Avis n° 79 (2004-2005) de M. Yves DÉTRAIGNE , fait au nom de la commission des lois, déposé le 25 novembre 2004

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N° 79

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2004-2005

Annexe au procès-verbal de la séance du 25 novembre 2004

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi de finances pour 2005 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE ,

TOME IV

JUSTICE :

SERVICES GÉNÉRAUX

Par M. Yves DÉTRAIGNE,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Jacques Hyest, président ; MM. Patrice Gélard, Bernard Saugey, Jean-Claude Peyronnet, François Zocchetto, Mme Nicole Borvo, M. Georges Othily, vice-présidents ; MM. Christian Cointat, Pierre Jarlier, Jacques Mahéas, Simon Sutour, secrétaires ; M. Nicolas Alfonsi, Mme Michèle André, M. Philippe Arnaud, Mme Eliane Assassi, MM. Robert Badinter, José Balarello, Laurent Béteille, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. François-Noël Buffet, Christian Cambon, Marcel-Pierre Cléach, Pierre-Yves Collombat, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Yves Détraigne, Michel Dreyfus-Schmidt, Pierre Fauchon, Gaston Flosse, Bernard Frimat, René Garrec, Jean-Claude Gaudin, Charles Gautier, Philippe Goujon, Mme Jacqueline Gourault, MM. Charles Guené, Hubert Haenel, Jean-René Lecerf, Mme Josiane Mathon, MM. Hugues Portelli, Henri de Richemont, Jean-Pierre Sueur, Alex Türk, Jean-Paul Virapoullé, Richard Yung.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 12 ème législ.) : 1800 , 1863 à 1868 et T.A. 345

Sénat : 73 et 74 (annexe n° 27 ) (2004-2005)

Lois de finances .

SOMMAIRE

Pages

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS 3

INTRODUCTION 4

I. LES GRANDES LIGNES D'UN BUDGET TOUJOURS PRIORITAIRE 5

A. UNE AUGMENTATION SENSIBLE DES CRÉDITS 5

B. UNE EXÉCUTION INÉGALE DE LA LOI D'ORIENTATION ET DE PROGRAMMATION POUR LA JUSTICE 7

1. Une exécution inégale de la programmation prévue en termes de créations d'emplois 7

2. La mise en oeuvre du programme d'investissement 13

C. DES PRIORITÉS AFFICHÉES EN FAVEUR DES PERSONNELS DES JURIDICTIONS JUDICIAIRES ET DES VICTIMES 18

1. Les perspectives statutaires et indemnitaires des personnels des juridictions judiciaires 18

2. Un renforcement de l'aide aux victimes 25

II. UNE ACTIVITÉ DES JURIDICTIONS TOUJOURS CARACTÉRISÉE PAR DES DÉLAIS DE JUGEMENT TROP LONGS 26

A. LES JURIDICTIONS JUDICIAIRES 26

1. Une activité judiciaire fortement contrainte par la pression des affaires nouvelles 26

2. Des solutions pour accélérer les délais de jugement 29

B. LA SITUATION PRÉOCCUPANTE DES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES 31

1. Une activité juridictionnelle de plus en plus dense 31

2. Les initiatives pour améliorer la situation des juridictions administratives 33

III. UNE GESTION DES CRÉDITS QUI PRÉPARE L'APPLICATION DE LA LOI ORGANIQUE RELATIVE AUX LOIS DE FINANCES 35

A. LA MODERNISATION DES MÉTHODES DE GESTION DES SERVICES JUDICIAIRES 35

1. Des responsabilités accrues confiées aux chefs de cour et aux services administratifs régionaux 35

2. Une difficile maîtrise des frais de justice 38

B. UN MINISTÈRE FORTEMENT IMPLIQUÉ DANS LA MISE EN oeUVRE DE LA LOLF 43

1. La définition d'une nouvelle architecture budgétaire 43

2. Une volonté affirmée de rechercher des instruments de mesure de la performance pertinents 46

IV. L'AIDE JURIDICTIONNELLE : UN POSTE BUDGÉTAIRE EN PROGRESSION SOUS L'IMPULSION DES RÉFORMES RÉCENTES 48

A. UNE DOTATION EN HAUSSE CONSTANTE 49

B. LES CAUSES DE CETTE ÉVOLUTION 50

1. L'élargissement du champ d'application de l'aide juridictionnelle 51

2. La récente revalorisation de la rétribution allouée aux avocats 51

ANNEXE - LISTE DES AUDITIONS DE M. YVES DÉTRAIGNE, RAPPORTEUR POUR AVIS 57

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Après avoir entendu, le mardi 30 novembre 2004, le garde des sceaux, M. Dominique Perben, ministre de la justice, et Mme Nicole Guedj, secrétaire d'Etat aux droits des victimes, la commission des Lois, réunie le mardi 7 décembre 2004 sous la présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président, a procédé, sur le rapport pour avis de M. Yves Détraigne, à l' examen des crédits alloués aux services généraux de la justice par le projet de loi de finances pour 2005.

Le rapporteur pour avis s'est félicité de la priorité accordée pour la troisième année consécutive au ministère de la justice , dont le budget progresserait de 4 %. Il a indiqué que les services généraux de la justice s'inscrivaient dans cette tendance à la hausse, les crédits affectés à l'administration générale augmentant plus fortement (7,1 %) que ceux alloués aux juridictions administratives (3,5 %) et aux juridictions judiciaires (2,9 %).

Dressant un bilan à mi-parcours de l'application de la loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002, il a noté que la situation, en terme de créations d'emplois , était contrastée , l' administration générale enregistrant un taux de réalisation prévisionnel très satisfaisant (72 %), à la différence des services judiciaires (40 %) et des juridictions administratives (51 %). Il a jugé préférable de procéder à une évaluation fine -juridiction par juridiction- des besoins en effectifs de magistrats plutôt que d'augmenter massivement leur nombre. En revanche, l'insuffisance des recrutements de fonctionnaires des greffes lui est apparue plus préoccupante , notamment en raison de l'impact de réformes nouvelles susceptibles d'alourdir les charges pesant sur les greffes (instauration d'une procédure de rétablissement personnel et mise en place des juges de proximité).

Il a par ailleurs estimé que la forte croissance du contentieux administratif rendrait nécessaire de procéder à un renforcement des effectifs de magistrats administratifs et, corrélativement, de rechercher des modes de traitement des litiges plus adaptés à leurs caractéristiques.

Tout en constatant que des progrès restaient à accomplir pour réduire les délais de jugement, encore trop longs, il a mis l'accent sur l' impact positif des contrats d'objectifs conclus entre le ministère de la justice et les cours d'appel d'Aix-en-Provence et de Douai qui avaient permis de réduire significativement les stocks d'affaires en instance et d'accélérer le traitement des procédures.

Le rapporteur pour avis a salué les efforts du ministère de la justice pour préparer l'entrée en vigueur de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) au travers de l'expérimentation de la globalisation des crédits menée à Lyon appelée à être étendue à huit cours d'appel, et des initiatives prises pour maîtriser les frais de justice, en hausse exponentielle depuis deux ans. Il a noté le souci du ministère de la justice de mesurer plus rapidement l'activité des juridictions grâce à la publication d'un baromètre trimestriel.

Sous le bénéfice de l'ensemble de ces observations, la commission a décidé de donner un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs aux services généraux de la justice inscrits dans le projet de loi de finances pour 2005.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Poursuivant sa pratique des années précédentes, votre commission des Lois vous présente un avis sur les crédits alloués aux services généraux de la justice par le projet de loi de finances pour 2005, ceux des services pénitentiaires et de la protection judiciaire de la jeunesse étant traités dans deux avis distincts respectivement présentés par nos collègues MM. Philippe Goujon et Nicolas Alfonsi.

A titre liminaire, votre rapporteur pour avis souhaite remercier son prédécesseur, notre collègue M. Christian Cointat, dont les analyses ont contribué utilement à l'information du Sénat sur la situation de la justice en France.

Pour la troisième année consécutive, la priorité est accordée à ce ministère régalien. Ses crédits augmentent de 4 % dans un contexte budgétaire pourtant tendu, tandis que ses effectifs s'étoffent (1.070 créations nettes de postes), à la différence d'autres ministères qui suppriment des emplois.

2005 se présente comme une année de transition à deux titres.

Tout d'abord, elle se situe à mi-parcours de la programmation quinquennale issue de la loi de programmation et d'orientation pour la justice du 9 septembre 2002 (LOPJ) et permet un premier bilan de la concrétisation des engagements pris par le Gouvernement. Pour la justice en général, les promesses sont honorées même si le taux d'exécution selon les agrégats qui la composent se révèle plus contrasté, en particulier pour les services judiciaires.

Elle constitue ensuite une étape préparatoire à la mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances du 1 er août 2001 (LOLF). A cet égard, le ministère de la justice manifeste la volonté de faire évoluer son administration, laquelle doit passer d'une logique quantitative à une culture de la performance. Votre rapporteur pour avis se félicite des nombreuses initiatives du garde des sceaux tendant à anticiper l'entrée en vigueur de ce nouveau cadre budgétaire telles que les expérimentations menées dans plusieurs cours d'appel ou encore la publication, dès cette année, d'un avant-projet annuel de performance déjà très abouti mentionnant de nombreux objectifs et indicateurs.

Après avoir analysé les principales orientations du budget de la justice au regard des engagements inscrits dans la programmation quinquennale (I), le présent avis présentera la situation des juridictions judiciaires et administratives (II), puis les mesures engagées par le ministère de la justice pour préparer l'entrée en vigueur de la LOLF (III) avant d'évoquer les récentes adaptations du dispositif de l'aide juridictionnelle (IV).

I. LES GRANDES LIGNES D'UN BUDGET TOUJOURS PRIORITAIRE

A. UNE AUGMENTATION SENSIBLE DES CRÉDITS

Pour la troisième année consécutive, le budget de la justice augmente . Cette évolution traduit la priorité accordée par le Gouvernement à ce ministère régalien dont les crédits s'élèvent à 5,46 milliards d'euros , un montant encore jamais atteint, répartis en 5,14 milliards d'euros de dépenses ordinaires et 311,55 millions d'euros de dépenses en capital.

Cette progression de 4 % -de  210 millions d'euros- est moins marquée qu'en 2003 (+ 7,4 %) et 2004 (4,9 %) 1 ( * ) ; elle dépasse cependant celle du budget général qui croît de 1,8 %, plaçant ainsi le ministère de la justice en quatrième position des budgets les plus favorisés, après ceux de la culture et de la communication, de la recherche et des affaires étrangères respectivement en hausse de 5,9 %, 4,7 % et 4,4 % et devant celui du ministère de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales en augmentation de 2,2 %.

Il est indiscutable que la justice fait l'objet d'un traitement budgétaire particulièrement favorable dans un contexte économique tendu contraint par l'objectif de maîtrise des dépenses publiques. Toutefois, la part de ce budget dans celui de l'Etat - moins de 2 % - demeure encore trop modeste , notamment eu égard aux ressources mises à la disposition de la justice dans d'autres Etats membres de l'Union européenne par exemple en Grande-Bretagne ou en Allemagne.

Le montant des autorisations de programme -1.050 millions d'euros- se maintient à un niveau élevé , comme l'année dernière (1.049 millions d'euros). Cette évolution traduit la détermination du Gouvernement à mobiliser des moyens à la hauteur du programme d'investissement ambitieux annoncé dans la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice (LOPJ).

Les crédits affectés aux trois principales actions conduites par le ministère de la justice et regroupées au sein des services généraux 2 ( * ) représentent 58,5 % de l'enveloppe allouée à la justice. Ils s'inscrivent dans cette tendance générale à la hausse, comme le montre le tableau reproduit ci-après.

ÉVOLUTION DES CRÉDITS DE PAIEMENT
(2004-2005)

En millions d'euros

 

Loi de finances initiale 2004

Crédits demandés
pour 2005

Évolution

 

Montant

% du total

Montant

% du total

2003-2004 en %

(2002-2003 en % )

Ensemble du ministère de la justice

5.251

(100 %)

5.461

(100 %)

+ 4 %
( + 4,9 % )

- Services judiciaires

2.211

42 %

2.275

42 %

+ 2,9 %
( + 4,7 % )

- Juridictions administratives

169

3 %

175

3 %

+ 3,5 %
( + 11,1 % )

- Administration générale

694

13 %

743

14 %

+ 7,1 %
(-1 %)

Hors transfert des prestations familiales
Source : ministère de la justice

Le budget de l' administration centrale enregistre la plus forte progression - plus de 7 % - (contre un recul de 1 % l'année dernière). Cette évolution favorable permettra de renforcer les effectifs (43 créations de postes), de revaloriser le statut des personnels, d'améliorer les conditions d'installation des services (déménagement de la rue Saint-Honoré vers le nouveau site Javel, location de bureaux supplémentaires destinés à accueillir l'inspection générale des services judiciaires et le haut commissariat aux comptes...) et de poursuivre les travaux de rénovation des locaux de la Commission nationale de l'informatique et des libertés.

Les juridictions administratives , poste budgétaire privilégié l'année dernière (+ 11,1 %), enregistrent une croissance de leurs crédits plus modeste (+ 3,5 %), permettant de renforcer leurs effectifs et notamment de recruter 15 assistants de justice, de moderniser le parc informatique et de rénover les locaux du Conseil d'Etat ainsi que ceux de certaines cours administratives d'appel (Bordeaux, Douai, Nantes, Paris et Orléans) et tribunaux administratifs (Besançon, Grenoble, Pau et Rouen).

En hausse de 2,9 % , les crédits alloués aux services judiciaires augmentent moins vite que l'année dernière (+ 4,7 %). Les dépenses ordinaires (2.172 millions d'euros) s'accroissent de 3,4 % en vue de financer des créations d'emplois (355 au total) et des mesures indemnitaires en faveur de plusieurs catégories de personnels, de compenser la forte croissance des dépenses au titre des frais de justice (+ 20,34 %) et de l'aide juridique (+ 23,5 %), de renforcer la sécurité des bâtiments, de favoriser l'accès au droit et d'encourager l'aide aux victimes. Les crédits affectés aux dépenses en capital, d'un montant de près de 103 millions d'euros, en diminution de 13 % par rapport à celles inscrites en loi de finances initiale pour 2004, permettront de financer l'important programme de construction et de rénovation des palais de justice.

B. UNE EXÉCUTION INÉGALE DE LA LOI D'ORIENTATION ET DE PROGRAMMATION POUR LA JUSTICE

Le présent projet de budget pour 2005 finance la troisième tranche de la mise en oeuvre de la loi du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice, ce qui permet d'établir, à mi-parcours de l'échéance, un premier bilan d'étape.

1. Une exécution inégale de la programmation prévue en termes de créations d'emplois

La justice doit disposer de moyens à la hauteur de l'importance des missions qui lui sont assignées. Avec 1.070 créations nettes d'emplois, soit plus d'un tiers des créations d'emplois totalisées pour tout le budget de l'Etat, le ministère de la justice enregistre la plus forte augmentation des effectifs 3 ( * ) (+ 1,5 %) de tous les ministères devant ceux de l'enseignement supérieur (+ 0,76 %) et de l'intérieur (+ 0,42 %) et alors même que de nombreux ministères connaissent une réduction de leurs effectifs 4 ( * ) .

Toutefois, toutes les directions du ministère ne bénéficient pas à parts égales de cette évolution favorable, la priorité étant accordée, cette année encore, à l'administration pénitentiaire et à l'administration centrale, rendant ainsi plus difficile l'ajustement pour les services judiciaires et les juridictions administratives.

Comme le montre le tableau ci-après, les taux de réalisation des créations d'emplois sont contrastés selon les agrégats.

