C. LA NÉCESSITÉ D'UN COLLECTIF SOCIAL EN 2002 ?

1. Les doutes entourant le cadrage macroéconomique

a) Un cadrage macroéconomique commun aux projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale

Les deux textes sont construits sur les mêmes hypothèses macroéconomiques, à savoir un taux de croissance du PIB pour 2002 de 2,5 %, une progression de la masse salariale du secteur privé de 5 %, et une hausse des effectifs salariés de 1,7 %.

Principaux éléments de cadrage macroéconomique 2000 - 2001 - 2002

(en moyenne annuelle, en %, sauf indications contraires)

2000

2001
Prév.

2002
Prév.

Environnement international

PIB :

Monde

4,6

2,4

3,1

OCDE (1)

3,4

1,4

1,8

Etats-Unis

4,1

1,4

1,9

Japon

1,5

- 0,4

0,4

Zone euro

3,4

1,9

2,3

dont Allemagne

3,0

0,9

1,7

France

Comptes nationaux

PIB (montant en milliards de francs)

9.214,7

9.574,3

9.980,9

PIB (évolution en volume)

3.1

2,3

2,5

PIB (évolution prix)

0,9

1,6

1,7

PIB (évolution en valeur)

4.0

3,9

4,2

Exportations (évolution en volume)

12.6

3,5

4,1

Importations (évolution en volume)

14.2

2,7

4,1

Pouvoir d'achat du revenu disponible

3.1

3,4

2,6

Consommation des ménages (en volume)

2,5

2,6

2,7

Investissement des entreprises (en volume)

7.2

4,8

3,8

Prix à la consommation des ménages

Ensemble (100 %)

1.7

1.7

1.6

Hors tabac (98,1 %)

1.6

1.6

1,5

Masse salariale du secteur privé (2)

5.8

5.8

5.0

Salaire moyen par tête

2.4

2,9

3,3

Effectifs salariés

3.3

2,8

1,7

Source : direction de la prévision

(1) OCDE à 18 : Etats-Unis, Canada, Japon et Union européenne à 15. (2) Entreprises non financières.

S'agissant des hypothèses sociales, le projet de loi de financement de la sécurité sociale est assis notamment sur le choix, par le gouvernement, de revaloriser les pensions de 2,2 % et la base mensuelle des allocations familiales de 2,1 %.

Hypothèses sociales pour 2001 et 2002

(Évolution en moyenne en %)

2001

2002

Assiette des encaissements du secteur privé du RG (1)

5,9 %

5 %

Plafond de la sécurité sociale

Valeur annuelle en euros au 1 er janvier

Evolution annuelle

27.349

1,0 %

28.224

3,2 %

Pensions de vieillesse

Revalorisation au 1 er janvier

1,7 %

2,2 %

BMAF

Revalorisation au 1 er janvier

1,8 %

2,1 %

Source : direction de la sécurité sociale

(1) évolutions régime général 2000 et 2001 y compris mesures jeunes, y compris réduction du temps de travail

b) Les incertitudes entourant ce cadrage macroéconomique

Depuis les attentats perpétrés aux Etats-Unis le 11 septembre 2001, les conjoncturistes ont revu à la baisse leurs prévisions de croissance pour l'économie française en 2002. Celles-ci sont désormais de l'ordre de 1,8 %. Pourtant, le gouvernement a maintenu inchangée sa prévision de croissance pour l'année 2002, à 2,5 % (avec une fourchette de 2,25 % à 2,75 %). Cette divergence conduit à s'interroger sur la pertinence de la prévision de croissance présentée dans le présent projet de loi de financement de la sécurité sociale.

(1) Les doutes pesant sur la croissance avant le 11 septembre

L'économie française a connu de 1998 à 2000 une croissance soutenue, supérieure à son potentiel (qu'on estime généralement compris entre 2 % et 2,5 % en volume), qui a grandement favorisé la situation financière des régimes sociaux en faisant progresser leurs recettes de manière très dynamique.

Cette croissance a été rendue possible par l'assainissement budgétaire effectué par les gouvernements précédents à partir de la récession de 1993 et par le desserrement de la politique monétaire à partir de 1995. Elle s'est appuyée sur une demande intérieure dynamique. Celle-ci a en effet pris le relais de la demande extérieure, à l'origine de la reprise de l'année 1997.

Cette croissance était cependant vulnérable aux aléas extérieurs. Elle pouvait diminuer, notamment, du fait d'un ralentissement de l'économie américaine ou européenne. En particulier, le risque d'une accélération de l'inflation dans certains pays de la zone euro, avec ses conséquences sur la politique monétaire et sur la consommation des ménages, ne pouvait pas être écarté.

