations financières, la Cour des comptes identifiant notamment, parmi les causes de cette situation, « l'affectation aux organismes sociaux de ressources de nature fiscale » et « le remboursement d'exonérations de cotisations sociales décidées par l'Etat ».

Elle estime ainsi que « la multiplication, au cours des dernières années, de différents fonds [...] constitue un élément supplémentaire de complexité ». Or, jusqu'à présent, le FOREC, par ses montants, est le principal de ces fonds.

Sur ce dernier, la Cour des comptes note du reste que « le non-respect de l'équilibre du FOREC [...] met en cause les fondements mêmes de ce fonds. s'il devait être la règle, les efforts entrepris pour clarifier des relations entre l'Etat et la sécurité sociale seraient compromis ».

Enfin, et plus généralement, elle estime que « l'expérience malheureuse du FOREC montre les difficultés auxquelles se heurte la mise en oeuvre de l'idée même de fonds. Dès lors que les droits ne sont pas limitatifs et que les recettes ne peuvent être que prévisionnelles, la réalisation de l'équilibre, qui découle de leur autonomie juridique, ne peut être qu'incertaine ».

* 42 Les fonds sociaux - Une prolifération nuisible à la transparence du financement de la sécurité sociale, rapport n° 382 (2000-2001). Voir en particulier la deuxième partie, intitulée « Le fonds de financement des 35 heures - Un déficit structurel, une existence virtuelle, une menace réelle sur les comptes de la sécurité sociale ».

* 43 35 heures : comment en est-on arrivé là ?, rapport n° 414 (2000-2001).

* 44 En raison de l'absence de publication des décrets donnant une existence effective au FOREC, les ressources de ce dernier ont été versées à l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) et centralisées par elle, à titre transitoire, et jusqu'à la création effective du fonds de financement.

* 45 Conformément aux instructions du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et de la ministre de l'emploi et de la solidarité des 22 et 23 février 2001.

* 46 Dans son rapport précité, la Cour des comptes note ainsi que « si le FOREC avait été doté conformément à la loi, le régime général aurait donc été quasiment équilibré » [sur les trois dernières années].

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