F. UNE NOUVELLE REPRISE DE DÉFICITS PAR LA CADES

1. Les dettes successives reprises par la CADES

La Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) a été créée par l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996, relative au remboursement de la dette sociale, qui s'inscrivait dans le cadre de la réforme de la protection sociale proposée par M. Alain Juppé, alors Premier ministre. La CADES, établissement public à caractère administratif, a effectivement été mise en place au mois d'avril 1996.

D'après cette ordonnance, la caisse devait d'ici 2009, en 13 ans et un mois :

- apurer la dette de 137 milliards de francs du régime général (120 milliards de francs dus au titre du financement des déficits des exercices 1994 et 1995, 17 milliards de francs au titre du déficit prévisionnel de 1996) ;

- verser une soulte de 12,5 milliards de francs par an à l'Etat, pendant 12 ans (soit jusqu'en 2008), au titre du remboursement de l'ancienne dette de 110 milliards de l'ACOSS à l'égard de la Caisse des dépôts et consignations, reprise par l'Etat en 1993 36 ( * ) ;

- verser un montant unique de 3 milliards de francs à la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs non-salariés des professions non agricoles, la CANAM, pour couvrir ses déficits 1995 et 1996.

Pour remplir cet objectif, la CADES bénéficiait de deux types de recettes :

- le produit de la vente du patrimoine locatif de la CNAV et de la CNAMTS, achevée en 2003 ;

- le produit de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), qui lui est intégralement affecté.

La CRDS : une contribution dynamique

La CRDS est une contribution perçue :

- sur les revenus d'activité et de remplacement ;

- sur les revenus du patrimoine et les produits de placement ;

- sur les ventes de métaux précieux, bijoux, objets d'art, de collection et d'antiquité soumises à la taxe prévue aux articles 150 V bis et 150 V ter du code général des impôts ;

- sur les jeux.

La répartition du produit de la CRDS a évolué comme suit au cours des années passées :

Source : CADES

Afin d'asseoir sa crédibilité auprès des investisseurs, la CADES avait été construite dès l'origine sur un schéma lui permettant d'afficher un résultat positif en fin de période.

Face à la nouvelle dégradation des comptes, d'une part, et au dynamisme de ses recettes, d'autre part, la CADES vit son cadre d'action modifié à cinq reprises :

- 87 milliards de francs de dettes furent mis à sa charge en 1998, correspondant, d'une part, au financement des déficits accumulés par le régime général de sécurité sociale constatés au 31 décembre 1997 et, d'autre part, au déficit prévisionnel de l'exercice 1998 dans la limite de 12 milliards de francs ; en contrepartie, la durée de vie de la CADES comme la durée de perception de la CRDS étaient repoussées jusqu'en 2014 ;

- l'article 89 de la loi de finances pour 2001 procéda à une exonération de CRDS sur les indemnités des chômeurs non imposables, conduisant à une moins-value de recettes estimée à 450 millions d'euros par an à compter de 2003 ;

- l'article 38 de la loi de finances pour 2002 a accéléré le remboursement des versements de la CADES à l'Etat, en remplaçant les sept derniers versements de 1,85 milliard d'euros prévus par quatre versements de trois milliards d'euros, ce qui signifie que la dette à l'égard de l'Etat devrait être épongée à partir de 2005 ;

- l'article 14 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2003 a confié à la Caisse la mission d'apurer une partie de la créance enregistrée en 2000 par les organismes de sécurité sociale au titre des exonérations de cotisations sociales entrant dans le champ du FOREC 37 ( * ) , soit 1,28 milliard d'euros ;

- la loi de financement de la sécurité sociale pour 2004 a enfin confié à la CADES la mission de rembourser la deuxième partie de la créance de ces organismes, soit 1,097 milliard d'euros.

2. La situation actuelle de la CADES et ses perspectives

Au 31 décembre 2003, la CADES devait encore rembourser 38,25 milliards d'euros sur un total de 53,77 milliards d'euros mis à sa charge depuis sa création. Ce montant devrait être ramené à 34,3 milliards d'euros au 31 décembre 2004.

a) La politique de financement de la CADES

Compte tenu de l'achèvement du programme de cession de l'immobilier, la CADES dispose d'une ressource unique - la CRDS - pour mener à bien ses missions. Le produit de la CRDS devrait atteindre 4,8 milliards d'euros en 2004. Le scénario central d'amortissement de la dette de la CADES est bâti sur une croissance moyenne de 3,5 %. Le graphique suivant retrace l'évolution du produit de la CRDS depuis 1996.

Evolution du produit de la CRDS comptable depuis 1996

(en millions d'euros)

Source : CADES

Abstraction faite d'éventuels refinancements, le produit de la CRDS est donc le seul montant que la CADES peut consacrer au paiement des intérêts et au remboursement du capital des emprunts qu'elle émet.

