II. METTRE EN PLACE UNE VÉRITABLE RÈGLE D'ÉQUILIBRE

L'objet essentiel de la réforme est de se doter d'un dispositif institutionnel contraignant, qui permette de s'assurer que les lois financières annuelles comportent bien les mesures de nature à permettre d'atteindre les objectifs de déficit et de dette inscrits dans le programme de stabilité.

Ce dispositif institutionnel est celui préconisé par le rapport Camdessus et votre commission des finances au printemps 2010.

A. LA CONFIRMATION DE LA RÈGLE PRÉCONISÉE PAR LE GROUPE CAMDESSUS ET LA COMMISSION DES FINANCES DU SÉNAT

1. L'inscription de la règle elle-même dans la Constitution : un apport de l'Assemblée nationale

Le présent projet de loi constitutionnelle, dans sa rédaction initiale, créait l'instrument susceptible de permettre la mise en oeuvre de la règle d'équilibre (les lois-cadres d'équilibre des finances publiques), mais ne précisait pas en quoi consistait la règle censée devoir être appliquée.

Deux amendements identiques à l'article premier, adoptés à l'initiative de la commission des lois et de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, inscrivent dans la Constitution une « règle » d'effort structurel inspirée de celle préconisée, notamment, par le rapport Camdessus.

Le texte transmis au Sénat prévoit ainsi que les lois-cadres « fixent, pour chaque année, un objectif constitué d'un maximum de dépenses et d'un minimum de recettes qui s'impose aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale ».

Si les rapporteurs pour avis ont employé ci-dessus le mot « règle » entre guillemets, c'est parce qu'en réalité cette disposition ne contraint à aucun effort ou rythme particulier de réduction du déficit. Elle se contente de fixer la nature de l'engagement que le législateur financier devra prendre, en recettes comme en dépenses. Elle ne préjuge donc pas des choix qui seront faits en matière de politique budgétaire.

2. Le rejet d'une règle exprimée en termes de solde, même structurel

a) Une disposition qui n'oblige pas à faire des efforts d'autant plus importants que la croissance est faible

A la connaissance des rapporteurs, aucun expert ou économiste ne recommande que la France se dote d'une règle de solde l'obligeant à une certaine trajectoire de déficit effectif.

Tout d'abord, à moins de se doter de marges de sécurité considérables, cela serait concrètement inapplicable. Certes, parce qu'ils sont « au pied du mur », les Etats « périphériques » de la zone euro incapables de se financer sur les marchés prennent des engagements de ce type afin de rassurer les investisseurs. Mais, outre le fait que le Gouvernement ne maîtrise pas l'ensemble des dépenses publiques, il existe un fort aléa du côté de la croissance et des recettes, que l'on ne peut que constater a posteriori . Par exemple, une croissance inférieure de 1 point augmente le déficit de 0,5 à 1 point de PIB.

Surtout, une telle règle obligerait les gouvernements à mener une politique budgétaire d'autant plus restrictive (c'est-à-dire à réduire leurs dépenses et à prendre des mesures nouvelles tendant à alourdir les prélèvements obligatoires) que la croissance serait faible, ce qui « ajouterait la crise à la crise » et serait, d'un point de vue économique, absurde. Politiquement intenable, une telle règle ne serait donc pas crédible.

Il faut donc écarter d'emblée l'idée, parfois avancée, que le présent projet de loi constitutionnelle préconiserait de mener une politique budgétaire d'autant plus rigoureuse que la croissance serait faible. Cela n'aurait pas de sens, et ce n'est pas de cela qu'il est question.

Le dispositif proposé consiste au contraire à faire porter les futurs engagements de la politique des finances publiques sur le déficit corrigé des effets de la conjoncture. Autrement dit, avec la nouvelle règle, il sera toujours possible de laisser jouer ce que l'on appelle les « stabilisateurs automatiques », c'est-à-dire de laisser le déficit fluctuer spontanément au gré de la conjoncture. En outre, la loi organique pourra comporter une clause de circonstances exceptionnelles.

b) Un dispositif qui écarte la notion de déficit structurel, difficile à utiliser en France et dans le contexte économique actuel

Pour définir une politique budgétaire qui « neutralise » les effets de la conjoncture, les économistes, suivis sur ce point par l'Allemagne, tendent généralement à privilégier une règle consistant à ce que le gouvernement s'engage sur un objectif annuel de solde structurel.

Le pacte de stabilité prévoit d'ailleurs qu'un Etat en situation de déficit excessif (c'est-à-dire supérieur à 3 points de PIB) doit réduire son déficit structurel d'au moins 0,5 point de PIB par an. Dans le cas de la France, le Conseil a demandé à la France, notamment le 26 avril 2010, de réduire son déficit structurel d'au moins 1 point de PIB par an.

