B. LE TRAITEMENT DE LA NOUVELLE DETTE SOCIALE : NOTRE RESPONSABILITÉ COLLECTIVE DÈS 2010

1. La dette sociale : un doublement entre 2009 et 2013

a) Un changement d'échelle durable du niveau de la dette

En tout état de cause, même dans le scénario optimiste proposé par le Gouvernement, les projections pluriannuelles annexées au présent projet de loi de financement laissent entrevoir une accumulation de nouveaux déficits à l'horizon de 2013 de près de 142,8 milliards d'euros pour le régime général, et 18,3 milliards d'euros pour le FSV, soit un déficit cumulé total de 161,1 milliards d'euros.

A ces chiffres il convient d' ajouter la dette portée par la CADES et restant à amortir pour apprécier le montant de la dette sociale.

Evolution de la « dette sociale » à l'horizon 2013

( en milliards d'euros )

2009

2010

2011

2012

2013

Solde cumulé du régime général

-23,5

-54,1

-84,2

-113,6

-142,8

Solde cumulé du FSV

-3,0

-7,5

-11,5

-15,2

-18,3

Total

-26,5

-61,6

-95,7

-128,8

-161,1

Dette CADES (1)

-92

-87

-82

-77

-72

TOTAL

118,5

148,6

177,7

206

233,1

(1) Dette restant à amortir - Hypothèse d'amortissement : 5 milliards d'euros par an

Source : commission des finances, à partir des données de l'annexe B au projet de loi de financement pour 2010.

Au total, la dette sociale doublerait entre 2009 et 2013 en s'accroissant de 161,1 milliards d'euros. A titre de comparaison, cette somme représente environ deux fois le budget que la Nation consacre annuellement à l'enseignement et à la recherche 27 ( * ) .

b) Le coût du portage de la dette

Indépendamment de tout amortissement, il est désormais nécessaire de consacrer plus de 4 milliards d'euros de prélèvements sociaux et fiscaux au paiement des intérêts de la dette du régime général et du régime agricole.

En 2008, la somme des charges nettes d'intérêts et de l'amortissement de la dette sociale a dépassé 7 milliards d'euros. Ce montant a connu une forte progression au cours des derniers exercices : il a cru de 30,4 % en 2007, et de 7,5 % en 2008.

Les intérêts comptaient pour près de 60 % des sommes consacrées par la collectivité au portage et à l'amortissement de la dette sociale. En 2009, la diminution des coûts autorisée par la baisse des taux d'intérêt sera en partie compensée par un effet volume, lié au creusement prévisible des déficits du régime général et du FSV.

Evolution des amortissements et des charges d'intérêt sur la période 2006-2008

(en millions d'euros)

2006

2007

2008

Intérêts (charge nette)

ACOSS*

271

648

834

FFIPSA

86

186

283

CADES

2 661

3 101

3 093

Total

3 018

3 935

4 230

Amortissement de la dette CADES

2 815

2 578

2 885

Amortissements + intérêts

5 833

6 513

7 095

Source : Cour des comptes

* y compris la partie de trésorerie gérée pour des tiers

2. Un recours inévitable à la CADES

La question du traitement du déficit social accumulé en 2009 et 2010, évalué à plus de 55 milliards d'euros se pose dès cette année .

En effet, comme cela a été décrit ci-dessus, le retour à l'équilibre est durablement éloigné. L'ACOSS ne pouvant supporter un plafond d'avances plus élevé que celui prévu en 2010, une reprise de dette apparaît inéluctable.

Lors de la réunion de la commission des comptes de la sécurité sociale en octobre dernier, le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat a évoqué trois scénarii possibles de traitement de la dette sociale . Toutefois, aucun n'est pleinement satisfaisant.

Une reprise de la dette sociale par la CADES nécessite d'affecter des ressources supplémentaires à cette dernière ce qui signifie, dans le cadre juridique actuel, une augmentation des prélèvements obligatoires, option actuellement refusée par le Gouvernement.

Une reprise de la dette sociale par l'Etat est juridiquement possible mais elle revient sur le principe vertueux du cantonnement de la dette sociale.

Une reprise de « la dette de crise » dans un organisme spécifique de type « Caisse d'amortissement de la dette publique » contourne également le principe de cantonnement de la dette sociale et impliquerait de déterminer précisément ce qu'est la dette de crise.

Votre rapporteur estime qu'il n'y a pas lieu de remettre en cause le système actuel de cantonnement de la dette sociale au sein de la CADES, qui rembourse effectivement chaque année une partie de cette dette : depuis sa création, la CADES a amortit 42,6 milliards d'euros, soit 31,6 % de la dette transférée qui s'élève depuis le premier trimestre 2009 28 ( * ) à 134,6 milliards d'euros. Au demeurant, M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, a lui-même reconnu que « le plus cohérent serait que nous transférions la dette à la Cades » 29 ( * ) .

