EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 5 février 2003, sous la présidence de M. Jean Arthuis, président, la commission a procédé à l'examen du rapport .

M. Yves Fréville, rapporteur pour avis , a indiqué à titre préalable que le projet de loi « entreprise de transport aérien et société Air France » n'était pas à proprement parler un projet de privatisation d'Air France, car la compagnie figurait sur la liste des entreprises privatisables en 1993 et pourrait donc être privatisée en l'absence de projet de loi spécifique.

Par ailleurs, plusieurs dispositions de ce projet sont applicables à toutes les sociétés de transport aérien françaises qui pourraient être cotées, même si ce n'est que le cas d'Air France aujourd'hui. Enfin, la date de privatisation d'Air France dépendra de l'évolution du secteur du transport aérien et des marchés financiers.

Il a ensuite souhaité répondre à deux questions préalables :

- pourquoi privatiser Air France ?

- pourquoi une loi est-elle nécessaire pour ce faire ?

Il a souligné que l'évolution du transport aérien en Europe et la consolidation annoncée de ce secteur pourraient conduire les compagnies à conclure des alliances capitalistiques, ce qui nécessitait un transfert au secteur privé de la majorité du capital d'Air France. Il a considéré qu'il n'y avait pas de raison de maintenir la compagnie dans le secteur public en l'absence de monopole naturel, s'agissant d'un secteur hautement concurrentiel, notant par ailleurs que les missions de service public assurées par Air France peuvent l'être quel que soit le statut de la société. Enfin, il a rappelé qu'après une importante crise financière de la compagnie, ayant nécessité une recapitalisation de 20 milliards de francs de l'Etat entre 1994 et 1996, Air France connaissait actuellement une situation assainie, et résistait mieux à la crise mondiale du secteur que la quasi-totalité des compagnies aériennes internationales, ce qui permettait d'envisager une privatisation dans de bonnes conditions pour l'Etat et pour la compagnie.

M. Yves Fréville, rapporteur pour avis, a indiqué que la loi de 1948 qui a créé Air France prévoyait une ouverture de capital que l'Etat n'a jamais mise en oeuvre. En 1986, la société ne figurait pas sur la liste des entreprises privatisables, bien qu'en 1987, une ouverture du capital ait été envisagée, puis annulée à la suite du « krach boursier ». En 1993, la société Air France figurait sur la liste des entreprises privatisables, et une opération d'échange « salaire-contre actions » était proposée aux pilotes de la compagnie.

Cette opération a été renouvelée en 1999, lors de l'ouverture du capital engagée par le gouvernement de M. Lionel Jospin, au terme de laquelle l'Etat a conservé 54 % du capital.

M. Yves Fréville a indiqué que l'opération de transfert de la majorité du capital d'Air France du secteur public vers le secteur privé organisée par le présent projet de loi devait conduire à une réduction de la part du capital détenu par l'Etat à un peu moins de 20 %, soit l'équivalent du capital qui devrait être détenu par les salariés de l'entreprise à l'issue du processus.

M. Yves Fréville, rapporteur pour avis, a considéré qu'une loi était nécessaire afin de prévoir les mécanismes tendant à préserver la nationalité ou le caractère communautaire de la compagnie. Il a rappelé que pour assurer des liaisons aériennes intra-communautaires, une compagnie aérienne doit être majoritairement détenue et effectivement contrôlée par des intérêts communautaires, tandis que pour les liaisons aériennes vers des pays tiers, elle doit avoir un actionnariat majoritairement français.

Il a toutefois souligné que des arrêts de la Cour de justice des communautés européennes du 5 novembre 2002 remettaient en cause les accords bilatéraux accordant des droits de trafic aux compagnies aériennes, en prévoyant que ces droits relèveraient désormais d'une compétence partagée entre les Etats membres et les institutions communautaires.

