N° 151

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 22 novembre 2012

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur le projet de loi de finances pour 2013 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE ,

TOME II

DIRECTION DE L'ACTION DU GOUVERNEMENT :
MISSION INTERMINISTÉRIELLE DE LUTTE
CONTRE LA DROGUE ET LA TOXICOMANIE (MILDT)

Par Mme Laurence COHEN,

Sénatrice.

(1) Cette commission est composée de : Mme Annie David , présidente ; M. Gilbert Barbier , Mmes Isabelle Debré, Catherine Génisson, MM. Jean-Pierre Godefroy, Claude Jeannerot, Jacky Le Menn, Jean-Louis Lorrain, Alain Milon, Jean-Marie Vanlerenberghe, vice-présidents ; Mmes Aline Archimbaud, Claire-Lise Campion, Catherine Deroche, Chantal Jouanno , M. Marc Laménie, secrétaires ; M. Yves Daudigny, rapporteur général ; Mme Jacqueline Alquier, M. Jean-Paul Amoudry, Mmes Natacha Bouchart, Marie-Thérèse Bruguière, MM. Jean-Noël Cardoux, Luc Carvounas, Mme Caroline Cayeux, M. Bernard Cazeau, Mmes Karine Claireaux, Laurence Cohen, Christiane Demontès, MM. Gérard Dériot, Jean Desessard, Mmes Muguette Dini, Odette Duriez, MM. Guy Fischer, Michel Fontaine, Mme Samia Ghali, M. Bruno Gilles, Mmes Colette Giudicelli, Christiane Hummel, M. Jean-François Husson, Mme Christiane Kammermann, MM. Ronan Kerdraon, Georges Labazée, Jean-Claude Leroy, Gérard Longuet, Hervé Marseille, Mmes Michelle Meunier, Isabelle Pasquet, M. Louis Pinton, Mmes Gisèle Printz, Catherine Procaccia, MM. Henri de Raincourt, Gérard Roche, René-Paul Savary, Mme Patricia Schillinger, MM. René Teulade, François Vendasi, Michel Vergoz, Dominique Watrin.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) : 235 , 251 à 258 et T.A. 38

Sénat : 147 et 148 (annexe n° 9 ) (2012-2013)

Mission « Direction de l'action du Gouvernement »

Programme 129 « Coordination du travail gouvernemental »

Crédits de l'action « Mission interministérielle de lutte
contre la drogue et la toxicomanie » pour 2013

Crédits de paiement (en euros)

Variation 2013/2012 (en %)

Action 15 « Mildt »

22 001 424

- 5,4 %

dont subventions pour charges de service public

Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT)

3 262 000

- 6,9 %

Centre interministériel de formation anti-drogue (Cifad)

458 000

- 6,9 %

Liste des opérateurs

Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt) : créée en 1982, son nom et sa forme actuelle découlent du décret n° 96-350 du 24 avril 1996 et ses compétences du décret n° 99-808 du 15 septembre 1999, aujourd'hui codifiés aux articles R. 3411-11 à R. 3411-16 du code de la santé publique.

Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) : créé en 1993 sous la forme d'un groupement d'intérêt public (GIP), son objet, défini par sa convention constitutive modifiée en avril 2010, est d'éclairer les pouvoirs publics et les professionnels du champ sur le phénomène des drogues en France et de contribuer à son suivi au niveau européen. Pour cela, il procède au recueil, à l'analyse et à la valorisation des connaissances sur l'ensemble des champs disciplinaires intéressés par les drogues et les toxicomanies. Il fournit des informations permettant des comparaisons objectives et fiables sur la situation de la drogue en Europe. Enfin, il apporte un concours méthodologique à la préparation et au suivi des travaux d'évaluation de certains dispositifs gouvernementaux.

Centre interministériel de formation anti-drogue (Cifad) : ce GIP créé en 2003, placé sous l'autorité de la Mildt, rassemble les ministères concernés par la lutte contre le trafic de drogues ainsi que le ministère de la santé. Basé à Fort-de-France, il offre des formations de pointe, concernant notamment la surveillance du fret et des passagers, la lutte contre le blanchiment des capitaux et l'application des conventions internationales, destinées aux agents des services répressifs français en poste dans les départements français d'Amérique et aux personnels chargés de la lutte contre la drogue des pays de la zone d'Amérique centrale et d'Amérique du Sud.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

L'an dernier, la commission des affaires sociales donnait un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt). Elle estimait en effet, suivant en cela votre rapporteure, que la politique menée depuis 2007, en mettant l'accent sur le traitement pénal de la consommation de stupéfiants et sa répression, ne constituait pas une réponse appropriée aux problématiques sanitaires et sociales soulevées par la question des addictions.

Sous l'autorité du Premier ministre, la Mildt coordonne l'action des différents acteurs publics qui agissent dans les domaines de l'application de la législation relative aux stupéfiants, de la prévention de la consommation et des soins aux consommateurs de drogues. Elle est chargée de mettre au point et d'assurer la bonne application des plans gouvernementaux de lutte contre les drogues et les toxicomanies, qui sont habituellement d'une durée de trois ans.