Dans la mesure où la CADES reprend la dette par montants très importants, financés à l'origine à court terme, elle doit très rapidement remodeler sa dette pour l'adapter, au mieux, aux ressources annuelles dont elle disposera. Cette restructuration de la dette passe par l'émission d'instruments financiers comme :

des émissions obligataires ;

des obligations et swaps indexés sur l'inflation française ;

des programmes de titres à moyen terme (MTN) et des placements privés ;

des billets de trésorerie et du papier commercial ;

des crédits syndiqués.

Le risque de change sur les émissions faites en devises autres que l'euro est immédiatement neutralisé par un swap.

Le risque de taux est géré, pour l'ensemble du portefeuille de la CADES, à l'aide d'un modèle d'adossement actif-passif, proche de ceux utilisés par les grandes institutions financières. Ce modèle a toutefois été créé spécialement par la CADES, pour tenir compte de ses particularités. Il sert à optimiser la répartition entre les différents types d'emprunts et les différentes maturités, en essayant de minimiser à la fois le coût de l'endettement et le risque qui lui est associé.

b) Dans la situation actuelle, une valeur finale moyenne en 2014 qui serait positive à hauteur de 10 milliards d'euros

Le modèle mis en place par la CADES sert aussi à mesurer la valeur finale moyenne de la caisse au 31 janvier 2014 et la probabilité d'obtenir une valeur négative à cette date. Ces valeurs sont à ce jour, respectivement, de 10 milliards d'euros et de 2 %, ainsi que le montre le graphique suivant.

Source : CADES

Le taux moyen de refinancement est communiqué tous les mois au conseil d'administration. Il devrait être de 4,87 %, à la fin du mois de juillet 2004.

La caisse a donc de très grandes chances de rembourser l'intégralité de sa dette avant le 31 janvier 2014, échéance normalement prévue.

La distribution finale de la CADES : une analyse à mener avec précaution

L'interprétation de la distribution finale de la CADES mérite une attention particulière, dans la mesure où elle a pu être interprétée comme l'apparition d'excédents. Dans son rapport sur la CADES, notre collègue Alain Vasselle cite les réponses reçues du président du Conseil d'administration de la caisse, ci-après reproduites.

« L'excédent de la CADES »

Dès l'origine et afin de rassurer les investisseurs, la CADES a toujours été présentée avec une trésorerie positive à la fin de sa vie. Ceci a été le cas en 1996 puis en 1998 lors de l'allongement de cinq ans de la vie de la CADES, pour neutraliser la nouvelle reprise de dette, l'équilibre global de la CADES devant être préservé. (...) Cet « excédent » n'apparaît que dans les derniers mois de vie de la CADES. Son montant varie avec les hypothèses de taux, de croissance et d'inflation (...). Il ne s'agit en aucune façon d'argent disponible dès maintenant. Cet excédent futur est en outre théorique. Rien n'empêcherait un gouvernement qui constaterait que la CADES vient d'atteindre une situation nette nulle, de la fermer aussitôt et de mettre fin simultanément à la perception de la CRDS.

Les « marges de manoeuvre de la CADES »

Un excédent final de trésorerie apparaissant sur les simulations présentées par la CADES, la tentation est grande de penser qu'il permet des « marges de manoeuvre » plus ou moins importantes, pouvant aller jusqu'à la « remise à zéro » de la CADES. C'est ignorer volontairement que tout prélèvement supplémentaire ou tout rétrécissement de l'assiette de la CRDS, en l'absence de compensation, diminue l'excédent final, accroît la possibilité qu'il soit négatif et recule de fait la date à laquelle un gouvernement pourrait mettre fin à la perception de la CRDS.

« L'avance de la CADES »

Constatant que, pendant les premières années, la CRDS a crû à un taux supérieur à celui de 3,5% sur lequel repose le scénario central de la CADES, certains ont pu justifier des mesures ponctuelles en parlant de « l'avance de la CADES » sur son plan de marche. Cette avance est tout aussi théorique et peut être remise en cause par un ralentissement économique.

Source : Alain Vasselle, La CADES : nouvel enjeu des finances sociales ?, rapport d'information n° 248 (2002-2003)

3. La solution proposée par le gouvernement dans le présent projet de loi

a) La reprise des déficits du régime général

Pour faire face à la dérive des comptes de l'assurance maladie, l'article 45 du présent projet de loi prévoit que la CADES reprendra à sa charge :

- les déficits cumulés de la branche maladie, maternité, invalidité et décès arrêtés au 31 décembre 2003 et le déficit prévisionnel au titre de l'exercice 2004, soit environ 35 milliards d'euros : la CADES versera à l'ACOSS 10 milliards d'euros à ce titre le 1 er septembre 2004 et une somme qui ne pourra excéder 25 milliards d'euros au plus tard le 31 décembre 2004 ;

- les déficits prévisionnels de la même branche au titre des exercices 2005 et 2006 prévus par les lois de financement de la sécurité sociale de ces mêmes années, dans la limite de 15 milliards d'euros.

Il est prévu que les montants et les dates des versements correspondants sont fixés par décret, après avis du secrétaire général de la commission des comptes de la sécurité sociale.

