B. UNE PRISE EN CHARGE SUR LE TERRITOIRE FRANÇAIS ENCORE INÉGALE

Les mineurs étrangers isolés se trouvant sur le territoire français ne peuvent pas faire l'objet d'une mesure éloignement. Ils relèvent des règles applicables à la protection de l'enfance. Toutefois, dès leur majorité, le droit commun de la législation sur les étrangers redevient applicable.

1. Un phénomène important, des profils très différents

En 2005, le rapport précité de l'IGAS révélait que 3.100 mineurs étrangers isolés avaient été pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance (ASE) en 2003. Pour les neuf premiers mois de 2004, ce nombre s'élevait à un peu plus de 2.300 mineurs. Ces estimations avaient été obtenues à partir des réponses de 60 départements, parmi lesquels les plus touchés par l'arrivée de MEI.

Il reste très difficile de connaître l'évolution exacte du phénomène. Il semble toutefois qu'il y ait eu une forte expansion entre 1999 et 2001 puis une relative stabilisation consécutive à l'action de la police aux frontières sur la plateforme de Roissy et à la modification de la législation.

Des départements sont plus concernés que d'autres par l'arrivée de ces jeunes. C'est notamment le cas des départements de la région Ile de France ainsi que des départements frontaliers tels le Pas de Calais ou la Moselle.

Soulignant l'incertitude des statistiques, l'Association des départements de France estime que 1'aide sociale à l'enfance des départements (ASE) prend en charge, chaque année, 2.500 mineurs étrangers, et 1.200 jeunes majeurs. Plusieurs départements comme la Moselle ont dû créer des structures spécifiques pour les prendre en charge.

Ces chiffres ne sont qu'un indicateur. Ils ne donnent pas le nombre de MEI en France, tous n'étant pas en contact avec l'ASE.

Votre rapporteur a entendu M. Philippe Coste, directeur départemental des affaires sanitaires et sociales de Paris (DASS Paris). Depuis juin 2003, a été conclue à l'initiative de Mme Dominique Versini 29 ( * ) , alors secrétaire d'Etat à la lutte contre la précarité et l'exclusion, une convention-cadre entre la DASS de Paris et des associations opératrices. Cette convention met en place un dispositif de repérage et de mise à l'abri des MEI à Paris, afin de les préparer à une prise en charge par les services de protection de l'enfance.

Les chiffres donnés dans le cadre de ce dispositif sont intéressants en raison de la situation particulière de Paris. Selon le rapport de l'IGAS précité, Paris représentait en 2003 et 2004 autour de 20 à 25 % de l'ensemble des MEI pris en charge en France. En outre, les profils y sont très divers et reflètent pour partie les évolutions des pays d'origine de ces mineurs.

Les chiffres fournis à votre rapporteur montrent la stabilité à un niveau assez élevé du nombre de MEI passant par ce dispositif.

Activité du dispositif parisien de repérage et de suivi des MEI

2004

2005

2006

Nouveaux contacts (MEI rencontrés par chacune des associations, bénéficiaires potentiels d'un suivi)

1.013

951

937

Nombre de MEI suivis (suivi au titre du repérage, accueil de jour, mise à l'abri)

794

609

604

Mme Dominique Versini, défenseur des enfants, évalue le nombre de MEI sur le territoire français à environ 5.000. Enfin, les MEI présentant une demande d'asile auprès de l'OFPRA ont fortement augmenté passant de 150 en 1999 à 1.222 en 2004. Cette évolution pourrait s'expliquer par la modification en 2003 des règles relatives à l'acquisition de la nationalité française par les mineurs placés à l'ASE, qui a poussé certains mineurs à déposer une demande d'asile pour se maintenir sur le territoire au-delà de leur majorité.

Le rapport de l'IGAS montre également la diffusion progressive du phénomène sur l'ensemble du territoire. En 2004, une vingtaine de départements accueillaient plus de 20 mineurs, dont une dizaine plus de 50 mineurs. 25 départements représentaient toutefois 90 % du total des MEI pris en charge par les conseils généraux au titre de l'ASE.

Au final, la présence de MEI est devenue une réalité significative sur l'ensemble du territoire national.

Cet enracinement du phénomène n'exclut pas que les profils de ces mineurs évoluent. 62 nationalités étaient représentées en 2003. Quelques nationalités dominent les flux : Roumanie, Chine, Maroc et Congo. Depuis deux ans, on observe une hausse très forte de mineurs afghans.

