B. L'ÉTAT FRANÇAIS N'A PAS LES MOYENS DE PROTÉGER LE PATRIMOINE MONDIAL SITUÉ SUR SON TERRITOIRE

1. La libre administration des collectivités territoriales

Le pouvoir d'urbanisme étant décentralisé, il existe un transfert de la responsabilité de l'État vers les collectivités territoriales. Au-delà de la contrainte posée par la répartition des compétences, on peut s'interroger sur la capacité de l'État à définir une politique nationale cohérente sur l'ensemble de son territoire.

Le cas de la ville de Provins , patrimoine mondial depuis 2001, montre les limites de l'intervention de l'État une fois l'inscription opérée par l'UNESCO. En révisant deux zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP), la municipalité de la ville a rendu constructibles des zones qui étaient auparavant protégées. Trois secteurs pourraient ainsi être urbanisés, malgré l'avis défavorable de l'architecte des bâtiments de France et de la commission régionale du patrimoine et des sites (CRPS). Évidemment, l'approbation par le préfet de la révision soulève des questions dans la mesure où, d'après les informations transmises par l'UNESCO, les ZPPAUP avaient précisément été identifiées comme des garanties de la valeur universelle exceptionnelle du site lors de sa candidature. C'est d'ailleurs ce qui explique la décision de mise en demeure du Comité du patrimoine mondial.

Provins, ville de foire médiévale (France) (C 873 rev)
Décision : 34 COM 7B.84

Le Comité du patrimoine mondial :

1. Ayant examiné le document WHC-10/34.COM/7B,

2. Prend note des informations fournies par l'État-partie en réponse aux préoccupations suscitées par la révision des ZPPAUP ;

3. Regrette la décision concernant la révision des ZPPAUP, malgré l'avis défavorable des services régionaux compétents, affaiblissant ainsi la protection du bien dans son ensemble ;

4. Demande à l'État-partie de revoir la décision concernant la révision des ZPPAUP afin de garantir une protection juridique satisfaisante et des procédures d'autorisation adaptées au statut du bien et de sa zone tampon, et d'éviter toute construction impactant négativement sa valeur universelle exceptionnelle et son intégrité ;

5. Demande également à l'État-partie de remettre, conformément au paragraphe 172 des Orientations, au Centre du patrimoine mondial les données détaillées et les études d'impact de tout projet affectant le bien du patrimoine mondial, pour évaluation par le Centre du patrimoine mondial et l'ICOMOS avant d'accorder toute autorisation irréversible ;

6. Demande en outre à l'État-partie de soumettre au Centre du patrimoine mondial, d'ici le 1 er février 2012, un rapport détaillé sur l'État de conservation du bien et sur les progrès accomplis dans la mise en oeuvre des recommandations ci-dessus, pour examen par le Comité du patrimoine mondial à sa 36 e session en 2012.

Même lorsque l'État a un rôle à jouer, cela ne garantit pas une politique cohérente sur l'ensemble du territoire. L'exemple de la baie du Mont Saint-Michel illustre cette difficulté. Le site, classé par l'UNESCO en 1979, a récemment été concerné par un projet d'implantation d'éoliennes. Les arbitrages de l'État ont divergé entre les deux régions sur le territoire desquelles est situé le site (qui relève par ailleurs de 90 communes). En effet, un préfet de région s'est prononcé en faveur des éoliennes, l'autre préfet contre. Une amélioration de la cohérence de l'action de l'État sur l'ensemble de son territoire semble donc nécessaire. L'enjeu est important puisque la deuxième mise en demeure décidée par le Comité pour le patrimoine mondial réuni à Brasilia concerne ce cas précis.

Mont Saint-Michel et sa baie (France) (C 80bis)
Décision : 34 COM 7B. 83

Le Comité du patrimoine mondial :

1. Ayant examiné le document WHC-10/34.COM/7B,

2. Se déclare préoccupé par l'impact potentiel des éoliennes sur le cadre paysager du bien ;

3. Demande à l'État-partie de donner des informations complètes, y compris sur la hauteur et l'emplacement des turbines, concernant les projets approuvés et ceux en instance d'approbation, et la délimitation des Zones de développement de l'éolien (ZDE), au Centre du patrimoine mondial, pour évaluation par les Organisations consultatives ;

4. Demande également à l'État-partie de donner les détails des évaluations d'impact qui ont été réalisées sur les projets d'éoliennes en termes d'impact sur la valeur universelle exceptionnelle du bien ;

5. Demande en outre à l'État-partie de soumettre au Centre du patrimoine mondial, d'ici au 1 er février 2011, un rapport actualisé sur l'État de conservation du bien et la mise en oeuvre de ce qui précède, pour examen par le Comité du patrimoine mondial à sa 35 e session en 2011.

Votre commission a exprimé son inquiétude en regrettant que la France soit ainsi mise en cause par la communauté internationale pour sa politique patrimoniale . Votre rapporteur insiste sur le décalage qui existe entre le rôle très fort de l'État dans la phase de constitution et de présentation de la candidature et sa capacité d'intervention extrêmement limitée - et pas toujours cohérente - une fois l'inscription décidée . Cette situation est jugée préjudiciable non seulement pour l'image de la France mais aussi pour la cohérence de la politique nationale en matière de patrimoine ou de paysage.

2. La multiplication des sites étendus ou en réseau

La plupart des personnes auditionnées ont souligné une tendance nouvelle, promue par la France, qui consiste à présenter la candidature de biens particulièrement étendus ou en réseau.

