B. UNE POLITIQUE À POURSUIVRE
1. Une consommation encore élevée de substances psychoactives
Les derniers chiffres diffusés par l'OEDT 6 ( * ) confirment que la consommation de substances psychoactives constitue, en France, un phénomène massif et multifactoriel, dont les dommages sanitaires et sociaux sont considérables. Ce constat ne doit toutefois pas masquer les évolutions en matière de consommation, auxquelles il convient d'adapter sans cesse la politique de lutte contre la toxicomanie.
a) La consommation de drogues en France
Quatre niveaux sont généralement retenus par les organismes d'études nationaux et internationaux pour qualifier l'ampleur des consommations, établis :
- l'expérimentation, qui correspond au fait d'avoir utilisé au moins une fois le produit au cours de sa vie ;
- l'usage occasionnel au moins une fois dans l'année ;
- l'usage régulier, soit une consommation intervenant au moins dix fois dans les trente derniers jours ;
- l'usage quotidien.
Plusieurs organismes étudient le niveau et les habitudes de consommation de drogues de la population française. Pour la population adulte, il s'agit essentiellement du Baromètre Santé de l'Inpes et de l'enquête sur les représentations, opinions et perceptions relatives aux psychotropes (Eropp) réalisée tous les trois ans par l'OFDT. Les données connues pour les mineurs proviennent de l' European school survey project on alcohol and other drugs (Espad), réalisée tous les quatre ans par l'Inserm et l'OFDT, et de l'enquête annuelle sur la santé et les comportements lors de la journée d'appel et de préparation à la défense (Escapad).
Il ressort de ces études plusieurs constatations :
• la consommation de « drogues
licites » (
tabac et alcool
) est en
phase
décroissante
. Le phénomène est plus récent
pour le tabac, pour lequel on peut fixer à 2003 le début du
mouvement de baisse de consommation avec la montée en charge des mesures
- notamment tarifaires - mises en oeuvre par Jean-François
Mattei.
Concernant l'alcool, dont la consommation a considérablement baissé, toutes catégories de la population confondues, votre commission s'inquiète toutefois d'un phénomène inquiétant : l' alcoolisation répétée et précoce des jeunes en fin de semaine , même si la France est encore loin de connaître la situation observée dans les pays anglo-saxons.
•
Le cannabis est la substance illicite la
plus consommée en France et sa consommation a augmenté de
façon significative au cours des dix dernières
années
. En 2005, un tiers des 15-64 ans l'avaient
déjà expérimenté et un sur dix en faisaient un
usage occasionnel ou régulier.
La consommation de cannabis concerne globalement tous les milieux sociaux et professionnels, même si certaines nuances peuvent être relevées : son usage est ainsi plus fréquent chez les élèves du secondaire, les étudiants et les chômeurs et, parmi les actifs, les professions intermédiaires.
•
Les expérimentations
déclarées de drogues illicites autres que le cannabis restent
marginales
: si on dénombre plus de douze millions
d'expérimentateurs de cannabis, ce chiffre tombe à
1,1 million de personnes pour la cocaïne, 900 000 pour l'ecstasy
et seulement 360 000 s'agissant de l'héroïne.
Cependant, la légère augmentation des niveaux d'expérimentation chez les 18-44 ans de la cocaïne, des champignons hallucinogènes et de l'ecstasy depuis 2002 témoignent d'une diffusion croissante de ces produits.
L'évolution majeure en termes de consommation concerne la cocaïne (+ 17 %), en raison de la diminution de son prix (divisé par trois du fait de la pression des narcotrafiquants sur le marché européen) et d'un effet de mode dans l'environnement festif et professionnel. Elle touche surtout les trentenaires et les milieux socio-économiques favorisés. Au total, l'expérimentation concerne aujourd'hui 2,6 % des moins de vingt-cinq ans, contre 1,9 % au début des années 2000.