Les objectifs varient également. Certains, comme les chinois, arrivent en France en ayant connaissance des dispositifs d'accueil et cherchent à s'intégrer en suivant des formations. D'autres ne font que passer par la France, notamment pour gagner le Royaume-Uni. C'est le cas par exemple des pakistanais ou des afghans. Enfin, d'autres encore sont ancrés dans la délinquance et rejettent les dispositifs de protection. M. Philippe Coste et Mme Dominique Versini ont confirmé cette dichotomie entre des mineurs désireux de s'intégrer et des mineurs délinquants réticents à la protection.

M. Philippe Coste a indiqué que, parmi les mineurs en transit vers le Royaume-Uni (irakiens, afghans, pakistanais), neuf sur dix ne restaient pas plus de quinze jours dans les structures de mise à l'abri. M. Philippe Jeannin, président du tribunal de grande instance de Bobigny, a également indiqué que 30 % des MEI placés en foyer fuguaient.

C'est cette diversité de profils et la situation juridique particulière des MEI qui expliquent les difficultés pour élaborer des dispositifs de prise en charge efficaces.

2. Une prise en charge spécifique

Les spécificités des MEI -l'obstacle de la langue, l'ignorance de leur parcours et de leur situation familiale, la crainte de l'expulsion à leur majorité- appellent des réponses propres que les modes classiques de prise en charge des mineurs en danger n'apportent que partiellement. Elles ne doivent pas faire oublier également que le retour des MEI dans leur pays n'est pas impossible, même si les éloignements forcés relevant du droit des étrangers ne s'appliquent pas à eux.

Sans entrer dans le détail de la prise en charge de ces mineurs, ni dans celui de la procédure suivie, matière qui relève davantage de la compétence de la commission des affaires sociales, on peut distinguer plusieurs étapes :

- la phase de repérage et d'accueil ;

- la phase d'orientation et d'évaluation ;

- le choix d'une prise en charge à moyen terme.

De manière générale, les difficultés rencontrées par les départements dans l'exercice de leurs compétences sont :

- l'insuffisance des moyens de contrôle des services de l'ASE sur les jeunes qui leur sont présentés ;

- l'absence d'une procédure d'accueil uniforme sur l'ensemble du territoire ;

- le manque de coordination entre les services de l'Etat (juge des enfants, juge des libertés, services de police) et les services sociaux des départements.

Une partie des départements considère que les mineurs étrangers isolés devraient être pris en charge par l'Etat au titre de sa compétence en matière d'immigration.

Votre rapporteur s'est intéressé particulièrement aux deux principales structures créées spécialement pour les MEI : le centre d'accueil et d'orientation pour mineurs demandeurs d'asile (CAOMIDA) et le Lieu d'accueil et d'orientation (LAO) de Taverny.

Ces structures dédiées bénéficient par rapport aux dispositifs de droit commun de l'avantage de la spécialisation et de l'adaptation aux besoins des MEI. Elles viennent également soulager la charge qui pèse sur les conseils généraux, l'Etat les finançant entièrement.

Le Lieu d'accueil et d'orientation (LAO) de Taverny (Val d'Oise)

Créé en 2002 à la demande conjointe des ministres de la justice et de la famille, le LAO accueille tous les MEI sortant de la zone d'attente de Roissy 30 ( * ) ainsi que les mineurs déjà entrés sur le territoire français et qui se voient refuser l'embarquement sur un vol à Roissy 31 ( * ) . Il est géré par la Croix-rouge 32 ( * ) . Ces mineurs sont hébergés au LAO le temps de leur évaluation, puis de leur orientation vers une prise en charge à moyen terme.

Bien que dédié aux MEI, le LAO a une mission assez proche de celle d'une structure classique d'accueil et d'orientation. Son fonctionnement est en revanche différent.

En moyenne depuis sa création, le LAO accueille chaque année une centaine de mineurs, tous placés sur décision de justice. Une trentaine fugue assez rapidement, le plus souvent pour continuer leur voyage vers l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne, le Royaume-Uni, voire les Etats-Unis ; certains reviennent après quelques jours.