EXÉCUTION DU PROGRAMME QUINQUENNAL

 

Loi de finances 2003

Loi de finances 2004

Projet de loi de finances 2005

Créations d'emplois budgétisées

Créations d'emplois prévues par la programmation

Ministère de la justice
Taux de réalisation

2.024
20 %

2.197
22 %

1.084
11 %

5.305
53 %

10.100

Services judiciaires
Taux de réalisation
- Magistrats
Taux de réalisation
- Fonctionnaires
Taux de réalisation

700
16 %
180
19 %
520
15 %

709
16 %
150
16 %
559
16 %

355
8 %
100
10 %
255
7 %

1.764
40 %
430
45 %
1.334
38 %

4.450

950

3.500

Juridictions administratives
Taux de réalisation

100

21 %

97

20,5 %

46

9,5 %

243

51 %

480

Administration générale
Taux de réalisation

40

22 %

46

25 %

43

24 %

129

72  %

180

Source : ministère de la justice

a) Un rythme de créations d'emplois dans les juridictions judiciaires très inférieur aux objectifs assignés par la programmation quinquennale

Le Gouvernement dispose d'une marge de manoeuvre pour la mise en oeuvre de la programmation quinquennale , laquelle peut ne pas être linéaire. Néanmoins, le taux de réalisation des créations d'emplois cumulées sur les trois premiers exercices budgétaires - 40 % - soulève des interrogations quant à sa capacité à tenir ses engagements. En effet, le rythme des créations de postes pour 2005 dans les services judiciaires est inférieur de moitié à celui des années précédentes , ce qui paraît insuffisant pour concrétiser les objectifs annoncés dans la LOPJ.

Le projet de budget pour 2005 prévoit la création de 100 postes de magistrats et 255 de fonctionnaires (355 au total). Ces mesures représentent une dépense nouvelle de près de 13 millions d'euros . L'année prochaine, les effectifs budgétaires des 1.157 juridictions de métropole et d'outre-mer devraient donc s'élever à 7.526 magistrats et 21.674 fonctionnaires des greffes et contractuels.

Le retard constaté pour les services judiciaires appelle des commentaires différents pour les magistrats et les fonctionnaires des greffes.

? Les recrutements de magistrats

Les concours d'entrée à l'Ecole nationale de la magistrature devraient demeurer la principale voie d'accès aux fonctions de magistrats. Le nombre de postes offerts pour 2005 s'établit à 250. Le recrutement latéral par intégration directe et les concours exceptionnels devraient permettre de sélectionner entre 20 % et 30 % des futures recrues.

Lors de son audition à l'Assemblée nationale le 4 novembre dernier, le garde des sceaux a annoncé qu'il veillerait à ce que le rythme des créations d'emplois de magistrats retrouve « un équilibre satisfaisant » au cours des prochains exercices budgétaires. En outre, il a indiqué que des gains de productivité dans les juridictions pouvaient être attendus compte tenu de la montée en puissance de plusieurs réformes importantes. Il a en particulier cité :

- l'institution des juridictions de proximité 5 ( * ) ;

LE FINANCEMENT DE LA RÉFORME DE LA JUSTICE DE PROXIMITÉ

A ce jour, 172 juges de proximité ont été installés dans leurs juridictions, cet effectif devant être porté à 300 d'ici la fin de l'année. La loi du 9 septembre 2002 a prévu d'en recruter 3.300 en cinq ans, ce qui représente l'équivalent de 580 emplois temps plein.

Depuis 2002, une enveloppe est allouée chaque année pour financer la mise en place de cette réforme. Elle est répartie en :

=> crédits de vacation destinés à permettre les recrutements des juges de proximité. Leur montant s'établit à 1,5 million d'euros aux termes du projet de loi de finances pour 2005. Cette somme s'ajoute aux 2,6 millions d'euros et aux 4 millions d'euros inscrits respectivement en lois de finances initiales pour 2003 et 2004. Le montant cumulé de ces dépenses sur les trois derniers exercices budgétaires (crédits affectés au paiement des cotisations patronales compris) s'élève à 8,1 millions d'euros ;

=> crédits de fonctionnement qui s'élèvent à 950.000 euros en 2005. Cette somme complète les enveloppes de 400.000 et 700.000 euros déjà affectées respectivement en lois de finances initiales pour 2003 et 2004. Au total, ces dépenses qui visent à financer les frais de déplacement des juges, leur équipement informatique et mobilier et les besoins en locaux supplémentaires s'élèvent à 2,05 millions d'euros.

- la mise en place de pôles interrégionaux spécialisés en matière de criminalité organisée et dans le domaine économique et financier 6 ( * ) qui permettra des économies d'échelle ;

- la simplification de la procédure de divorce par consentement mutuel qui ne comprend plus qu'une seule audience, et devrait ainsi engendrer un gain de temps pour les juges aux affaires familiales.

Le garde des sceaux a également annoncé devant votre commission des Lois son intention de mettre en oeuvre plusieurs pistes de réforme proposées dans le rapport de M. Jean-Claude Magendie, président du tribunal de grande instance de Paris, sur la qualité et la célérité de la justice afin de rationaliser la procédure et donc d'économiser du « temps magistrat ».

La plupart des magistrats entendus par votre rapporteur pour avis se sont déclarés satisfaits des nombreux recrutements effectués ces dernières années, reconnaissant qu'ils avaient permis une réelle mise à niveau des effectifs et, partant, une amélioration des conditions de travail dans les juridictions et une absorption des effets des réformes mises en oeuvre ces dernières années, notamment la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la présomption d'innocence et les droits des victimes.

Toutefois, les représentants du Syndicat de la magistrature et de l'Union syndicale des magistrats ont jugé insuffisants les recrutements prévus en 2005 au regard des promesses inscrites dans la LOPJ.

Sous le bénéfice de ces observations, il paraît souhaitable que le ministère de la justice évalue au plus près les besoins sur le terrain et, si nécessaire, révise les objectifs - peut-être trop optimistes - de la LOPJ . Dans le contexte actuel de la préparation de l'entrée en vigueur de la LOLF, il est primordial de calibrer finement les créations d'emplois en fonction des nécessités du terrain.

? Les recrutements des fonctionnaires des greffes

Le projet de budget prévoit de créer des postes au bénéfice de toutes les catégories de personnel - greffiers en chef (12 postes dont 2 du premier grade et 10 du second grade),  greffiers  (90 emplois du deuxième grade), secrétaires administratifs (20 postes), adjoints administratifs (125 emplois) et contractuels en particulier les agents et les ingénieurs de catégorie exceptionnelle (8 postes).

Cette augmentation des effectifs laisse présager une légère diminution du ratio fonctionnaires des greffes par magistrat, stable depuis 2001 (2,6).

L'Union syndicale autonome justice (USAJ), la Confédération générale du travail (CGT) et la Confédération française du travail (CFDT) entendus par votre rapporteur pour avis ont regretté l'important décalage entre l'annonce des créations d'emplois et l'arrivée effective des renforts dans les juridictions, tout en reconnaissant qu'il existait des délais incompressibles pour l'organisation des concours de recrutement et la formation.

En effet, 337 emplois de greffiers et 63 emplois d'adjoints administratifs ont été inscrits en loi de finances initiale pour 2003 et seulement 81 emplois de greffiers inscrits en loi de finances pour 2004 ont été localisés en 2004. Sur les postes créés en loi de finances pour 2004, 252 greffiers et la totalité des emplois de secrétaires administratifs restent à localiser.

Le taux d'exécution de la LOPJ , prévu pour 2005, particulièrement faible (7 %) , a suscité de vives inquiétudes de la part de ces mêmes syndicats, qui ont néanmoins salué l'effort substantiel consenti ces deux dernières années en faveur d'un renforcement des moyens humains.

Ils se sont tout d'abord demandé si la fongibilité asymétrique des crédits 7 ( * ) - qui permettra au directeur de programme des services judiciaires, à savoir le directeur des services judiciaires, d'arbitrer entre les dépenses consacrées aux rémunérations des personnels et celles affectées au fonctionnement ou à l'investissement - ne risquait pas de conduire à une remise en cause des créations d'emplois programmées par le Gouvernement.

Ils ont également jugé le retard pris dans le rythme des créations d'emplois très préoccupant compte tenu de l'impact des réformes nouvelles qui induisent une charge de travail supplémentaire. Ils ont expliqué que la montée en puissance des recrutements de juges de proximité allait inévitablement mobiliser davantage les greffes désormais communs aux juridictions de proximité et aux tribunaux d'instance, lesquels devront prendre en charge davantage d'audiences et assister un plus grand nombre de magistrats.

De même, un surcroît de travail est à attendre de la procédure de rétablissement personnel introduite par la loi n° 2003-710 du 1 er août 2003 d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine qui génère un important transfert de dossiers de surendettement vers les juridictions judiciaires. Au cours de son audition devant votre commission le 30 novembre dernier, le garde des sceaux a d'ailleurs confirmé qu'une augmentation de 20 % des contentieux portés devant les juridictions d'instance lui était imputable. L'USAJ a évalué à 200 le nombre de postes de greffiers supplémentaires qu'il aurait été nécessaire de créer pour compenser les effets de cette réforme.

Les moyens humains doivent être en adéquation avec les besoins et évoluer si des sujétions nouvelles apparaissent . A cet égard, il est souhaitable que le ministère de la justice publie systématiquement une étude d'impact en annexe de tout projet de loi susceptible d'affecter le fonctionnement des juridictions.

Interrogé par votre rapporteur pour avis au cours de son audition devant votre commission sur la situation des personnels des greffes, le garde des sceaux a assuré qu'un rattrapage serait effectué au cours des prochains exercices budgétaires pour tenir les engagements pris, à condition de disposer de marges de manoeuvre suffisantes.

Il est toutefois à craindre que les réformes nouvelles absorbent le surcroît de moyens octroyés par la loi d'orientation et de programmation pour la justice.

b) Un rythme de créations d'emplois dans les juridictions administratives en forte baisse par rapport aux exercices budgétaires précédents

Le projet de budget pour 2005 prévoit la création de 46 emplois dans les juridictions administratives répartis en  2 emplois au Conseil d'Etat (ingénieur de haut niveau, attaché d'administration centrale) et 44 emplois pour les juridictions administratives dont 21 de magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel et 23 d'agents des greffes (secrétaire administratif, adjoint administratif et attaché de préfecture). Le coût de cette dépense s'élève à 2,2 millions d'euros. Le taux d'exécution prévu en 2005 - 9,5 %  - contraste fortement avec les taux observés les années précédentes d'environ 20 %.

Le Syndicat des magistrats administratifs (SJA) et l'Union syndicale des magistrats administratifs (USMA) ont regretté que cette augmentation des effectifs soit très inférieure au taux moyen de réalisation des créations d'emplois programmées par la LOPJ. Ils ont jugé ce ralentissement particulièrement préoccupant dans le contexte actuel, caractérisé par une forte augmentation des contentieux portés devant les juridictions administratives 8 ( * ) .

c) Une couverture de la programmation des créations d'emplois pour l'administration centrale conforme aux engagements de la LOPJ

L'administration centrale fait figure d'exception , le rythme des créations d'emplois - supérieur au cinquième des créations programmées - étant conforme aux objectifs de la LOPJ.

Le projet de budget pour 2005 prévoit la création de 43 emplois répartis en postes de secrétaire général (1), magistrat inspecteur adjoint des services judiciaires (1), magistrat inspecteur des services judiciaires (1), directeur de projet (2), directeur-adjoint (1), administrateur civil (2), substitut (5), ingénieur des ponts et chaussées (1), ingénieur des travaux publics (3), attaché d'administration centrale (10), secrétaire administratif (2), conducteur automobile (1) et agent contractuel (13). Cette mesure nouvelle représente un coût de 2,5 millions d'euros. Cette année, le ministère de la justice a souhaité mettre l'accent sur les fonctions d'expertise technique, de pilotage et de gestion.

L'administration générale affiche un taux global prévisionnel d'exécution de la programmation très satisfaisant qui plafonne à près de 72 %, soit un taux largement supérieur au taux théorique qui devrait être atteint à l'issue de trois exercices budgétaires (60 %).

En marge de la stricte exécution de la LOPJ, un effort de transparence dans la gestion des ressources humaines de l'administration centrale mérite d'être relevé.

Afin de faire face à ses missions et compte tenu de ses effectifs réduits, l'administration centrale a longtemps « prélevé » des agents des services déconcentrés - services judiciaires, administration pénitentiaire et protection judiciaire de la jeunesse - pour étoffer ses effectifs. Dans le souci d'une gestion plus transparente et rationnelle, le ministère de la justice a souhaité mettre progressivement un terme à cette pratique dénoncée en 2001 par la Cour des comptes 9 ( * ) . Un plan de régularisation engagé par la loi de finances initiale pour 2002 a concerné 157 agents affectés dans les services déconcentrés mis à disposition de l'administration centrale.

A ce jour, on dénombre encore 492 agents des services déconcentrés exerçant en administration centrale bien que rattachés « pour ordre » à une juridiction 10 ( * ) , ce qui porte les effectifs réels de cette direction à 2.592 agents au lieu de 2.100. Poursuivant ce mouvement de clarification de la répartition des moyens humains au sein du ministère de la justice, le projet de loi de finances pour 2005 prévoit le transfert de 84 emplois des services déconcentrés vers l'administration centrale . Cette opération concerne toutes les catégories de personnels : magistrats, greffiers en chef, agents des services de la protection judiciaire de la jeunesse et des services sociaux de l'administration pénitentiaire.

Cette initiative paraît opportune dans le contexte actuel de la préparation de la mise en oeuvre de la LOLF.

2. La mise en oeuvre du programme d'investissement

a) La troisième tranche de la programmation des crédits d'investissement

La loi quinquennale du 9 septembre 2002 a prévu l'inscription de 1,75 milliard d'euros en autorisations de programme et de 875 millions d'euros de crédits de paiement.

Le projet de budget pour 2005 doit permettre la réalisation de la troisième tranche de cet ambitieux programme de modernisation des équipements du ministère de la justice.

Le rattachement des crédits inscrits en loi de finances initiale à la loi d'orientation et de programmation pour la justice soulève des discussions entre le ministère de la justice et celui des finances, de l'économie et de l'industrie sur le point de savoir si seules les mesures nouvelles ou le surcroît de moyens dans son ensemble devraient être inscrits dans le cadre de la LOPJ.

En effet, comme l'a indiqué la Cour des comptes dans son rapport sur l'exécution des lois de finances pour 2003 « la conséquence est que les mesures décidées par le garde des sceaux sont considérées comme se rattachant à la loi [d'orientation], alors que rien ne justifie directement cette interprétation. Par exemple, pour améliorer les conditions de logement des personnels de la justice notamment en région parisienne, le ministère compte trouver les subventions nécessaires sur les moyens mis en place sur le titre VI au titre de la LOPJ (subventions aux collectivités territoriales pour rénover les bâtiments judiciaires). Il modifie de ce fait les moyens programmés au titre de la LOPJ sur une question qui n'y est pas évoquée. A l'évidence, la relation entre la LOPJ et les lois de finances n'a pas été clairement définie, ce qui rendra le bilan de la première application particulièrement difficile à réaliser, voire artificiel. » 11 ( * )

Sous réserve de ces observations, un premier bilan de la réalisation du programme quinquennal en termes de crédits d'investissement peut être présenté.

EXÉCUTION DE LA LOI DE PROGRAMMATION
-dépenses d'investissement-
(lois de finances 2003 et 2004 - projet de loi de finances 2005)

En millions d'euros

 

Loi de finances 2003

Loi de finances 2004

Projet de loi de finances pour 2005

Taux de réalisation 2003-2005

Loi d'orientation et de programmation pour la justice
2003-2007

Dépenses en capital
du ministère de la justice

- Services judiciaires
- Administration générale
- Juridictions administratives

55

4
35
3,3

67

13
2
11,3

113

18
3
10,3

27 %

25 %
174 %
74,5 %

875

139
23
29

Autorisations
de programme

- Services judiciaires
- Administration générale
- Juridictions administratives

385

40
37
12

543

78
3,5
15,5

407

20
4,5
12,3

76 %

50 %
100 %
66,5 %

1.750

277
45
60

Source : ministère de la justice

Le bilan des ouvertures d'autorisations de programme en 2003, 2004 et 2005 fait apparaître un taux de prévision d'exécution budgétaire satisfaisant pour les trois agrégats des services généraux de la justice (services judiciaires, administration générale et juridictions administratives), ce qui témoigne du louable souci du Gouvernement de provisionner le financement des chantiers immobiliers afin d'en permettre la mise en route le plus rapidement possible.