Ces craintes sur une éventuelle dégradation de l'environnement international se sont malheureusement révélées fondées. Tout d'abord, le prix du pétrole a atteint en septembre 2000 son maximum depuis 1991. Ensuite, l'économie américaine connaît un net ralentissement depuis le dernier trimestre 2000 : depuis ce moment, la croissance trimestrielle de l'économie américaine a chuté, en rupture avec le rythme, de l'ordre de 5 %, observé auparavant. Ainsi, au troisième trimestre 2001, la croissance a été de - 0,4 %. Enfin, en partie à cause de ces deux phénomènes, la croissance de la zone euro a connu un ralentissement marqué au cours de 2000, avant de devenir presque nulle au deuxième trimestre 2001. En effet, l'atterrissage de l'économie des Etats-Unis a surpris par son ampleur et sa rapidité. Par ailleurs, une inflation plus forte qu'anticipée au sein de la zone euro érode le pouvoir d'achat des ménages, tout en réduisant la probabilité d'un assouplissement de la politique monétaire.

En conséquence de ces phénomènes, la croissance trimestrielle de l'économie française a été plus faible en 2000 qu'en 1999, avant de s'effondrer en 2001.

Croissance du PIB en France

(en %, rythme annualisé)

Source : INSEE

En effet, des taux de croissance quasiment identiques du PIB français en 1999 et en 2000 (respectivement 2,9 % et 3,1 %) ne doivent pas dissimuler un ralentissement de la croissance en l'an 2000, que traduit son rythme d'évolution infra-annuelle. Alors que la croissance, mesurée de trimestre à trimestre, est passée au cours de l'année 1999 de 3,4 % à 4,4 % en rythme annuel, elle a ensuite été inférieure à ces taux. Cette inflexion en l'an 2000 semble s'expliquer principalement par le renchérissement des produits pétroliers. En effet, celui-ci a affecté le pouvoir d'achat des ménages tout en les incitant à épargner davantage.

La croissance de l'économie française a encore diminué aux premier et deuxième trimestres 2001, pour atteindre un taux, en rythme annualisé, de respectivement 1,7 % et 1,1 %. Si la croissance se maintenait en 2001 au rythme du deuxième trimestre, ce qui ne semble pas improbable, elle serait cette année de 2,1 %. Telle est la dernière prévision de croissance avancée par l'INSEE. On peut rappeler que l'objectif du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 était de 3,3 %. Ce ralentissement s'explique par une dégradation du contexte international plus marquée que prévu. Celle-ci a notamment résulté en un recul de l'investissement au deuxième trimestre 2001, de 0,8 % en rythme annualisé. La consommation des ménages demeure cependant soutenue.

(2) L'irréalisme des prévisions 2002 s'est aggravé depuis le 11 septembre 2001

Dans ces conditions, on peut s'interroger sur la pertinence de la prévision de croissance du gouvernement pour l'année 2002, de 2,5 %.

Ces prévisions pouvaient sembler plausibles jusqu'au 11 septembre 2001. En effet, une prévision de 2,5 % pour l'année 2002 pouvait s'appuyer sur l'hypothèse d'une amélioration de l'environnement international. Les prévisions actuelles du gouvernement étaient ainsi conformes à celles des principaux organismes indépendants jusqu'au 11 septembre 2001 8 ( * ) .


Prévisions de croissance antérieures au 11 septembre 2001

(prévisions de croissance du PIB, en %)

2001

2002

Gouvernement (PLF 2002)

2,3 (1)

2,5

Pour mémoire :

- objectif de la loi de finances pour 2001

3,3 (3,0 / 3,6)

-

- objectif de la programmation pluriannuelle des finances publiques à l'horizon 2004

3,0

- DOB pour 2002

2,9 (2,7 / 3,1) (1)

3,0 (2,8 / 3,2)

Prévisions des principaux organismes indépendants

Juillet 2001

BIPE

2,5

2,8

OCDE

2,6

2,7

Rexecode

2,4

2,2

Insee

2,3

-

Septembre 2001

BIPE (11 septembre)

2,3

2,5

(1) Le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a déclaré 21 octobre 2001 que « Nous devrions être autour de 2,1% ».

Ces prévisions ne semblent plus d'actualité en raison de l'appréciation récente de la conjoncture intérieure de l'année 2001, et de la montée incontestable des périls extérieurs.

L'INSEE a donc revu à la baisse son estimation de la croissance du PIB de l'économie française au premier et au deuxième trimestres de cette année. Les estimations, de respectivement 0,5 % et 0,4 %, ont été ramenées à 0,4 % et 0,3 %, soit 1,7 % et 1,1 % en rythme annualisé. L'économie française connaît donc déjà depuis le début 2001 un ralentissement important qui pourrait être aggravé suite aux événements du 11 septembre.

L'impact prévisible des attentats du 11 septembre sur la croissance mondiale

Les attentats commis aux Etats-Unis le 11 septembre 2001 pourraient avoir un impact négatif sur l'économie mondiale, du fait notamment d'une dégradation de la confiance des ménages, en particulier américains.

