VI. LE MALAISE DES CONSEILLERS D'INSERTION ET DE PROBATION

Les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) sont confrontés depuis plusieurs années à trois profondes mutations de leur activité :

- l'accroissement de leur charge de travail lié, d'une part, au développement des mesures d'aménagement de peine, et, d'autre part, à la mise en place par le législateur de nouveaux dispositifs de contrôle après l'exécution de la peine (suivi socio-judiciaire, surveillance judiciaire et plus récemment surveillance de sûreté et rétention de sûreté) ;

- le doublement des effectifs de la filière -y compris les personnels administratifs- passés de 1771 agents en 1998 à 3491 au 1 er janvier 2008 (ainsi les services ont dû intégrer 500 nouveaux agents en 2006 et 2007) ;

- enfin, une évolution de la nature même des missions dévolues à ces personnels. Ainsi, au début de l'année 2008, une circulaire a placé la prévention de la récidive au premier rang des finalités de l'action des SPIP. Ces derniers doivent désormais animer des programmes de prévention de la récidive sous la forme de groupes de parole caractérisés par une approche criminologique (et un travail axé sur le passage à l'acte) -38 expérimentations de ce dispositif devaient se dérouler en 2008 auprès de personnes suivies pour des infractions sexuelles ou des faits de violence (une quarantaine de programmes supplémentaires étant envisagés pour 2009 selon les informations communiquées à votre rapporteur par M. Claude d'Harcourt, directeur de l'administration pénitentiaire).

Ces transformations ont nourri inquiétudes et interrogations au sein du corps des conseillers d'insertion et de probation. Elles se sont traduites par un mouvement social prolongé (d'avril à juillet) et le rejet, au début du mois de mai, du projet d'évolution statutaire qui leur était proposé par la garde des sceaux 28 ( * ) .

Mme Charlotte Trabut, inspecteur des services judiciaires, a été chargée d'une mission d'expertise et de proposition afin de tenter de surmonter ces blocages. Dans un souci d'apaisement, il a été décidé qu'il n'y aurait pas de modulation de la nouvelle prime prévue pour les conseillers d'insertion et de probation (CIP), que la durée de la formation de ces personnels ferait l'objet d'un nouvel examen et que la fonction d'encadrement, quel que soit son niveau opérationnel, serait de la seule responsabilité du futur corps d'encadrement.

Enfin, les discussions conduites par la direction de l'administration pénitentiaire avec les partenaires syndicaux les 17 et 24 juin 2008 ont abouti à la signature d'un protocole de travail avec trois organisations syndicales (SNEPAP, CFDT, CGT) portant sur cinq thèmes : améliorer concrètement le fonctionnement des services ; conduire une réflexion sur les perspectives d'évolution du métier avec les conséquences indemnitaires et statutaires, adapter la formation professionnelle, repenser l'organisation et la gestion des services, accompagner la mise en oeuvre de la loi pénitentiaire.

Par ailleurs, Mme Isabelle Gorce, magistrat, conseiller référendaire à la Cour de cassation, a été chargée d'un audit destiné à identifier les principaux enjeux d'évolution.

Lors de son audition -avec Mme Charlotte Trabut- par votre rapporteur, elle a souligné les deux lignes directrices de ses conclusions. En premier lieu, les SPIP doivent devenir un service polyvalent, pluridisciplinaire avec des catégories professionnelles clairement identifiées et spécialisées chacune dans leur domaine. Ainsi, aux côtés des conseillers d'insertion et de probation, les SPIP doivent aussi comprendre des assistants sociaux, des animateurs culturels, des agents de l'ANPE... Mme Isabelle Gorce propose également que les surveillants pénitentiaires chargés du suivi du placement sous surveillance électronique soient également rattachés au SPIP. Compte tenu de la place que le placement sous surveillance électronique est appelé à prendre dans les années à venir -avec l'objectif de 12.000 mesures en stock- une telle mesure renforcerait, à ses yeux, le poids des SPIP au sein de l'administration pénitentiaire.

En second lieu, au sein des SPIP, la mission des conseillers d'insertion et de probation serait redéfinie. Elle revêtirait avant tout un caractère pénal, centré sur l'exécution de la peine et la prévention de la récidive (sous la forme d'une prise en charge collective des détenus tournée vers la prise de conscience des conditions du passage à l'acte). Cette réorientation du métier du CIP se fonde sur un double constat : la dimension sociale n'apparaît plus aussi déterminante dans l'activité des SPIP -malgré l'image qui leur reste associée,- les conseillers d'insertion et de probation étant en réalité à l'interface entre leur public et les services sociaux compétents ; la prise en charge criminologique des détenus -telle qu'elle est pratiquée au Canada par exemple- est quasiment absente aujourd'hui en France et constitue un vrai besoin auquel les CIP pourraient répondre.