Il a ensuite présenté le dispositif proposé par le projet de loi afin de garantir le maintien de la nationalité d'Air France. Il a indiqué qu'un suivi de l'actionnariat était rendu possible grâce à des possibilités élargies d'identification des actionnaires, ainsi que d'agrément pour les cessions d'actions. En cas de risque pesant sur la nationalité de leur compagnie, celle-ci peut enjoindre les derniers actionnaires étrangers entrés dans son capital de vendre leurs titres. Enfin, en cas de refus de la part de ces derniers, la société peut saisir le tribunal de grande instance de Paris afin de faire procéder à la vente forcée des titres.

Il a souligné que ce dispositif était dissuasif, et qu'il ne devrait pas y avoir lieu d'y recourir. En effet, une compagnie détenue majoritairement par des actionnaires étrangers perdrait le bénéfice de ses droits de trafic, qui constituent l'essentiel de sa valeur, dès lors, les investisseurs étrangers n'auraient aucun intérêt à acquérir des titres conduisant à une telle situation.

L'information du public et du marché devrait s'avérer suffisante pour éviter de recourir aux mécanismes d'injonction et de vente forcée prévus par le projet de loi.

M. Yves Fréville, rapporteur pour avis, a ensuite présenté les dispositions relatives au développement de l'actionnariat salarié. Il a indiqué que la privatisation s'accompagnerait d'une offre préférentielle réservée aux salariés, mais également d'une offre d'échange « salaire contre actions » portant sur 6 % du capital, soit la part de l'offre similaire qui n'avait pas été souscrite par les pilotes en 1998. Il a indiqué que l'offre d'échange s'adressait cette fois à l'ensemble des salariés de la société.

La réduction de la masse salariale résultant de la mise en oeuvre de cet échange augmentera la valeur de la société et des titres émis sur le marché. A la différence de 1998, cette création de valeur ne bénéficiera pas intégralement à l'Etat, et la société devra rembourser la différence entre la valeur des actions gratuites accordées aux salariés et la création de valeur revenant à l'Etat résultant des abandons de salaires correspondants.

M. Yves Fréville a indiqué qu'un dispositif fiscal avantageux, identique à celui retenu en 1998, serait appliqué à cette offre, afin d'inciter les salariés à y participer. En effet, la valeur des actions ne sera pas retenue pour le calcul des impôts et taxes assis sur les revenus, mais uniquement pour le calcul de l'impôt sur la fortune, des droits de succession et de l'imposition sur les plus-values.

M. Yves Fréville, rapporteur pour avis, a indiqué que le projet de loi comportait d'autres dispositions relatives notamment à la composition du conseil d'administration et au statut des salariés.

Sur ce dernier point, il a indiqué que les statuts des salariés seraient maintenus pendant une durée maximale de deux ans afin de permettre la négociation d'accords d'entreprises entre les syndicats et la direction.

En conclusion, M. Yves Fréville a rappelé qu'une modification des statuts de la société Air France constituait un préalable indispensable à sa privatisation. Il a fait part de ses incertitudes quant à la date de cette opération, celle-ci dépendant de l'évolution du secteur du transport aérien et des marchés boursiers.

Un large débat s'est alors ouvert.

M. Jacques Oudin a souhaité connaître les raisons pour lesquelles il importait, à l'avenir, que la nationalité française de la compagnie soit préservée à tout prix, et ce qui justifiait le maintien d'une part significative du capital par l'Etat à l'issue du processus. Il a également voulu connaître les conditions d'emploi des personnels qui seraient embauchés après la privatisation, mais avant la conclusion des accords d'entreprise prévus par le projet de loi.

M. Maurice Blin s'est interrogé sur les mécanismes tendant à préserver la nationalité des compagnies aériennes en vigueur dans les autres pays. Il a souhaité connaître le montant des recettes escomptées par l'Etat lors de la mise sur le marché des titres Air France. Enfin, il a voulu connaître la position des syndicats de la compagnie sur cette opération.

M. François Marc s'est interrogé sur les motivations conduisant le gouvernement à privatiser Air France, compte tenu notamment de la modicité des recettes attendues pour l'Etat, et de la conjoncture stratégique et commerciale favorable que connaît Air France. Il a également émis des doutes sur l'efficacité des mécanismes de suivi de l'évolution de l'actionnariat. Il s'est enfin interrogé sur l'exercice des missions de service public par la société Air France une fois que celle-ci sera détenue par des capitaux privés.