Toutefois, votre rapporteur pour avis souhaite que le ministère de la justice veille à limiter l'écart entre les autorisations de programme ouvertes et les crédits de paiement correspondants .

La couverture de la LOPJ en ce qui concerne les crédits de paiement se révèle plus contrastée selon les agrégats .

A l'issue des trois premiers exercices budgétaires, le taux de réalisation pour les services judiciaires est très faible (25 %). Cette situation s'explique par le fait qu'une opération d'équipement connaît une montée en puissance après cinq ou six années seulement et ne nécessite pas la mise à disposition d'un montant élevé de crédits dans les premières années de mise en route, comme l'avait d'ailleurs souligné notre collègue M. Hubert Haenel, alors rapporteur spécial des crédits de la justice dans son avis sur la loi d'orientation et de programmation pour la justice : « une opération d'équipement dans le domaine de la justice ne met pas moins de cinq ou six ans avant de se dénouer (...), le plus gros des dépenses (environ 80 %) intervient dans les deux dernières années de l'opération... » 12 ( * ) . Le rapport sur l'exécution de la LOPJ précise en effet qu'une très forte augmentation des crédits de paiement devrait être prévue par les projets de loi de finances pour 2006 (329 millions d'euros) et 2007 (330 millions d'euros).

En revanche, pour l'administration générale et les juridictions administratives, les dépenses en capital inscrites en lois de finances initiales en 2003, 2004 et celles prévues pour 2005 remplissent largement les objectifs de la LOPJ, signe que les chantiers annoncés sont en cours.

Votre rapporteur pour avis regrette le caractère succinct et parcellaire des informations figurant dans le premier rapport annuel sur l'exécution de la LOPJ en matière d'investissement, qui ne mentionne pas le taux de réalisation des dépenses en capital des juridictions administratives et se borne à présenter des chiffres sans autre commentaire.

b) La poursuite de la modernisation des équipements judiciaires

Le projet de budget pour 2005 prévoit une enveloppe d'autorisations de programme d'un montant de 114,1 millions d'euros, en forte baisse par rapport à l'année dernière (- 61 %). 33,65 millions d'euros sont destinés aux opérations confiées par conventions de mandat à l'Agence de maîtrise d'ouvrage.

Ce recul s'explique par un louable souci de sincérité budgétaire du ministère de la justice .

L'importance des opérations immobilières réalisées en 2004 a nécessité d'en provisionner le financement. Elles ont concerné plusieurs palais de justice notamment ceux de Pontoise dont la deuxième tranche de travaux a été accélérée, Narbonne, Besançon, dont la deuxième tranche de restructuration complète du palais ancien est en voie de réalisation, Roanne et Saint-Etienne 13 ( * ) .

Tel ne sera pas le cas en 2005. Les principales opérations d'équipement commencent tout juste à démarrer et seront dès lors peu « consommatrices » de crédits. L'enveloppe allouée cette année vise en effet à couvrir le financement d'études préparatoires au lancement des travaux des palais de justice de Rouen et Nancy ainsi que la première tranche de travaux du tribunal de grande instance de Bobigny.

L'année 2006 devrait connaître une nouvelle accélération des programmes d'équipement avec le lancement :

- d'opérations lourdes concernant les sites judiciaires de Caen, Laon, Aix-en-Provence et Versailles ;

- de la deuxième tranche de travaux du tribunal de grande instance de Bobigny ;

- de la première tranche de travaux des tribunaux de Rouen et Nancy.

Les crédits de paiement, d'un montant de 98,6 millions d'euros, accusent une baisse moins marquée (- 13 %), mais qui se révèle plus préoccupante . En effet, comme l'a indiqué le ministère de la justice à votre rapporteur pour avis, cette enveloppe pourrait se révéler insuffisante pour couvrir les ordonnancements et les mandatements des derniers mois de l'année, si tous les chantiers en cours connaissent l'état d'avancement prévu.

Le tableau reproduit ci-après retrace l'évolution des crédits d'équipement alloués aux services judiciaires depuis 2002.

ÉVOLUTION DES CRÉDITS D'ÉQUIPEMENT
ALLOUÉS AUX SERVICES JUDICIAIRES
(2002-2005)

En millions d'euros

Loi de finances initiale

2002

2003

2004

2005

Autorisations de programme

83,8

242

292,7

114,1 (- 61 %)

Crédits de paiement

79,2

104,5

111,7

98,6 (- 12 %)

Source : ministère de la justice

c) Une gestion des crédits d'investissement perturbée par les mesures de régulation budgétaire

En 2003, les mesures de régulation budgétaire (gels ou mises en réserve) ont amplifié les difficultés du ministère pour gérer ses crédits d'équipement.

Dans l'ensemble, si on excepte le problème persistant de la construction du nouveau tribunal de grande instance de Paris, la consommation des crédits alloués en loi de finances a atteint un niveau satisfaisant (96 % des crédits disponibles). Ainsi, 99,2 % de l'enveloppe consacrée aux dépenses de restructuration, à la rénovation, à la sécurisation et au gros entretien des sites judiciaires ont été consommés, ce qui a permis la livraison de nombreux travaux 14 ( * ) . En outre, 93 % de la ressource ouverte auprès de l'agence de maîtrise d'ouvrage des travaux du ministère de la justice a été utilisée. Cette évolution démontre les efforts de gestion accomplis ces dernières années.

Toutefois, ce bilan positif ne doit pas masquer la situation délicate à laquelle se sont trouvés confrontés les services du ministère de la justice au second semestre de l'année 2003. Un gel des crédits de report, transformé en annulation, est intervenu, amputant la dotation initiale de 23,6 millions d'euros. De plus, paradoxalement, les services de certains ordonnateurs secondaires ont calculé de manière trop optimiste les dépenses à régler avant le terme de l'exercice laissant sans emploi 7 millions d'euros alors que des sommes sont restées impayées (4,1 millions d'euros), faute de crédits disponibles auprès d'une vingtaine d'ordonnateurs secondaires. Selon le ministère de la justice, « ce dysfonctionnement ne devrait pas se reproduire en 2004 car, depuis l'annonce du gel des reports et la constitution d'une réserve de précaution, les crédits de paiement ne sont délégués qu'afin de régler des factures en attente ou en vue de dépenses imminentes, toute immobilisation prolongée de la ressource devant conduire à une remontée vers l'administration centrale des sommes non immédiatement utiles. » En outre, pour 2004, un dégel partiel des crédits mis en réserve a été accordé qui devrait permettre au ministère de la justice d'honorer ses factures.

L'Union syndicale des magistrats a dénoncé les mesures de régulation budgétaire, jugeant paradoxal d'afficher un budget en augmentation alors que la pénurie des moyens était parfois patente.

Il conviendrait de limiter les effets perturbateurs de la régulation budgétaire en fixant des enveloppes plus réalistes en loi de finances initiale, ce qui au demeurant permettrait de redonner toute sa portée à l'autorisation budgétaire parlementaire.

C. DES PRIORITÉS AFFICHÉES EN FAVEUR DES PERSONNELS DES JURIDICTIONS JUDICIAIRES ET DES VICTIMES

1. Les perspectives statutaires et indemnitaires des personnels des juridictions judiciaires

a) Une revalorisation indemnitaire et statutaire des magistrats conditionnée à leur implication dans le fonctionnement des juridictions judiciaires

? Une substantielle revalorisation de la prime forfaitaire versée aux magistrats judiciaires

Après une forte réévaluation du taux indemnitaire entre 1988 et 1996 (de 19 % à près de 37 % du traitement brut), celui-ci a stagné à partir de 1996.

Afin de prendre en compte les responsabilités importantes et les sujétions croissantes imposées aux magistrats, le garde des sceaux s'est engagé en 2003 à revaloriser leur régime indemnitaire en vue d'assurer la parité avec les primes versées aux magistrats administratifs.

La loi de finances initiale pour 2003 a ainsi octroyé aux magistrats une majoration de 4 % de la prime forfaitaire de fonction, entrée en vigueur à compter du 1 er octobre 2003 (arrêté du 22 octobre 2003). La loi de finances pour 2004 a financé l'extension en année pleine de cette mesure tout en relevant de 4 % supplémentaires le montant de la prime forfaitaire ainsi portée à 45 %, à compter du 1 er octobre 2004. Le projet de budget pour 2005 poursuit cet effort en prévoyant une nouvelle revalorisation de 1 % de ce taux qui s'établira ainsi à 46 %.

FINANCEMENT DE LA REVALORISATION INDEMNITAIRE DES MAGISTRATS

(2003-2005)

En millions d'euros

 

2003

2004

2005

Coût total

Loi de finances initiale
dont mesures nouvelles

2,9
2,9

12,1
3

10,2
0,9

25,2

Source : ministère de la justice

? L'instauration d'une prime modulable, une meilleure prise en compte des potentialités de chacun

Trois décrets du 26 décembre 2003 15 ( * ) entrés en vigueur le 1 er janvier 2004 ont modifié les modalités du régime indemnitaire . Ont été maintenues la prime forfaitaire 16 ( * ) , la prime complémentaire 17 ( * ) et l'indemnité d'astreinte 18 ( * ) , déjà prévues par les textes antérieurs. En outre, ont été instaurées :

- une majoration dégressive avec le temps de la prime forfaitaire au bénéfice des magistrats affectés dans les juridictions connaissant un déficit de candidatures préjudiciable à leur fonctionnement destinée à rendre l'exercice des fonctions dans ces ressorts plus attractif ; cette disposition s'applique à la cour d'appel et au tribunal de grande instance de Bastia ainsi qu'au tribunal de grande instance d'Ajaccio pour une durée maximale de sept ans (arrêté du 17 septembre 2004) ;

- une prime pour travaux supplémentaires attribuée aux magistrats auxquels sont imposées des sujétions particulières du fait de l'absence prolongée de leurs collègues (plus de deux mois) et financée par une redistribution du reliquat des crédits indemnitaires non consommés ; le nombre de points attribués aux magistrats dans ce cadre a été limité à cinq ;

- une prime modulable à laquelle est affectée la revalorisation indemnitaire de 4 % obtenue en loi de finances pour 2003, attribuée en fonction de la contribution du magistrat au bon fonctionnement de l'institution judiciaire . Calculée en pourcentage du traitement indiciaire brut, elle est décidée par le premier président de la cour d'appel et par le procureur général respectivement pour les magistrats du siège et du parquet de leur ressort.

Un arrêté du 26 décembre 2003 a relevé le taux moyen et le taux maximal d'attribution de la prime d'attribution individuelle fixé en 2003 pour y affecter les 4 % supplémentaires prévus par la loi de finances pour 2004.

Trois arrêtés du 17 septembre 2004 portent à compter 1 er octobre 2004 :

- de 4 à 8 % le taux moyen de la prime modulable applicable aux magistrats judiciaires , le taux maximal de cette prime ayant été augmenté de 10 à 15 % ;

- de 9 à 13 % le taux moyen de la prime modulable applicable aux magistrats de la Cour de cassation , le taux maximal passant de 15 à 20 % .

Les critères de la modulation des taux indemnitaires individuels relèvent de la libre appréciation des chefs de cour. Le ministère de la justice a recensé les critères les plus fréquemment utilisés, dont le nombre varie de deux à six. Ils portent notamment sur l'expérience professionnelle, la technicité du contentieux traité, l'efficience, la disponibilité, les contraintes ou l'exercice de responsabilités particulières et la participation à des tâches annexes ou extra juridictionnelles.

Ce dispositif est mis en oeuvre progressivement .

De janvier à septembre 2004, un taux uniforme de 4 % a été appliqué à l'ensemble des magistrats judiciaires, à l'exception de ceux de la Cour de cassation qui perçoivent une prime modulable selon des modalités propres à cette juridiction depuis avril 2002. Cette période a correspondu au temps nécessaire pour définir les modalités concrètes de la réforme.

Le taux modulable est entré en vigueur le 1 er octobre 2004 . Les chefs de cour ont notifié à chaque magistrat de leur ressort le taux d'attribution individuelle applicable aux trois derniers mois d'exercice de l'année en cours. Ils devront renouveler cette opération dès le mois de décembre 2004 en vue d'actualiser le montant de ces taux pour l'année 2005.

L'opinion des magistrats à l'égard de l'instauration d'une prime modulable est loin d'être unanime.

Les chefs de la cour d'appel de Douai ont indiqué à votre rapporteur pour avis que l'instauration d'une « prime au mérite » n'avait pas soulevé de difficultés particulières, seuls deux recours ayant été recensés dans le ressort de cette juridiction qui comprend environ 300 magistrats. Ils ont indiqué les critères qu'ils avaient retenu : la participation active à la vie de la juridiction et à des activités extérieures et l'acceptation de responsabilités supérieures à celles conférées par le grade.

Dans la pratique, les chefs de cour d'appel n'ont pas fait un usage identique de la faculté nouvelle de moduler une part de la prime forfaitaire, certains ayant choisi de lisser le montant de cette prime (à 8 % en moyenne) en la distribuant à parts égales entre tous les magistrats, tandis que d'autres ont utilisé avec une plus grande amplitude la gamme des taux.

Le Syndicat de la magistrature et l'Union syndicale des magistrats ont contesté cette réforme, considérant qu'elle portait atteinte à l'indépendance des magistrats. Ils ont regretté l'absence de motivation des décisions relatives à l'attribution de cette prime, évoquant le risque que la modulation résulte d'une décision arbitraire. Ils ont mis en avant que la diversité des tâches exercées par les magistrats ne permettait pas véritablement aux chefs de cour d'évaluer leur charge de travail.

En outre, en octobre dernier, les magistrats du tribunal de grande instance de Moulins, opposés à la mise en place d'une rémunération au mérite, ont décidé à l'unanimité de redistribuer entre eux et à parts égales la prime modulable versée individuellement cette année 19 ( * ) . Ils ont justifié leur démarche en expliquant que celle-ci constitue « une forme d'évaluation individuelle déguisée, réalisée sans critères, ni garantie, ni même d'homogénéité d'une cour d'appel à l'autre » et qu'elle peut être utilisée ou vécue « comme un levier de pouvoir entre les mains de la hiérarchie, totalement incompatible avec le statut d'indépendance de la magistrature qui demeure une des garanties fondamentales du justiciable . » (extrait de la motion adoptée le 13 octobre 2004). En tout état de cause, il paraît aujourd'hui prématuré de dresser un bilan de la mise en oeuvre de cette prime.

? La poursuite d'une meilleure prise en compte de l'exercice des responsabilités d'encadrement

Afin de rendre plus attractives les fonctions d'encadrement supérieur de l'Etat, il a été décidé, le 30 août 2000, dans le cadre d'une réunion interministérielle, d'accorder une nouvelle bonification indiciaire aux emplois d'encadrement supérieur des administrations centrales et des services déconcentrés.

Entrée en vigueur dès 2001 pour les membres des juridictions administratives, cette réforme a été étendue aux magistrats de l'ordre judiciaire progressivement.

La loi de finances initiale pour 2004 a financé une première phase d'attribution de la nouvelle bonification indiciaire dont le coût s'est élevé à 867.714 euros. 117 emplois sont concernés par cette revalorisation statutaire (premier président et procureur général près la Cour de cassation, présidents de chambres et avocats généraux, doyens de chambre, chefs de cour, certains chefs des tribunaux de grande instance...) 20 ( * ) .