La clarification des responsabilités ainsi confiées aux conseillers d'insertion et de probation impliquerait trois évolutions :

- d'abord, l'adaptation de leur formation initiale et un effort particulier de formation continue. Il est essentiel en effet que les CIP puissent disposer des outils nécessaires pour assumer leur rôle dans la prévention de la récidive. Tel n'était pas encore le cas lorsque la circulaire précitée de 2008 a chargé les CIP d'animer des groupes de parole et cette anticipation explique pour une part le désarroi d'une partie des personnels. Mme Isabelle Gorce a précisé à votre rapporteur que l'ENAP avait pris la mesure des adaptations à apporter à ses enseignements ;

- ensuite, l'adhésion du corps dont une partie, comme votre rapporteur a pu le constater à maintes reprises à l'occasion des tables rondes organisées lors des visites des établissements pénitentiaires, demeure attachée à leur identification comme « travailleurs sociaux » qui, à leurs yeux, légitime leur intervention auprès des détenus. La définition d'un cadre de référence commun à tous les CIP pourrait, avec le renouvellement et le rajeunissement d'une part importante du corps, favoriser cette évolution ;

- enfin, une revalorisation statutaire qui tendrait à aligner l'indice des CIP sur celui de lieutenant capitaine pour les surveillants.

*

L'année 2009 devrait être marquée par l'adoption, longtemps attendue, du projet de loi pénitentiaire. Votre commission a pris l'initiative d'examiner ce texte le 17 décembre prochain afin de permettre son inscription rapide à l'ordre du jour.

Or, l'évolution des crédits pour 2009 dont la progression significative résulte, pour l'essentiel, de la livraison des premiers établissements pénitentiaires issus du programme « 13.200 », n'anticipe guère les effets financiers de la loi pénitentiaire. Si ces conséquences sont difficiles à mesurer -l'étude d'impact accompagnant le texte ne donne d'ailleurs pas beaucoup d'éléments d'appréciation sur ce chapitre- elles n'en sont pas moins indéniables.

Votre rapporteur a souhaité dans cette perspective porter à la connaissance de la commission un projet d'amendement qu'il avait envisagé visant à abonder de 5 millions d'euros le programme « Administration pénitentiaire » (action n°2 « Accueil et accompagnement des personnes placées sous main de justice ») afin de permettre au Parlement de discuter du principe d'un revenu minimum carcéral lors de l'examen du projet de loi pénitentiaire sans que puisse lui être opposée l'irrecevabilité financière de l'article 40 de la Constitution.

Cette allocation contribuerait à améliorer la situation des plus démunis parmi les détenus. Sans doute de nombreuses associations interviennent-elles en prison et apportent-elles parfois une aide financière aux indigents ; ces concours, dont la pérennité n'est jamais assurée, sont en outre très variables d'un établissement à l'autre. Selon votre rapporteur, il n'est pas souhaitable que les pouvoirs publics se déchargent de leurs responsabilités sur des organismes privés. Il estime qu'à terme, conformément au droit commun, cette aide devrait être versée par les départements qui bénéficieraient à ce titre d'un transfert de ressources de l'Etat. Elle serait par ailleurs subordonnée à l'exercice d'une activité tournée vers la réinsertion.

Votre rapporteur a cependant estimé qu'il avait reçu des engagements politiques parlementaires et gouvernementaux pour que la discussion puisse avoir lieu sur l'institution d'une telle allocation dans le cadre du projet de loi pénitentiaire. Il a également considéré que le rejet éventuel de l'amendement envisagé au projet de loi de finances risquerait de compromettre toute possibilité de débat sur le sujet. Après avoir expliqué aux membres de la commission ses réflexions et les différents éléments qui l'avaient fait évoluer, il a retiré sa proposition d'amendement.

*

Au bénéfice de ces observations, votre commission a donné un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Administration pénitentiaire » de la mission « Justice »inscrits dans le projet de loi de finances pour 2009 .

* 28 Ce projet s'articulait autour de six orientations : le recours aux statuts-types de la fonction publique afin de favoriser les mobilités inter-filières ; la restructuration globale de la filière et la simplification autour d'une articulation en deux corps et un statut d'emploi ; la suppression des zones de chevauchement des compétences ; l'accès au grade supérieur par une meilleure reconnaissance des acquis professionnels ; la construction de la filière dans une logique de progression des parcours professionnels ; un régime indemnitaire harmonisé et modernisé.

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