B. L'ÉCHEC D'UNE POLITIQUE COUPÉE DE LA VIE DES TERRITOIRES

1. Les leçons de géographie de l'école

Au niveau de la population scolaire, des résultats des élèves, des moyens mis en oeuvre, des politiques rectorales autonomes, des expérimentations ministérielles implantées, de l'intervention des collectivités, les académies ne se ressemblent pas. Ce constat paraîtrait presque banal et bénin, si ces inégalités étaient le résultat d'une différenciation des moyens et des dispositifs au service de la réussite de tous les élèves, qui accorderait plus à ceux qui en ont le plus besoin. En réalité, le déterminisme social si fort dans notre système scolaire, ainsi que l'ont montré les enquêtes nationales et internationales déjà rappelées par votre rapporteure, s'exprime malheureusement aussi sous forme d'une sorte de déterminisme géographique. Les inégalités de traitement et la disparité des politiques ne contrecarrent pas les effets des difficultés socio-économiques des territoires les plus fragiles, qu'ils soient urbains, ruraux ou ultramarins mais elles tendent simplement à les refléter et les reproduire.

Les difficultés de l'outre-mer, dont il fait reconnaître la grande diversité, sont bien connues, sans que l'on puisse discerner une action résolue du ministère pour adapter son action aux spécificités de ces territoires et s'y concentrer sur la lutte contre l'échec scolaire. Plus qu'ailleurs encore, l'école primaire y est un chaînon fondamental qui doit être renforcé. Bien souvent, le français n'est pas la langue maternelle parlée dans la famille. Les créoles sont notamment très vivants à la Martinique, à la Guadeloupe et à la Réunion et l'école est aussi le lieu du passage vers le français. La situation de la Guyane et désormais de Mayotte, nouveau département, nécessitent une attention toute particulière.

Plus généralement, votre rapporteure s'inquiète des effets de la désectorisation, en particulier du développement d'une concurrence perverse entre les établissements et de la constitution de ghettos scolaires dans l'éducation prioritaire. Rappelons l'enquête de la Cour des comptes sur les conséquences de l'assouplissement de la carte scolaire sur les effectifs des collèges des réseaux ambition réussite (RAR) . Après l'augmentation de 28 % des dérogations en 2008, la Cour avait souligné que : « les effectifs des collèges ont évolué de façon fortement différenciée selon les établissements : certains ont pu enregistrer des pertes d'effectifs allant jusqu'à 10 % alors que d'autres connaissaient des progressions allant jusqu'à 23 %. Particulièrement, sur les 254 collèges « ambition réussite », 186 établissements ont perdu des élèves, ce qui s'est traduit par une plus grande concentration dans ces collèges des facteurs d'inégalités contre lesquels doit lutter la politique d'éducation prioritaire. » 20 ( * )

Interrogés par votre rapporteure, les services du ministère de l'éducation nationale lui ont transmis les éléments d'information suivants. Les demandes de dérogation en 6 e et en 2 nde se sont élevées à 111 828 à la rentrée 2011, 67 864 d'entre elles ont été satisfaites. Le taux de satisfaction des demandes a baissé entre 2008 et 2011 passant de 77 % à 63 % en 6 e et de 73 % à 58 % en 2 nde . Sans doute est là le signe de la volonté des autorités académiques déconcentrées de contenir des variations d'effectifs trop importantes dépeuplant les établissements les moins réputés pour en engorger d'autres. C'est bien le signe d'un besoin évident de régulation des affectations pour assurer tant la mixité sociale qu'une gestion efficace des établissements et a contrario des risques de stigmatisation, d'accroissement des inégalités et de désarticulation du système éducatif que produit la désectorisation.

Dans l'éducation prioritaire, 25 % des élèves de CM2 devant aller dans un collège RAR ont fait une demande de dérogation pour l'éviter. Avec un taux de satisfaction de 60 %, ce sont environ 15 % des élèves qui évitent délibérément les collèges RAR . L'impact sur les effectifs accueillis dans les collèges RAR est très important puisqu'ils enregistrent à la rentrée 2011 une baisse de 10,5 % de leurs effectifs sur un an . Cet effet est cumulatif d'année en année. Déjà à la rentrée 2009, on considérait que 32 collèges en RAR avaient perdu plus de 25 % de leurs effectifs en 6 e . Quant elle ne conduit pas une concentration intenable des difficultés sociales et scolaires , cette hémorragie peut amener la fermeture de l'établissement. Dans les deux cas, elle vide de sa substance même l'éducation prioritaire. C'est pourquoi votre rapporteure s'étonne que le ministère de l'éducation nationale n'ait pas mené une évaluation rigoureuse des impacts pédagogiques sur les apprentissages des élèves de la désectorisation, notamment dans les RAR.

Les mesures de carte scolaire et les suppressions de postes ne touchent pas seulement les zones urbaines. Elles touchent aussi violemment les zones rurales où l'école constitue un service public de proximité essentielle pour la vitalité des territoires. Toute la pratique de l'éducation nationale trahit la charte des services publics en milieu rural, signée en 2006, qui prévoit au moins une prévisibilité des suppressions de postes et des fermetures de classes à horizon de deux ans afin de laisser les collectivités s'organiser. L'Association des maires de France (AMF) et l'Association des maires ruraux de France (AMRF), reçues par votre rapporteure, lui ont fait part de leur déception et de leur inquiétude, que le ministère ne semble pas entendre.

En outre, une enquête réalisée conjointement par le SNUIPP, l'association nationale des directeurs de l'éducation des villes (Andev) et l'AMRF a mis en évidence les très fortes disparités naissant des interventions différenciées des communes en matière d'éducation. Les crédits scolaires varient de un à dix selon les communes. Les petites écoles des petites communes sont les plus faiblement dotées en moyenne, ce qui désavantage fortement leurs élèves. L'État n'assure pas ici sa mission de garant de l'équité sur l'ensemble du territoire national. Il ne propose comme solution, non pas la signature d'une charte nationale d'équipement ou une remise à plat de la répartition des financements avec les collectivités, ainsi que le recommandait en 2008 la Cour des comptes , mais une poursuite de la désertification scolaire par concentration des établissements.

Le désarroi des élus ruraux devant la fermeture de classes et d'écoles est compréhensible et les pousse parfois à des extrémités très regrettables comme l'embauche de professeurs sur des fonds communaux, qui assimile de fait l'école publique à une école privée hors contrat. Les pressions pour la constitution de regroupements scolaires concentrés sont particulièrement inacceptables. La concentration dans des établissements des effectifs des écoles rurales fermées tend toujours à se faire au profit du chef-lieu de canton, alors même que le numérique est l'outil adéquat pour mailler un réseau d'écoles dynamique et respectueux de la vie des territoires. Votre rapporteure déplore à cet égard très vivement l'abandon du plan écoles numériques rurales , qui a suscité beaucoup d'enthousiasme et de satisfaction auprès des élus, des enseignants, des parents et des élèves.


* 20 Cour des comptes, L'articulation entre les dispositifs de la politique de la ville et de l'éducation prioritaire dans les quartiers sensibles , Enquête réalisée à la demande de la commission des finances du Sénat, septembre 2009, p. 21.

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