3. ... qui suscite des interrogations

L'évolution proposée suscite, par son ampleur, une double interrogation et autorise quelques craintes, étant rappelé que les services de l'Etat ont suivi environ 81.000 mineurs dans le cadre de l'assistance éducative en 2007 : 66.000 dans le cadre de mesures d'investigation, 1.400 dans le cadre de mesures de placement et 13.600 en milieu ouvert.

L'objectif recherché pourra-t-il être atteint ?

En effet, il appartient pour le moment aux juridictions pour enfant de déterminer la mesure dont un jeune doit faire l'objet (investigation, milieu ouvert, placement), son fondement juridique (mineur en danger, mineur délinquant, protection jeune majeur) mais également le service chargé de l'exécuter (secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse, association, service de l'aide sociale à l'enfance).

Dès lors, tel ou tel juge peut tout à fait, d'un point de vue juridique, exiger le placement de tel mineur, qu'il juge en danger, dans telle ou telle structure d'hébergement du secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse.

Lors de son audition par votre rapporteur, Mme Catherine Sultan, présidente de l'association française des magistrats de la jeunesse et de la famille, a néanmoins constaté que les magistrats ne pouvaient ignorer, sur le terrain, les contraintes budgétaires des services de la protection judiciaire de la jeunesse : « les moyens alloués aux établissements de la PJJ sont calculés au prorata du nombre de mesures pénales ce qui laisse présager la diminution des effectifs (près de 500 postes au niveau national). Dorénavant, des mesures d'assistance éducative ordonnées par les juges des enfants dans le cadre légal existant ne sont plus comptabilisées ni exécutées par une administration dont la mission est pourtant de mettre en oeuvre ces décisions judiciaires . »

Le magistrat qui souhaiterait confier une mesure d'assistance éducative au secteur public de la PJJ prendrait donc un double risque : à court terme, que cette mesure ne soit pas exécutée dans des délais raisonnables ou ne soit pas exécutée du tout, alors que le mineur est en danger ; à moyen terme, que l'exécution de cette mesure entraîne une diminution des moyens alloués à la structure de la PJJ qui s'en est chargée et donc des capacités de prise en charge des mineurs en danger comme des mineurs délinquants. Telle est sans doute la raison pour laquelle la réduction des crédits alloués par les lois de finances successives à la prise en charge des jeunes majeurs s'est traduite par une diminution corrélative des dépenses d'hébergement de ces jeunes.

Les conseils généraux parviendront-ils à prendre le relais de l'Etat, alors qu'aucune compensation financière ne leur sera versée au titre de ce désengagement et qu'ils se trouvent eux aussi dans une situation budgétaire difficile ?

Lors de son audition par votre rapporteur, Mme Catherine Sultan, présidente de l'association française des magistrats de la jeunesse et de la famille, a déploré la remise en cause de la complémentarité de la protection de l'enfance et du traitement pénal de la délinquance des mineurs. « Cette double compétence , a-t-elle souligné, garantit la cohérence des réponses, la continuité des suivis, la complémentarité des savoir-faire, la compréhension des enjeux spécifiques de l'enfance en difficulté . Elle constitue un outil précieux de la prévention de la délinquance et de la récidive . » Elle a donné l'exemple suivant pour étayer ses propos : « un adolescent signalé en danger (fugues, rupture scolaire, prises de risques multiples) fait l'objet d'une mesure d'investigation et d'orientation éducative qui conclut à la poursuite d'un suivi éducatif : le même service ne peut plus poursuivre alors que l'efficacité de la mesure repose sur un lien de confiance long à construire . » Aussi Mme Catherine Sultan a-t-elle observé que les juges des enfants étaient déjà amenés à « déployer des stratégies qui dénaturent le sens de la mesure de justice pour ne pas remettre en cause un projet éducatif . »

M. Philippe-Pierre Cabourdin, directeur de la protection judiciaire de la jeunesse, a souligné quant à lui la nécessité d'éviter que des mineurs en danger ne côtoient des mineurs délinquants au sein d'une même structure. Il a estimé qu'il importait avant tout d'assurer la continuité de la prise en charge des jeunes grâce à une bonne articulation entre les services de l'Etat, les associations et les services de l'aide sociale à l'enfance. A cet égard, il a reconnu que des progrès restaient à accomplir pour assurer la transmission des dossiers entre les structures chargées successivement de la prise en charge d'un mineur, afin d'éviter par exemple de recommencer systématiquement un bilan de sa situation. Enfin, il a estimé que les charges supplémentaires induites pour les départements par le désengagement de l'Etat à l'égard des mineurs en danger (à titre d'exemple, il a chiffré ce coût à 1,2 million d'euros pour le département des Hauts-de-Seine) pourraient être compensées par une rationalisation des moyens des services de l'aide sociale à l'enfance. Il a indiqué que la direction de la protection judiciaire de la jeunesse proposerait à cet effet aux présidents de conseils généraux de réaliser des audits communs.

Dans une contribution écrite adressée à votre rapporteur, l'Assemblée des départements de Frances a relayé l'inquiétude des élus départementaux face à cette évolution, en rappelant que cette inquiétude avait déjà été exprimée lors de l'examen de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance. Elle a estimé que cette évolution présentait l'inconvénient de scinder de manière artificielle la prise en compte des mineurs en danger relevant des politiques du département et celle des mineurs délinquants placés sous la responsabilité de la protection judiciaire de la jeunesse, alors qu'il serait préférable d'organiser une continuité des prises en charge. Elle a souligné que la prise en charge des mesures civiles par les services de la protection judiciaire de la jeunesse permettait justement la poursuite dans un cadre civil et par une même équipe le suivi d'un jeune commencé dans le cadre pénal. Enfin, elle s'est inquiétée du transfert de charges induit par le projet de loi de finances pour les départements et de l'absence de précisions sur les modalités de sa compensation.

Votre commission estime que ces inquiétudes légitimes méritent d'être prises en compte et qu'il importe avant tout de veiller à ce que les jeunes en danger, comme les jeunes majeurs, puissent bénéficier d'un même niveau de protection sur l'ensemble du territoire national .

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Sous le bénéfice de ces observations, votre commission des lois a donné un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « protection judiciaire de la jeunesse » au sein de la mission « justice » du projet de loi de finances pour 2009.

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