II. DANS LE CADRE DE L'ÉLABORATION DU PROCHAIN PLAN GOUVERNEMENTAL DE LUTTE CONTRE LES DROGUES ET LES TOXICOMANIES, UNE NOUVELLE IMPULSION DOIT ÊTRE DONNÉE À LA POLITIQUE DE PRÉVENTION ET DE RÉDUCTION DES RISQUES

La fin du cycle politique 2007-2012 et l'ouverture d'une période de réflexion sur l'avenir de la politique de prise en charge des addictions en France constituent une opportunité unique de lui donner une impulsion nouvelle, adaptée aux besoins des acteurs de terrain et en rupture avec le primat de la répression qui a prévalu jusqu'à présent.

Dans ce cadre, des mesures urgentes sont à prendre, notamment pour faire face à des situations sanitaires critiques : c'est le cas de l'expérimentation de l'ouverture de salles de consommation à moindre risque, qui devrait aboutir en 2013. Il faut aussi s'engager dans une démarche de long terme avec l'évaluation systématique des actions menées et une meilleure prise en compte des formes d'addiction nouvelles, qui seront amenées à prendre de l'ampleur dans un futur proche si des mesures de prévention ne sont pas adoptées dès aujourd'hui.

A. UNE ÉVIDENCE : TIRER UN TRAIT SUR LE TOUT-RÉPRESSIF ET SOUTENIR LES INITIATIVES INNOVANTES

La mise en oeuvre du plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les toxicomanies 2008-2011 s'est traduite par une focalisation excessive sur l'application de la loi, principalement en direction des consommateurs de drogues. Le droit en vigueur, dans la lignée de la loi du 31 décembre 1970 7 ( * ) , punit d'un an d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende l'usage illicite de l'une des substances ou plantes classées comme stupéfiants (article L. 3421-1 du code de la santé publique). Depuis la loi du 5 mars 2007 8 ( * ) , le juge a également la possibilité de condamner, à titre de peine complémentaire, tout usager de drogues à accomplir un stage de sensibilisation aux dangers de l'usage de produits stupéfiants. La consommation de drogues constitue donc un délit, et ce quel que soit le produit concerné ou la régularité avec laquelle il est consommé.

Trajectoires possibles de l'usager de stupéfiants dans la chaîne pénale

Source : OFDT

Sans méconnaître l'absolue nécessité qu'il y a à lutter vigoureusement contre les trafics sous toutes leurs formes qui gangrènent certains quartiers et viennent fragiliser le vivre-ensemble, il est temps de tourner la page de la stigmatisation pénale des consommateurs. Selon les statistiques du ministère de la justice 9 ( * ) , les infractions en matière de stupéfiants représentaient 14,6 % du total des infractions sanctionnées en 2010, soit 128 316. Elles ont donné lieu à 50 100 condamnations, dont 28 146 pour usage illicite. Parmi celles-ci, 9 445 étaient des peines de prison, soit plus du tiers, dont 2 755 de prison ferme.

Alors que la population carcérale était, au 1 er novembre 2012, de 67 225 personnes 10 ( * ) , en hausse de 3,9 % sur un an, pour 56 933 places opérationnelles, il faut cesser d'envoyer des personnes, en grande majorité des jeunes, en prison pour consommation de stupéfiants. Ils n'y trouveront pas le suivi dont ils peuvent avoir besoin du fait de l'insuffisance des politiques de réduction des risques qui y sont menées et pourraient même adopter des comportements aggravant les risques d'infection virale. C'est la raison pour laquelle votre rapporteure se prononce en faveur d'une dépénalisation de l'usage de drogues. Qui dit dépénalisation ne dit pas légalisation de la vente des produits stupéfiants aujourd'hui illicites. L'interdit doit être maintenu et son sens doit être transmis à tous, en particulier aux plus jeunes, grâce à une politique de prévention efficace.

Il n'en reste pas moins que la sanction pénale a fait la preuve de son inefficacité à réduire, en plus de quarante ans, la consommation de drogues et ses conséquences sur la société. Ses dérives sont connues, notamment la politique du chiffre qu'elle incite les services répressifs à conduire afin d'obtenir, par l'interpellation d'usagers, des statistiques d'élucidation des infractions plus élevées. Les parquets sont également fortement incités à avoir un taux de réponse pénale élevé en ces matières.

Ce constat a déjà conduit à la mise en place de peines intermédiaires et de mesures de substitution ou à caractère éducatif. La principale innovation de ces dernières années est le stage de sensibilisation aux dangers de l'usage de drogues. Son évaluation 11 ( * ) par l'OFDT en livre, après quatre ans d'existence, un bilan très contrasté. Ils sont réalisés aux frais des participants, pour un coût moyen de 190 euros. Organisés par des associations ou des établissements médico-sociaux conventionnés, leur contenu varie selon le prestataire. Depuis 2008, environ 20 000 personnes y ont participé.