Le projet de loi de finances pour 2005 prévoit une mesure nouvelle d'un montant de 998.140 euros pour étendre le bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire à d'autres emplois de magistrats.

b) Les mesures en faveur des personnels des greffes, des avancées jugées insuffisantes par les organisations professionnelles

? Les avancées prévues par le projet de budget pour 2005

- La poursuite de la revalorisation du régime indemnitaire des personnels de catégorie C

Dans la continuité du mouvement engagé depuis 2001 en faveur d'une revalorisation des taux indemnitaires versés aux personnels de catégorie C, le projet de budget pour 2005 prévoit une mesure nouvelle d'1,9 million d'euros afin de financer une hausse de 1 point du taux moyen . Porté de 21 à 22 % par la loi de finances pour 2004, celui-ci s'établira à 23 % et dépassera de deux points le taux moyen applicable aux greffiers en chef et aux greffiers. Entre 1998 et 2005, le régime indemnitaire des fonctionnaires de catégorie C aura bénéficié d'une revalorisation de sept points , comme le montre le graphique ci-après.

TAUX INDEMNITAIRES MOYENS DES FONCTIONNAIRES DES GREFFES
1998-2002-2005

Source : ministère de la justice

Depuis 1998, près de 69 % des dépenses indemnitaires financées en loi de finances initiale ont été attribuées à ces personnels. Depuis 2002, les fonctionnaires de catégorie C ont bénéficié d'un point supplémentaire chaque année. De ce fait, le taux moyen qui leur applicable est désormais supérieur de deux points à celui des greffiers et greffiers en chef.

L'ensemble des organisations syndicales représentant les personnels des greffes a regretté l'écart croissant entre le régime indemnitaire des magistrats et celui applicable au personnel des greffes estimant que cette évolution aggravait les inégalités entre les différentes catégories de personnels. Observant que la hausse du taux moyen des personnels de catégorie C réservée par le projet de budget pour 2005 n'était que la stricte application du protocole du 1 er décembre 2000 21 ( * ) , elles ont en outre déploré l'absence de progression du régime indemnitaire des greffiers en chef et des greffiers.

- La montée en puissance de la réforme statutaire des greffiers en chef et des greffiers

La valorisation du métier de greffier en chef constituait un objectif de la loi d'orientation et de programmation du 9 septembre 2002. Une réforme statutaire a donc été engagée en vue de leur offrir un déroulement de carrière plus favorable (décret n° 2002-1557 du 24 décembre 2002). Le coût budgétaire de cette réforme d'un montant de 18 millions d'euros, entrée en vigueur le 1 er janvier 2003, a été anticipé par les précédentes lois de finances initiales.

Une nouvelle grille indiciaire divisée en deux grades a été définie. Une restructuration du corps plus avantageuse a été opérée, 417 emplois du grade de base ayant été « repyramidés » en emplois du premier grade. 340 emplois ont déjà été localisés. Poursuivant ce mouvement, le projet de budget pour 2005 prévoit la transformation de postes de greffiers en chef du premier grade en emplois de greffiers en chef de deuxième catégorie 22 ( * ) .

Entrée en vigueur le 1 er juin 2003, la réforme des emplois de greffiers a amélioré leurs perspectives statutaires tout en faisant progresser les indices du premier grade et du second (décret n° 2003-466 du 30 mai 2003). En effet, une nouvelle grille indiciaire de type intermédiaire (dite CII « classement indiciaire intermédiaire ») composée de deux grades a permis de revaloriser significativement leur niveau de rémunération. Les transformations d'emplois induites par cette réforme ont été anticipées en loi de finances initiale pour 2004.

- La promotion interne des agents de catégorie C

Le projet de budget prévoit la poursuite du plan de transformation d'emplois d'agents administratifs en adjoints administratifs mis en place en 2001. 400 agents seront concernés par ce dispositif. Ces effectifs s'ajoutent aux transformations déjà opérées les trois années précédentes (950 chaque année). Le ministère de la justice envisage, à terme, la création d'un corps unique de catégorie C en filière administrative regroupant agents et adjoints administratifs qui, en pratique, exercent des tâches analogues.

De plus, le projet de loi de finances pour 2005 prévoit de « repyramider » 150 emplois d'adjoints administratifs en emplois d'adjoints administratifs de première classe (101) et de deuxième classe (49).

La constitution d'un corps de secrétaires administratifs , fonctionnaires de catégorie B exerçant, à la différence des greffiers, des fonctions exclusivement administratives (responsables de gestion adjoints dans les services administratifs régionaux, fonctions de secrétariat dans les juridictions...) est en cours. Vivement souhaitée par les syndicats de fonctionnaires, elle permet d'offrir des perspectives de carrière nouvelles aux agents de catégorie C. Elle résulte de la réforme statutaire des greffiers qui a consacré la distinction entre les fonctions juridictionnelles et les activités administratives.

Le ministère de la justice a annoncé le recrutement de 979 agents sur cinq ans. 60 postes ont été créés en loi de finances initiale pour 2004. Le recrutement de 40 secrétaires administratifs supplémentaires dont 20 par transformations d'emplois d'agents administratifs est prévu par le projet de budget pour 2005.

Les organisations syndicales entendues par votre rapporteur pour avis ont déploré le rythme - trop lent - de ces créations d'emplois, observant qu'aucun concours n'avait été ouvert à ce jour. Il paraît urgent de mettre en oeuvre une réforme annoncée l'année dernière. Telle est la raison pour laquelle le décret fixant les conditions et les modalités de recrutement et de déroulement de carrière des secrétaires administratifs doit être publié rapidement.

Le ministère de la justice a en outre indiqué qu'un examen professionnel serait organisé en 2005 pour permettre aux personnels de catégorie C « faisant fonction de greffiers » d'accéder aux emplois de greffiers en application du décret précité du 30 mai 2003. 40 postes devraient être ouverts, qui viendraient s'ajouter aux 80 postes déjà ouverts en 2004.

? Les inquiétudes exprimées par les personnels des greffes

Ces mesures ont été jugées insuffisantes par les organisations syndicales entendues par votre rapporteur. Deux sujets les préoccupent particulièrement.

Ils ont tout d'abord jugé urgent de créer un corps de fonctionnaire de catégorie B exerçant des fonctions techniques , afin de donner des perspectives de carrière aux agents de la filière technique, précisant qu'un tel corps existait d'ailleurs au sein de l'administration pénitentiaire. Ils ont jugé indispensable le maintien de la filière technique au sein des juridictions judiciaires, estimant que le recours à des prestataires externes pouvait porter atteinte au secret professionnel et à la confidentialité des dossiers.

Elles se sont inquiétées des conséquences du plan de résorption de l'emploi précaire dans les juridictions judiciaires. En effet, en 1999, le ministère de la justice a recruté 1.050 agents de justice âgés de 18 à 26 ans pour une durée de cinq ans dans le cadre du programme « emplois-jeunes ». Ces agents qui exercent des fonctions d'accueil dans les tribunaux, dans les maisons de justice et du droit et au sein des conseils départementaux d'accès au droit apportent une aide précieuse aux fonctionnaires des greffes.

Au 1 er septembre 2004, on dénombrait 675 contrats en cours dans les services judiciaires dont 460 arriveront à terme en 2005. La CFDT s'est tout particulièrement inquiété des conséquences « dramatiques » du départ des agents de justice sur le fonctionnement des maisons de justice et du droit, lesquelles, faute de personnel, risquaient d'être paralysées. L'ensemble des organisations syndicales ont souhaité la pérennisation de ces emplois, considérant que ces agents disposaient de compétences reconnues et appréciées.

Le ministère de la justice envisage plusieurs mesures pour permettre aux agents de justice de continuer à exercer sinon dans les juridictions judiciaires, du moins dans la fonction publique. Ainsi, des recrutements en qualité de contractuels pourront être proposés à certains. Un projet de décret est également à l'étude afin d'abaisser les conditions d'ancienneté requises pour faciliter l'accès de ces agents aux concours ouverts par le ministère de la justice (agents administratifs, greffiers...). En outre, les cours d'appel se sont vues assigner l'objectif de favoriser un large accès aux sessions de préparation aux concours et aux cours par correspondance dans le cadre de la formation continue régionale pour permettre à ces derniers de passer avec succès les concours de la fonction publique.

2. Un renforcement de l'aide aux victimes

Axe prioritaire du programme quinquennal, l'aide aux victimes a été placée au coeur de l'action du Gouvernement. Le 18 septembre 2002, le garde des sceaux a annoncé un programme d'action de quatorze mesures en faveur des victimes (droit à l'assistance d'un avocat dès l'engagement des poursuites, octroi de l'aide juridictionnelle sans condition de ressources pour les victimes d'infractions les plus graves, mise en place d'un groupe de travail chargé de définir de bonnes pratiques pour accompagner les mineurs, meilleure prise en compte de la victime au stade de l'exécution de la peine...).

La création d'un secrétariat d'Etat aux droits des victimes le 31 mars 2004 est emblématique de cet engagement. Mme Nicole Guedj, secrétaire d'Etat aux droits des victimes, a annoncé au cours de son audition le 30 novembre dernier devant votre commission des Lois que l'année 2005 devrait être marquée par la mise en place d'un numéro unique d'appel pour toutes les victimes et l'élargissement des horaires de permanence ainsi que par le recrutement de psychologues à temps partiel.

Le projet de budget pour 2005 prévoit des mesures nouvelles d'un coût global d'un million d'euros dont 750.000 euros pour renforcer les capacités d'intervention des associations d'aide aux victimes et 250.000 euros pour la participation aux actions à destination des publics fragilisés financées par le Fonds social européen en matière d'aide aux victimes et d'accès au droit.

II. UNE ACTIVITÉ DES JURIDICTIONS TOUJOURS CARACTÉRISÉE PAR DES DÉLAIS DE JUGEMENT TROP LONGS

A. LES JURIDICTIONS JUDICIAIRES

1. Une activité judiciaire fortement contrainte par la pression des affaires nouvelles

a) Un encombrement persistant des juridictions civiles du premier degré mais une amélioration de la situation des cours d'appel

En 2003, le nombre des affaires nouvelles croît dans les tribunaux de grande instance (+ 3 %) mais connaît une stabilisation dans les tribunaux d'instance. Le volume des affaires terminées augmente également mais reste à un niveau inférieur au flux des entrées. Du fait de cette configuration peu favorable, les tribunaux de grande instance et les tribunaux d'instance ne parviennent toujours pas à inverser la tendance à la hausse des délais de jugement qui se dégradent légèrement (+ 0,1 mois dans chaque ordre de juridiction) pour s'établir respectivement à 9,5 mois et 4,9 mois .

Des progrès sont perceptibles toutefois dans les cours d'appel compte tenu de l'ampleur des moyens mis en oeuvre pour résorber l'encombrement chronique dont elles souffraient. Ainsi, en dépit de la hausse des affaires nouvelles pour la deuxième année consécutive, leur délai de jugement moyen s'établit à 16,1 mois en 2003 contre 17, 2 mois en 2002. 22 cours d'appel ont réussi à diminuer leur durée moyenne de traitement. La situation de la Cour de cassation paraît stabilisée , la durée moyenne de traitement des affaires qui s'élève à 24 mois accusant une baisse de 6 jours.

L'écart demeure cependant avec l'objectif ambitieux d'une réduction de la durée de traitement des affaires à 12 mois pour les cours d'appel, 6 mois pour les tribunaux de grande instance et 3 mois pour les tribunaux d'instance inscrit dans le programme quinquennal.

Les délais de traitement nécessaires à la résorption des stocks connaissent une évolution similaire. En voie d'amélioration pour les cours d'appel (14,9 en 2003 contre 15 en 2002), ceux-ci s'aggravent pour les tribunaux de grande instance (13,2 en 2003 contre 12,7 en 2002) et les tribunaux d'instance (10,55 en 2003 contre 10,48 en 2002).

b) Un taux de classement toujours trop élevé malgré des efforts pour amplifier la réponse pénale

En 2003 le nombre d'affaires « poursuivables » susceptibles de recevoir une réponse pénale, en progression constante (+ 2,7 % par rapport à 2002), s'est élevé à 1.386.500 sur 5.320.000 dossiers pénaux traités par les parquets (soit 27,7 %).

Bien qu'il demeure encore élevé, le taux de classement sans suite pour inopportunité des poursuites diminue notablement puisqu'il représente désormais un gros quart des affaires « poursuivables » (27,9 % contre 31,8 % en 2002). Comme le montre le graphique ci-après, les motifs de classement sont divers.

LES PRINCIPAUX MOTIFS DE CLASSEMENT SANS SUITE
DES AFFAIRES POURSUIVABLES

Source : ministère de la justice

Le taux de réponse pénale apportée à ces affaires progresse corrélativement, passant de 68,2 % en 2002 à 72,1 % en 2003. Celle-ci prend trois formes :

- la poursuite devant une juridiction de jugement ou d'instruction ; 654.513 procédures pénales ont donné lieu à des poursuites judiciaires, ce qui représente 47,2 % des affaires « poursuivables ». Pour la première fois depuis 1997, cette part est en hausse. Cette évolution s'explique en partie par l'extension à certains délits du champ d'application de la procédure de l'ordonnance pénale. Sous l'effet du traitement en temps réel des affaires, les modes de comparution rapide poursuivent leur progression : les convocations par officier de police judiciaire et les comparutions immédiates ont représenté 75 % des affaires en 2003 (contre 26 % seulement en 1990) ;

- le recours aux mesures alternatives aux poursuites ; de plus en plus fréquentes, ces procédures progressent fortement par rapport à 2002 (+ 14  %). Elles représentent 24 % des affaires « poursuivables ». Il existe plusieurs catégories de ce type de mesure : le rappel à la loi, procédure la plus utilisée (52 % des mesures alternatives), la réparation du dommage ou la disparition du trouble causé par l'infraction (13,4 % des procédures alternatives), l'injonction thérapeutique ou encore l'orientation vers une structure sanitaire et sociale (4,4 % des procédures) ;

- la mise en oeuvre de mesures de composition pénale 23 ( * ) ; il s'agit d'une nouvelle forme d'intervention du parquet applicable depuis 2001 qui monte en puissance ; on recense 14.788 compositions pénales réussies en 2003 (soit 1% des affaires poursuivables).

La durée moyenne des affaires pénales ayant atteint le stade du jugement, qui s'élève à 11,1 mois en 2002, enregistre une stabilisation par rapport à 2001.

En matière criminelle , le délai imputable à l'institution judiciaire - 32,5 mois dont 22,7 mois pour le déroulement de l'instruction et 9,8 mois pour le délai d'audiencement- augmente en 2002 par rapport à l'année précédente (30,9 mois). En 2003, le nombre de personnes jugées par les cours d'assises atteint un seuil encore inégalé (4.022 personnes), ce qui témoigne des efforts de productivité accomplis par les magistrats . Toutefois, compte tenu du fait que certaines personnes sont jugées deux fois depuis l'instauration d'un appel des jugements de cours d'assises prévu par la loi du 15 juin 2000 24 ( * ) , la hausse d'activité des magistrats ne s'est pas répercutée dans les mêmes proportions sur l'évacuation des affaires. En 2003, le stock d'affaires en attente d' « audiencement » devant les cours d'assises a progressé de 10 %, ce qui représente ainsi 2.162 affaires soit dix mois d'activité.

En matière correctionnelle , on observe une hausse d'activité de 4,9 % en 2002. Stable par rapport à 2001, le délai de traitement des affaires s'élève à 11,2 mois avec des différences toutefois selon la nature des contentieux : il s'allonge en matière de sécurité routière et diminue s'agissant de vols, de stupéfiants ou de police des étrangers.

En matière contraventionnelle , le délai de jugement des contraventions de cinquième classe a légèrement diminué en 2002, s'élevant à 9,1 mois .

Un récent sondage publié en novembre dernier 25 ( * ) a mis en évidence l'insatisfaction des Français à l'égard de la justice, la durée excessive des procédures cristallisant une grande part des critiques.

Dès son arrivée à la tête du ministère de la justice, M. Dominique Perben, garde des sceaux, a pris conscience de l'urgente nécessité de remédier à l'encombrement des juridictions préjudiciable à la qualité des décisions rendues. De nombreuses mesures ont été proposées pour désengorger les tribunaux dont les effets sont déjà perceptibles notamment dans les cours d'appel.

