II. LA STRATÉGIE DE REDRESSEMENT : PRIVILÉGIER L'ANALYSE LUCIDE DES FAITS ET LA HIERARCHISATION DES PRIORITÉS

A propos des remèdes à cette détérioration, que certains économistes n'hésitent pas à qualifier d'effondrement, en particulier de 2002 à 2007, toutes sortes d'arguments ont été avancés.

Afin d'apporter une contribution brève mais utile dans ce débat, votre rapporteure pour avis fait d'abord observer que la principale difficulté consiste avant tout à relier les phénomènes les uns aux autres et à hiérarchiser les priorités. Ecartant toute intention polémique mais soucieuse de favoriser une approche lucide, elle estime opportun de brosser un rapide tableau des principales interrogations que suscitent l'annonce d'un certain nombre de mesures de soutien et de préciser les « fondamentaux stratégiques » du redressement de nos capacités exportatrices.

A. LES INTERROGATIONS SUR LA PORTEE DE CERTAINES MESURES ANNONCEES

1. L'amélioration de la réciprocité : un combat nécessaire mais insuffisant

RAPPEL PRÉALABLE : LES BASES JURIDIQUES DU PRINCIPE DE RÉCIPROCITÉ

L'OMC reconnaît deux grands principes : la clause de la nation la plus favorisée (dite « clause NPF ») et la clause du traitement national . Dans les accords de l'OMC, la « clause NPF » précise que tout avantage commercial accordé par un pays à un autre doit être immédiatement accordé à la totalité des membres de l'OMC. Quant à la clause du traitement national, elle permet, à une entreprise étrangère, de bénéficier des mêmes conditions que celles appliquées aux entreprises nationales. Le concept de réciprocité n'est pas pour autant ignoré des accords. En effet, l'article XXVIII-2 du GATT stipule que les États membres s'efforcent « de maintenir un niveau général de concessions réciproques et mutuellement avantageuses » et l'Accord sur l'Organisation mondiale du commerce (OMC) de 1994 reprend cette même notion. Seul l'Accord plurilatéral sur les marchés publics de l'OMC (AMP) s'appuie pleinement sur cette notion de réciprocité.

Les accords du GATT ont autorisé, dans les années 1970, une dérogation aux règles de réciprocité dans le cadre des relations commerciales avec les pays en développement (PED) ; le « traitement spécial et différencié » introduit par le GATT signifie que l'on ne peut pas demander, aux PED, le même niveau d'ouverture commerciale dans les engagements multilatéraux comme bilatéraux.

En droit international, deux catégories d'accords bilatéraux se caractérisent par une équivalence des engagements respectifs. Il s'agit des conventions bilatérales d'investissement et des conventions fiscales qui entérinent un parallélisme des obligations et des droits des deux parties. On les appelle souvent « conventions de protection et de garantie réciproques des investissements » ou « conventions réciproques de non-double imposition » sur un certain nombre d'impôts et de taxes. Le droit du commercial international gagnerait probablement à s'en inspirer mais ne saurait s'exonérer de la réalité du rapport de forces entre l'UE et ses partenaires commerciaux.

(Source : extrait du rapport Réciprocité et commerce international publié en mars 2012 par la Chambre de commerce et d'industrie de Paris.)

Au titre des mesures nécessaires mais qui ne peuvent pas tenir lieu d'axe majeur de redressement, on peut tout d'abord citer l'application du principe de réciprocité, car cet objectif, bien que pertinent, ne cible pas la difficulté principale de notre commerce extérieur .

En effet, pour expliquer les raisons profondes de notre déficit commercial, certains économistes soulignent la prééminence des excès de la mondialisation et, plus précisément, du « dumping » ainsi que de la sous-évaluation de leur devise pratiqués par certains pays. En conséquence, ce courant de pensée estime que le rééquilibrage de nos échanges impose non pas tant un effort de compétitivité de la France que des mesures de lutte contre ce dumping.

Comme l'a rappelé votre rapporteure pour avis au cours de l'audition de la ministre du commerce extérieur par la commission des Affaires économiques, certains observateurs ont pu se demander, au tout début du nouveau quinquennat, si le Gouvernement ne plaçait pas au centre de sa stratégie en matière de commerce extérieur l'application stricte du principe de réciprocité. Or le directeur général de l'OMC, tout en ayant pris soin, en mai 2012, de mettre garde un certain nombre de pays émergents contre la tentation de recourir au protectionnisme pour limiter l'impact du ralentissement économique mondial, a opportunément rappelé, en ce qui concerne la France, des faits incontournables : les parts de marché de la France se réduisent là où les règles de réciprocité sont respectées, ce qui concerne les deux tiers de notre commerce extérieur. A l'inverse, nos exportations progressent plutôt dans les zones où la réciprocité est encore imparfaite. La conclusion logique à tirer de ces observations, illustrées par les données figurant dans l'encadré ci-dessous, est que la compétitivité est bien l'axe majeur du redressement de notre commerce.