3. Un transfert de dette qui devrait être engagé dès 2010

Devant la commission des comptes de la sécurité sociale, le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat a confirmé la volonté du Gouvernement de ne procéder à aucune augmentation des prélèvements, ce qui de facto écarte toute hypothèse de reprise de dette supplémentaire par la CADES en 2010 30 ( * ) .

Si votre rapporteur pour avis reconnaît l'importance de maintenir une pression fiscale raisonnable afin d'optimiser la sortie de crise, il estime que le traitement de la nouvelle dette sociale doit être engagé dès 2010 . Cette position témoigne de deux fortes préoccupations :

- d'une part, il s'agit d'une démarche responsable vis-à-vis des générations futures , sur lesquelles le législateur de 2005, rappelons le, n'a pas souhaité reporter la charge de la dette sociale. En repoussant la décision de transférer la dette à la CADES, le législateur revient sur cet engagement car il sera difficile de ne pas augmenter la durée de vie de la CADES compte tenu de l'augmentation des tarifs de reprise au fur et à mesure que l'on se rapproche de la date théorique d'extinction de la dette sociale ;

- d'autre part, le transfert dès 2010 d'une partie de la dette sociale à la CADES réduirait, à terme, le coût d'ensemble de retraitement de la dette sociale, retraitement qui est inévitable . En effet, une reprise de dette par la CADES dès 2010 permet de bénéficier d'un tarif plus faible de reprise ( cf. infra ), tout comme il permet d'amortir une partie de la dette transférée, ce qui n'est pas le cas lorsque celle-ci est supportée par l'ACOSS.

Dans ces conditions, et compte tenu de l'identification par l'ACOSS d'un besoin moyen structurel de trésorerie en 2010 d'environ 20 milliards d'euros, votre rapporteur pour vous propose une reprise de dette par la CADES de 19,5 milliards d'euros, qui nécessitera une augmentation de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) de 0,15 point , soit un taux global de 0,65 %. Cette augmentation, qui devrait procurer un surplus d'environ 1,8 milliard d'euros, impacterait à la hausse le taux de prélèvement obligatoire de 0,1 point, ce qui ne peut être qualifié d'excessif.

a) La question de l'augmentation des ressources de la CADES

S i l'on privilégie un transfert à la CADES , au nom du principe symbolique et vertueux de cantonnement de la dette sociale qui vient d'être rappelé, il convient de souligner que, compte tenu des règles organiques en vigueur, plus on retarde l'échéance, plus le « coût » de ce transfert - c'est-à-dire le montant des recettes que l'on devra affecter à la Caisse - sera important , en raison de l'impossibilité d'allonger la durée d'amortissement de la dette.

Les ressources supplémentaires affectées à la Caisse peuvent avoir deux origines :

- soit un redéploiement de ressources fiscales existantes , comme cela a été fait en 2008-2009, lors de la dernière reprise de dette et l'affectation de 0,2 point de CSG à la CADES. Si cette option présente l'avantage de ne procéder à aucune augmentation de prélèvement obligatoire, elle n'est pas satisfaisante car elle conduit à « déshabiller Paul » - en l'espèce le FSV en 2009 - pour « habiller Pierre » . En outre, elle nuit à la lisibilité du financement de cette dette en mettant un terme à l'exclusivité de la CRDS. Envisage-t-on de créer un nouveau panier fiscal pour financer les futures reprises de dette ?

- soit une augmentation de la CRDS , recette historique de la CADES et dont la totalité du produit lui est affectée. Selon les informations communiquées lors de la réunion du comité de surveillance de la CADES le 10 juin 2009, le « tarif » des futures reprises de dette par la caisse seraient les suivants :

- pour reprendre 10 milliards de dette le 4 janvier 2010, il faudrait augmenter le taux de CRDS de 0,077 point ;

- pour reprendre 10 milliards de dette le 3 janvier 2011, il faudrait augmenter le taux de CRDS de 0,085 point ;

- pour reprendre 10 milliards de dette le 2 janvier 2012, il faudrait augmenter le taux de CRDS de 0,095 point.

Ainsi, par exemple, la reprise de 19,5 milliards d'euros de dette par la CADES impliquerait d'augmenter la CRDS de 0,150 point en 2010 mais de 0,166 en 2011 et de 0,185 en 2012.