Il n'aurait pas été absurde de choisir une règle définie en termes de solde structurel, d'autant plus que si, au niveau européen, le seuil de 3 points de PIB retenu pour engager les procédures pour déficit excessif concerne bien le déficit effectif, les obligations concrètes que le Conseil européen impose aux Etats sont exprimées en termes d'évolution du solde structurel.

Cependant, une telle règle n'est pas politiquement possible en France. En effet, le déficit structurel n'est pas une notion objective, mais le résultat de calculs économétriques reposant sur des hypothèses qui, si elles peuvent correspondre aux « techniques standard » de la profession des économistes à un moment donné, n'en sont pas moins en partie arbitraires. Une telle situation ne pose pas de problème dans des pays, comme l'Allemagne, habitués à s'en remettre à l'expertise des économistes (notamment en matière de prévisions de croissance). Cependant en France, où la tradition est différente, et où les économistes tendent à adopter des positions très tranchées et idéologiquement marquées, une telle règle aurait été difficile à appliquer. Tel est d'autant plus le cas que la récession de 2008-2009 rend de fait impossible pour les prochaines années toute évaluation raisonnablement fiable du déficit structurel et de son évolution. Une règle définie en termes de solde structurel aurait donc risqué de susciter des polémiques sans fin, incompréhensibles par le citoyen.

Pourquoi la récession de 2008-2009 rend impossible pour les prochaines années toute évaluation raisonnablement fiable du déficit structurel et de son évolution

Le déficit structurel se calcule en faisant des hypothèses en matière de PIB potentiel (c'est-à-dire corrigé de la conjoncture). Schématiquement, le PIB est actuellement inférieur d'environ 7 points à ce qu'il aurait été sans la crise, ce qui augmente le déficit d'environ 3,5 points de PIB.

Les incertitudes concernent tout d'abord le niveau du déficit structurel. Si l'on considère que la totalité de la perte de PIB est devenue structurelle (autrement dit qu'elle ne sera jamais rattrapée), ce qui est malheureusement crédible après une crise financière, le déficit structurel est passé d'environ 3 points de PIB (correspondant à son niveau moyen avant la crise) à 6,5 points de PIB. Si l'on considère que la perte de PIB est totalement conjoncturelle (c'est-à-dire qu'elle sera rattrapée sur le long terme), le déficit structurel est toujours de l'ordre de 3 points de PIB, et il suffirait d'attendre suffisamment longtemps pour que (si les dépenses publiques continuent d'augmenter à la vitesse du PIB d'avant la crise) le déficit retrouve ce niveau de lui-même.

Ces incertitudes concernent également l'évolution du déficit structurel. Supposons que la croissance du PIB et des dépenses publiques soit de 1,5 % par an ces prochaines années. Sans mesures sur les recettes, le solde public demeurerait inchangé. Si l'on retient l'hypothèse que la croissance potentielle de l'économie est de 1,5 %, une croissance de 1,5 % maintient inchangé l'écart du PIB par rapport à son niveau potentiel, et donc le déficit structurel n'évolue pas. En revanche, si l'on suppose que la croissance potentielle est de 2 %, une croissance de 1,5 % aggrave le déficit conjoncturel de 0,25 point de PIB par an, et donc, pour un niveau de déficit donné, correspond à une amélioration du déficit structurel de 0,25 point de PIB.

A cela s'ajoute le fait que le déficit structurel évolue non seulement en fonction de la croissance des dépenses, de celle du PIB potentiel, et des mesures que le Gouvernement prend sur les recettes, mais aussi des fluctuations spontanées de l'élasticité (c'est-à-dire de la sensibilité) des recettes publiques au PIB. Schématiquement, les recettes publiques tendent à augmenter plus rapidement que le PIB quand la croissance est forte, et plus lentement quand elle est faible. De manière paradoxale, le déficit structurel n'est donc pas corrigé de la totalité de la composante conjoncturelle du déficit. L'impact sur le déficit peut être considérable : par exemple, pour une politique identique, entre un Gouvernement qui « n'a pas de chance » et constate une élasticité de 0,8 et un Gouvernement qui « a de la chance » et connaît une élasticité de 1,2, l'écart en termes de déficit public est de l'ordre de 0,7 point de PIB. Cela réduit fortement l'intérêt du déficit structurel comme instrument de mesure de la politique budgétaire.

3. Une règle qui porte sur les efforts discrétionnaires de réduction du déficit, en recettes comme en dépenses

Les limites des règles exprimées en termes de solde (que celui-ci soit effectif ou structurel) expliquent que le rapport Camdessus propose, conformément aux préconisations de votre commission des finances, que le Gouvernement et le Parlement s'engagent sur un « vote par le Parlement de plafonds globaux des dépenses et de planchers des mesures nouvelles en recettes, dans une perspective pluriannuelle, ce qu'il est convenu de qualifier d' effort structurel ».