Selon ces dispositions, la CADES prendrait donc, au maximum, 50 milliards d'euros à sa charge.

b) La prolongation de la CADES jusqu'à extinction de ses missions et le maintien d'un taux de CRDS inchangé

En contrepartie de cette charge nouvelle, l'article 45 du présent projet de loi maintient le taux de la CRDS à 0,5 % et prolonge la CADES jusqu'à extinction de ses missions.

Les dispositions des 1°, 2°, 5° à 11° de cet article traduisent cette orientation, en supprimant les références faites aux dates de fin de vie de la CADES et de fin de perception de la CRDS.

En outre, l'Assemblée nationale a précisé que la part des recettes de la branche maladie supérieure aux dépenses de la branche est affectée prioritairement à la CADES, dans les conditions prévues par une loi de financement de la sécurité sociale.

c) Une solution de compromis

Nombreux ont été ceux qui ont critiqué ce dispositif qui soulève un problème de responsabilité, dans la mesure où il revient à transférer cette charge sur les générations futures.

Toutefois, compte tenu de la situation particulièrement dégradée de l'assurance maladie, d'une part, de la situation économique de notre pays et de la nécessité de ne pas alourdir encore les prélèvements obligatoires pour ne pas entamer la compétitivité de notre économie, cette solution, à laquelle les gouvernements précédents ont au demeurant eu recours, apparaît comme la moins mauvaise possible.

Sur la base d'une nouvelle reprise de dette de 50 milliards d'euros, le graphique suivant retrace les différents arbitrages possibles relatifs à la durée de vie de la CADES et au taux de la CRDS. Cette droite est basée sur l'hypothèse selon laquelle la CADES aurait 20 % de chances de ne pas avoir achevé sa mission en 2014.

Les différents arbitrages possibles relatifs à la durée de vie de la CADES et au taux de la CRDS

Hypothèses retenues : taux de croissance annuel de la CRDS de 3,5 %, courbe de taux d'intérêts actuels, probabilité d'être négatif en fin de vie constante sur la droite d'isorisque.

Source : CADES

Le graphique ci-dessus a été bâti en considérant qu'il était équivalent, en terme de risque encouru par un investisseur porteur de titres émis par la CADES, que celle-ci termine en 2028 avec un taux de CRDS inchangé de 0,5 % ou en 2014, avec un taux de CRDS porté à 1% dès le début de 2005, chiffres confirmés par M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la santé et de la protection sociale lors de la discussion cet article à l'Assemblée nationale. Toutes les solutions mixtes sont représentées par les points de la « courbe d'isorisque » tracée entre ces deux points.

Notre collègue député Yves Bur, président de la commission spéciale de l'Assemblée nationale, avait proposé une solution mixte, visant à augmenter le taux de CRDS de 0,15 point et à poser la clôture de la CADES en 2020.

Ce couple n'est pas situé sur la droite d'isorisque présentée plus haut. D'après ce dernier, il faudrait, pour finir en 2020, augmenter le taux de la CRDS de 0,27 point. La hausse de 0,15 point du taux de la CRDS permettrait de finir, dans les mêmes conditions de risque, en 2024. La CADES précise que ce résultat est confirmé en utilisant le modèle d'adossement actif-passif. On obtient, avec le couple 2020/+ 0,15 point de taux, une probabilité de 48,4 % d'avoir une situation nette négative en fin de vie de la CADES, ce qui correspond à une importante dégradation du risque perçu par les investisseurs. Il reste toutefois à savoir si ces derniers réagissent de la même manière s'agissant de la CADES, qui bénéficie de la garantie de ressources publiques, que s'agissant d'un organisme privé.

La solution retenue, qui prévoit que la CADES s'éteindra une fois ses missions remplies, présente de ce point de vue deux avantages : d'une part, elle met fin au débat récurrent sur les marges de manoeuvre de la CADES en fonction de sa distribution finale, précédemment évoqué ; d'autre part, elle maintient le principe d'une caisse finie : si aucune date précise n'est d'ores et déjà fixée, le principe de la clôture de la caisse est maintenu. La CADES n'a donc pas vocation à se transformer en caisse perpétuelle de refinancement des déficits courants de l'assurance maladie et, plus largement, de la sécurité sociale.

* 36 L'ACOSS avait contracté une dette de 110 milliards de francs auprès de la Caisse des dépôts et consignations. Intervenant comme garant de la sécurité sociale, l'Etat avait repris cette dette en 1994 pour la consolider avec la dette du Trésor. La mission d'apurer cette dette fut confiée au Fonds de solidarité vieillesse, qui devait verser à l'Etat une somme cumulée sur treize ans de 162,5 milliards de francs, soit treize annuités de 12,5 milliards de francs. Bénéficiant d'une franchise de deux ans pour entamer l'amortissement du capital, le FSV n'a versé en 1994 et 1995 que des sommes correspondant aux seuls intérêts. Lors de la création de la CADES, il fut précisé qu'elle se substituerait au FSV en reprenant à sa charge les versements au budget de l'Etat selon l'échéancier déjà fixé.

* 37 Fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale, supprimé par la loi de finances pour 2004.

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