2. Des solutions pour accélérer les délais de jugement

? La contractualisation, un outil efficace de résorption des stocks

A la fin de l'année 2002, le ministère de la justice a conclu des contrats d'objectifs de résorption des stocks avec les cours d'appel de Douai et d'Aix-en-Provence. D'une durée de trois ans renouvelable, ils sont entrés en vigueur le 1 er janvier 2003. En contrepartie d'un renforcement des effectifs, les chefs de cour se sont engagés à recenser les difficultés et les priorités dans leur juridiction.

Selon le ministère de la justice, « le bilan, après une année d'exécution est très satisfaisant. Il démontre la réduction de manière significative des affaires en cours avec une augmentation corrélative des affaires terminées. »

La cour d'appel d'Aix-en-Provence s'est assigné l'objectif de réduire les délais de jugement des affaires civiles, sociales et commerciales. 27 postes dont 15 de magistrats et 12 de fonctionnaires ont été créés à cet effet. Ceux-ci ont été essentiellement affectés à des formations collégiales statuant en matière civile et commerciale. Quatre sections provisoires dont deux chargées de traiter le contentieux civil lourd, l'une dédiée aux affaires familiales et l'autre consacrée à l'appel des décisions des conseils de prud'hommes ont également été créées.

Les effets de ces renforts sont d'ores et déjà perceptibles notamment sur le nombre d'affaires terminées en matière civile, sociale et commerciale, en augmentation de près de 8 %, sur le stock d'affaires en cours, en diminution de près de 11 %, et sur le délai de traitement moyen des affaires, en baisse de 2 mois (23,1 mois). Ainsi, la moitié de la réduction notable du stock d'affaires des cours d'appel (plus de 10.000) est imputable à cette cour d'appel.

Les résultats sont tout aussi encourageants pour la cour d'appel de Douai , laquelle a bénéficié de la création de 11 postes de magistrats et 12 de fonctionnaires appelés à compléter les formations collégiales en matière civile, sociale et commerciale. Le nombre d'affaires jugées a très nettement progressé (+ 44 %). La priorité a été accordée au traitement des affaires en stock les plus anciennes. Le stock des affaires en cours s'est réduit de 17 %, les délais de traitement se sont améliorés.

M. Jean-Claude Chilou, premier président de cette cour, a indiqué à votre rapporteur pour avis qu'il considérait tout à fait légitime qu'à l'issue du contrat d'objectifs, les magistrats en surnombre soient « redéployés » vers d'autres juridictions en difficulté. M. Jean Zirnhelt, procureur général près cette cour d'appel a ajouté qu'il conviendrait, à la sortie du contrat, d'établir un audit transparent et contradictoire sur la situation de cette juridiction à l'instar de celui effectué en début de contrat.

Le ministère de la justice souhaite utiliser la contractualisation comme un mode courant de relations entre l'administration centrale et les cours d'appel. A cet effet, le garde des sceaux a invité les chefs de cour d'appel, par voie de circulaire, à évaluer la situation de leur juridiction et à proposer des mesures concertées destinées à améliorer la qualité du service rendu à l'usager. La conclusion de contrats d'objectifs avec six autres cours d'appel (Bastia, Bordeaux, Chambéry, Lyon, Pau et Versailles) est prévue d'ici la fin de l'année. De nouveaux contrats devraient concerner une dizaine de cours d'appel de métropole et d'outre-mer.

En outre, le recours à des magistrats et à des greffiers placés auprès des chefs de cour permet désormais aux cours d'appel de conclure, à leur initiative, des contrats d'objectifs avec les juridictions de leur ressort pour pallier des difficultés ponctuelles, améliorer leur fonctionnement ou accompagner des mesures de réorganisation. Plusieurs contrats locaux ont été conclus par exemple entre la cour d'appel de Douai et les tribunaux de grande instance de Valenciennes et Lille.

? La spécialisation des juridictions en matière pénale, des gains de productivité possibles

La spécialisation des juridictions pénales dans certains contentieux particulièrement complexes constitue un moyen d'améliorer la qualité et la célérité du jugement.

A cet effet, la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité a institué des pôles spécialisés chargés de traiter plus efficacement les affaires les plus complexes dans le domaine de la criminalité organisée et conforté les pôles existants compétents en matière économique et financière et de santé publique . Ces juridictions ont vocation à être de véritables plateaux techniques compétents dans le ressort de plusieurs cours d'appel et composés de fonctionnaires spécialisés.

Huit juridictions spécialisées chargées de traiter à la fois la criminalité organisée et le domaine économique et financier ont été créées à Paris, Lille, Rennes, Nancy, Lyon, Bordeaux, Marseille et Fort-de-France. 133 postes de fonctionnaires et 79 postes de magistrats ont été créés à cet effet. Par ailleurs, les deux juridictions spécialisées compétentes initialement en matière de santé publique, à savoir les tribunaux de grande instance de Marseille et de Paris conservent ces attributions.

Le projet de loi de finances pour 2005 propose la création de 3 postes de contractuels supplémentaires afin de recruter des assistants spécialisés. Ceux-ci viendraient s'ajouter aux 8 empois déjà créés en loi de finances initiale pour 2004. Plus d'1 million d'euros de crédits ont été délégués aux cours d'appel concernées pour permettre à ces effectifs de s'installer dans de bonnes conditions (locations, rénovation ou aménagement de locaux, achat de matériel technique, informatique ...).

B. LA SITUATION PRÉOCCUPANTE DES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES

1. Une activité juridictionnelle de plus en plus dense

? Une pression très nette des affaires nouvelles

Le flux des affaires devant le Conseil d'Etat et les juridictions administratives , en voie de stabilisation les années précédentes, se caractérise par une croissance notable .

Après une stabilisation des affaires nouvelles enregistrées au Conseil d'Etat en 2002 et 2003, celles-ci progressent fortement au premier semestre 2004 par rapport à l'évolution constatée au premier semestre 2003. Cette progression est principalement imputable à l'accroissement du nombre des pourvois en cassation, notamment ceux formés à l'encontre des arrêts des cours administratives d'appel (+ 10,7 %) et des décisions rendues en premier et dernier ressort par les tribunaux administratifs et en matière de référé (+ 23,5 %).

Depuis l'année dernière se dessine une très forte progression des affaires nouvelles enregistrées devant les tribunaux administratifs liée notamment à l'augmentation du contentieux des étrangers (+ 34 %) et des pensions versées aux fonctionnaires (+ 175 % en 2003 par rapport à 2002) 26 ( * ) . Ce mouvement semble se poursuivre comme le montre l'activité du premier semestre de cette année, qui laisse craindre une croissance sans précédent des entrées (plus de 20 % par rapport à 2003).

En revanche, la situation des cours administratives d'appel semble plus favorable. Après avoir connu un triplement du nombre annuel d'affaires enregistrées entre 1992 et 2000 du fait du transfert échelonné de l'appel des recours pour excès de pouvoir, un ralentissement s'est opéré en 2000. En 2001, la tendance à la hausse s'est pour la première fois inversée, avec une diminution de 7 % du nombre des entrées. Depuis, le nombre d'affaires nouvelles est relativement stable.

ÉVOLUTION DES AFFAIRES PORTÉES DEVANT LES TRIBUNAUX ADMINISTRATIFS ET LES COURS ADMINISTRATIVES D'APPEL

ANNÉE

TRIBUNAUX ADMINISTRATIFS

COURS ADMINISTRATIVES D'APPEL

NOMBRE D'AFFAIRES ENREGISTRÉES

ÉVOLUTION

PAR ANNÉE

ÉVOLUTION

2003/1993

ENTRÉES

ÉVOLUTION

PAR ANNÉE

ÉVOLUTION

2003/1993

1993

88 078

+4,8 %

+ 45,8 %

6 794

+ 22 %

+ 130,2%

1994

88 949

+ 1 %

7 804

+ 14,9%

1995

97 025

+ 9,1%

9 057

+ 16,1%

1996

95 246

- 1,8%

12 168

+ 34,3%

1997

101 590

+ 6,7%

12 477

+ 2,5%

1998

123 834

+ 21,9%

14 330

+ 14,9%

1999

117 429

-  5,2%

16 056

+ 12 %

2000

113 059

- 3,7%

16 540

+ 3%

2001

123 354

+ 9.1%

15 375

-7%

2002

112 703

- 8,6%

15 267

-0,7%

2003

128 422

+ 14%

15 640

+ 2,44%

Source : ministère de la justice

? Un effort de productivité soutenu de la part des magistrats administratifs

Maintenu à un niveau de 11.000 à 12.000 affaires par an depuis dix ans (sauf en 1998), le nombre des affaires jugées par le Conseil d'Etat a permis de faire régulièrement baisser le délai moyen prévisible de jugement des affaires en stock. En 2002 et 2003, on observe un excédent des sorties par rapport aux entrées.

Le Conseil d'Etat poursuit ses efforts avec l'objectif prioritaire de réduire le stock des affaires les plus anciennes en limitant à 1 % la part des affaires en instance enregistrées depuis plus de trois ans au 31 décembre 2004 et à 2 ou 3 % la part des affaires enregistrées depuis plus de deux ans et moins de trois ans. Le délai moyen de jugement des affaires s'élève en 2003 à 10 mois , soit une réduction de plus d'un mois par rapport à l'année 2002.

Après avoir connu une multiplication par 5 entre 1992 et 1999 du stock des affaires en instance du fait du transfert de compétences du Conseil d'Etat, les cours administratives d'appel ont, pour la première fois en 2003 , traité plus d'affaires qu'elles n'en ont reçues, ce qui a permis une diminution du stock des affaires en instance . Cette tendance favorable devrait être consolidée en 2004. Au 31 décembre 2004, le délai moyen de jugement des affaires, en baisse par rapport à 2003 27 ( * ) , devrait ainsi s'établir à 2 ans.

Entre 1993 et 2003, les tribunaux administratifs ont jugé un nombre d'affaires croissant (+ 63 % par rapport au volume d'affaires). Cette évolution favorable résulte de la conjugaison de l'impact du renforcement des effectifs de magistrats 28 ( * ) et de l'amélioration de la productivité de ces derniers.

Après une baisse du nombre d'affaires réglées constatée en 2002 imputable à la priorité accordée à l'évacuation des dossiers les plus anciens, l'année 2003 s'est caractérisée par une nouvelle progression du nombre d'affaires réglées mais dans une proportion moindre que la hausse des affaires enregistrées. Le déséquilibre constaté a donc entraîné, par un effet mécanique, une nouvelle augmentation des stocks . Les prévisions pour 2004 (+ 27 %) laissent craindre un gonflement du volume d'affaires en instance devant les tribunaux a dministratifs et ce, en dépit d'une nette augmentation de la productivité des juridictions.

Dans ce contexte et compte tenu du faible nombre de recrutements prévus pour 2005, il est à craindre que l'objectif tendant à réduire le délai de jugement à un an devant toutes les juridictions administratives énoncé dans la loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002, soit difficile à atteindre.

2. Les initiatives pour améliorer la situation des juridictions administratives

S'appuyant sur une jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l'homme, le Conseil d'Etat a considéré dans un arrêt récent du 28 juin 2002, Magiera, que des délais de jugement trop longs dans les juridictions administratives constituaient une faute du service public, sur le fondement de laquelle les justiciables pouvaient faire valoir le préjudice d'avoir été privés du droit d'accès à un tribunal pendant une période anormalement longue. Ainsi, la justice administrative comme la justice judiciaire est confrontée à l'impératif de juger les affaires dans un « délai raisonnable ». Conscient que cet objectif était encore loin d'être atteint, le ministère de la justice a pris des initiatives pour s'en rapprocher.

? La signature de contrats d'objectifs conclu entre le ministère de la justice et les cours administratives d'appel

Le 9 décembre 2002, chaque cour administrative d'appel a signé un contrat d'objectifs avec le Conseil d'Etat dans le but de réduire à un an les délais de jugement . En contrepartie, ce dernier s'est engagé à fournir un certain nombre de moyens informatiques et humains (recrutement d'assistants de justice).

Les résultats sont encourageants. En effet, les objectifs sont réalisés et parfois même dépassés : le nombre d'affaires traitées par les cours administratives d'appel a augmenté de 22,45 % au cours du premier semestre 2004 par rapport au premier semestre 2003, confirmant l'évolution favorable constatée dès la fin de l'année dernière.

? La création de nouvelles juridictions administratives

La création d'une nouvelle cour administrative d'appel à Versailles, qui fonctionne depuis le 1 er septembre 2004, devrait permettre d'alléger la charge reposant sur celle de Paris. Deux nouveaux tribunaux administratifs devaient également être implantés dans le sud est de la France.

? La rationalisation des procédures et le règlement amiable des litiges

Divers allègements de procédure opérés ces dernières années par voie législative ou réglementaire ont permis de diminuer les délais de jugement des juridictions administratives. La réforme la plus récente en la matière est intervenue en 2003 pour encadrer la procédure applicable devant les cours administratives d'appel 29 ( * ) . La généralisation de l'obligation du ministère d'avocat en appel a été consacrée. La possibilité de faire appel des jugements rendus dans certaines matières faisant l'objet d'une jurisprudence bien établie pouvant être traitées en première instance par un juge statuant seul a été supprimée. Enfin, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat dispose désormais de la faculté nouvelle de rejeter par ordonnance les requêtes relatives à des arrêtés de reconduite à la frontière manifestement insusceptibles d'entraîner l'infirmation du jugement attaqué.

Au cours de son audition, le garde des sceaux a souligné que la forte croissance du contentieux, notamment des étrangers et de la fonction publique, imposait de rechercher des solutions adaptées pour accélérer le mode de traitement de ces affaires . Compte tenu de la nature répétitive et massive d'un grand nombre de litiges, il a considéré que la mise en place d'une procédure d'ordonnance simplifiée dans les tribunaux administratifs pourrait permettre de résoudre ces difficultés. En outre, il a souligné la nécessité d'inciter l'administration, plus encline à intenter des procès qu'à rechercher une solution amiable, à changer de comportement. En effet, bien souvent, elle oppose systématiquement des refus implicites aux demandes sans prendre la peine de les instruire. L'insuffisante rapidité d'examen des demandes qui lui sont soumises entraîne en effet un nombre important de refus implicites qui provoquent des contentieux qui pourraient être évités.

III. UNE GESTION DES CRÉDITS QUI PRÉPARE L'APPLICATION DE LA LOI ORGANIQUE RELATIVE AUX LOIS DE FINANCES

La perspective de l'entrée en vigueur de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) en 2006 a conduit le ministère de la justice à moderniser en profondeur ses méthodes de gestion et son organisation en vue d'une meilleure utilisation de la ressource publique.

A. LA MODERNISATION DES MÉTHODES DE GESTION DES SERVICES JUDICIAIRES

1. Des responsabilités accrues confiées aux chefs de cour et aux services administratifs régionaux

Le décret n° 2004-435 du 24 mai 2004 a transféré des préfets aux chefs des cours d'appel - premiers présidents et procureurs généraux - les responsabilités d'ordonnateur secondaire des dépenses des juridictions , à l'exception des crédits d'investissement. Ceux-ci disposent de la faculté de déléguer conjointement leur signature à un magistrat ou un fonctionnaire de catégorie A de la juridiction qui pourra être le coordonnateur du service administratif régional (SAR). Entrées en vigueur à titre expérimental depuis le 1 er septembre 2004 pour la cour d'appel de Lyon 30 ( * ) , ces nouvelles règles s'appliqueront à compter du 1 er janvier 2005 aux huit cours d'appel auxquelles l'expérimentation de la globalisation des crédits est étendue et à compter du 1 er janvier 2006 à l'ensemble des cours.

Votre commission se réjouit de cette évolution qui concrétise une recommandation de la mission d'information sur l'évolution des métiers de la justice formulée en 2002 (recommandation n° 19) 31 ( * ) . Outre que cette nouvelle répartition des tâches se concilie de manière plus satisfaisante avec le principe d'indépendance de la justice, elle est cohérente avec les responsabilités accrues en matière de gestion conférées aux chefs de cour par la loi organique relative aux lois de finances. Il paraît important de donner à ces gestionnaires les moyens effectifs d'exercer leurs prérogatives nouvelles.