Budgétairement rattachée à la mission « Direction de l'action du Gouvernement », la Mildt voit ses crédits pour 2013 fixés par le projet de loi de finances (PLF) à 22 millions d'euros, en baisse de 5,4 % par rapport à 2012. Ce montant comprend les subventions versées à ses deux opérateurs, l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) et le Centre interministériel de formation antidrogue (Cifad), qui s'élèvent en 2013 respectivement à 3,26 millions d'euros et 458 000 euros, en diminution de près de 7 % en un an.

Alors que les attentes envers la Mildt sont très élevées de la part de tous les acteurs qui ont à faire face quotidiennement aux effets de la toxicomanie sur notre société, il est regrettable que le budget proposé pour 2013 ne soit pas à la hauteur. Qu'ils soient policiers, magistrats, médecins ou membres d'associations venant en aide aux usagers de drogues, tous souhaitent un outil de pilotage interministériel de la politique de l'Etat fort, cohérent et équilibré.

L'année 2013 doit absolument marquer le début d'un sursaut vers une nouvelle politique des addictions, et ce d'autant plus que la situation en matière de toxicomanie en France reste préoccupante. Sans relâcher les efforts faits en matière de lutte contre les trafics et les réseaux d'acheminement des drogues en France, la prévention et la réduction des risques doivent se voir allouer des moyens supplémentaires afin d'être accessibles à tous et de répondre aux besoins des publics les plus fragiles. Il faut notamment qu'un effort particulier soit fait dans le milieu carcéral, où la question de la toxicomanie est encore trop souvent occultée. La situation sanitaire y est tout simplement inacceptable et le traitement des addictions marginal. Les détenus ainsi que les personnels qui interviennent en prison en subissent les conséquences.

Dans ce contexte, votre rapporteure ne peut que souhaiter que les promesses du Président de la République soient tenues. La première d'entre elles, l'ouverture à titre expérimental de salles de consommation à moindre risque, devrait l'être dès 2013. C'est une réponse indispensable à un problème de santé publique mais également à une question sociale à laquelle les politiques jusqu'à présent mises en oeuvre n'ont pas réussi à apporter de solution. Le besoin est réel, que ce soit à Paris, dans sa banlieue ou en province. Les collectivités, toutes sensibilités politiques confondues, et les associations sont prêtes à s'engager. Tout délai d'attente supplémentaire serait incompréhensible.

Mais le prochain plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les toxicomanies, actuellement en cours de rédaction sous la direction de Mme Danielle Jourdain-Menninger, présidente de la Mildt depuis octobre 2012, devra aller plus loin dans l'accompagnement des personnes souffrant d'une addiction, que celle-ci soit causée par une drogue, licite ou illicite, ou soit comportementale. Il lui faudra s'appuyer sur les initiatives prises au sein de la société civile et renouer avec les professionnels et le monde associatif.

Votre rapporteure tient donc à saluer la nouvelle orientation de la Mildt, dont il sera possible d'apprécier les premiers actes l'an prochain. Il est toutefois regrettable que son budget pour 2013 soit très insuffisant pour mettre en oeuvre une politique de prévention et d'accompagnement des toxicomanes à la hauteur des enjeux. Alors que les défis à relever dans le champ de compétences de la Mildt sont immenses, voilà une occasion manquée de démontrer le caractère concret du changement promu par le Gouvernement et un signal négatif en direction de toutes celles et ceux qui, au quotidien, s'investissent en faveur d'une autre politique des addictions.

I. APRÈS CINQ ANNÉES DURANT LESQUELLES L'ACCENT A ÉTÉ MIS SUR LA RÉPRESSION DE LA CONSOMMATION DE DROGUES, LA MILDT DOIT ADOPTER UNE APPROCHE PLUS EQUILIBRÉE AFIN D'APPORTER UNE RÉPONSE AUX EFFETS SANITAIRES ET SOCIAUX QUI Y SONT LIÉS

Disposant d'un effectif de vingt-deux personnes, la Mildt est une structure légère, conçue comme un instrument de planification et d'harmonisation de la politique gouvernementale en matière de lutte contre les drogues et de réponse sanitaire et sociale à apporter aux addictions. Afin de surmonter un cloisonnement entre administrations qui pourrait se révéler néfaste, elle agit au niveau interministériel grâce à son rattachement direct au Premier ministre. L'objectif est bien, au moins en théorie, de prendre en compte de manière égale tous les aspects complémentaires d'une politique de lutte contre la toxicomanie : action déterminée contre les trafics et réduction de l'offre, prévention et éducation sur les dangers des drogues auprès de la population et réduction des risques auprès des usagers.

En pratique, la mise en application de ces principes ne s'est pas faite conformément à leur esprit, en tout cas durant les cinq dernières années. Avec le changement politique du printemps 2012, la Mildt doit réorienter son action. Elle doit mener notamment une réflexion sur la pérennité et la répartition de ses ressources, alors que les progrès réalisés en matière de baisse de la consommation de drogues sont limités et que son budget est en baisse. Enfin, des situations inacceptables perdurent en prison, où la toxicomanie est encore trop souvent minorée et la réduction des risques ignorée.