UNE ILLUSTRATION : L'ÉVOLUTION DES ÉCHANGES ENTRE LA FRANCE, LA CHINE ET L'UNION EUROPÉENNE.

La France enregistre son plus gros déficit bilatéral avec la Chine, 27 milliards en 2011, soit l'équivalent du montant fixé comme objectif pour redresser la balance commerciale d'ici cinq ans

Encore faut-il préciser que la part de la Chine comme client de la France a triplé entre 2002 et 2013, même si elle reste faible en niveau absolu (le pourcentage total dans les exportations françaises est passé de 1,1 à 3,2 %). Parallèlement, la Chine est devenue en 2011 notre deuxième fournisseur, avec 8 % des importations, (contre 3,5 % en 2002), juste devant la Belgique et l'Italie, mais encore loin de l'Allemagne, dont la part diminue de 18,3 % en 2002 à 17 % en 2011, soit encore plus du double de la Chine.

On note cependant, dans les chiffres de 2011, que la croissance des exportations vers la Chine par rapport à 2010 (22,7 %) est nettement plus importante que celle des importations (8,5 %) .

Au cours de la même période, notre solde commercial s'est fortement dégradé avec l'Allemagne, il a peu évolué avec l'Italie et s'est lourdement détérioré (passant d'un fort excédent à un quasi-équilibre) avec l'Espagne, alors que ces trois pays sont soumis au même régime de taux de change et respectent la même « règle du jeu » en matière de commerce internationale.

Ces évolutions illustrent concrètement l'affirmation du directeur général de l'OMC : l'évolution des parts de marché de la France ne semble a priori pas corrélée au respect du principe de réciprocité par ses partenaires commerciaux.

En matière de taux de change, il convient de rappeler qu'au sein de la zone euro, les États membres sont, par définition, privés de l'arme de la dévaluation 11 ( * ) . Cependant, une hausse de la TVA a, comme le soulignent par exemple les économistes du Centre d'analyse stratégique, un effet équivalent, puisqu'elle frappe les importations mais pas les exportations, et la plupart de nos voisins l'ont utilisée au cours des dernières années. Cet outil mérite cependant, dans la situation actuelle, d'être manié avec précaution pour des raisons à la fois sociales et économiques puisqu'il risque d'affaiblir la consommation qui apparait de facto comme le dernier « moteur » de la croissance française.

2. La problématique de l'accompagnement des PME à l'exportation mérite d'être soigneusement examinée.

Il s'agit là d'examiner un aspect particulier du thème plus général et parfaitement consensuel du nécessaire renforcement du tissu de nos entreprises moyennes.

UN RAPPEL : L'EFFORT D'EXPORTATION EST CONCENTRÉ,
EN FRANCE, SUR LES GRANDES ENTREPRISES

Le nombre des entreprises exportatrices françaises diminue tendanciellement : il est passé de 131 000 en 2000 à 117 170 en 2011. Par comparaison, on en compte presque deux fois plus en Italie et quatre fois plus en Allemagne.

Les PME réalisent environ 40% des exportations françaises . Elles appartiennent principalement au secteur du commerce, transport, restauration et hébergement (41% des PME exportatrices).

L'activité internationale des PME est moins développée que celles des Entreprises de taille intermédiaire (ETI) et des grandes entreprises. Les entreprises de plus de 250 salariés, qui ne représentaient pourtant que 3% des opérateurs du commerce extérieur, pesaient pour plus de la moitié dans les exportations françaises en 2011.

Les échanges commerciaux de la France sont très concentrés sur les grands opérateurs : les 1000 premiers exportateurs français assurent plus de 70 % du chiffre d'affaires à l'exportation .

NB- on recense au total en France, en 2011 :

- 3,5 millions de PME (elles occupent moins de 250 personnes et ont un chiffre d'affaires annuel n'excédant pas 50 millions d'euros ou un total du bilan n'excédant pas 43 millions d'euros) ;

- près de 250 entreprises de taille mondiale (dont les effectifs sont supérieurs à cinq mille salariés) ;

- entre ces deux ensembles, on compte 4 700 entreprises de taille intermédiaire (ETI - elles occupent moins de 5 000 salariés et ont un chiffre d'affaires annuel n'excédant pas 1,5 milliard d'euros ou un total du bilan n'excédant pas 2 milliards d'euros), soit deux fois moins qu'en Allemagne, cette dernière disposant ainsi d'un solide tissu d'opérateurs performants à l'exportation.

