2. La lecture de la presse chez les jeunes : un soutien de l'Etat bienvenu

Dans ses précédents avis budgétaires, votre rapporteur avait attiré l'attention des gouvernements successifs sur la nécessité de favoriser la lecture de la presse chez les plus jeunes en facilitant « la prise en main » d'un formidable outil pédagogique encore trop souvent ignoré par les enseignants : le journal.

Cet appel semble enfin avoir reçu l'écho qu'il méritait auprès des autorités compétentes . Un an après le rapport Spitz consacré à ce sujet, le ministre de la culture et de la communication propose dans le cadre du projet de loi de finances pour 2006 de réserver une partie des crédits de l'aide à la modernisation de la presse quotidienne et assimilée d'information politique et générale au financement de projets destinés à développer la lecture de la presse quotidienne chez les jeunes

Votre rapporteur ne peut que se féliciter de cette initiative qui rompt avec l'attentisme des précédents gouvernements en ce domaine. Compte tenu de la désaffection croissante des 15-25 ans pour le « papier journal », il regrette toutefois que les crédits consacrés à cette opération ne représentent que 2,5 % des aides directes à la presse.

a) La presse chez les 15-24 ans : une tentative de diagnostic
(1) Une bonne image mais un lectorat limité

La presse écrite jouit d'une bonne image auprès des jeunes, qui la considèrent nécessaire pour comprendre en profondeur ce qui se passe (74 %), suivre l'actualité (71 %), développer son esprit critique (69 %) et se faire une opinion (64 %), selon les résultats d'une enquête conduite en février 2004 par BVA.

Toutefois, seuls 18 % des 15-24 ans lisent la presse en 2004, soit trois points de moins qu'en 1994. Cette baisse se fait au même rythme que pour les autres tranches d'âges, mais, compte tenu de l'évolution démographique, correspond en fait à une importante décroissance du nombre de lecteurs en dix ans : 1,4 million de 15-24 ans et autant de 25-34 ans.

(2) Presse magazine et presse gratuite : les catégories de presse préférées des 15-24 ans

La diminution des taux de lecteurs touche inégalement les différents types de presse payante. D'après Opinionway (juin 2004), 27 % des 15-25 ans lisent un quotidien régional et 19 % lisent un quotidien national.

En revanche, 88 % des jeunes lisent un magazine régulièrement, selon l'enquête annuelle de l'AEPM, (2003). 27 % lisent un hebdomadaire d'information, pour Opinionway. 15 à 20 % des lecteurs de presse magazine de plus de 15 ans ne lisent que des magazines de télévision (INSEE, 1997).

La presse gratuite est lue au moins une fois par semaine par environ un tiers des jeunes, et régulièrement par près des trois quarts des 15-25 ans, selon diverses enquêtes. Si sa qualité est jugée inférieure à celle des quotidiens payants par huit jeunes sur dix, 60 % des 15-25 ans l'estiment suffisante pour s'informer.

L'information des 15-25 ans passe essentiellement par la télévision ; le temps passé devant ce média est de 16 heures par semaine pour les 15-19 ans et 21 heures pour les 20-24 ans. Mais 26 % seulement des personnes interrogées par BVA estiment que le journal télévisé les informe suffisamment et 74% d'entre elles ont envie d'en savoir plus sur les sujets abordés.

Nouvelle source d'information, la presse sur Internet est consultée au moins une fois par semaine par 34 % des jeunes, selon Opinionway.

(3) Une fréquentation régulière des magasins de presse

Selon une enquête Ipsos d'octobre 2003, la presse serait très présente au domicile des jeunes : l'abonnement est répandu (35 % des 15-25 ans sont abonnés à la presse, 63 % des non abonnés ont déjà été abonnés) et 37 % des personnes interrogées lisent souvent des titres que d'autres achètent au foyer (49 % « de temps en temps »).

Mais les magasins de presse sont un lieu de passage particulièrement apprécié : un jeune sur deux va chaque semaine chez le marchand de journaux, pour acheter ou regarder (79 % : « plus de deux fois par mois »). 44 % des 15-25 ans achètent souvent des journaux eux-mêmes et autant « de temps en temps ». Si 1 % seulement des jeunes n'achète jamais la presse, 29 % dépensent de 3 à 6 euros par mois dans la presse, 26 % de 7 à 10 euros, 28 % de 11 à 14 euros, et 15 % consacrent au moins 15 euros à ces achats.

(4) Contenu, distribution et prix constituent les principaux obstacles à la lecture et à l'achat de la presse par les 15-24 ans

La diminution de lecture de la presse par les jeunes peut être analysée, d'après les informations fournies par différentes enquêtes, comme provenant de problèmes de contenu, de distribution, de prix et de mode de vie.

