II. ACCOMPAGNER LES INDUSTRIES CULTURELLES DANS LEUR MUTATION NUMÉRIQUE

A. DES NOUVEAUX OBJETS ET SERVICES CULTURELS AUX NOUVEAUX COMPORTEMENTS

Une étude 4 ( * ) réalisée au premier trimestre 2010 par GfK Médiamétrie montre que 65 % des foyers français disposent d'un accès à Internet (contre 59 % un an plus tôt) et que 62 % bénéficient d'une connexion haut débit (contre 56 % l'an dernier).

Avec Internet, s'est développé un processus de dématérialisation des biens culturels, les objets physiques étant transformés en fichiers numériques. Ce processus a touché successivement la musique, le cinéma, l'audiovisuel, le jeu vidéo, et plus récemment le livre.

On assiste cependant aujourd'hui à la réinvention, d'ailleurs foisonnante, de nouveaux objets donnant accès à la culture, qui s'accompagne de la création de nouveaux services. Ceux-ci modifient les comportements en profondeur, les ordinateurs arrivant désormais directement dans les poches et se connectant au Net via des réseaux sans fil à haut débit.

À l'occasion de sa participation au Forum d'Avignon 5 ( * ) , du 4 au 6 novembre 2010, une délégation de notre commission, dont votre rapporteur, a pu mesurer l'impact de cette nouvelle révolution.

Ces bouleversements concernent la « consommation » 6 ( * ) de biens culturels, mais aussi bien entendu leur mode de création et de diffusion. D'une certaine façon, le « consommateur » de biens culturels peut aussi en devenir le créateur.

Votre rapporteur relève que toutes ces évolutions ont pour double conséquence de :

- créer le besoin d'une nouvelle intermédiation et éditorialisation, l'abondance de biens à disposition ne les rendant pas forcément plus accessibles à tous, dans toute la richesse de leur diversité ;

- rendre indispensable un renforcement des actions éducatives afin de former et d'aiguiser le regard critique des jeunes.

Ces changements de comportements emportent bien entendu des mutations économiques , perceptibles pour tous les secteurs mais à des degrés variables : en France, le taux de « numérisation » a dépassé 50 % pour la musique mais n'est encore que de 1 % pour le livre.

B. LE LIVRE : UNE ENTRÉE EN DOUCEUR DANS LE « NOUVEAU MONDE » NUMÉRIQUE

1. Les crédits pour 2011 : un Centre national du livre à conforter

Au sein de l'action 3 « Livre et lecture » du programme 180, la sous-action 4 concerne l'édition, la librairie et les professions du livre.

Les crédits inscrits à ce titre dans le projet de loi de finances pour 2011 s'établissent à :

- 22,3 millions d'euros de fonctionnement , dont 2,8 millions pour le Centre national du Livre (CNL), en autorisation de programme (AE) et en crédits de paiement (CP) ;

- et à 19,5 millions d'euros de dépenses d'intervention en AE et en CP, dont 84,6 % de crédits centraux.

Ces derniers seront donc de 16,5 millions d'euros, dont 11,4 correspondent au droit de prêt en bibliothèque, afin de rémunérer les auteurs et les éditeurs au titre du prêt de leurs livres en bibliothèque, et 5,1 millions d'euros sont destinés au soutien à divers organismes du secteur de l'édition et des librairies.

Quant aux crédits déconcentrés, de 3 millions d'euros, gérés par les directions régionales d'action culturelle, ils se répartissent ainsi :

- 28,3 % au titre des aides aux maisons d'édition ;

- 36,7 % pour les aides aux librairies, en vue notamment de préserver le maillage du territoire en librairies indépendantes ;

- 35 % d'aides aux salons.

L'opérateur de l'État dans ce secteur est le Centre national du livre (CNL), dont les missions couvrent l'ensemble de la filière, de la création à la diffusion des oeuvres, en passant par leur édition et promotion.

L'essentiel de ses ressources proviennent du produit des deux taxes qui lui sont affectées :

- la taxe sur l'édition des ouvrages de librairie, de nature redistributrice, est due par les éditeurs à raison des ventes d'ouvrages de librairie. Elle est perçue au taux de 0,2 % sur la même assiette et dans les mêmes conditions que la TVA. Les éditeurs dont le chiffre d'affaires de l'année précédente n'excède pas 76 000 euros en sont exonérés ;

- la taxe relative aux appareils de reprographie et, depuis 2007, de reproduction ou d'impression, de nature compensatrice, concerne les ventes de ces appareils. Elle a pour objet d'apporter une réparation partielle au préjudice subi par les éditeurs et auteurs du fait du développement de l'usage de la reprographie. Elle est perçue au taux de 3,25 % (2,25 % jusqu'à fin 2009). Toutefois, cet ajustement ne suffit pas à enrayer la baisse du produit de cette taxe constatée depuis 2008. En effet, en août 2010, les recettes se sont élevées à 15 millions d'euros, au lieu des 18 millions attendus. Au total, sur l'ensemble de l'année 2010, 5 millions d'euros devraient manquer.