L'une des synthèses les plus récentes sur le thème du renforcement de la capacité exportatrice des PME est fournie par l'avis du Conseil économique, social et environnemental (CESE) du 7 mars 2012 qui s'intitule « Gagner la bataille de l'exportation avec les PME ». Ce dernier constate que depuis 2006, un nombre toujours plus faible d'opérateurs portent nos exportations 12 ( * ) et que les firmes de plus de 1000 salariés - soit 1 % de l'ensemble des exportateurs - génèrent à elles seules 39 % du montant total des exportations françaises. De plus, la moitié des PME indépendantes présentes à l'international n'exportent que vers un seul pays, situé le plus souvent dans le voisinage immédiat de la France.

Le CESE fait observer que la culture entrepreneuriale française ne conduit pas spontanément les PME à se projeter à l'international, contrairement à ce qui prévaut en Allemagne ou en Italie, et estime nécessaire d'agir plus vigoureusement pour donner aux dirigeants d'entreprises la confiance et l'envie de développer une activité exportatrice. À cette fin, elle identifie quatre axes d'action prioritaires :

- mieux détecter les marchés porteurs et les entreprises potentiellement exportatrices ;

- mieux accompagner les PME par une meilleure coordination des organismes d'appui et une plus grande lisibilité des outils financiers d'aide à l'export ; rejoignant les remarques formulées par les parlementaires de la commission des Affaires économiques, le CESE préconise, au niveau régional, un « guichet unique de l'export » ainsi qu'une consultation des organisations professionnelles avant toute opération collective de promotion et en améliorant la coordination dans la gestion des salons ;

- encourager les partenariats entre entreprises en associant pleinement les PME aux pôles de compétitivité et en améliorant la relation entre PME et grandes entreprises ;

- relever le défi de la concurrence mondiale et de la croissance des PME, notamment en identifiant de nouvelles ressources pour augmenter leurs fonds propres et en facilitant leur transmission.

Cette orientation globale en faveur du soutien à l'exportation des PME mérite d'abord d'être nuancée si l'on se réfère aux travaux du Conseil d'analyse économique qui estime que le renforcement de la compétitivité de ces dernières doit précéder le soutien à leur développement international.

Dans le même sens, le tout récent rapport de M. Louis Gallois 13 ( * ) préconise la concentration de l'effort de soutien sur les entreprises déjà exportatrices ou celles qui montrent leur capacité à exporter durablement, en tablant sur leur effet d'entraînement naturel sur les autres entreprises. Il souligne, avec une assez grande fermeté, qu' il peut être à l'inverse dangereux et inefficace de pousser artificiellement sur les marchés étrangers des PME qui n'y sont pas suffisamment préparées .

Un certain pragmatisme apparait donc souhaitable pour éviter à certaines PME de s'affaiblir en affrontant sans préparation suffisante les marchés internationaux. En même temps, au cours des auditions on a fait valoir à votre rapporteure pour avis qu'il fallait parfois savoir faire preuve d'audace : en effet, pour les PME, grandir, c'est souvent s'internationaliser. De plus, la confrontation avec la réalité internationale est parfois un excellent moyen, à la fois, de combattre une certaine « sinistrose » ambiante et de se rendre plus attentif aux caractéristiques de la demande étrangère pour enclencher une interaction vertueuse entre l'innovation et l'exportation.

Ces différentes prises de positions relatives aux PME invitent donc à une certaine prudence. En revanche, votre rapporteure pour avis souscrit sans hésitation à la remarque du rapport Gallois, qui tout en rappelant que les relations entre les grands donneurs d'ordre, leurs fournisseurs et les sous-traitants sont souvent dégradées, regrette le « dénigrement » des grands groupes français qui constituent un avantage décisif dans la compétition internationale. Les 200 premières entreprises emploient 28 % des salariés des secteurs marchands, réalisent 62 % de la recherche industrielle et 50 % des exportations. Il semble opportun, dans ces conditions, de soutenir les « fleurons » de notre économie. Comme toute stratégie gagnante, celle de notre commerce extérieur doit, en effet, et par souci d'efficacité, s'appuyer sur ses points forts.