Selon l'étude Ipsos, la majorité des jeunes interrogés considère que la présentation des journaux ne donne pas envie de lire et que les sujets traités le sont sous un angle trop politique. Pour BVA, les 15-25 ans souhaitent avant tout des sujets qui les concernent directement (37 %), une plus grande clarté (37 %) et une présentation plus séduisante (33 %). Enfin, 62 % d'entre eux seraient incités à l'achat par une meilleure publicité sur les contenus à chaque parution de titre.

Le problème de distribution concerne la vente au numéro comme l'abonnement. Selon l'étude Ipsos précitée, 73 % des jeunes interrogés déclarent qu'ils seraient tentés d'acheter plus de presse s'ils la trouvaient dans les magasins qu'ils fréquentent ; 75 % aimeraient disposer de lieux où ils pourraient consulter et feuilleter plus facilement les magazines. 85 % seraient incités à s'abonner s'il était possible d'arrêter facilement l'abonnement.

La valeur faciale d'un quotidien oscille entre 0,7 et 1,2 euros, prix élevé pour une catégorie de la population généralement dénuée d'autonomie financière. Selon les résultats d'une enquête Ipsos réalisée en novembre 2003, 68 % des 15-25 ans indiquent qu'une baisse du prix les inciterait « beaucoup » (29 %) ou « assez » (39 %) à acheter plus de journaux ou de magazines. 85 % pourraient s'abonner si les prix étaient plus attractifs. Une étude Ipsos sur la presse gratuite montre que les 15-24 ans sont plus nombreux dans le lectorat des quotidiens gratuits que dans celui des quotidiens payants.

Il convient toutefois de noter que pour BVA, les aspects matériels ne sont pas l'obstacle majeur à la lecture. L'aspiration à la baisse des prix ne vient qu'en quatrième position (32 %), avec le souhait de textes plus simples (32 %) mais après les problèmes de présentation et de contenu.

b) Une situation peu flatteuse à l'échelle européenne en dépit des différentes actions existantes
(1) Une exception à l'échelle européenne ?

L'Association mondiale des journaux a étudié en 2001 la composition du lectorat de presse de douze pays européens par tranches d'âges (tranches de 10 ans, à partir de 15-24 ans).

D'après cette étude, les 15-24 ans représentent seulement 13,1 % des lecteurs de presse en France - taux le plus faible du panel de pays. La France se distingue par ailleurs par un nombre peu important de lecteurs de 25 à 34 ans et un taux élevé de lecteurs de plus de 65 ans (24 %).

En ce qui concerne la classe des 15-25 ans, le profil français est proche de celui de pays nord-européens (Suède, Royaume-Uni, Pays-Bas, Danemark), ou de certains pays du sud (Italie, Espagne) : les 15-24 ans représentent de 13 à 16 % des lecteurs de presse, taux inférieur à ceux des autres classes (les 25-34 ans, les 35-44 ans, et les 45-54 ans représentent chacun 16 à 22 % des lecteurs ; les 55 à 64 ans, et les plus de 65 ans comptent chacun pour 14 à 20 % - sauf l'Espagne : 11 % de 55-64 ans).

En revanche, en Belgique, en Allemagne, en Irlande ou au Portugal, la part des jeunes est à la fois importante (ils représentent de 20 % à plus de 24 % des lecteurs) et supérieure à celle des différentes autres classes d'âge (les 25-34 ans, les 35-44 ans, et les 45-54 ans représentent chacun 14 à 21 % des lecteurs ; les 55 à 64 ans, et les plus de 65 ans comptent chacun pour 9 à 16 % des lecteurs).

(2) La diversité des opérations existantes

Diverses études montrent que la lecture est liée à la catégorie socio-professionnelle des parents, à l'âge, au diplôme, mais plus encore aux habitudes prises pendant l'enfance. Aussi, des actions, souvent initiées ou soutenues par le Centre de liaison de l'enseignement et des moyens d'information (Clémi), structure émanant du ministère de l'éducation nationale, tentent de développer la lecture de la presse chez les jeunes.

• Formation et sensibilisation

Le travail en classe à partir de la presse est varié et particulièrement intense lors des semaines de la presse, qui sensibilisent chaque année, selon le Clémi, plus de quatre millions de collégiens et lycéens.