On peut citer à ce titre l'oeuvre de Vauban, dont les fortifications ont été classées au patrimoine mondial en 2008. Elle comprend 12 groupes de bâtiments fortifiés et de constructions le long des frontières nord, est et ouest de la France. Quant aux chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle, classés en 2008 également, ils concernent les régions Aquitaine, Auvergne, Basse-Normandie, Bourgogne, Centre, Champagne-Ardenne, Île-de-France, Languedoc-Roussillon, Limousin, Midi-Pyrénées, Picardie, Poitou-Charentes et Provence-Alpes-Côte d'Azur.

Le Val de Loire, inscrit sur la liste du patrimoine mondial en 2000, s'étend sur 280 kilomètres de long. Il relève de deux régions, 161 communes alors que, d'après Mme Isabelle Longuet, directrice de la mission « Val de Loire », seuls 5 % du territoire inscrit au patrimoine mondial seraient protégés au titre de ZPPAUP, secteurs sauvegardés ou sites classés. La multiplicité d'acteurs concernés, combinée à un paysage nécessairement divers compte tenu de la superficie de la zone, rend évidemment complexe l'appréhension des enjeux liés au patrimoine mondial, notamment au regard de la VUE dont la définition (précisée au travers des trois critères indiqués ci-dessous) est particulièrement large.

Justification d'inscription du Val de Loire

Critère (i) : Le Val de Loire est remarquable pour la qualité de son patrimoine architectural, avec ses villes historiques telles que Blois, Chinon, Orléans, Saumur et Tours, mais plus particulièrement pour ses châteaux de renommée mondiale, comme celui de Chambord.

Critère (ii) : Le Val de Loire est un paysage culturel exceptionnel le long d'un grand fleuve. Il porte témoignage sur un échange d'influences de valeurs humaines et sur le développement harmonieux d'interactions entre les hommes et leur environnement sur deux mille ans d'histoire.

Critère (iv) : Le paysage du Val de Loire, et plus particulièrement ses nombreux monuments culturels, illustre à un degré exceptionnel les idéaux de la Renaissance et du siècle des Lumières sur la pensée et la création de l'Europe occidentale.

Source : site internet de l'UNESCO-http://whc.unesco.org/fr/list/933

D'après les informations transmises à votre rapporteur, il semble que de nombreux projets sont envisagés sans aucune coordination ou réflexion de fond sur la compatibilité avec l'inscription de la zone au patrimoine mondial. Ainsi 12 projets de ponts sont envisagés par les différentes collectivités territoriales (concernées par plusieurs schémas de cohérence territoriale (SCOT) parfois contradictoires entre eux), tandis qu'un projet de statue dit de la « Femme-Loire » de 20 mètres de haut et 40 mètres de long est à l'étude... Votre rapporteur note heureusement qu'une dynamique collective autour du patrimoine mondial est en route dans le Val de Loire avec un projet de plan de gestion.

3. La charte pour les biens inscrits sur la liste du patrimoine mondial : un outil nécessaire mais insuffisant

Votre rapporteur tient à souligner le travail remarquable accompli par les élus locaux du Val de Loire qui a permis de déboucher sur un projet de plan de gestion particulièrement complet (cf. sommaire figurant en annexe), composé de quatre volets :

- une formalisation de la valeur universelle exceptionnelle ayant conduit à l'inscription au patrimoine mondial de l'UNESCO ;

- une analyse des menaces et risques d'impacts pesant sur cette VUE et susceptibles de l'altérer ;

- des orientations pour une gestion partagée , définissant un cadre commun d'actions pour l'ensemble des acteurs du Val de Loire ;

- une présentation des engagements de l'État .

Le plan de gestion a pour objectif de constituer un référentiel commun pour une gestion partagée du Val de Loire inscrit au patrimoine mondial.

Enfin, il convient de préciser que le plan de gestion proposé constitue avant tout un outil de préservation et de valorisation des paysages identitaires du Val de Loire. A ce titre, il se concentre sur les problématiques d'occupation, d'organisation et d'aménagement du territoire.

Cette dynamique devrait être étendue à l'ensemble des biens ou sites inscrits au patrimoine mondial grâce à l'initiative de notre collègue Yves Dauge et de l'association des Biens français du patrimoine mondial. En effet, le 20 septembre 2010 , cette association a signé, avec le ministre de la culture et la secrétaire d'État chargée de l'écologie, une Charte d'engagement sur la gestion des biens inscrits sur la liste du patrimoine mondial . Ce document, dont la présentation figure en annexe au rapport, précise les engagements respectifs de l'État et des collectivités territoriales. Il traite également de la situation des biens anciennement inscrits et qui, pour cette raison, ne bénéficient pas de plan de gestion, contrairement aux nouveaux candidats.

Pour chaque bien, la convention établie localement permettra de définir des plans d'action rassemblant l'ensemble des partenaires autour de la protection et de la valorisation du patrimoine mondial, dans une logique de développement durable.

Cette avancée apparaît comme une étape incontournable pour l'amélioration de la prise en compte des enjeux du patrimoine mondial et la bonne coordination des collectivités concernées. Toutefois, compte tenu des limites évoquées dans les chapitres précédents, la charte ne semble pas suffisante pour éviter les menaces et les éventuelles dérives qui, même si elles sont peu nombreuses, peuvent ternir l'image de la France et nuire au caractère exemplaire de l'action attendue de notre État.

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