La reprise de 50 milliards d'euros de dette par la CADES impliquerait d'augmenter la CRDS de 0,385 en 2010, de 0,425 point en 2011 et 0,475 en 2012, ce qui représenterait pratiquement un doublement de son taux, actuellement fixé à 0,5 %. Autant dire que les transferts de dette deviendront impossibles d'ici quatre ou cinq ans.

b) La question de la durée de vie de la CADES
(1) La dette confiée à la CADES devrait être amortie en 2021

La date d'extinction des missions de la CADES n'est plus mentionnée dans l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale. La durée d'amortissement de la dette sociale est ainsi appréciée au vu des éléments présentés par la caisse dans ses estimations publiques. D'après l'annexe 8 au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, la CADES a une chance sur deux d'avoir intégralement amorti en 2021 la dette dont le refinancement lui a été confié. La probabilité que cette dette soit déjà remboursée en 2020 est de 5 % ; le risque qu'elle ne le soit pas dans un délai supérieur à 14 ans, soit en 2023, est également de 5 %.

L'amortissement de la dette sociale

Source : CADES

Rappelons que 2009 devait marquer une date importante dans l'histoire de la dette sociale, à savoir celle de la disparition de la CADES et l'extinction de la dette. Aujourd'hui, non seulement la CADES existe toujours, mais le montant de la dette qu'elle doit encore rembourser est plus élevé que celui de la dette initiale reprise en 1996. En outre, sa dette ne représente qu'une partie de la dette sociale compte tenu de la situation actuelle et à venir de l'ACOSS.

Dans ces conditions, votre rapporteur pour avis souligne que les perspectives d'extinction de la dette sociale s'amenuisent considérablement, alors même que le système de gestion de cette dette avait été précisément conçu pour éviter cette pérennisation et le report de la dette sur les générations futures.

(2) La question de notre responsabilité envers les générations futures

Peut-on allonger la durée de vie de la CADES afin de concilier traitement de la nouvelle dette sociale et stabilisation de la pression fiscale ?

Compte tenu du contexte économique global et de la nécessité de ne pas freiner le retour de la croissance, il convient certes de privilégier la solution la plus pragmatique, la plus efficace mais également la plus responsable.

Cette situation amène à s'interroger sur notre capacité collective à respecter l'esprit de l'article 20 de la loi organique du 2 août 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale (LOLFSS), qui manifestait le refus de reporter sur les générations futures la charge de la dette sociale .

Deux solutions se présentent en conséquence :

- réaliser dans les années à venir des économies importantes , ce qui semble irréaliste dans le cadre du système actuel au regard de l'augmentation sensible attendue des dépenses compte tenu du vieillissement de la population ;

- et/ou accepter un redéploiement des prélèvements obligatoires au profit de la sécurité sociale afin d'éviter que des déficits supplémentaires ne se forment.

Comme en témoignent les chiffres présentés dans ce rapport, il est impossible, dans le contexte économique actuel, de parvenir à un équilibre des comptes sociaux à brève échéance. Dans ces conditions, s'il l'on entend maîtriser l'évolution des prélèvements obligatoires, votre rapporteur pour avis estime que :

- à court terme , il convient d'engager dès 2010 le retraitement de la dette afin de réduire le coût global de cette opération et faire preuve de responsabilité ;

- à moyen terme , il sera nécessaire d'augmenter à nouveau les recettes de la CADES et de procéder à un arbitrage entre allonger à nouveau la durée d'amortissement de sa dette, afin d'éviter un effet « boule de neige » des prélèvements qui lui sont affectés 31 ( * ) , ou maintenir cette durée en refusant tout report sur les générations futures.

* 27 Les crédits de paiement demandés en 2010 pour la mission « Enseignement scolaire » s'élèvent à 60,8 milliards d'euros, ceux de la mission « Recherche et enseignement supérieur » à 24,8 milliards d'euros.

* 28 La dernière reprise de dette par la CADES a concerné 27 milliards d'euros entre 2008 et 2009.

* 29 Interview au journal « Le Figaro » le 27 octobre 2009.

* 30 « Pour faciliter le retour de la croissance, le Gouvernement écarte toute hausse massive des prélèvements. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous avons exclu durant cette crise une reprise de dette du régime général par la CADES . Un transfert de dette aurait en effet nécessité une hausse de la CRDS qui aurait pesé sur le pouvoir d'achat et la croissance. En 2010, l'ACOSS continuera donc à porter le déficit de la sécurité sociale. Quand la situation économique sera complètement rétablie, nous nous poserons sereinement la question du traitement de la dette et des déficits. »

* 31 Une telle option nécessite cependant une modification législative de nature organique : le Conseil constitutionnel a en effet confirmé, dans sa décision n° 2005-519 DC du 29 juillet 2005 (considérant 40), la portée organique des dispositions de l'article 20 de la LOLFSS.

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