Les 60 ou 70 restants se répartissent de la façon suivante :

- entre 3 et 8 sont renvoyés dans leur pays d'origine, avec l'accord de la famille qui les y attend et avec l'accord du juge. C'est l'ANAEM qui s'occupe des modalités pratiques du retour ;

- la moitié est placée auprès d'un membre de la famille (oncle, tante...) résidant en France ou dans l'espace Schengen ;

- une petite moitié est placée d'office par décision du juge dans un établissement agréé. Les départements refusent la plupart du temps de les prendre en charge au titre de l'ASE en raison de la charge financière. Le juge prend donc une décision de placement dans un établissement agréé qui in fine est financé par le conseil général. Toutefois, afin d'éviter de faire peser sur quelques départements le coût du placement de ces MEI, la stratégie retenue consiste à placer ces jeunes dans des départements différents, de préférence en Province. Il est rare qu'un département prenne en charge plus d'un mineur par an.

L'âge moyen des mineurs est légèrement supérieur à quinze ans. Le plus souvent, ils sont originaires des pays d'Afrique centrale, d'Afghanistan, du Liban, de Palestine, d'Iran, plus rarement d'Albanie, de Moldavie ou de Russie. Les chinois qui étaient assez nombreux les premières années ne sont pratiquement plus représentés, du fait que la quasi-totalité des chinois faisant escale à Paris sont immédiatement contrôlés à leur descente d'avion et embarqués sur leur vol de continuation. Ils ne sont donc pas placés en zone d'attente.

Le LAO remplit plusieurs missions : internat, école, évaluation, orientation.

Les mineurs qui ont un membre de leur famille en France restent en moyenne de trois à cinq semaines au LAO avant d'être confié par le juge. Ce délai est mis à profit pour s'assurer de la réalité du lien familial et de la bonne volonté du membre de famille. Il arrive que des membres de réseau tentent de se faire passer pour la famille. Une véritable enquête sociale est réalisée par le personnel du LAO.

Les mineurs placés dans des établissements restent plus longtemps au LAO, jusqu'à six mois pour certains, afin de définir le projet d'orientation qui conviendra le mieux. Globalement, le bilan est très satisfaisant selon M. Jean-Claude Nicolle, directeur du LAO. La très grande majorité est en apprentissage ou en formation. Comme l'a souligné Mme Sylvie Guichard, responsable de l'action sociale à la Croix-rouge, ces MEI ne sont pas des enfants des rues ou des délinquants. Au contraire, ils sont très désireux de s'intégrer et comprennent qu'on leur offre une chance. Les conseils généraux qui sont initialement mécontents qu'on leur impose le placement d'un de ces mineurs seraient finalement très satisfaits d'accueillir des éléments aussi motivés.

A la majorité, bien qu'aucune statistique fiable ne soit disponible, il semble que la plupart de ceux arrivés après l'âge de seize ans parviennent à être régularisés à titre exceptionnel. Le fait que ces mineurs soient placés dans des départements de Province ne connaissant pas une immigration de masse faciliterait ces régularisations au cas par cas. Toutefois, certains entrent dans la clandestinité.

Par rapport aux structures de droit commun, une des grandes forces du LAO est de mieux mobiliser les bons interlocuteurs pour procéder à une enquête dans le pays d'origine. La dimension internationale est souvent le point faible des structures départementales.

Votre rapporteur tient à saluer le travail réalisé par ces équipes. Ce succès a permis que plus un seul mineur sortant de zone d'attente ou remis en liberté par le juge au tribunal ne se trouve à la rue livré aux passeurs et aux réseaux. M. Jean-Claude Nicolle a rappelé qu'avant le LAO, des passeurs venaient « faire leur marché » à la sortie du tribunal, emmenant notamment des jeunes filles pour les prostituer.

Le Centre d'accueil et d'orientation pour mineurs demandeurs d'asile (CAOMIDA)

Créé en 1999 et géré par l'association France Terre d'Asile, le CAOMIDA est installé à Boissy-Saint-Léger (Val-de-Marne). Ce CADA pour mineurs offre 33 places financées sur les crédits du programme « Immigration et asile ».

La plupart de ces mineurs proviennent de services d'aide sociale de la région parisienne qui sollicitent un appui du CAOMIDA pour la préparation de la demande d'asile. N'y sont admis que les mineurs dont le dossier de demande d'asile est recevable.

3. Quel avenir à la majorité ?

Les mineurs de plus de 16 ans et, dans une moindre mesure, les plus de 15 ans sont particulièrement difficiles à intégrer dans un parcours éducatif ou professionnel. Sauf exception comme le LAO où ces mineurs bénéficient d'une prise en charge très adaptée, le travail éducatif et d'insertion est obéré par la perspective de l'irrégularité du séjour au moment de l'accession à la majorité, et donc de la reconduite à la frontière ou de la clandestinité.

