C. UNE PROTECTION RENFORCÉE DU PATRIMOINE D'ARCHIVES

1. Les dispositions relatives aux archives privées

a) Le régime actuel de protection : la procédure de classement

Aux termes de l'article 9 de la loi du 3 janvier 1979, codifié à l'article L. 211-5 du code du patrimoine, les archives privées sont toutes celles qui ne sont considérées comme publiques.

Qu'elles émanent de familles, d'entreprises ou d'associations, elles peuvent représenter un élément majeur de notre patrimoine, dont il convient d'assurer des conditions particulières de protection.

C'est pourquoi la loi de 1979 a consacré la valeur historique et patrimoniale de ces documents, en instituant une procédure de classement comme archives historiques des archives privées « qui présentent pour des raisons historiques un intérêt public » .

Il ne s'agissait pas, cependant, d'une innovation : un décret-loi du 17 juin 1938 avait déjà ouvert la possibilité de classer des documents d'archives détenus par des particuliers, « dont la conservation présente, au point de vue de l'histoire nationale, un intérêt public » .

Le rapport au Président de la République par le Président du Conseil, Edouard Daladier, exposait clairement les motivations de ce texte, transposant un dispositif existant alors déjà outre-Manche : il s'agissait de munir les pouvoirs publics des moyens de prendre « les mesures conservatoires qui s'imposent » , face à des menaces concernant « des documents d'archives détenus par des particuliers et dont la destruction ou l'exportation priveraient la France de souvenirs nationaux précieux et essentiels pour la connaissance de son passé. (...) Le recours à ces mesures est d'autant plus justifié que la valeur pécuniaire des documents historiques qui s'évadent ainsi n'est nullement négligeable » . La vente, à Londres, des papiers du maréchal Berthier avait alors suscité une vive émotion.

Destiné à en assurer la sauvegarde, le classement des archives privées est directement inspiré de la procédure prévue par loi du 31 décembre 1913 relative aux monuments historiques, pour le classement des immeubles ou objets mobiliers « dont la conservation présente, au point de vue de l'histoire, de l'art, de la science ou de la technique, un intérêt public » (article L. 622-1 du code du patrimoine, sur le classement des objets mobiliers).

Les effets du classement sont sur bien des points similaires à ceux prévus par la législation sur les monuments historiques :

- le classement, décidé de gré à gré ou prononcé d'office, peut, dans ce dernier cas, donner lieu au versement d'une indemnité au propriétaire en compensation du préjudice subi ;

- les effets du classement sont attachés à ces archives, « en quelques mains qu'elles passent » ;

- les archives privées classées sont, comme les archives publiques, imprescriptibles ;

- elles sont considérées, en application des dispositions introduites par l'article 4 de la loi du 31 décembre 1992 16 ( * ) , comme « trésors nationaux », au même titre que les biens des collections publiques et des collections des musées de France, que les biens classés monuments historiques ou que les autres biens culturels présentant « un intérêt majeur pour le patrimoine national au point de vue de l'histoire, de l'art, ou de l'archéologie » (article L. 111-1 du code du patrimoine) ;

- de fait, elles ne peuvent être ni détruites ni exportées ; l'exportation ne peut être autorisée qu'à titre temporaire, à des fins de restauration, d'expertise, de dépôt dans une collection publique ou encore pour participer à une manifestation culturelle.

Cette procédure concerne un nombre réduit d'archives, puisque seuls 47 fonds d'archives ont été classés depuis 1940 , dont 15 l'ont été au cours des dix dernières années. Les fonds concernés sont très variés : aux fonds familiaux qui couvrent souvent plusieurs siècles, se sont ajoutés des fonds de personnalités, d'entreprises, d'organismes religieux, de partis politiques, etc. On peut ainsi citer les papiers de l'astronome Camille Flammarion, ceux des missions évangéliques protestantes de Paris, celles du Parti communiste français ou de la Bibliothèque marxiste de Paris...

Les demandes de classement sont examinées et instruites par la cellule des archives privées de la direction des archives de France, puis soumises au Conseil supérieur des archives, créé par arrêté du 21 janvier 1988.

b) Les adaptations proposées par le projet de loi

Sans revenir sur les principes posés par le législateur en 1979, le projet de loi tend à harmoniser, sur plusieurs points, le régime des archives privées classées sur celui des objets mobiliers classés :

- en alignant à douze mois le délai dans lequel doit être prise la décision de classement, à compter de la notification au propriétaire, par l'administration des archives, de l'ouverture de la procédure ( article 5 ) ;

- en renforçant les conditions d'information en cas d'aliénation ou de transmission des archives, afin de renforcer le contrôle exercé par l'administration des archives ( article 6 ) ;

- en étendant aux archives privées les dispositions de la loi du 10 juillet 2000 relatives à la vente de gré à gré des objets mobiliers : ainsi, pour les archives privées qui ne sont pas acquises lors d'une mise en vente publique, le projet prévoit au profit de l'Etat un système de préemption préalable à la vente de gré à gré ( articles 8 et 9 ).

Enfin, le projet de loi tend à préciser le régime de reproduction avant exportation ( article 7 ) : la reproduction d'archives privées non classées pourra ainsi être effectuée à la demande et pour le compte d'une collectivité territoriale, d'un établissement public ou d'une fondation reconnue d'utilité publique, et non plus seulement par l'Etat, pour son propre compte.

Au-delà de ces dispositions, votre rapporteur pour avis souhaite attirer l'attention de la ministre en charge de la culture sur le développement de ventes en ligne d'archives, privées mais aussi publiques . Ce phénomène requiert une forte vigilance de l'administration des archives, par des systèmes de veille, tel que celui qui a été mis en place en partenariat avec le site « E-Bay ». Il rendra également nécessaire une adaptation de la législation, afin de prévenir les risques de dépeçage de notre patrimoine. Cette question ne concerne pas seulement les archives, mais l'ensemble de nos biens culturels.

2. Le réajustement des sanctions pénales

Enfin, dans son article 12 , le projet de loi, propose de sanctionner plus lourdement ceux qui détruisent consciemment le patrimoine que représentent les archives, publiques comme privées.

Il propose d'actualiser le montant des amendes et le niveau de peines de prison s'appliquant aujourd'hui en cas de destruction illégale, de détournement ou de soustraction d'archives publiques, et de les compléter par la privation des droits civiques et l'interdiction d'exercer une fonction publique. Ainsi que le souligne l'exposé des motifs, il s'agit de « sanctions particulièrement dissuasives pour les fonctionnaires et les autorités publiques qui enfreindraient la loi » .

Par ailleurs, à cet arsenal pénal, de portée dissuasive car quasiment jamais appliqué dans les faits, le projet de loi ajoute une sanction administrative, visant à limiter l'accès aux salles de lecture aux personnes déjà condamnées pénalement pour destruction ou vol d'archives.

* 16 Loi n° 92-1477 du 31 décembre 1992 relative aux produits soumis à certaines restrictions de circulation et à la complémentarité entre les services de police, de gendarmerie et de douane.

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