Aussi, comme l'an dernier, votre rapporteur demandera au ministre de préciser les intentions du Gouvernement en vue de modifier une nouvelle fois l'assiette de la taxe. On pourrait, en effet, envisager d'y inclure les consommables de ce type de matériels et de ramener parallèlement le taux de la taxe à 1,35 %.

Cette réforme semble nécessaire compte tenu du renforcement des missions du CNL et du caractère prioritaire des actions à engager, notamment en faveur des librairies et du livre numérique.

2. Une politique ambitieuse en faveur de la filière

En effet, le CNL joue un rôle reconnu en faveur du soutien à la création et à la diffusion dans tous les secteurs de l'économie du livre par des mécanismes d'aides ciblées.

Dans la lignée de la mission « Livre 2010 » de 2007, du « Plan livre » présenté ensuite par le Gouvernement et dans l'esprit de la Révision générale des politiques publiques (RGPP), il s'est considérablement modernisé :

- d'une part, en accroissant la sélectivité de ses aides, qui ont baissé en nombre mais augmenté en volume pour être plus efficaces ;

- d'autre part, en créant de nouvelles aides destinées à anticiper la révolution numérique et soutenir la librairie indépendante de référence.

Cependant, si le secteur du livre représente la première industrie culturelle, il demeure le moins subventionné.

a) Soutenir les librairies

Votre rapporteur rappellera toutefois les mesures adoptées ces dernières années, ou envisagées, en vue de soutenir les librairies . En effet, leur rôle culturel de proximité, leurs actions en faveur de la diffusion du livre dans toute sa diversité et leur fragilité économique réelle justifient des dispositifs de soutien spécifiques.

À ce titre, la librairie figurait parmi les trois priorités inscrites dans le « Plan livre » du 14 novembre 2007 , susmentionné. Les principales mesures alors annoncées ont été mises en oeuvre et d'autres mesures complémentaires sont actuellement envisagées par le ministère de la culture et de la communication. Il s'agit des dispositions suivantes :

- le doublement des aides du CNL aux librairies , à hauteur de 3 millions d'euros pour 2010 ;

- le soutien des DRAC aux librairies : elles peuvent accorder des subventions aux librairies installées sur leur territoire, afin de soutenir des travaux d'aménagement, des projets d'équipement mobilier ou d'informatisation, ou encore la mise en place d'animations. En 2009, ces aides se sont élevées à environ 1 million d'euros ;

- le fonds de soutien à la transmission des librairies , créé en 2008 qui, grâce à un système de « portage » d'actions, permet à l'acquéreur d'étaler ses remboursements sur plusieurs années. L'Association pour le développement de la librairie de création (ADELC) assure la gestion et le suivi de ce fonds, doté par l'État de 3 million d'euros ;

- le label de Librairie Indépendante de Référence (LIR), mis en place par le décret du 8 avril 2009, vise à soutenir et valoriser le travail de sélection, de conseil et d'animation culturelle réalisé par des librairies indépendantes, qui jouent un rôle déterminant pour la promotion de la diversité éditoriale. Accordé pour une durée de trois ans, il ouvre la possibilité pour les établissements labellisés de bénéficier, après délibération de la collectivité territoriale compétente, d'une exonération de la contribution économique territoriale (qui a remplacé la taxe professionnelle depuis le 1 er janvier 2010).

464 librairies sont aujourd'hui labellisées ; elles sont réparties sur l'ensemble du territoire, dans des petites et moyennes villes comme dans les grands centres urbains. Le ministère a indiqué à votre rapporteur qu'il établissait actuellement un premier bilan des exonérations de contribution économique territoriale votées par les collectivités territoriales en faveur des librairies labellisées.

Par ailleurs, le label actuel, tout en conservant sa nature, devrait être inséré au coeur d'un dispositif plus large et plus souple, afin de permettre dès 2011 la distinction de certaines librairies qui constituent de toute évidence des librairies de qualité, bien qu'elles ne remplissent pas un ou plusieurs critères actuellement fixés par le décret.