La consommation de cocaïne pose essentiellement, outre la question de la répression du trafic, un problème de prise en charge sanitaire. Celle-ci est, en effet, quasi inexistante en France où aucun protocole de soins visant à stabiliser l'humeur n'a été mis en place, à la différence des Pays-Bas et de l'Allemagne, par exemple. Les études sur l'usage de ce produit sont, en outre, trop limitées : les consommateurs étant identifiés dans des milieux privilégiés, le sujet a, de fait, longtemps été tabou.
L'usage du crack , s'il reste encore marginal (environ deux mille personnes en métropole) et circonscrit aux arrondissements du nord-est de Paris, à la Seine-Saint-Denis et aux Antilles, poursuit son augmentation. Cette évolution est particulièrement inquiétante du fait de la dangerosité du produit et de la violence des comportements qui en accompagne souvent la consommation.
Seule la consommation d' héroïne et des opiacés en général - produits à 87 % en Afghanistan - a diminué ces dernières années, grâce aux moyens mis en oeuvre pour développer les traitements de substitution. La consommation addictive, qui s'accompagne en général d'une grande exclusion sociale, ne touche que 150 000 à 180 000 personnes, même si les derniers chiffres font état d'une légère augmentation.
Le principal enjeu en la matière concerne désormais la lutte contre le trafic de Subutex , aujourd'hui prescrit à 85 000 patients. A la différence de la méthadone, qui concerne 15 000 personnes et doit être prise en présence d'un professionnel de santé, le Subutex peut être délivré par les pharmacies. Si ce régime libéral a, sans conteste, contribué au succès de la politique de réduction des risques depuis une vingtaine d'années (division par cinq du nombre de décès par overdose et quasi-disparition des contaminations au VIH par voie intraveineuse), il a aussi engendré un trafic d'un genre nouveau. Ainsi, on estime à 20 % la proportion des pilules qui sont injectées ou sniffées sous forme de poudre par les patients et à 4 % celles qui sont revendues dans la rue au prix moyen de 15 euros par comprimé.
Vote commission souhaite enfin attirer l'attention sur le problème de la consommation de drogues en milieu professionnel . Bien que la connaissance épidémiologique des toxicomanies dans ce cadre soit freinée par des obstacles d'ordres divers (éthique, technique, financier, temporel, réglementaire, culturel, pratique, etc.), quelques éléments d'appréciation sont disponibles. Ainsi, une étude portant sur les urines anonymisées de deux mille salariés du Nord-Pas-de-Calais a démontré que près de 20 % d'entre eux consommaient au moins une substance psychoactive et jusqu'à 40 % des salariés aux postes de sécurité/sûreté. Ce problème touche également les cadres, qui sont de plus en plus nombreux à consulter pour des addictions à des produits psychoactifs. Il serait souhaitable que les autorités sanitaires et, tout particulièrement la médecine du travail, améliorent la prévention, le dépistage et la prise en charge de la toxicomanie en milieu professionnel.
b) Des conséquences dramatiques
L'usage de drogues peut avoir des conséquences sanitaires diverses, qui justifie la mobilisation constante du ministère de la santé sur cette question :
- le décès du toxicomane d'abord, par surdose du produit le plus souvent. Le nombre de décès constatés par les forces de l'ordre est en décroissance continue - 90 % depuis 1995 - avec cinquante-sept cas enregistrés en 2005. La réduction du nombre de surdoses en France résulte de la conjonction de plusieurs facteurs : l'introduction des traitements de substitution, l'existence de structures et dispositifs de réduction des risques, la modification des produits consommés et de leurs modalités de consommation parmi les usagers. La majorité des décès par surdose est liée à l'héroïne, même si les produits de substitution occupent une place de plus en plus importante depuis 2000 (jusqu'à près du tiers en 2004) et qu'une forte croissance de cas dus à la cocaïne est observée (un cinquième des décès).