A. 2012, ANNÉE DE TRANSITION POUR LA MILDT ET SES OPÉRATEURS

Du fait du calendrier politique chargé et de l'arrivée à terme d'initiatives prises sous la précédente législature, 2012 constitue pour la Mildt une année de transition. C'est tout d'abord vrai en ce qui concerne sa gouvernance : nommé président de la Mildt en août 2007, M. Etienne Apaire a quitté ses fonctions en mai 2012. Sa successeure, Mme Danielle Jourdain-Menninger, inspectrice générale des affaires sociales, n'a été nommée par décret que le 14 septembre suivant.

Ces quatre mois de vacance, en pleine période de négociation avec le ministère du budget pour l'établissement du projet de loi de finances pour 2013, ont sans nul doute ralenti l'action de la Mildt et, plus largement, interrompu les initiatives pour lesquelles un arbitrage politique était nécessaire. La fin du précédent plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les toxicomanies, qui portait sur la période 2008-2011 et dont 95 % des mesures auraient été exécutées, rend nécessaire la préparation de la stratégie de l'Etat en la matière pour les années à venir. Pour cela, des consultations sont en cours mais, une fois encore, le changement politique et ses conséquences pratiques ont conduit à mettre ce processus entre parenthèses puis à le reprendre à l'automne. Il devrait aboutir à la fin du premier semestre 2013.

L'OFDT a poursuivi son activité dans des conditions plus sereines qu'en 2011. En effet, le départ de son directeur, M. Jean-Michel Costes, professionnel reconnu, pour cause de désaccord avec la direction de la Mildt, avait alors suscité une importante polémique. Sa nouvelle directrice, Mme Maud Pousset, a réussi à apaiser le climat, ce qui est essentiel alors que les travaux que réalise l'OFDT et les études qu'il mène depuis sa création en 1993 en ont fait l'un des principaux observateurs de l'évolution de la toxicomanie et des addictions en France.

Les perspectives pour les trois années à venir sont néanmoins inquiétantes. En effet, la subvention pour charges de service public que lui verse la Mildt diminuera de près de 7 % entre 2012 et 2013 pour s'établir à 3,26 millions d'euros. Selon les informations communiquées à votre rapporteure, une réduction de 7 % en 2014 puis en 2015 est annoncée. En conséquence, son plafond d'emploi devrait diminuer, passant de trente équivalents temps plein (ETP) en 2012 à vingt-huit en 2015. Il est difficilement envisageable qu'en subissant une telle diminution de ses moyens l'OFDT puisse poursuivre des missions et un rythme de publication similaires à ceux d'aujourd'hui. Cela n'est pas acceptable, car seule la connaissance la plus précise possible des phénomènes nouveaux comme des tendances de long terme en matière de consommation de drogues et de modification du profil des consommateurs peut permettre d'élaborer une politique véritablement efficace de lutte contre la toxicomanie. Il n'est pas possible de sacrifier, à l'autel de la rigueur budgétaire, un outil dont la qualité est unanimement reconnue. C'est d'autant plus vrai que les sommes en question ne représentent que quelques centaines de milliers d'euros.

Il en va de même pour le Cifad, implanté en Martinique, qui mène notamment des actions de formation spécialisées en matière de lutte contre la drogue, les trafics de stupéfiants et le blanchiment d'argent à destination des forces de l'ordre des pays d'Amérique latine et des Caraïbes. En 2011, il a accueilli 754 stagiaires étrangers, principalement originaires de Colombie, de Bolivie, du Venezuela, de la République Dominicaine et du Pérou, ainsi que 489 stagiaires français dans le cadre de cinquante-trois actions de formation. Au 1 er août 2012, 757 personnes ont d'ores et déjà été formées, dont 60 % issues de pays étrangers.

Comme l'OFDT, son budget est en baisse de 7 % entre 2012 et 2013, passant de 470 000 à 458 000 euros. Il ne faut pas fragiliser cet outil efficace de coopération internationale avec les pays d'origine de trafics internationaux de stupéfiants. Il permet à nos services d'établir de très utiles relations de travail avec leurs homologues. Pourquoi faire une économie qui, rapportée à l'échelle des difficultés budgétaires de la France, est insignifiante, lorsqu'elle aurait pour conséquence d'affaiblir un organisme qui contribue, par son action, à ce que la drogue ne parvienne pas en France ?

Dans ce contexte, si l'année 2012 a été celle de la transition entre deux présidences de la Mildt aux conceptions sur la politique à mener très différentes, votre rapporteure souhaite que la baisse des crédits que lui accorde l'Etat ne perdure pas et ne l'empêche pas de mettre en oeuvre de nouvelles orientations. Il est malheureusement certain que si un tel mouvement se poursuivait dans la durée la Mildt ne serait plus en mesure de mener à bien ses missions.

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