La référence à des « plafonds globaux de dépenses » n'appelle pas de commentaire particulier. On rappelle toutefois qu'elle ne concernerait (comme d'ailleurs la disposition relative aux recettes) que l'Etat et les régimes obligatoires de base de sécurité sociale, c'est-à-dire les administrations de sécurité sociale couvertes par les lois de financement de la sécurité sociale (ce qui exclut essentiellement l'assurance chômage et les régimes complémentaires de retraites).

La référence à des « planchers des mesures nouvelles en recettes » est souvent plus mal comprise.

Les mesures nouvelles sont une notion utilisée dans le tome I du fascicule des « Voies et moyens » et dans le rapport relatif aux prélèvements obligatoires annexé au projet de loi de finances. Le code de la sécurité sociale (dans son article LO 111-4) et la loi de programmation des finances publiques 2011-2014 (dans ses articles 9 et 15) s'y réfèrent explicitement. Il s'agit de la somme des mesures sur les recettes, positives ou négatives (c'est-à-dire tendant à augmenter ou à réduire les recettes), entrant en vigueur une année donnée. Par exemple, si le taux normal de TVA augmente de 1 point au 1 er janvier d'une année donnée, cela correspond, pour l'année concernée, à une « mesure nouvelle » de l'ordre de 6 milliards d'euros. L'année suivante, cette mesure ne correspond en revanche à aucune mesure nouvelle.

Les mesures nouvelles sont utilisées pour prévoir l'évolution des recettes publiques. Le calcul consiste à évaluer ce que serait l'évolution « spontanée » des recettes (qui dépend de la prévision de croissance du PIB en valeur et de l'élasticité, c'est-à-dire de la sensibilité, des recettes publiques au PIB), et à ajouter à ce résultat le montant des mesures nouvelles.

La préconisation du rapport Camdessus revient donc à demander au Gouvernement et au Parlement de s'engager à prendre des mesures d'augmentation des recettes pour au moins un certain montant. C'est déjà ce que prévoit l'article 9 de la loi de programmation des finances publiques pour la période 2011-2014, selon lequel le Gouvernement doit prendre des mesures nouvelles d'au moins 11 milliards d'euros en 2011 et 3 milliards d'euros chacune des années suivantes.

Bien entendu, cela ne signifie pas que les recettes doivent effectivement augmenter à hauteur de ces montants. Leur évolution dépend en effet de facteurs économiques, qui échappent pour l'essentiel à l'action du Gouvernement, et ne sont pas prévisibles à court terme. Le rapport Camdessus ne propose donc pas un « plancher de recettes », mais bien un « plancher de mesures nouvelles sur les recettes ».

En pratique un engagement sur un niveau de dépenses publiques et de mesures nouvelles sur les recettes correspond quasiment à un engagement sur une évolution du solde structurel, comme le montre le tableau ci-après. La seule différence est que le Gouvernement et le Parlement s'engagent uniquement sur ce qu'ils contrôlent, et donc pas sur les fluctuations spontanées de l'élasticité (c'est-à-dire de la sensibilité) des recettes publiques au PIB. Comme sur le long terme cette élasticité est égale à 1 (c'est-à-dire que les recettes publiques tendent spontanément à évoluer à la même vitesse que le PIB), à long terme il n'y a pas de différence significative en pratique.

Malgré son caractère « rustique », la « règle » proposée par le rapport Camdessus est donc mûrement réfléchie. Elle équivaut quasiment à une règle d'évolution du solde structurel, tout en utilisant des notions simples et non contestables.

Les facteurs d'évolution du solde public : décomposition indicative dans un cas particulier

(en points de PIB)

Solde effectif

Solde structurel

A

Evolution du solde dépendant de l'action du Gouvernement (« effort structurel »)

1,0

1,0

La règle proposée par le rapport Camdessus et le Gouvernement porte sur ceci

Une règle de solde structurel porterait sur ceci

B

Maîtrise de la dépense (1)

0,5

0,5

C

Mesures nouvelles sur les recettes

0,5

0,5

D

Evolution du solde ne dépendant pas de l'action du Gouvernement

-0,4

-0,15

E

Evolution du solde résultant d'une l'élasticité des recettes publiques au PIB différente de 1 (2)

-0,15

-0,15

F

Evolution du solde conjoncturel

-0,25

G

Evolution totale du solde

0,6

0,85

(1) Evolution du ratio dépenses/PIB potentiel.

(2) Sur le long terme, cette élasticité est égale à 1. La règle proposée par le rapport Camdessus et une règle exprimée en termes d'évolution du solde structurel sont donc équivalentes sur le long terme.