Selon l'InVS, les décès liés au SIDA chez les usagers de drogues par voie intraveineuse sont en baisse depuis 1994. Leur part dans l'ensemble des décès dus aux VIH s'est stabilisée, depuis 1998, à environ 25 % ;
- l'apparition de maladies infectieuses , notamment le VIH et les hépatites B et C. Ainsi, la prévalence du VIH parmi les patients ayant déjà utilisé l'injection et pour lesquels la sérologie est connue s'élève à près de 9 % et celle de l'hépatite C à 52 %. Toutefois, le nombre de nouveaux cas de sida liés aux drogues injectables est en baisse continue depuis 1994 (1 377 en 1994 contre 98 en 2005) ;
- la possibilité de comorbidités psychiatriques (schizophrénie liée au cannabis par exemple), même si les quelques travaux existants en France ne permettent pas de tirer des conclusions certaines sur les prévalences de diverses pathologies psychiatriques chez les usagers de drogues.
2. Une réponse internationale indispensable
Malgré les efforts de la Mildt et des ministères concernés pour prévenir la consommation de drogues, prendre en charge les toxicomanes et punir les trafiquants, la lutte contre la drogue et la toxicomanie ne peut être menée indépendamment d'une coopération internationale forte.
La troisième action du programme y est consacrée, conformément aux orientations du plan quinquennal 2004-2008, qui a prévu de renforcer l'action extérieure de la France au travers de quatre objectifs : le rapprochement des politiques des Etats membres de l'Union européenne, la participation active aux travaux des enceintes internationales (conseil exécutif de l'OMS et commission des stupéfiants de l'ONU notamment), l'intensification des contacts bilatéraux et le développement des actions d'assistance technique.
Cette politique respecte les orientations définies respectivement par l'Union européenne dans le cadre de sa stratégie antidrogue pour la période 2005-2012 et des quarante-six objectifs du plan d'action 2005-2008, ainsi que par les Nations Unies.
En 2008, 5,6 % des crédits du programme, soit 1,5 million d'euros , seront consacrés à la coopération internationale. Cette somme, constante par rapport à 2007, correspondent au montant des contributions volontaires de la France aux organismes européens et internationaux et au financement de projets d'assistance technique directe ou bilatérale, avec les ministères de l'intérieur et des affaires étrangères, en direction des pays qui n'ont pas encore adopté de dispositifs antidrogue ou qui sont confrontés à des problèmes spécifiques, en particulier dans les zones de trafic.
Différents projets sont menés dans ce cadre. En Europe, la France participe à des actions de coopération avec les nouveaux Etats membres, notamment la Roumanie, pour permettre à leurs administrations d'intégrer les bonnes pratiques en matière de prévention, de traitement et de répression. Elle aide également les Etats de la CEI dans la mise en oeuvre de programmes de réduction de l'offre et de la demande de drogue. Dans les zones de trafic, le GIP Cifad a organisé en 2007, pour des fonctionnaires français et étrangers, des formations aux techniques de fouille et des séminaires de sensibilisation au trafic de précurseurs chimiques. En 2007, la France a particulièrement contribué à la création du centre européen d'analyse et d'opération contre le narco-trafic maritime (MAOC-N) et a participé à une coopération avec la gendarmerie d'Azerbaïdjan et avec l'Iran.
L' objectif n° 4 du programme « drogue et toxicomanie » est associé à cette action. Il vise à améliorer la pertinence des échanges internationaux en la matière. L'indicateur de performance associé est la proportion de projets arrivés à échéance dans les zones prioritaires (CEI et Europe centrale, Afrique, Amérique latine, Caraïbes) et faisant l'objet d'une reprise par le pays bénéficiaire ou par une organisation internationale. Cette proportion devrait atteindre 50 % en 2008, contre 30 % en 2007.
Afin d'améliorer les résultats attendus des actions d'assistance technique internationales, un comité de pilotage définit en outre, pour trois ans, les zones prioritaires dans lesquelles ses actions sont nécessaires. Les protocoles techniques mis en oeuvre dans ce cadre font l'objet d'une évaluation au terme de cette période.
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Au vu des observations formulées dans le présent avis, votre commission a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Santé » pour l'année 2008.
* 6 Rapport Reitox-OEDT. France : new development, trends and in-depth information on selected issues. 2007.