Les prévisions présentées du gouvernement reposent cependant déjà sur des hypothèses de croissance de l'économie des Etats-Unis en 2002 que l'on peut considérer comme optimistes : 1,9 % en 2002. Or, l'économie des Etats-Unis ralentit depuis le dernier trimestre 2000, et a reculé de 0,4 % au troisième trimestre 2001.

La reprise anticipée par le gouvernement n'allait donc pas de soi avant les attentats, du fait notamment des incertitudes sur l'évolution du comportement des ménages américains. Compte tenu, notamment, de l'impact vraisemblable des attentats sur la confiance de ces derniers, les principaux prévisionnistes sont moins optimistes sur la croissance de l'économie des Etats-Unis en 2002. Ils estiment que les Etats-Unis ne connaîtront pas de reprise avant le deuxième trimestre 2002. Leurs prévisions de croissance pour 2002 sont donc comprises entre environ 1 % et 1,5 %, l'OCDE tablant par exemple sur une croissance américaine de 1,3 %.

Le gouvernement français n'exclut pas un tel scénario. Ainsi, il estime 9 ( * ) que « les attentats des Etats-Unis pourraient déprimer la croissance européenne et française de l'ordre de 0,5 point à l'horizon 2002 ».

Les derniers chiffres relatifs à l'économie des Etats-Unis rendent ce scénario crédible. Ainsi, le 30 octobre 2001 l'indice de confiance des consommateurs américains était à son niveau le plus bas depuis février 1994. Par ailleurs, au troisième trimestre 2001, la croissance du PIB a été de - 0,4 %. On peut dès lors se demander si les prévisions de croissance du gouvernement ne devraient pas être revues à la baisse, tant pour l'économie américaine que pour l'économie française.

De même, les six principaux instituts de conjoncture allemands ont récemment revu à la baisse leur perspective de croissance de l'économie allemande pour l'année 2002. En effet, celle-ci n'est plus que de 1,3 % de croissance, contre 2,2 % dans leur dernier rapport. A titre de comparaison, le gouvernement français retient l'hypothèse d'une croissance de 1,7 % de l'économie allemande.

Tous ces facteurs font que les conjoncturistes tendent à retenir des prévisions de croissance de l'économie française moins optimistes que celles avancées par le gouvernement.

Ainsi, la croissance de l'investissement des entreprises serait de seulement 2,8 % selon les instituts réunis au sein de la Conférence économique de la nation (contre 3,8 % selon le gouvernement).

Cette faible confiance s'expliquerait, notamment, par les incertitudes quant à la consommation des ménages. Du fait de l'augmentation du taux de chômage prévue pour 2002, la croissance de la consommation des ménages serait de seulement 2,2 % selon les instituts réunis au sein de la Conférence économique de la nation (contre 2,7 % selon le gouvernement).

Ainsi, les prévisions de croissance de l'économie française pour l'année 2002 sont aujourd'hui de l'ordre de 1,8 %.

Les principales prévisions de croissance de l'économie française pour l'année 2002

Organisme

Prévision de croissance

(en % du PIB)

Gouvernement

2,5 (2,25/2,75)

Principaux panels de conjoncturistes

Conférence économique de la nation (15 octobre)

2,1 (instituts)/2,2 (privés)

Consensus Forecasts (20 octobre)

1,8

Enquête trimestrielle réalisée par Reuters auprès de vingt économistes (25 octobre)

1,8

Principaux instituts français

BIPE (septembre, prévisions actualisées après les attentats)

1,3-1,8

Rexecode (septembre, prévisions actualisées après les attentats)

1,5

OFCE (octobre)

2,2

OCDE (rapport provisoire, octobre)

1,6

Il faut souligner que la croissance pourrait être encore plus faible que ce que suggèrent ces prévisions si le ralentissement s'accompagnait d'une crise financière aux Etats-Unis ou d'une augmentation du prix du pétrole, ou si les ménages français réduisaient leur consommation, comme ils l'ont fait pendant la guerre du Golfe. Dans tous les cas, la croissance serait donc vraisemblablement inférieure aux prévisions successives faites par le gouvernement.

La croissance en 2002 : évolution des prévisions du gouvernement

(en points de PIB)

Ainsi donc, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2002, tout comme le projet de loi de finances, est assis sur un cadrage macroéconomique qui n'était guère réaliste avant le 11 septembre et n'a pas vu sa crédibilité renforcée depuis, bien au contraire. Cela conduit votre rapporteur pour avis à nourrir les doutes les plus sérieux sur la réalité des prévisions de recettes et des objectifs de dépenses contenus dans le présent projet de loi de financement.

* 8 Le pessimisme de Rexecode pour l'année 2002 s'expliquant par la prévision d'un recul
(- 0,3 %) de l'investissement des entreprises.

* 9 Réponse au questionnaire adressé au gouvernement par votre commission des finances dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2002.

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