Hypothèses : Croissance des dépenses publiques de 1 % en volume, croissance potentielle de 2 % en volume, croissance du PIB de 1,5 % en volume, élasticité des recettes publiques au PIB de 0,9, mesures nouvelles sur les recettes de 10 milliards d'euros, inflation de 1,5 %.

Source : commission des finances

(explication des chiffres page suivante)

Explication des chiffres du tableau de la page précédente

Ce tableau a un objet purement didactique et ne correspond à aucune année réelle. Les hypothèses ont été choisies de manière à simplifier les calculs.

Il résulte des hypothèses retenues que l'année concernée le solde public effectif s'améliore de 0,6 point de PIB, et le solde public structurel de 0,85 point de PIB.

Ce résultat s'explique, de manière simplifiée, de la façon suivante.

La ligne B correspond à la part de la réduction du déficit résultant du différentiel de croissance entre les dépenses et le PIB « potentiel » (c'est-à-dire corrigé des effets de la conjoncture). Autrement dit, il s'agit de calculer la diminution, en points de PIB, du ratio dépenses/PIB potentiel. Comme, selon les hypothèses retenues, la croissance des dépenses est de 1 % et celle du PIB potentiel de 2 %, et comme les dépenses publiques correspondent à environ la moitié du PIB, le solde public s'améliore d'environ (2-1) / 2= 0,5 point de PIB.

La ligne C correspond aux mesures nouvelles sur les recettes, par hypothèse égales à 10 milliards d'euros, soit 0,5 point de PIB.

La ligne E correspond à l'évolution du solde résultant d'une l'élasticité des recettes publiques au PIB différente de 1 (c'est-à-dire du fait que les recettes n'augmentent pas à la même vitesse que le PIB). Dans l'exemple retenu cette élasticité est de 0,9, ce qui signifie qu'alors que le PIB augmente de 3 % en valeur (1,5 % en volume + 1,5 % d'inflation), les recettes augmentent de seulement 0,9 3 = 2,7 %. Les recettes publiques étant à peu près égales à la moitié du PIB, l'écart, de 0,3 point de recettes, correspond à environ 0,15 point de PIB.

La ligne F correspond à l'évolution du solde conjoncturel, c'est-à-dire à l'évolution du solde résultant de la conjoncture (hors fluctuation de l'élasticité des recettes au PIB), c'est-à-dire de l'écart entre la croissance effective (ici 1,5 %) et la croissance potentielle (ici 2 %). Si la croissance était effectivement de 2 %, le ratio dépenses/PIB s'améliorerait de 0,5 point de PIB (cf. explication de la ligne B). Mais comme elle est de seulement 1,5 %, elle s'améliore seulement, selon le même raisonnement, de 0,25 point de PIB. L'écart, soit 0,25 point de PIB, correspond à l'impact sur le solde public du différentiel entre la croissance effective et la croissance potentielle. En effet, comme on ne prend pas ici en compte le fait que l'élasticité des recettes au PIB s'écarte de l'unité (pris en compte par la ligne E), les recettes demeurent constantes en points de PIB.

Les lignes A, D et G résultent par addition des autres lignes (A = B+C, D = E+F et G = A+D).

4. Une règle qui doit être contraignante et dont le non respect doit être sanctionné

La règle ainsi énoncée existe déjà dans notre droit, depuis l'entrée en vigueur de la deuxième loi de programmation des finances publiques.

Cependant, celle-ci est une loi ordinaire dont la valeur n'est pas supérieure à celle des lois financières annuelles et il n'est pas possible de sanctionner d'éventuels manquements à ses prescriptions.

Pour que la trajectoire pluriannuelle soit respectée et devienne donc contraignante, il importe non seulement qu'elle figure dans un texte de valeur supérieure à celle des lois financières, mais aussi de mettre en place à la fois un dispositif de contrôle du respect des engagements et un dispositif de sanction d'un éventuel non respect.

On verra plus loin que les modalités du contrôle doivent encore être précisées et que les sanctions restent à inventer.

5. Un dispositif qui remplit les critères de la « bonne règle »

Dans leur note adressée aux membres du groupe de travail présidé par Michel Camdessus, vos rapporteurs considéraient que « la règle doit imposer au gouvernement des contraintes quantitatives claires en matière d'action à mener pour réduire le déficit, qu'elle doit être suffisamment souple pour ne pas enfermer l'action politique dans un chemin unique (ce qui risquerait de conduire rapidement à sa remise en cause), qu'elle ne doit pas susciter le risque de polémiques entre un comité d'experts indépendants (comme un panel d'économistes ou la Cour des comptes) et le Gouvernement (ce qui ruinerait sa légitimité), qu'elle doit être non manipulable par les gouvernements et qu'elle doit être compréhensible par l'opinion ».

Le dispositif proposé par le présent projet de loi constitutionnelle remplit l'ensemble de ces critères.

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