c) Un pluralisme en panne ?

Votre rapporteur pour avis dénonce, de longue date, le mouvement de concentration qui caractérise traditionnellement le secteur de la presse en France, particulièrement visible en ce qui concerne la presse quotidienne régionale. Le rapport précité de M. Cardoso corrobore ce constat, en soulignant que la presse regroupe plus de 4 700 titres (dont environ 4 000 payants), et que seulement « une vingtaine de groupes possèdent l'essentiel des titres de la presse française :

- cinq groupes dominent le secteur de la presse grand public : Hachette-Lagardère, Prisma Presse, Mondadori France, le groupe Bayard presse et le groupe L'Express-L'Expansion ;

- la presse quotidienne nationale compte trois acteurs majeurs : le groupe Figaro Socpresse, le groupe Amaury et le groupe Le Monde ;

- la presse quotidienne régionale a pour principaux leaders les groupes SIPA Ouest-France, EBRA, Sud-Ouest, GHM, La Voix du Nord ;

- la presse gratuite d'information est structurée autour des activités de Bolloré Médias (Direct Matin/Soir), 20 Minutes et Metro ;

- la presse technique et professionnelle est dominée par la présence de trois groupes : Wolters Kluwer, Reed Elsevier, Le Moniteur ».

Le pluralisme de la presse d'information politique et générale est encore plus significativement limité dans la mesure où ce segment de presse ne comporte que 548 titres, dont 333 pour la seule presse hebdomadaire régionale, 69 pour la presse quotidienne régionale (PQR) et départementale (PQD), 10 pour la presse quotidienne nationale et 5 magazines « news ».

Le montant total des aides au pluralisme s'est établi, en 2010, à 11,8 millions d'euros et devrait se maintenir à ce niveau en 2011. Ces aides se décomposent entre l'aide destinée aux quotidiens régionaux, départementaux et locaux d'information politique et générale à faibles ressources de petites annonces (1,4 million d'euros), l'aide destinée à la presse hebdomadaire régionale (1,4 million d'euros) et le fonds d'aide aux quotidiens nationaux d'information politique et générale à faibles ressources publicitaires (9,2 millions d'euros).

La dotation de ce fonds a fait l'objet d'une revalorisation au cours de l'année 2009, à la suite des États généraux de la presse écrite, afin de prendre en compte les difficultés engendrées par l'effondrement du marché publicitaire. En 2010, cette aide a également bénéficié d'abondements exceptionnels si bien que le montant total des crédits disponibles s'est élevé, cette année, à 16,15 millions d'euros.

En 2010, les critères d'attribution des aides en direction des quotidiens à faibles ressources publicitaires en ont limité l'octroi à six titres et entreprises de presse ( La Croix , France Soir , L'Humanité , Libération , Présent et les publications destinées à la jeunesse de la société Play Bac Presse). Or, le rapport de M. Cardoso souligne que ces aides peuvent représenter 30 % du chiffre d'affaires des publications concernées et que la part des contributions publiques peut dépasser 60 % pour certaines d'entre elles ( France Soir ).

Le faible nombre de titres soutenus dans le cadre de ce fonds et leur extrême dépendance vis-à-vis des concours publics ne permettent pas, à l'évidence, d'identifier ce dispositif comme propre à garantir le redressement financier et le pluralisme de la presse d'opinion. Au contraire, lorsque la part du soutien public atteint de tels niveaux, il y a lieu de s'inquiéter d'un risque de dépendance structurelle par rapport à l'État , étant entendu que les contraintes qui pèsent sur l'indépendance financière des publications minent leur indépendance rédactionnelle.

En outre, votre rapporteur pour avis observe que le nombre de quotidiens d'information politique et générale a diminué de 4 % depuis 2005. Cette érosion est précisément due à l' augmentation des fusions de titres , qui sont particulièrement préjudiciables à la diversité des rédactions. Or, la diversité et l'indépendance des rédactions constituent précisément des garanties du pluralisme de l'information.

En conséquence, votre rapporteur pour avis estime que l'enjeu du pluralisme de la presse doit conduire les pouvoirs publics à élaborer une véritable stratégie qui permette aussi bien de sécuriser la santé financière des titres les plus fragiles que de diversifier l'offre de publications d'opinion. Cela suppose de revoir en profondeur les critères d'attribution de certaines aides.

Car saupoudrer 12 millions d'euros entre un nombre très limité de titres ne saurait être assimilé à une stratégie ambitieuse et responsable en faveur du pluralisme de la presse d'opinion. L'augmentation des aides au pluralisme depuis 2009 ne fait qu'ajouter l'inflation à un dispositif déjà fortement critiqué pour ses incohérences. Cette logique d'affichage ne peut autoriser les pouvoirs publics à se dédouaner de leur lourde responsabilité vis-à-vis du degré de concentration préoccupant qui caractérise désormais, depuis trop longtemps, la presse écrite, et en particulier la presse quotidienne régionale.

C'est pourquoi votre rapporteur pour avis considère, au nom du pluralisme et de l'indépendance rédactionnelle des titres de presse, qu'une réflexion sérieuse, sur la base d'un diagnostic honnête et rigoureux, doit s'engager sur les possibilités de :

- conditionner l'attribution des aides publiques aux entreprises de presse à leur degré de concentration ;

- plafonner la détention, par un groupe privé vivant de la commande publique, de la propriété d'un grand groupe de médias.

Sur ces sujets, les parlementaires de l'opposition ont formulé, sur le fondement de l'article 34 de la Constitution 9 ( * ) , plusieurs propositions destinées à garantir l'indépendance et nourrir le pluralisme de la presse. Le groupe socialiste du Sénat a, en effet, déposé, au cours des deux dernières sessions, une proposition de loi relative à la concentration dans le secteur des médias ainsi qu'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les liens existant entre le pouvoir exécutif et les organismes de presse et de la communication audiovisuelle , et leurs conséquences pour l'indépendance et le pluralisme de la presse et des médias.

Ces textes ont été, toutefois, repoussés par le Gouvernement et sa majorité 10 ( * ) . Pour autant, votre rapporteur pour avis considère que les pouvoirs publics ne peuvent faire l'économie d'une réflexion sérieuse sur les moyens de préserver la diversité et l'indépendance des rédactions, compte tenu des regroupements capitalistiques qui s'opèrent dans la presse quotidienne régionale .


* 9 En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de « fixer les règles concernant [...] la liberté, le pluralisme et l'indépendance des médias ».

* 10 La proposition de loi relative à l'indépendance des rédactions déposée par notre collègue M. Patrick Bloche, député du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, a connu le même sort.

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