De plus, la récente modification du code des marchés publics intervenue le 10 janvier dernier a conduit le ministère de la justice, à conférer conjointement aux chefs de cour la responsabilité des marchés relatifs au fonctionnement courant de la cour elle-même et des juridictions du premier degré situées dans son ressort. Applicables à titre expérimental à la cour d'appel de Lyon depuis le 1 er septembre 2004, ces dispositions entreront en vigueur à compter du 1 er janvier pour les huit cours d'appel auxquelles l'expérimentation de globalisation de crédits est étendue et à compter du 1 er janvier 2006 pour l'ensemble des cours d'appel (arrêté du 5 août 2004).

Corrélativement, le rôle stratégique des services administratifs régionaux , placés sous l'autorité des chefs de cour d'appel, mérite d'être souligné.

Les tâches matérielles incombant aux services des préfectures en matière d'ordonnancement secondaire devraient progressivement être assumées par les services administratifs régionaux (SAR), dont le renforcement constitue également une priorité.

Ils sont chargés de préparer, de mettre en oeuvre et de contrôler tous les actes et décisions liés à l'administration du ressort. M. Jean-Jacques Zirnhelt, procureur général près la cour d'appel de Douai entendu par votre rapporteur pour avis a jugé impératif d'étoffer ces unités, les qualifiant de véritables « bras droit » des chefs de juridictions.

La perspective de l'application de la LOLF appelle une indispensable adaptation du rôle des SAR. En effet, ces derniers, afin d'optimiser l'emploi des crédits qui leur sont confiés, devront mettre en place des outils de suivi, de contrôle et d'analyse. Comme l'indique l'inspection générale des services judiciaires dans son rapport sur l'évaluation des services SAR « l'organisation et le fonctionnement des SAR devront évoluer pour prendre en compte la nécessité d'orienter la budgétisation et la gestion vers les résultats, la maîtrise des dépenses publiques et la responsabilisation accrue des gestionnaires publics . » 32 ( * ) A cet effet, les SAR devront centraliser des données statistiques à l'appui desquels les chefs de cour pourront conclure et appliquer des contrats d'objectifs.

Cette évolution nécessite au préalable une meilleure prise en compte du statut des SAR eux-mêmes, dont l'existence n'est pas consacrée dans le code de l'organisation judiciaire 33 ( * ) et une clarification de leur rôle par rapport aux greffes des juridictions. Comme l'indique l'inspection générale des services judiciaires dans son rapport d'évaluation des SAR, « le fait que 230 agents de catégorie C, en fonction dans les SAR, soient toujours affectés au greffe de la cour d'appel est mal perçu par de nombreux chefs de juridiction qui reprochent aux coordonnateurs d'opérer une sélection parmi les meilleurs agents des juridictions et d'amputer les effectifs de la cour. »

L'opinion des principales organisations syndicales de fonctionnaires des greffes sur le vivier de recrutement des personnels des SAR est partagée. L'USAJ entendue par votre rapporteur pour avis a jugé important que les fonctionnaires des juridictions conservent la maîtrise de la gestion de l'institution judiciaire, expliquant que leur connaissance du terrain leur permettait d'appréhender au plus près les besoins et les contraintes des juridictions. La CFDT a considéré que les attachés d'administration centrale avaient vocation à exercer dans les SAR, la CGT estimant quant à elle possible l'affectation d'administrateurs civils.

Si la présence de personnels des greffes, proches des préoccupations des juridictions ne semble pas devoir être remise en cause par exemple pour la gestion des crédits de formation, l'accès aux SAR de spécialistes de la gestion constitue une piste de réforme intéressante . Cette évolution s'impose d'autant plus que, comme l'a relevé l'inspection générale des services judiciaires, la complexité des fonctions de gestion et d'administration s'accroît, l'augmentation des vacances de postes est préoccupante (près de 19 % en juin 2003) et la formation des chefs des services techniques se révèle très disparate.

Votre rapporteur pour avis tient également à attirer l'attention du ministère de la justice sur les difficultés de certains SAR qui enregistrent un taux de rotation des personnels trop élevé , en particulier dans la région du Nord-Pas-de-Calais. Cette situation conduit à une perte de compétence préjudiciable au bon fonctionnement de cette unité spécialisée . Comme l'ont souligné lors de leur audition MM. Jean-Claude Chilou et Jean-Jacques Zirnhelt, respectivement premier président et procureur général près la cour d'appel de Douai, de nombreux fonctionnaires quittent leur poste au bout d'un an. Cette situation est d'autant plus regrettable qu'il s'agit souvent de fonctionnaires tout juste sortis de l'Ecole nationale des greffes. Pour préserver la qualité du travail dans les SAR et compte tenu de la technicité des missions, il paraît donc nécessaire de maintenir les fonctionnaires dans leur poste plus longtemps.

2. Une difficile maîtrise des frais de justice

a) Une hausse exponentielle des frais de justic e pris en charge par le budget du ministère de la justice

Les frais de justice qui recouvrent toutes les dépenses occasionnées par une procédure civile, pénale ou administrative 34 ( * ) connaissent une hausse exponentielle de 40 % en deux ans. Cette évolution témoigne des difficultés du ministère de la justice à maîtriser ce poste budgétaire.

Afin de juguler la progression très rapide des crédits (10 % en moyenne entre 1989 et 1998), des initiatives - sensibilisation des juridictions, suivi des dépenses - ont été engagées en 1996. Celles-ci ont porté leurs fruits, les dépenses ayant respecté la limite des crédits ouverts en loi de finances initiale.

L'année 2002, caractérisée par une accélération de la dépense , a rompu avec cette évolution. En 2003, l'abondement de près de 30 millions d'euros voté en loi de finances rectificative n'a pas permis de couvrir la dépense annuelle. En 2004, le ministère de la justice évalue la dépense à 411 millions d'euros, soit un dépassement de près de 73 millions d'euros. Le graphique ci-après retrace cette tendance à la hausse des frais de justice.

ÉVOLUTION DE LA DÉPENSE DES FRAIS DE JUSTICE
1998-2004

En millions d'euros

Source : ministère de la justice

La dotation budgétaire prévue par le projet de loi de finances pour 2005 s'élève à 358 millions d'euros (y compris les crédits inscrits sur le chapitre des expérimentations). Les mesures nouvelles d'un montant de 20 millions d'euros se répartissent en un ajustement de crédits destiné à tenir compte de l'évolution des dépenses en matière pénale (9,2 millions d'euros) et en matière civile (10,16 millions d'euros) et une enveloppe pour financer l'accès des sourds et des malentendants à la justice par la prise en charge des frais d'interprétariat (0,64 million d'euros).

D'un montant de 251,5 millions d'euros en 2003 contre 172 millions d'euros en 1998, les frais pénaux, plus gros poste de dépenses (74 %), progressent de 46,5 %. 70 % de cette hausse est imputable à deux blocs de dépenses : les frais criminels d'expertises médicales (par exemple génétiques) et les frais d'expertises sur la téléphonie mobile. Les frais engagés dans le domaine civil d'un montant de 50,5 millions d'euros affichent une augmentation, moins forte mais néanmoins soutenue, de près de 18 %.

Trois autres domaines accusent une hausse très nette :

- les dépenses d'interprètes et de traduction dont l'augmentation très importante (30 %) s'explique par le nombre croissant de procédures impliquant des étrangers surtout originaires de l'Europe de l'Est ;

- les dépenses d'expertises non tarifées (18 %) dont la croissance est due en partie à l'imputation par certaines juridictions des expertises d'empreintes génétiques (qui ne sont pas tarifées) ;

- les dépenses de gardiennage des scellés (16 %).

Le contexte est actuellement peu favorable à une réduction des frais de justice, la société attendant de la justice qu'elle mettre en oeuvre tous les moyens à sa disposition pour la manifestation de la vérité.

Les causes de l'accroissement global des frais de justice sont doubles.

En premier lieu, plusieurs réformes successives en matière pénale ont imposé des procédures qui génèrent des frais de justice et induit des dépenses nouvelles. On peut citer par exemple :

- la loi du 15 juin 2000 précitée qui a engendré des charges nouvelles liées aux indemnités versées aux jurés d'assises siégeant en appel ou encore aux frais d'expertise psychologique ou d'enquête de personnalité correspondant aux mesures d'investigation sur les conséquences de l'infraction pour les victimes ;

- la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure qui a étendu les données recensées dans le fichier national automatisé des empreintes génétiques (article 29) ; celui-ci contenait seulement 2.824 empreintes en 2002 contre 22.640 au 31 août 2004 et devrait s'enrichir de près de 10.000 profils supplémentaires ;

- la loi n° 2003-87 du 3 février 2003 relative à la conduite sous l'influence de substances ou plantes classées comme stupéfiants dont le décret d'application a été publié le 1 er avril 2003  qui a entraîné un volume de consultations médicales supplémentaires estimé à 25.000 ;

- la loi du 9 mars 2004 précitée qui ne comprend pas moins de onze mesures nouvelles susceptibles d'avoir un impact sur les frais de justice (frais de location de camion, d'entrepôts pour les opérations d'infiltration, frais d'écoutes téléphoniques dans les nouvelles d'hypothèses d'intervention du juge des libertés et de la détention et du procureur de la République dans le cadre des enquêtes de flagrance, possibilité de prise en charge des frais de déplacement des victimes au cours de l'enquête...).

En second lieu, la sophistication des techniques d'enquête et d'établissement de la preuve renchérit le coût des recherches, par exemple en matière d'empreintes génétiques, et des réquisitions, par exemple dans le domaine de la téléphonie mobile. En progression de 56,5 % par rapport à 2003, ce dernier poste qui couvre les réquisitions adressées aux opérateurs ainsi que les loueurs de matériel d'écoute, a atteint 74,5 millions d'euros en 2004, soit 26 % de la dépense globale des frais de justice. Cette progression s'explique par le recours de plus en plus fréquent aux interceptions sur le réseau mobile pratiquées par les opérateurs en grand nombre et dans des délais très brefs (un mois). On en dénombrait 10.500 en 2003 contre 3.024 en 2001. Au surplus, il est parfois difficile de porter un jugement sur les tarifs pratiqués, faute de connaître les coûts réels des recherches effectuées.

En outre, le garde des sceaux a relevé lors de la présentation du budget 2005 le 22 septembre dernier les lacunes du circuit de décision « qui ne permet pas un réel suivi des dépenses ». Il a en effet indiqué qu'il n'était pas rare de voir des prestations payées deux fois ou des factures honorées pour des prestations inutiles pour la procédure (mise en fourrière ou apposition des scellés).

b) Les initiatives engagées par le ministère de la justice pour 2005 pour remédier à cette situation

Le dispositif actuel, qui permet aux magistrats de prescrire librement des procédures sans considération des coûts avait été conçu dans le souci d'être opérationnel et rapide. Il atteint aujourd'hui ses limites. Si l'accroissement de certaines dépenses est automatique 35 ( * ) , il existe néanmoins des marges de manoeuvre réelles pour mieux appréhender et maîtriser les coûts.

En sus des mesures strictement budgétaires, le ministère de la justice a décidé d'engager un plan d'action pour réaliser des économies tout en préservant la liberté de prescription des magistrats . Il comporte trois volets :

- une plus grande sensibilisation des magistrats prescripteurs à la nécessaire maîtrise des frais de justice . Le ministère de la justice a en effet indiqué à votre rapporteur pour avis que la formation initiale et la formation continue des magistrats n'abordaient que très succinctement le sujet des frais de justice. En outre, il apparaît que les magistrats prescripteurs ignorent l'impact financier des mesures qu'ils ordonnent ;

- une gestion plus rigoureuse des frais de justice . Une rationalisation du circuit de la dépense ainsi qu'une meilleure organisation de la chaîne de la commande sont à l'étude notamment en vue de mettre en place une comptabilité des engagements aujourd'hui inexistante. Un suivi de la dépense paraît également indispensable ;

- la fixation ou la négociation de tarifs acceptables en matière de téléphonie mobile et d'expertise, ainsi que la mise en concurrence des prestataires . Le ministère de la justice envisage de mettre en place une tarification des analyses génétiques standard, dont le coût unitaire qui lui est facturé se révèle beaucoup trop élevé par rapport au coût de revient estimé. Par ailleurs, une négociation est en cours avec les loueurs de matériel d'interception et les différents opérateurs téléphoniques. A l'instar des dépenses de santé, il s'agit de définir des « références opposables ».

En outre, le garde des sceaux lors de son audition devant votre commission a estimé que le transfert des charges vers les ministères prescripteurs (intérieur et défense), à un moment envisagé, risquait de porter atteinte à l'autorité des magistrats du parquet sur les officiers de police judiciaire.

Votre rapporteur pour avis se félicite de ces initiatives qui s'efforcent de préserver le dispositif actuel en l'adaptant . En effet, les justiciables admettraient difficilement que la justice se prive de techniques d'investigation désormais incontournables pour la résolution des enquêtes, notamment criminelles. Le ministère de la justice fait la preuve de sa volonté de rechercher une gestion optimale des crédits.

c) Les inquiétudes liées au caractère limitatif des frais de justice prévu par la LOLF

Les obligations nouvelles résultant de la loi organique relative aux lois de finances, qui confère un caractère limitatif aux frais de justice, à compter de 2006 suscitent l'inquiétude de l'ensemble des acteurs de l'institution judiciaire (organisations représentatives des magistrats professionnels, syndicats des fonctionnaires des greffes, la plupart des chefs de cours et principaux représentants de la profession d'avocat). Ceux-ci craignent en effet de devoir renoncer à des procédures d'investigation pourtant indispensables, faute de crédits suffisants et, partant, d'amplifier l'incompréhension des citoyens à l'égard de la justice qui pourrait être soupçonnée d'inertie.

Dans le cadre de l'expérimentation de la globalisation des crédits menée à la cour d'appel de Lyon et par anticipation sur l'entrée en vigueur de la LOLF, l'enveloppe consacrée aux frais de justice d'un montant de 15,4 millions d'euros a perdu son caractère évaluatif .

Ainsi, cette cour s'est trouvée confrontée à des changements importants dans la consommation et la gestion de ses frais de justice.

En mars 2004, les crédits de frais de justice ont, pour la première fois, emprunté les circuits financiers de droit commun : comptabilité des engagements, ordonnancement et mandatements. Au 31 août 2004, le volume des paiements atteignait 9,2 millions d'euros pour tout le ressort. En outre, le ministère de la justice a salué la mobilisation des acteurs locaux pour assurer le suivi très précis de la dépense, identifier les difficultés pratiques et trouver des solutions pour y remédier.

M. Michel Cramet, coordonnateur au SAR de Lyon, a indiqué à votre rapporteur pour avis que la difficulté majeure du passage des frais de justice sous crédits limitatifs résidait dans l'impossibilité d'analyser ce poste budgétaire, faute d'un suivi prévisionnel des dépenses engagées. Il a expliqué qu'une application intranet alimentée par les magistrats avait été mise en place destinée à retracer l'évolution des engagements juridiques en temps réel.

En outre, M. Michel Cramet a indiqué à votre rapporteur qu'afin de responsabiliser les gestionnaires des juridictions du ressort sur l'objectif de maîtrise de cette dépense, il avait été décidé de mettre en place un système de « bonus-malus » selon les efforts de maîtrise consentis qui devrait être mis en oeuvre l'année prochaine. Ainsi, les juridictions qui parviendront à juguler la hausse des frais de justice pourrront être récompensées par un abondement de leur crédit de fonctionnement dans la limite de 1,7 % de cette enveloppe. A l'inverse, celles qui n'y seront pas parvenues seront pénalisées et se verront appliquer un malus, les crédits de fonctionnement devant être prélevés dans la limite de 1,7 % au profit des dépenses au titre des frais de justice.