Lors de la dernière semaine de la presse et des médias dans l'école qui s'est déroulée du 14 au 19 mars 2005, 4 325 302 élèves de la maternelle à l'université et 391 759 enseignants issus de 13 955 établissements scolaires y ont participé (soit plus de 7 % par rapport à 2004) et ont eu l'opportunité de travailler avec les professionnels de 1 126 médias. L'Agence France-Presse a proposé, à titre exceptionnel, du 1 er au 31 mars, aux établissements inscrits à la 16 e semaine de la presse et des médias dans l'école, l'accès en temps réel à ses dépêches rédigées en français et en anglais ainsi qu'à ses infographies et photos d'actualité.

La presse consacre des pages spéciales dédiées au public jeune et rédigées par les journalistes ou par le public scolarisé. L'opération « Journaliste d'un jour », dans le Nord-Pas-de-Calais, associe le travail en classe avec des journalistes et des opérations de publicité sur différents médias (journaux, Internet, radio, télévision).

• Diffusion

En août 2003, le ministre délégué à l'enseignement scolaire a signé avec les représentants de la presse parisienne et régionale 16 ( * ) un accord visant à l'accès libre, pour 500 établissements, aux contenus de la presse via un site Internet.

Par ailleurs, les Nouvelles messageries de la presse parisienne ont organisé en 2004 l'opération « s'instruire au quotidien » (diffusion dans 2 000 magasins de presse situés à proximité de collèges, lycées et facultés de fiches signalétiques de quotidiens nationaux).

Conçue par l'Association Presse-Enseignement et ratifiée par l'ensemble des syndicats de presse quotidienne en 2001 par la signature de la Charte pour la Jeunesse des éditeurs de presse, « L'École aux Quotidiens » permet depuis 2002 d'abonner gratuitement toute l'année des lycées et collèges volontaires à l'ensemble des quotidiens nationaux, régionaux et/ou départementaux et un quotidien international, et ce dans le respect du pluralisme. Ainsi 80 000 lycéens aquitains ont pu bénéficier de « L'École aux quotidiens : les kiosques d'Aquitaine » à partir du 8 novembre 2004. Une étude menée par Ipsos Media a permis de vérifier le succès de la formule auprès des élèves et de la communauté éducative. Cette opération fera l'objet cette année d'une extension sur l'ensemble du territoire dans le cadre d'une opération partenariale avec les conseils régionaux, financée dans le cadre du fonds d'aide à la modernisation de la presse.

c) Le nécessaire engagement de l'Etat dans la reconquête du lectorat « jeune »

Votre rapporteur a déjà souligné à de multiples reprises l'enjeu démocratique et éducatif majeur que représente le développement de la lecture de la presse chez les jeunes.

D'une part, le contact précoce avec la presse écrite, d'information politique et générale en particulier, contribue à former la conscience politique et culturelle des futurs adultes, et détermine ainsi pour l'avenir leur comportement civique et leur engagement citoyen dans le débat public.

D'autre part, le développement du lectorat des jeunes constitue un enjeu crucial pour l'avenir de la presse française : celle-ci doit en effet conquérir aujourd'hui les jeunes lecteurs pour s'assurer de son lectorat de demain.

S'il est clair qu'il revient au premier chef aux entreprises de presse elles-mêmes de répondre au défi qui leur est lancé, l'État semble avoir compris qu'il pouvait les y aider. Le gouvernement propose ainsi de débloquer à cet effet une enveloppe de 4 millions d'euros au titre du fonds d'aide à la modernisation de la presse quotidienne et assimilée d'information politique et générale.

Une première série de projets innovants a été mise en route dans ce cadre, avec notamment une opération de promotion de la presse quotidienne dans les lycées, organisée et cofinancée par la presse, l'État et les régions, qui devrait concerner 1 000 établissements à moyen terme ; un projet d'abonnement à tarif préférentiel ciblé sur les zones d'éducation prioritaires (ZEP) et adapté aux plus jeunes lecteurs (élèves du primaire ou du collège) et un projet porté par un quotidien d'outre-mer visant à créer un supplément destiné aux jeunes de 10 à 15 ans.

Votre rapporteur estime qu'il est essentiel que ces premières expériences puissent être menées à leur terme et évaluées avec soin, pour éventuellement être généralisées par la suite, et que d'autres actions du même type soient encouragées.

* 16 Signataires : M. Xavier Ellie, président du Syndicat de la presse parisienne et président de la Fédération nationale de la presse française ; M. Jean-Louis Prévost, président du Syndicat de la presse quotidienne régionale et vice-président de l'Association régions presse enseignement jeunesse (Arpej). Participants au projet : les grands quotidiens d'information politique et générale nationaux, et une douzaine de quotidiens régionaux.

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