Votre rapporteure pour avis souhaite défendre également une conviction qui s'est encore fortifiée au cours des auditions et des travaux de la commission des Affaires économiques : il s'agit, pour faciliter les démarches des PME et des ETI, de la nécessité de mieux coordonner les actions de soutien aux exportations avec la mise en place d'une structure permanente à la fois au niveau national , en rassemblant, Ubifrance, les réseaux consulaires, les Douanes et les Conseillers du Commerce Extérieur et régional, sous l'égide des Régions.

Lors de son audition du 23 octobre dernier, Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur a apporté une réponse à cette attente en convenant de la nécessité de lutter contre l'éparpillement des « pavillons » de promotion des produits français à l'étranger et estimé souhaitable d' accroître la présence des représentants des régions au conseil d'administration d'Ubifrance à la fois pour contrôler le respect des engagements pris par cet établissement et pour favoriser la coordination des initiatives de soutien aux exportations.

3. Le volet international de la future BPI et la mobilisation des moyens de financement pour les entreprises exportatrices.

La question du financement des entreprises exportatrices apparaît absolument essentielle aujourd'hui : en mettant à part le cas des grands groupes, il ne semble pas excessif de lancer un véritable cri d'alarme en constatant une situation qui s'apparente à un « assèchement » du financement par crédit bancaire en 2012 des exportations.

Dans ces conditions, il est parfaitement logique de soutenir le principe de l'intégration d'un volet international à la nouvelle Banque publique d'investissement (BPI) annoncé par la ministre en charge du commerce extérieur. Ainsi conçue, la BPI deviendrait le point d'entrée unique dans les régions offrant aux PME innovantes et aux ETI, sur lesquelles l'effort doit être axé, l'accès aux prêts et garanties d'Oséo et de Coface, ainsi qu'aux prestations d'accompagnement à l'international d'Ubifrance.

Cependant, selon toute vraisemblance, la mise en place de la BPI n'aura qu'un impact limité et ne satisfera que partiellement la préconisation du rapport Gallois tendant, d'une part, à un alignement des conditions de crédit et des garanties export sur le meilleur niveau constaté dans les pays avancés et, d'autre part, à la création d'un « prêteur direct » public. La signification précise de cette dernière recommandation mérite d'être clarifiée, l'idée d'une reconstitution d'un établissement remplissant les missions autrefois assignées à la Banque française du commerce extérieur (B.F.C.E.) - créée en 1946 avec un statut légal spécial - ayant pu être évoquée. Mme Nicole Bricq a précisé, lors de l'examen des crédits en commission élargie à l'Assemblée nationale du 31 octobre 2012, qu'un tel mécanisme ne pourrait être mis en place avant la fin de l'année, mais que ses services y travaillaient avec le directeur général de la Caisse des dépôts, la BPI pouvant être mise à contribution dans un second temps. Ces propos tendent donc à confirmer les limites de la BPI en matière de financement des ETI ou des PME exportatrices.

Par ailleurs, au cours des auditions, votre rapporteure pour avis a relevé une piste intéressante qui consisterait à rechercher, en faveur de nos entreprises, des financements à l'exportation en dehors du crédit bancaire, par le recours à des emprunts obligataires garantis par l'État. Ces emprunts pourraient être souscrits notamment par des investisseurs institutionnels ainsi que par l'épargne individuelle dont l'orientation semble insuffisamment encouragée vers l'exportation et les entreprises. Le présent avis budgétaire est une occasion propice à interroger le Gouvernement sur ses intentions dans ce domaine.


* 11 On peut noter qu'un article d'août 2012 du CEPII intitulé « Peut-on dévaluer sans dévaluer ? » distingue deux stratégies d'ajustement en se référant non seulement au mécanisme classique de la dévaluation externe (de la devise) mais aussi au concept de « dévaluation interne », c'est-à-dire la compression des prix ainsi que des coûts de production. Cet article retrace les expériences irlandaise et lettone en estimant que la dévaluation interne pratiquée par ces deux pays est un processus lent qui ne permet qu'un ajustement limité au prix de coûts sociaux persistants.

* 12 Entendu par votre rapporteure, M. Christophe Lecourtier, directeur général d'Ubifrance, a cependant indiqué qu'en 2011, pour la première fois depuis 8 ans, la France avait compté plus d'entreprises nouvellement exportatrices (28 900) que d'entreprises quittant les marchés internationaux (26 000) : toute la question est d'inscrire ce résultat positif dans la durée.

* 13 Pacte pour la compétitivité de l'industrie française - Rapport au Premier ministre - 5 novembre 2012.

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