Il est encore trop tôt pour tirer le bilan de la première année de l'expérimentation menée à la cour d'appel de Lyon. On ne peut néanmoins que se réjouir des initiatives engagées qui paraissent encourageantes et traduisent une réelle prise de conscience de la nécessité de limiter l'évolution exponentielle de ce poste budgétaire.

Le dispositif expérimental mis en place à Lyon doit être étendu à huit nouvelles cours d'appel (Angers, Basse-Terre, Bordeaux, Colmar, Metz, Nîmes, Pau et Versailles). Le projet de loi de finances pour 2005 prévoit à cet effet une dotation globalisée en matière de frais de justice d'un montant de 89,7 millions d'euros. En 2006, le caractère évaluatif des frais de justice de l'ensemble des cours d'appel sera supprimé.

L'approche pragmatique du ministère de la justice qui s'efforce d'anticiper les changements induits par la LOLF par le biais des expérimentations mérite d'être saluée.

En outre, afin d'apaiser la craintes et d'éviter des difficultés de fonctionnement dans les juridictions, le ministère de la justice a prévu de conserver une réserve de crédits pour faire face à de nouvelles dépenses (dépassements de crédits en raison d'affaires exceptionnelles) lorsque l'enveloppe initialement allouée est consommée. Ce système a permis à la cour d'appel de Lyon de financer ses frais de justice. Celle-ci a en effet reçu une dotation initiale d'un montant de 12,3 millions d'euros, une réserve d'aléas de 3 millions d'euros ayant été conservée par l'administration centrale (20 % de la dotation totale). Cette précaution paraît tout à fait judicieuse et témoigne du souci du ministère de la justice de rechercher les moyens de mettre en oeuvre le nouveau cadre budgétaire avec pragmatisme.

B. UN MINISTÈRE FORTEMENT IMPLIQUÉ DANS LA MISE EN oeUVRE DE LA LOLF

1. La définition d'une nouvelle architecture budgétaire

Sur la forme, la présentation du budget du ministère de la justice en application de la loi organique relative aux lois de finances ne sera pas très différente de la récapitulation des agrégats proposée par le projet de loi de finances initiale (bleu budgétaire). Le ministère de la justice fait l'objet d'une mission unique correspondant à la totalité de son périmètre d'attribution, intitulée « Rendre et exécuter la justice ». Fort logiquement, cette mission n'aura pas de vocation interministérielle. La mission sera l'unité de vote du Parlement, lequel pourra modifier la répartition des crédits entre les programmes d'une même mission par voie d'amendement .

Les crédits seront déclinés en six programmes et trente-trois actions 36 ( * ) auxquels seront assignés des objectifs précis, définis en fonction de finalités d'intérêt général, ainsi que des résultats attendus et faisant l'objet d'une évaluation. Au sein de chaque programme, les crédits seront fongibles, c'est-à-dire qu'ils pourront être redéployés par le responsable entre les lignes budgétaires qui le composent à l'exception des dépenses de personnels, soumises à un plafond d'autorisations .

Outre les deux programmes consacrés à l'administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse 37 ( * ) , les crédits affectés aux services généraux de la justice seront répartis au sein de quatre programmes, dont trois opérationnels et un support. Leur contenu devrait être largement calqué sur celui des trois agrégats actuels qui font l'objet du présent avis, à l'exception d'une partie des crédits de l'agrégat « administration générale » répartis entre les actions « soutiens » des différents programmes 38 ( * ) .

Le programme « justice administrative » vise à garantir le respect du droit par l'administration dans les relations qu'elle entretient avec ses administrés. Il sera administré par le secrétaire général du Conseil d'Etat lequel délèguera à chaque président ordonnateur secondaire un budget de fonctionnement en contrepartie d'objectifs à atteindre. Ce programme est structuré en 6 actions.

Le programme « justice judiciaire » constitue le support des fonctions juridictionnelles tant civiles que pénales. La polyvalence des personnels et des moyens des juridictions n'a pas permis de distinguer deux programmes distincts pour l'activité pénale et l'activité civile. En revanche, le ministère de la justice envisage de tenir compte de cette distinction au sein des actions. Le directeur des services judiciaires a été désigné responsable de ce programme qui comprend sept actions.

Le programme « accès au droit et à la justice », dont le responsable sera le chef du service de l'accès au droit et à la justice et de la politique de la ville couvre l'ensemble des politiques publiques destinées à faciliter l'accès au droit et à la justice. Il reprend d'ailleurs un des objectifs prioritaires figurant dans la loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002. Il se structure en trois actions.

Le programme « soutien de la politique de la justice et organismes rattachés » comprend deux volets distincts, l'un relatif aux moyens de l'état-major (ministre, secrétaire d'Etat, cabinets...), de l'administration et des services dont les compétences d'intérêt commun sont mutualisées, l'autre regroupant les crédits des autorités et institutions rattachées au budget du ministère. Cette enveloppe sera placée sous l'autorité du directeur de l'administration générale et de l'équipement, sauf en ce qui concerne les institutions ou autorités rattachées, chacune étant responsable de son budget. Huit actions sont déclinées : état-major - communication, activité normative, évaluation (contrôle, étude et recherche), gestion administrative commune, Commission nationale informatique et libertés (CNIL), haut conseil au commissariat aux comptes et Ordres de la légion d'honneur et de la libération.

Votre rapporteur pour avis note que le ministère de la justice avait envisagé de dédoubler ce programme afin de distinguer les autorités administratives sous un autre programme. Le regroupement entre le soutien de la politique de la justice et les organismes rattachés présente l'inconvénient de réunir sous un même programme des institutions aux statuts juridiques différents (établissement public, autorité administrative indépendante, organisme consultatif) et n'ayant pas de point commun. Ainsi, comme l'a relevé fort justement le comité interministériel d'audit des programmes en juin dernier 39 ( * ) , ce choix « prive ce programme de sa cohérence et réduit sa fongibilité globale. » Votre commission des Finances avait par exemple suggéré de regrouper les autorités administratives indépendantes comme la CNIL au sein d'un programme interministériel unique. Des discussions interministérielles ont abouti au seul retrait des crédits affectés à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques appelée à être rattachée à la mission « Administration générale et territoriale de l'Etat ».

La présentation des crédits affectés au ministère de la justice par le projet de loi de finances pour 2005 qui résulterait de la LOLF serait donc la suivante :

Programmes

Ministre

PLF 2005

Evolution par rapport à la loi de finances pour 2004

JUSTICE ADMINISTRATIVE

Justice

193.456.507

+2,9 %

- Fonction juridictionnelle : Conseil d'Etat

 

20.768.441

 

- Fonction juridictionnelle : cours administratives d'appel

 

33.988.513

 

- Fonction juridictionnelle : tribunaux administratifs

 

93.171.715

 

- Fonction consultative

 

8.127.059

 

- Fonction études, expertise et services rendus aux administration de l'Etat et des collectivités

 

9.320.654

 

- Soutien

 

28.080.125

 

JUSTICE JUDICIAIRE

Justice

2.177.788.667

+2,7 %

- Traitement et jugement des contentieux civils

 

743.907.045

 

- Conduite de la politique pénale et jugement des affaires pénales

 

988.148.069

 

- Cassation

 

38.667.700

 

- Conseil supérieur de la magistrature

 

1.823.637

 

- Enregistrement des décisions judiciaires

 

14.034.438

 

- Soutien

 

322.731.016

 

- Formation (ENM, ENG)

 

68.476.762

 

ACCÈS AU DROIT ET À LA JUSTICE

Justice

333.168.856

+3,1 %

- Aide juridictionnelle

 

314.119.872

 

- Développement de l'accès au droit et du réseau judiciaire de proximité

 

10.608.088

 

- Aide aux victimes

 

8.440.896

 

SOUTIEN DE LA POLITIQUE DE LA JUSTICE ET ORGANISMES RATTACHÉS

Justice

203.721.665

+10,5 %

- Etat major : ministres, cabinets, bureau du cabinet, communication

 

7.046.259

 

- Activité normative

 

15.038.940

 

- Evaluation, contrôle, études et recherche

 

8.802.631

 

- Gestion administrative commune

 

147.369.400

 

- Commission nationale informatique et libertés

 

7.675.748

 

- Haut conseil au commissariat aux comptes

 

275.918

 

- Ordre de la Légion d'honneur

 

26.827.340

 

- Ordre de la Libération

 

685.429

 

2. Une volonté affirmée de rechercher des instruments de mesure de la performance pertinents

Le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie a invité tous les ministères à définir des objectifs et des indicateurs associés aux programmes dans la perspective d'une évaluation des nouveaux modes de gestion des crédits. Ceux-ci se révèlent indispensables puisque l'engagement sur des résultats est au coeur de la réforme. L'article 51 de la LOLF prévoit que la réalisation des objectifs au sein de chaque programme doit être retracée dans un projet annuel de performance (PAP), publié en annexe du projet de loi de finances.

Le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie dans son rapport sur la préparation de la mise en oeuvre de la LOLF publié en juin 2004 a souligné la nécessité que ces indicateurs soient compréhensibles, directement imputables aux activités du programme et prennent en compte trois dimensions de la performance : l'efficacité socio-économique , à savoir les bénéfices attendus de l'action de l'Etat par le citoyen d'une part, la qualité de service qui traduit la qualité du service rendu à l'usager d'autre part, et enfin l'efficience qui exprime le rapport coût - avantage. Il a indiqué qu'il convenait « dans l'idéal de ne pas excéder cinq objectifs par programme, assortis d'un ou deux indicateurs par objectif . »

Soucieux de préparer activement l'entrée en vigueur de ce nouveau cadre budgétaire, le ministère de la justice a élaboré une maquette de projet annuel de performance dès cette année.

Le programme « justice administrative » comprend trois objectifs relatifs à la réduction des délais de jugement, au maintien de la qualité des décisions juridictionnelles et à l'amélioration de l'efficience des juridictions. Treize indicateurs de performance figurent sous ces objectifs.

Le programme « justice judiciaire » regroupe six objectifs visant à rendre des décisions de qualité dans des délais raisonnables en matière civile (n° 1) et en matière pénale (n° 2), à amplifier et diversifier la réponse pénale (n° 3), à améliorer l'exécution des décisions pénales (n° 4), à maîtriser la croissance des frais de justice (n° 5) et à garantir un enregistrement rapide des décisions judiciaires. Dix-huit indicateurs de performance sont prévus.

La définition de ces objectifs pose un véritable défi à un ministère qui éprouve des difficultés à mesurer rapidement l'activité des juridictions. D'ailleurs, le PAP indique que de nombreuses données appelées à alimenter les indicateurs seront seulement disponibles en 2008. Conscient de cette difficulté, le garde des sceaux a indiqué lors de son audition devant votre commission qu'un baromètre trimestriel récapitulant l'activité des tribunaux sous la forme de statistiques synthétiques un mois après la fin du trimestre avait été mis en place et publié en novembre dernier.

Le Syndicat de la magistrature, l'Union syndicale des magistrats et les syndicats des personnels des greffes entendus par votre rapporteur pour avis ont regretté de ne pas avoir été consultés à l'occasion de la définition des indicateurs, jugeant paradoxal de vouloir mobiliser les personnels sans les associer à la mise en oeuvre des modalités de l'évaluation.

En outre, le Syndicat de la magistrature a souligné la nécessité d'affiner certains indicateurs, expliquant par exemple que le taux de requête en interprétation, en rectification d'erreurs matérielles et en omission de statuer (indicateur n °4 de l'objectif n° 1) ne donnait pas une indication pertinente de la qualité des jugements rendus compte tenu du fait qu'une partie de ces requêtes étaient adressées à des fins purement dilatoires par la partie perdante. Il a jugé plus pertinent de retenir le taux de requêtes ayant abouti effectivement à une rectification d'erreur matérielle. Cette observation paraît intéressante et mérite d'être prise en compte. Il paraît souhaitable que le ministère de la justice soumette les indicateurs arrêtés dans le PAP aux acteurs qui sont les plus proches des réalités de terrain.

Certains indicateurs sont à construire ou semblent perfectibles. Mais, la démarche du ministère de la justice, en avance sur de nombreux autres ministères qui n'ont pu soumettre au Parlement une maquette de PAP aussi précise et complète, mérite d'être soulignée. Cette initiative va dans le sens d'une plus grande transparence toujours utile pour l'information du Parlement.

Le programme « accès au droit et à la justice » regroupe sept objectifs relatifs à l'amélioration du délai de traitement des admissions à l'aide juridictionnelle, à la maîtrise des coûts de gestion d'un dossier d'aide juridictionnelle, au développement d'une réponse de qualité aux besoins d'information juridique des citoyens dans les maisons de justice et du droit, au développement d'une réponse de qualité aux besoins d'information juridique des citoyens dans les conseils départementaux de l'accès au droit, à la rapidité des décisions rendues en matière d'indemnisation des victimes d'infractions, au développement de l'efficacité des dispositifs permettant la défense et l'indemnisation des victimes, et au développement de l'assistance des victimes par le réseau spécialisé d'associations d'aide aux victimes. Neuf indicateurs sont déclinés.

Une réflexion pourrait être engagée pour mesurer l'action des associations d'aide aux victimes eu égard au montant des subventions qui leur sont allouées. En effet, l'indicateur mentionné dans le PAP, purement quantitatif (évolution du nombre de victimes accueillies et suivies par les associations d'aide aux victimes et nombre de dossiers suivis par ces associations) paraît insuffisant.

Le programme « soutien de la politique de la justice et organismes rattachés » comporte six objectifs : prendre rapidement les textes d'application nécessaires pour l'adaptation du droit à l'évolution de la société, réduire les délais entre la vacance d'un poste ou son ouverture dans le cadre d'un recrutement par la direction de programme, assurer une gestion efficiente des personnels, optimiser la gestion des projets immobiliers, optimiser la gestion logistique des services centraux, optimiser la gestion des grands projets informatiques. Huit indicateurs figurent dans ce programme.

Le taux de publication des décrets d'application des lois (indicateur n° 1 de l'objectif n° 1) ne reflète qu'imparfaitement la capacité du ministère de la justice à appréhender la nécessaire adaptation du droit aux exigences des citoyens en matière civile, pénale ou commerciale. Telle est la raison pour laquelle votre rapporteur pour avis souhaite attirer l'attention du garde des sceaux sur la nécessité de prévoir un indicateur mesurant le taux de transposition des directives communautaires.

Le retard patent de la France en ce domaine rend impératif que chaque ministère, tout particulièrement celui de la justice, se mobilise pour mettre notre droit interne en conformité avec le droit communautaire. Cet objectif a d'ailleurs été jugé prioritaire par le Gouvernement ainsi que ce dernier l'a affirmé dans une communication en conseil des ministres le 15 septembre 2004.

L'année 2005 qui se présente comme une année de transition préfigurant l'entrée en vigueur de la LOLF inquiète légitimement de nombreux acteurs de l'institution judiciaire. Mais même si des difficultés inhérentes à toute innovation apparaissent, les mentalités ont d'ores et déjà évolué dans le sens d'une plus grande responsabilisation et d'une culture de résultats, démontrant ainsi la capacité du ministère de la justice à s'adapter rapidement à un cadre nouveau.

IV. L'AIDE JURIDICTIONNELLE : UN POSTE BUDGÉTAIRE EN PROGRESSION SOUS L'IMPULSION DES RÉFORMES RÉCENTES

L'aide juridictionnelle occupe une place particulièrement importante au sein du système judiciaire à un double titre. Elle est un élément de cohésion sociale en facilitant l'accès à la justice des plus démunis. Elle compte également parmi les principales sources de revenu des avocats, voire pour certains comme l'unique source de rémunération. Le ministère de la justice a souhaité conforter ce dispositif mis en place en 1991 40 ( * ) afin de répondre aux attentes très fortes des justiciables et des avocats.

A. UNE DOTATION EN HAUSSE CONSTANTE

La dotation budgétaire affectée à l'aide juridictionnelle croît régulièrement chaque année. Une accélération du rythme de progression de ces dépenses est toutefois perceptible depuis 2002. Entre 1998 et 2004, les crédits alloués à ce dispositif se sont accrus de 43 %, passant de 189,1 millions d'euros à 291,2 millions d'euros. En 2003, ils ont progressé de 23,5 %.