- l'exemption de la filière du livre du plafonnement des délais de paiement inter-entreprises , en application de la loi relative aux délais de paiement des fournisseurs dans le secteur du livre adoptée le 27 janvier 2010 ;

- la récente étude sur l'accès des librairies aux marchés d'achats de livres des bibliothèques , qui évalue notamment l'impact de la mesure de plafonnement des rabais consentis aux collectivités, instaurée par la loi du 18 juin 2003 relative à la rémunération au titre du prêt en bibliothèque et renforçant la protection sociale des auteurs. Elle démontre que la librairie se trouve aujourd'hui dans une position nettement plus favorable sur ces marchés qu'elle ne l'était avant 2003, même si les réformes successives du code des marchés publics ont conduit certaines collectivités à recourir plus systématiquement aux librairies importantes, plutôt qu'aux librairies de proximité. Un groupe de travail interministériel doit étudier les mesures de formation et de sensibilisation qui pourraient être proposées aux services administratifs des collectivités, afin que ceux-ci puissent mieux prendre en compte le critère d'animation culturelle du territoire dans le cadre de leur politique d'achat et de mise en concurrence ;

- le projet de portail de la librairie indépendante sur Internet : l'ouverture de ce portail commercial, d'abord prévu pour 2008, a été retardé en raison de la nécessité de s'appuyer sur une plate-forme logistique commune de distribution, sur une base bibliographique solide et sur un plan de financement plus important que celui estimé à l'origine du projet, notamment du fait de la prise en compte d'une véritable ambition numérique pour ce portail.

Ce projet favorisant le maintien d'une pluralité d'acteurs sur le marché de la vente en ligne et donc de la diversité de l'offre éditoriale, le ministère de la culture et de la communication a décidé de lui apporter son soutien. Baptisé « 1001libraires.com », il sera lancé fin 2010. Le soutien prendra la forme d'un prêt économique à moyen terme d'environ 500 000 euros, accordé par le CNL ;

- le Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce, qui concourt , depuis 2003, à la création et au maintien en centres-villes d'une offre importante et diversifiée de biens culturels. Un bilan réalisé en 2010 a montré que ce dispositif a parfaitement rempli son rôle d'aménagement culturel du territoire, de revitalisation des centres-villes et de densification du réseau de librairies. Votre commission soutient la démarche du ministère afin que la convention concernée soit renouvelée ;

- freiner la hausse des loyers en centre-ville : le ministère doit travailler, en lien avec les autres ministères concernés, sur le nouvel indice de révision des loyers des baux commerciaux (ILC), mis en place dans le cadre de la loi de modernisation de l'économie, et indexé à la fois sur l'indice des prix à la consommation, sur celui de la construction et sur le chiffre d'affaires du commerce de détail. Votre rapporteur forme le voeu que cette démarche aboutisse rapidement , l'obligation d'utiliser cet indice dans les clauses des baux commerciaux de librairie pouvant constituer une mesure d'aide pour les commerces de librairies, particulièrement touchés par l'augmentation des loyers en centre-ville, en limitant très sensiblement la hausse des loyers commerciaux. En effet, l'ILC n'a augmenté que de 4,5 % en 2008 contre 10 % pour l'indice du coût de la construction, qui reste l'indice de référence pour la révision des loyers.

- permettre à l'ensemble des collectivités territoriales d'accorder des aides aux librairies , car aujourd'hui les départements et les communes ne peuvent pas leur octroyer d'aides directes.

b) Réguler le marché du livre numérique
(1) Le numérique comme nouveau moteur de création de valeur

Le livre imprimé bénéficie de l'attachement de ses lecteurs à l'expérience papier, du caractère souvent complémentaire de sa lecture avec celle de la lecture nomade que permettent des technologies désormais mûres, et d'une moindre prévalence du piratage.

Néanmoins, l'industrie du livre s'oriente vers une transformation radicale. Comme l'a confirmé une étude 7 ( * ) présentée à l'occasion du Forum d'Avignon de novembre 2010 : « d'ici 2015, 15 à 20 % de la population disposeront de liseuses, tablettes et autres supports numériques, ce qui pourrait susciter une mutation en profondeur de l'écosystème de l'écrit et une évolution des modes d'écriture eux-mêmes » , ce qui pourrait d'ailleurs aussi faire du numérique un moteur de création de valeur. À l'horizon 2015, le marché du livre numérique s'établirait à 15 à 20 % du marché du livre, contre 1 % aujourd'hui.

Les différents acteurs de cet écosystème seront tous impactés : auteurs, éditeurs, distributeurs et libraires au premier chef.