Au final, ce dispositif relativement modeste par rapport au nombre annuel d'interpellations pour usage de stupéfiants a, selon l'OFDT, un impact limité sur le comportement d'usage du public reçu. Ainsi, cette évaluation permet de s'interroger sur l'efficacité de ce stage comme outil visant à infléchir la consommation de drogues chez ceux qui y assistent. En effet, ainsi que le souligne son auteur, « du point de vue des stagiaires, il reste avant tout une sanction pénale, impuissante par elle-même à détourner de l'usage les personnes qui n'envisageaient pas, déjà avant le stage, d'arrêter dans l'immédiat » .

De même, nous devons nous interroger sur la demande exponentielle de réponses pénales qui est faite aux magistrats et que dénonce le Syndicat de la magistrature.

Le recours à la troisième voie est certes de plus en plus développé mais l'échec de cette solution se traduit par une décision de renvoi. De même, le non-respect d'un stage de sensibilisation constitue une infraction en soi, inscrite au casier judiciaire. Nous sommes face à un cercle vicieux, à une sanction, voire à une stigmatisation permanente.

Dans ces conditions, il faut à l'avenir, et ce dès le prochain plan gouvernemental, privilégier la réponse sanitaire et sociale à la répression pénale de la consommation de stupéfiants. La prévention en direction des collégiens et lycéens, à l'intérieur et en dehors du cadre scolaire, doit être renforcée. Les jeunes décrocheurs sont plus exposés que les autres à la consommation de produits stupéfiants et aux modes d'usage les plus risqués. Il faut donc généraliser leur suivi et, au sein de l'éducation nationale, travailler en lien plus étroit avec les acteurs associatifs qui se spécialisent dans la prévention. Ils sont nombreux et font un travail remarquable mais pourraient sans nul doute coopérer de façon plus régulière et plus formalisée avec les établissements scolaires, où c'est souvent à l'initiative d'un enseignant ou du proviseur qu'ils interviennent.

Une nouvelle étape dans la politique de réduction des risques doit également être franchie. Elle doit s'appuyer sur des données scientifiques incontestables : l'expertise collective réalisée par l'Inserm en 2010 sur le sujet doit en constituer la feuille de route. Le précédent gouvernement, qui l'avait commandée, n'avait que très peu tenu compte de ses recommandations. Celles-ci, notamment l'adaptation des outils et approches de la réduction des risques à l'évolution des substances et aux nouvelles modalités de consommation, doivent être au coeur du prochain plan gouvernemental.

C'est une approche équilibrée qui doit être reconstruite, en s'appuyant sur les initiatives de la société civile et des professionnels. Un certain nombre d'entre eux, d'horizons très différents, ont établi une charte, déjà signée par plus de 1 620 personnes et associations, pour l'établissement d'une « autre politique des addictions ». Celle-ci repose sur quatre axes : prévention, réduction des risques et des dommages, soin et réduction de l'offre de drogue et des dommages dus au trafic. Il s'agit là, aux yeux de votre rapporteure, d'un travail de qualité, fédérant la majorité des professionnels et des associations représentatives, dont les pouvoirs publics devraient s'inspirer.

Dès lors, c'est par la mise en oeuvre progressive d'initiatives innovantes, portées par des acteurs institutionnels ou associatifs engagés, que les actuels défis sanitaires posés par la consommation de drogues en France pourront être surmontés. Chaque ministère peut déjà en financer selon ses priorités, mais la situation budgétaire est telle qu'aucun ne dispose des marges de manoeuvre nécessaires pour lancer une nouvelle action sans devoir réduire les crédits consacrés à une autre politique. La Mildt doit donc, plus encore qu'aujourd'hui, jouer le rôle de chef de file en la matière et utiliser les fonds dont elle dispose pour amorcer le déploiement de mesures qui, si elles sont jugées efficaces, constitueront peut être un élément essentiel de la politique d'accompagnement des toxicomanes dans un futur proche.

Cela rend indispensable un effort particulier en matière de recherche, aussi bien scientifique et médicale, sur les causes et les moyens de traiter les addictions, que sociologique, pour mieux connaître le profil des toxicomanes et son évolution. La Mildt lance déjà ponctuellement des appels à projets et subventionne des études réalisées par des laboratoires universitaires. Elle soutient également le développement de formations, dans l'enseignement supérieur, spécialisées dans les drogues et le traitement de la toxicomanie. L'OFDT, par ses études et ses travaux statistiques, contribue à identifier les modifications qui surviennent dans les comportements d'usage de stupéfiants. Bien que la situation actuelle ne soit pas celle d'une absence complète de travaux dans ce domaine, la période 2013-2015 doit être celle d'un soutien affirmé à la recherche en matière de toxicomanie, en particulier sur les problématiques spécifiques aux publics les plus marginalisés.


* 7 Loi n° 70-1320 du 31 décembre 1970 relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et à la répression du trafic et de l'usage illicite des substances vénéneuses.

* 8 Loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, article 48.

* 9 Source : Ministère de la justice, Les condamnations de l'année 2010, p. 57.

* 10 Source : Statistique mensuelle de la population écrouée et détenue en France, situation au 1 er novembre 2012, direction de l'administration pénitentiaire.

* 11 Les stages de sensibilisation aux dangers de l'usage des produits stupéfiants, Tendances n° 81, OFDT, juin 2012.

Page mise à jour le

Partager cette page