Le projet de loi de finances pour 2005 poursuit ce mouvement en prévoyant une enveloppe d'un montant près de 300 millions d'euros .

Source : ministère de la justice

Des mesures nouvelles d'un montant global de 8,5 millions d'euros sont prévues pour :

- financer l'exclusion des ressources pour l'admission à l'aide juridictionnelle de l'aide personnalisée au logement et de l'allocation de logement social à hauteur de 1,15 million d'euros 41 ( * ) ;

- couvrir l'incidence de l'ouverture de la procédure de rétablissement personnel estimée à 5,6 millions d'euros 42 ( * ) ;

- financer l'incidence de la réforme de la procédure d'asile issue de la loi n° 2003-1176 du 10 décembre 2003 relative au droit d'asile évaluée à 1,12 millions d'euros correspondant à une hausse attendue de 6.000 admissions ;

- provisionner le coût estimé à 70.000 euros engendré par la transposition de la directive 2003/8/CE du Conseil tendant à améliorer l'accès à la justice dans les affaires transfrontalières par l'établissement de règles minimales communes à l'aide judiciaire accordée dans des affaires civiles et commerciales transfrontalières. Ce dispositif devrait entraîner des dépenses nouvelles comme la prise en charge des frais d'interprétariat et de traduction des documents exigés par la juridiction ou encore les frais de déplacement 43 ( * ) ;

- couvrir le coût de mesures concernant les collectivités ultramarines en particulier l'extension à Mayotte, à la Polynésie Française et à Wallis et Futuna de la revalorisation de la rétribution des avocats prévue par le décret du 5 septembre 2003 (13.000 euros) et l'extension du champ de l'aide juridictionnelle en matière civile et administrative en Polynésie Française et à Wallis et Futuna (420.000 euros) 44 ( * ) ;

- financer la troisième tranche de l'extension à l'assistance des victimes, notamment dans le cadre des procédures de comparution immédiate du champ des protocoles d'amélioration de la défense conclu entre les barreaux et les juridictions (40.000 euros).

B. LES CAUSES DE CETTE ÉVOLUTION

En 2003, la hausse des admissions à l'aide juridictionnelle connaît une nette amplification enregistrant un doublement par rapport à l'année dernière (9,5 % contre 4,7 % en 2002). Cette évolution rompt avec la tendance à une légère décroissance observée entre 1998 et 2001. L'aide totale, majoritaire 45 ( * ) , enregistre la plus forte hausse (10,4 %). La progression des admissions en matière civile (8,5 %) équivaut à celle enregistrée dans le domaine pénal (10,3 %).

Deux causes expliquent cette situation : l'élargissement du champ d'application de l'aide juridictionnelle à de nouveaux bénéficiaires et la revalorisation récente de la rétribution allouée aux avocats.

1. L'élargissement du champ d'application de l'aide juridictionnelle

L'entrée en vigueur des réformes précédemment mentionnées a étendu à de nouveaux domaines le champ d'application de l'aide juridictionnelle, accroissant le nombre de justiciables éligibles à ce dispositif.

Aux effets « inflationnistes » induits mécaniquement par les récentes innovations législatives se sont ajoutés deux autres éléments :

- l'augmentation automatique du nombre de bénéficiaires résultant de la revalorisation annuelle des plafonds de ressources indexée sur l'évolution de la première tranche du barème de l'impôt sur le revenu 46 ( * ) ;

- les aménagements procéduraux destinés à simplifier la procédure telles la modulation des correctifs familiaux pour les deux premières personnes à charge du demandeur instituée en avril 2003 et la clarification des règles relatives aux ressources afin de réduire les disparités de traitement des demandes par les bureaux d'aide juridictionnelle 47 ( * ) .

Les représentants de la profession d'avocat entendus par votre rapporteur pour avis se sont interrogés sur les limites de cet élargissement de l'aide juridictionnelle, soulignant que certaines réformes telle l'admission à ce dispositif des victimes des atteintes les plus graves à la personne ou leurs ayant droits sans condition de ressources s'éloignait de la philosophie initiale de la loi de 1991 tout en pesant lourdement sur le budget du ministère de la justice.

2. La récente revalorisation de la rétribution allouée aux avocats

L'augmentation du barème de la rétribution de l'avocat exerçant des missions au titre de l'aide juridictionnelle est intervenue dans le cadre du quatrième axe de la loi du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice relatif à l'amélioration de l'accès des citoyens au droit et à la justice.

Une première revalorisation du barème d'un montant global de 56 millions d'euros est intervenue sur la base du protocole du 18 décembre 2000 conclu entre le ministère de la justice et les avocats, financée en deux temps (en janvier 2001 et en janvier 2002).

Sensible au souhait des principaux représentants de la profession d'avocat, le Gouvernement a proposé une nouvelle augmentation des barèmes concernant 15 procédures 48 ( * ) . Cette mesure d'un coût de 11,3 millions d'euros a été financée en loi de finances initiale pour 2004, à laquelle s'est ajoutée le relèvement de 2 % du montant de l'unité de valeur (mesure inscrite pour un montant de 4,5 millions d'euros).

L'impact de ces réformes est loin d'être négligeable comme en attestent les règlements effectués par les caisses des règlements pécuniaires des avocats (CARPA) aux avocats au titre de missions achevées en forte hausse (+ 28 % entre 2001 et 2003) 49 ( * ) .

Compte tenu de l'effort de maîtrise des dépenses publiques et en dépit de l'engagement pris l'année dernière de« revaloriser régulièrement l'unité de valeur au cours des prochaines exercices budgétaires », le Gouvernement n'a pas souhaité relever le montant de l'unité de valeur en 2005 au grand regret des représentants de la profession d'avocat entendus par votre rapporteur pour avis.

Considérant que l'assurance de protection juridique pouvait constituer une alternative intéressante à l'aide juridictionnelle, susceptible de permettre aux classes moyennes d'être couvertes lorsqu'elles engagent une instance, ces derniers ont vivement souhaité que le ministère de la justice prenne des mesures, si nécessaire législatives, pour inciter les compagnies d'assurance à rémunérer décemment les avocats et pour prévenir les déchéances abusives de garantie. En outre, ils ont invité celui-ci à engager une réflexion sur la mise en oeuvre de l'honoraire de résultats lorsque la procédure procure des ressources nouvelles au bénéficiaire de l'aide juridictionnelle. Cette piste de réforme est à l'étude, une commission ayant été constituée au sein du Conseil national de l'aide juridique.

*

* *

Au bénéfice de l'ensemble de ces observations, votre commission a donné un avis favorable à l'adoption des crédits du ministère de la justice consacrés aux services généraux inscrits dans le projet de loi de finances pour 2005.

ANNEXE
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LISTE DES AUDITIONS DE M. YVES DÉTRAIGNE,
RAPPORTEUR POUR AVIS

Syndicats de fonctionnaires des services judiciaires

Union syndicale autonome justice
Syndicat national CGT des chancellerie et services judiciaires
Fédération CFDT-interco, branche justice
Syndicat des greffiers de France

? Organisations professionnelles représentant les magistrats judiciaires

Union syndicale de la magistrature
Syndicat de la magistrature

? Organisations professionnelles représentant les magistrats administratifs

Union syndicale des magistrats administratifs
Syndicat de la juridiction administrative

? Organisations professionnelles représentant les avocats

Conseil national des barreaux
Barreau de Paris
Conférence des Bâtonniers

? Cour d'appel de Douai

M. Jean-Claude Chilou, premier président
M. Jean-Jacques Zirnhelt, procureur général

? Cour d'appel de Lyon

M. Michel Cramet, coordonnateur du service administratif régional

? Cour d'appel de Reims

M. Bernard Daeschler, premier président
M. Yves Charpenel, procureur général

? Tribunal de grande instance de Reims

M. Paul-André Breton, président

? Représentants du ministère de la justice

* 1 Cette progression est calculée à périmètre constant. Elle s'établit à 3,4 % si on tient compte du changement de périmètre prévu pour 2005 du fait du transfert vers le budget des charges communes des dépenses relatives aux prestations familiales. Cette opération porte sur un montant de 31,46 millions d'euros.

* 2 L'administration centrale et les services judiciaires du ministère de la justice ainsi que les juridictions administratives.

* 3 Ainsi portés à 72.460.

* 4 Au total, 7.188 emplois (nets) sont supprimés par le projet de budget pour 2005.

* 5 Pour plus de précisions sur les compétences et le statut des juges de proximité, voir rapport n° 66 (Sénat, 2004-2005) de M. Pierre Fauchon au nom de la commission des Lois.

* 6 Voir infra II - A.

* 7 Au sein d'un programme, les dépenses de personnel pourront être utilisées pour financer des dépenses de fonctionnement et d'investissement, mais en aucun cas les charges de personnel ne pourront être aggravées (Voir infra - III - A).

* 8 Voir II - B.

* 9 Rapport sur la fonction publique, publié en avril 2001 - p. 346 et suivantes.

* 10 Dont 255 proviennent de l'administration pénitentiaire, 140 de la direction des services judiciaires et 97 de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse.

* 11 Rapport sur l'exécution des lois de finances pour 2003 en vue du règlement du budget de l'exercice 2003 - juin 2004 - p. 116.

* 12 Avis n° 374 (Sénat, 2001-2002) de M. Hubert Haenel au nom de la commission des Finances - p. 22.

* 13 Ces deux derniers chantiers étant désormais achevés.

* 14 Parmi lesquels la reconversion des locaux des tribunaux pour enfants, la rénovation des salles d'assises d'Aix-en-Provence, Châteauroux, Nevers et Quimper, la rénovation des façades des palais de justice du Puy-en-Velay et de Thionville.

* 15 Décret n° 2003-1284 relatif au régime indemnitaire de certains magistrats de l'ordre judiciaire, décret n° 2003-1285 et décret n° 2003-1286 concernant respectivement les magistrats de la Cour de cassation et certains personnels de l'Ecole nationale de la magistrature.

* 16 Dont le taux en pourcentage du traitement indiciaire brut s'élève désormais à 39 % pour les chefs de cour d'appel, les membres de l'inspection générale des services judiciaires, 38 % pour les présidents de chambre et avocats généraux, les juges d'instruction et les membres du parquet, 37 % pour les conseillers et les substituts généraux de cour d'appel, les vice-présidents des tribunaux de grande instance et 35 % pour les magistrats du siège des tribunaux de grande instance.

* 17 Distribuée notamment aux magistrats délégués à l'équipement (82 euros), aux magistrats affectés à la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail (220 euros).

* 18 Fixée à 46 euros par astreinte de nuit dans un plafond de 534 euros par mois et par magistrats. Cette prime est versée aux magistrats du parquet des tribunaux de première instance.

* 19 Les taux des primes servies initialement à ces magistrats oscillaient entre 5 et 10 %, ce qui correspondait à des primes individuelles d'un montant variant de 92 à 450 euros. La décision des magistrats du tribunal de grande instance a eu pour effet de lisser cette prime, laquelle s'est finalement établie à 115 euros pour chacun d'entre eux.

* 20 Voir décret n° 2004-676 du 5 juillet 2004 et arrêté du même jour.

* 21 Un protocole d'accord a été signé entre le Gouvernement et les organisations syndicales CFDT, CGT, FO et USAJ à la suite de l'important mouvement de grèves engagé par les fonctionnaires des greffes pour obtenir des revalorisations indemnitaires.

* 22 Permettant de « repyramider » les postes de greffiers en chef dans trois cours d'appel (Toulouse, Nîmes et Grenoble) et sept tribunaux de grande instance.

* 23 Qui permet au parquet de proposer à l'auteur des infractions d'exécuter une ou plusieurs mesures telles que le versement d'une amende de composition, la réalisation, au profit de la collectivité, d'un travail non rémunéré, l'accomplissement d'un stage ou d'une formation dans un organisme sanitaire, social ou d'un stage de citoyenneté.

* 24 En 2003, 553 appels ont été formés à l'encontre des jugements de première instance (soit un taux d'appel de 22 %, en baisse par rapport à 2002 - 23,8 %).

* 25 Sondage effectué pour le compte du Figaro magazine par l'institut TNS-SOFRES - Figaro magazine du 6 novembre 2004.

* 26 Ce contentieux porte essentiellement sur le refus systématique opposé par les administrations aux demandes des fonctionnaires de sexe masculin tendant à obtenir des avantages en termes de retraites, identiques à ceux octroyés à leurs collègues de sexe féminin.

* 27 Ce délai était de deux ans et cinq mois.

* 28 Le nombre de magistrats affectés dans les tribunaux administratifs a été porté entre 1989 et 2003 de 400 à 661, les effectifs de magistrats affectés dans les cours administratives d'appel se sont accrus fortement passant de moins de 50 en 1989 à 198 en 2003, non compris les 7 conseillers d'Etat qui président les cours.

* 29 Voir décret n° 2003-543 du 24 juin 2003.

* 30 Celle-ci s'est vue confier le pilotage des moyens dans le cadre d'une dotation globale incluant les dépenses de personnel, les crédits de fonctionnement, les crédits d'équipement déconcentré et les frais de justice avec la possibilité de procéder à des arbitrages au sein de cette enveloppe.

* 31 « Quels métiers pour quelle justice ? » - Rapport de M. Christian Cointat n° 345 (Sénat, 2001-2002) au nom de la mission d'information sur l'évolution des métiers de la justice présidée par M. Jean-Jacques Hyest.

* 32 Rapport de la mission d'évaluation des services administratifs - septembre 2003 - p. 4.

* 33 Les SAR ont en effet été créés par la circulaire du 8 juillet 1996.

* 34 Les principales catégories de frais de justice distinguées par la nomenclature budgétaire sont les réquisitions aux opérateurs de télécommunication, les examens médicaux et expertise, les frais de fourrière, les frais d'huissier, les frais d'enquête, de contrôle judiciaire et de médiation, les frais postaux et les indemnités versées aux jurés.

* 35 Par exemple la revalorisation tarifaire de la consultation par un médecin généraliste engendre automatiquement un surcroît de dépense, de même que la majoration des tarifs d'affranchissement.

* 36 Les actions regroupent des crédits dont la finalité est identique.

* 37 Cf. avis budgétaires de nos collègues Philippe Goujon et Nicolas Alfonsi au nom de la commission des Lois.

* 38 Pour le détail des actions, se reporter à l'avant-projet annuel de performance.

* 39 Rapport d'audit sur les projets de programmes « Accès au droit et à la justice » - « soutien de la politique de la justice et organismes rattachés », établi conjointement par MM. Daniel Lejeune, inspecteur général des affaires sociales, et Jean-Marie Travers, inspecteur général de l'agriculture sous la coordination de M. Jean-Pierre Zanoto, inspecteur général des services judiciaires - p. 5.

* 40 Loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

* 41 Cette réforme représente un coût total de 4,5 millions d'euros dont une première partie a été financée en 2004 à hauteur de 2,8 millions d'euros. Le projet de loi de finances pour 2005 correspond donc à la deuxième tranche de financement de cette réforme.

* 42 Qui s'ajoute à une première enveloppe d'un montant de 3 millions d'euros allouée en loi de finances pour 2004.

* 43 Cette directive aurait dû être transposée avant le 30 novembre 2004...

* 44 En effet, l'article 14 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française donne une compétence exclusive à l'Etat en matière d'aide juridictionnelle. Il en résulte un transfert de la charge de l'aide juridictionnelle en matière civile et administrative du territoire à l'Etat.

* 45 Elle représente 87 affaires sur 100.

* 46 En application de l'article 4 de la loi du 10 juillet 1991.

* 47 L'exclusion de la prise en compte des ressources de l'aide personnalisée au logement et de l'aide juridictionnelle entre dans ce cadre.

* 48 Voir décret n° 2003-853 du 5 septembre 2003.

* 49 Qui sont passés de 149 millions d'euros en 2001 à 191 millions d'euros en 2003.

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