Ils doivent donc s'adapter rapidement à cette mutation, qui leur ouvre aussi de nouvelles opportunités , la simplification de l'acte d'achat et la portabilité de la bibliothèque représentant des atouts indéniables. L'étude précitée donne d'ailleurs des motifs d'optimisme : 40 % des lecteurs équipés de support numérique déclarent lire plus qu'auparavant. Il est vrai que ces précurseurs sont sans doute déjà ce que l'on appelle de gros ou moyens lecteurs.

Mais l'intérêt à se constituer une « bibliothèque numérique » peut aussi être un puissant moteur de croissance du secteur. Encore faut-il que la lecture soit encouragée, notamment chez les jeunes, ainsi qu'il a été dit dans la première partie du présent rapport.

(2) La proposition de loi sur le prix du livre numérique

Le Sénat a adopté, le 26 octobre 2010, la proposition de loi déposée par nos collègues Catherine Dumas et Jacques Legendre sur le prix du livre numérique.

En effet, il est nécessaire d'accompagner les mutations en cours du marché du livre numérique, non pour les freiner mais pour les réguler. En créant ainsi un cadre législatif sécurisant pour les acteurs de la filière - qui permet aux éditeurs de conserver la maîtrise de la fixation du prix de vente du livre au public tout en l'adaptant à la diversité des offres et des usages -, il s'agit d'inciter les professionnels, notamment les éditeurs et les libraires, à s'adapter aux évolutions et à développer des offres spécifiques au commerce du livre numérique.

C'est pourquoi, votre commission a incité parallèlement les professionnels à développer une offre légale attractive et accessible, dans le respect des droits des auteurs. Ils s'y emploient d'ailleurs activement et, pour votre commission, il s'agit là d'une priorité absolue. La proposition de loi leur donne l'opportunité, dans un contexte de nécessaire solidarité interprofessionnelle, d'occuper toute leur place sur ce nouveau marché. Il s'agit aussi de répondre dès que possible et dans les meilleures conditions aux nouvelles attentes des lecteurs.

Dans cet esprit, la proposition de loi a vocation à s'appliquer au livre numérique dit « homothétique », c'est-à-dire aux « oeuvres de l'esprit » répondant à un principe de réversibilité, à savoir celles soit déjà imprimées soit imprimables sans perte significative d'information.

(3) La nécessité d'une répartition équitable de la valeur

L'étude précitée évoque une « révolution silencieuse », sous l'apparente stabilité du marché, le numérique pouvant représenter 20 à 28 % des profits de l'industrie concernée.

Votre rapporteur s'interroge sur la répartition de cette valeur. Étant par ailleurs rapporteur pour le secteur du cinéma, il établit un parallèle avec la situation de ce dernier : le « dividende numérique » réalisé par les distributeurs de films à l'occasion du passage à la projection numérique dans les salles donne lieu à un partage de l'économie ainsi réalisée entre distributeurs de films et exploitants de salles, par le biais du versement d'une « contribution numérique » destinée à financer l'équipement numérique des salles. Tel est l'objet de la loi 8 ( * ) n° 2010-1149 du 30 septembre 2010 relative à l'équipement numérique des établissements de spectacles cinématographiques.

Dans le secteur du livre, le modèle de partage de ce « dividende numérique » reste à définir. Face aux plateformes internationales de distribution via Internet, les acteurs français s'organisent, et il y a urgence à le faire.

Ceci est vital pour les librairies , dont le réseau qui maille notre territoire est essentiel à sa vitalité culturelle et à la diffusion du livre sous toutes ses formes et dans toute sa diversité.

Par ailleurs, comme votre commission l'a soutenu à l'occasion de l'examen de la proposition de loi sur le prix du livre numérique, il est essentiel de garantir une rémunération équitable aux auteurs , même s'il est encore difficile d'évaluer l'existence et surtout le niveau des économies que l'édition numérique pourrait permettre de réaliser.

Des discussions interprofessionnelles sont en cours et, ainsi que l'a souligné notre collègue Colette Mélot, rapporteur de ce texte : « notre commission fait confiance aux professionnels pour que les négociations engagées aboutissent à un résultat satisfaisant pour tous. Le rapport annuel d'application de la loi devra aussi permettre un suivi de la situation dans ce domaine. »


* 4 Cf. l'étude « la référence des équipements multimédia ».

* 5 Forum d'Avignon sur le thème suivant : « Nouveaux accès, nouveaux usages à l'ère numérique : la culture pour chacun ? ».

* 6 Terme impropre, la créativité sémantique pouvant trouver matière à s'exercer dans ce domaine...

* 7 Étude de « Bain & company » sur « les écrits à l'heure du numérique ».

* 8 Voir le rapport n° 604 (2009-2010) intitulé « Équipement numérique des établissements de spectacles cinématographiques », présenté par M. Serge Lagauche au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication.

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