M. Michel Moreigne a émis des doutes sur l'efficacité du mécanisme d'injonction de vente des titres détenus par des actionnaires étrangers pouvant être mis en oeuvre par des sociétés françaises cotées de transport aérien.

M. René Trégouët a souhaité connaître les obligations applicables aux compagnies aériennes des autres Etats en matière de préservation de leur nationalité. Il a souligné que la complexité du transport aérien et les contraintes particulières qui s'y appliquent en matière de sécurité en faisaient un secteur à part, ce qui justifiait que le processus de privatisation mis en oeuvre diffère du droit commun.

M. Auguste Cazalet a déploré l'absence de concurrence sur certaines lignes intérieures de transport aérien en France et ses conséquences négatives en matière de prix et de capacité.

En réponse à M. Jacques Oudin, M. Yves Fréville, rapporteur pour avis, a indiqué que tous les salariés seraient embauchés selon les conditions du statut public actuellement en vigueur, puis, après la conclusion des accords d'entreprise négociés entre les syndicats et la direction, selon un régime de droit privé. Il a rappelé que le maintien de la nationalité d'Air France était nécessaire, même si à l'avenir, la préservation des droits de trafic pourrait être conditionnée à un actionnariat et un contrôle effectif communautaires compte tenu de l'évolution engagée suite aux arrêts de la Cour de justice des communautés européennes du 5 novembre 2002. S'agissant du maintien d'une participation importante de l'Etat au capital d'Air France, il a estimé que celle-ci permettait d'assurer une base stable à l'actionnariat de la compagnie, avec la part détenue par les salariés, mais pourrait être supprimée ultérieurement.

En réponse à M. Maurice Blin, il a exposé les différents mécanismes tendant à préserver la nationalité des compagnies aériennes dans les pays européens, notant par exemple que l'Etat néerlandais disposait d'une action préférentielle vis-à-vis de la compagnie aérienne KLM.

Il a indiqué qu'il était impossible de connaître avec précision le montant des recettes qui pourrait être tiré de la privatisation d'Air France par l'Etat, mais que celui-ci pourrait être de l'ordre d'un milliard d'euros.

Enfin, il a indiqué que la majorité des syndicats d'Air France était opposée à la privatisation de la compagnie, sans toutefois en contester de manière importante les modalités techniques.

En réponse à M. François Marc, M. Yves Fréville , rapporteur pour avis, a considéré que la principale motivation de la privatisation d'Air France n'était pas liée au patrimoine de l'Etat, mais à l'intérêt propre de la société, qui bénéficiera d'une plus grande réactivité et d'un meilleur accès aux marchés de capitaux, et pourra conclure des alliances capitalistiques avec d'autres compagnies. Il a indiqué que les mécanismes de contrôle de l'évolution de l'actionnariat étaient efficaces et a rappelé que leur objet était essentiellement dissuasif.

A titre d'exemple, il a indiqué que British Airways avait été confrontée à un risque de contrôle majoritaire par des actionnaires étrangers, qui avait été écarté rapidement suite à une information du marché faisant part de cette situation et des mesures que pourrait être amenée à prendre la compagnie pour y faire face.

S'agissant de l'exercice des missions de service public par Air France, il a considéré que le statut de la société était sans influence sur leur réalisation, compte tenu des mécanismes actuels recourant à des appels d'offre.

En réponse à M. Michel Moreigne, M. Yves Fréville , rapporteur pour avis, a estimé que la procédure d'injonction prévue par le projet de loi était d'autant plus efficace qu'elle conduisait à une vente forcée des titres en cas de refus par les actionnaires étrangers concernés d'y accéder.

En réponse à M. René Trégouët, il a indiqué que le contrôle de l'évolution de leur actionnariat était une obligation pour toutes les compagnies de transport aérien.

La commission a alors décidé d'émettre un avis favorable à l'adoption du projet de loi.

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