Parallèlement, les équipes éducatives sont parfois démotivées et sont réticentes à s'engager dans un travail approfondi qui a de forte chance d'échouer.

Cette situation résulte notamment de la loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité qui a modifié les règles d'acquisition de la nationalité française par les mineurs étrangers placés auprès de l'aide sociale à l'enfance.

Jusqu'à l'adoption de la loi du 26 novembre 2003, l'article 21-12 du code civil prévoyait un accès de droit à la nationalité française pour les mineurs confiés à l'ASE, sans condition de durée. Cette disposition était exploitée par des filières qui faisaient entrer en France des jeunes proches de la majorité, afin qu'ils obtiennent rapidement la nationalité française. Depuis la réforme, une durée minimale de prise en charge par l'ASE, fixée à trois ans, est prévue ; comme la grande majorité des mineurs isolés parviennent sur le territoire après l'âge de quinze ans, fort peu peuvent prétendre à la nationalité française à leur majorité.

Votre rapporteur ne remet pas en cause cette disposition qui a contribué à stabiliser le nombre de MEI arrivant chaque année en France. Toutefois, force est de reconnaître qu'elle complique le travail des éducateurs.

Pour pallier ces difficultés, plusieurs voies sont ouvertes aux mineurs proches de la majorité.

Deux dispositions récentes ont amélioré la situation des mineurs étrangers isolés pris en charge par l'ASE avant l'âge de seize ans :

- l'article 28 de la loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale prévoit que la situation de l'emploi ne peut plus être opposée à un étranger mineur qui demande une autorisation de travail pour bénéficier d'une formation professionnelle rémunérée (contrat d'apprentissage ou de professionnalisation), dès lors qu'il est pris en charge par l'ASE depuis l'âge de seize ans. En conséquence, une circulaire du ministre de l'intérieur en date du 2 mai 2005 donne aux étrangers mineurs ou jeunes majeurs pris en charge par l'ASE avant l'âge de seize ans droit à une carte de séjour temporaire portant la mention « salarié » ou « travailleur temporaire » selon la durée du contrat de travail souscrit ;

- la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration a accordé le bénéfice de la carte « vie privée et familiale » à leur majorité aux jeunes étrangers ayant été confiés depuis l'âge de seize ans au service de l'aide sociale à l'enfance (ASE) et remplissant plusieurs critères (caractère réel et sérieux de la formation suivie, absence de liens avec la famille restée dans le pays d'origine, avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française).

En revanche, aucune disposition législative n'est prévue en faveur des enfants pris en charge par l'ASE après seize ans, alors que de nombreux mineurs arrivent en France après cet âge.

Nombreux sont les éducateurs ayant évoqué l'immense déception de jeunes étant parvenus à obtenir une promesse d'embauche de la part d'un employeur et contraints d'y renoncer faute d'autorisation de travailler.

Pour ces jeunes, la première solution reste une régularisation en préfecture à titre exceptionnel La procédure d'admission exceptionnelle au séjour créée par la loi du 24 juillet 2006 trouve à s'appliquer en l'espèce. En outre, la loi du 20 novembre 2007 incite les préfets, dans le cadre de la procédure d'admission exceptionnelle au séjour, à considérer attentivement les demandes de régularisation émanant d'étrangers justifiant d'une promesse d'embauche dans un secteur en tension.

Une autre piste a été évoquée par M. Philippe Coste. Il pourrait être intéressant de développer des partenariats avec des entreprises françaises, notamment dans le BTP, intervenant dans les pays d'origine de ces mineurs ou jeunes majeurs. Ces entreprises soutiendraient la formation de ces jeunes en vue de leur embauche dans le pays d'origine. Le retour de ces jeunes à leur majorité serait ainsi contractualisé et s'inscrirait dans un projet de réinsertion.

*

* *

Sous le bénéfice de ces observations, votre commission des Lois a donné un avis favorable aux crédits inscrits au titre des missions « Sécurité » et « Immigration, asile et intégration » dans le projet de loi de finances pour 2008.

* 29 Que votre rapporteur a entendu au titre de ses nouvelles fonctions de défenseur des enfants.

* 30 A l'exception toutefois des MEI directement confiés à l'ASE, souvent les plus jeunes, et de ceux remis directement à leur parent à la sortie de la zone d'attente.

* 31 A destination des Etats-Unis ou du Royaume-Uni par exemple.

* 32 Le budget est de 1,8 million d'euros pour 26,5 équivalent temps plein travaillé.

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