TROISIÈME PARTIE : RENFORCER LA JUSTICE DU SYSTÈME DE RETRAITES SANS FRAGILISER SA SITUATION FINANCIÈRE

L'objectif de votre rapporteur pour avis, au travers de ce chapitre relatif aux mesures de justice du titre II du projet de loi , n'est pas d'apprécier la qualité technique des dispositifs proposés. Ceci relève des compétences de fond de notre collègue Christiane Demontès, rapporteur au nom de la commission des affaires sociales. Il est en revanche d'appréhender les conditions de financement de ces dispositifs et leur pertinence par rapport à la situation économique et sociale.

I. PRÉVENIR ET COMPENSER LA PÉNIBILITÉ GRÂCE À UN FINANCEMENT PÉRENNE

A. L'OUVERTURE DE NOUVEAUX DROITS AUX SALARIÉS DU SECTEUR PRIVÉ EXPOSÉS À DES FACTEURS DE PÉNIBILITÉ

1. Un nouveau dispositif venant pallier les insuffisances de la réforme de 2010

L' article 6 du présent projet de loi crée, à compter du 1 er janvier 2015, un dispositif ouvrant des droits à tous les salariés du secteur privé exposés à un ou plusieurs facteurs de pénibilité, appelé compte personnel de prévention de la pénibilité .

Cette mesure s'inspire de la proposition de la commission pour l'avenir des retraites de créer un « compte individuel pénibilité ». Le rapport de la commission Moreau souligne que « l'allongement de la durée d'activité ne peut se poursuivre qu'à condition d'une amélioration globale des conditions de travail qui permette aux salariés de travailler plus longtemps et donc notamment d'une limitation, autant que possible, des situations de travail soumises à des facteurs de pénibilité ». Une politique publique en matière de pénibilité doit donc poursuivre à la fois un objectif de prévention et un objectif de compensation des inégalités d'espérance de vie liées aux conditions de travail.

Contrairement à ce qu'indique le nom du dispositif, ce sont ces deux objectifs que le Gouvernement entend atteindre en proposant la création d'un compte personnel de prévention de la pénibilité. En effet, en ouvrant de nouveaux droits aux salariés exposés, ce compte est un moyen d'internaliser les externalités négatives du travail salarié .

Il s'agit d'un progrès social significatif pour les travailleurs salariés du secteur privé . Certes, la loi portant réforme des retraites de 2010 a mis en place des dispositifs de prévention de la pénibilité, mais ces derniers ne sont pas à la hauteur des enjeux . Un dispositif spécifique de départ à la retraite anticipé a notamment été créé. Toutefois, celui-ci est ouvert uniquement aux assurés justifiant d'un taux d'incapacité permanente au moins égal à 10 %, reconnu au titre d'une maladie professionnelle ou d'un accident du travail. Ainsi, deux ans après l'entrée en vigueur du dispositif seules 9 238 demandes ont été formulées, dont 6 359 ont été acceptées 71 ( * ) .

La loi de 2010 a également introduit une obligation pour les entreprises d'au moins cinquante salariés de négocier sur la prévention de la pénibilité au travail à compter du 1 er janvier 2012. Cette obligation a entraîné la signature de 4 800 accords d'entreprise ou plans d'action et de seulement quinze accords de branche.

2. Le fonctionnement du compte personnel de prévention de la pénibilité

Reposant sur un mécanisme d'attribution de points, le compte personnel de prévention de la pénibilité fonctionnera de la façon suivante :

- pour chaque salarié exposé à au moins un facteur de pénibilité 72 ( * ) , un compte personnel de prévention de la pénibilité sera ouvert ;

- chaque trimestre d'exposition ouvrira droit à un point si le salarié est exposé à un seul facteur de pénibilité ou à deux points si le salarié est exposé à plusieurs facteurs ;

- à partir de dix points , le salarié pourra utiliser ses points selon trois modalités : pour des actions de formation, un passage à temps partiel ou une majoration de durée d'assurance ;

- les points inscrits sur le compte pourront être utilisés à tout moment de la carrière et seront portables dans le secteur privé.

Afin d' empêcher les comportements dommageables d'accumulation de points, qui pourraient créer des « trappes à pénibilité », les décrets d'application de l'article 6 devraient :

- plafonner à cent le nombre de points utilisables ;

- rendre obligatoire l'utilisation des vingt premiers points pour des actions de formation professionnelle.

Par ailleurs, le projet de loi, tel que modifié par l'Assemblée nationale en première lecture, prévoit que les salariés ne pourront utiliser leurs points pour financer une majoration de durée d'assurance qu'à partir de 55 ans.

Les dépenses liées au compte personnel de prévention de la pénibilité seront donc différentes selon les modes de consommation du compte et l'âge du détenteur . Elles prendront la forme soit d'une prise en charge de tout ou partie des frais de formation, soit du financement du complément de rémunération et des cotisations sociales en cas de réduction de durée de travail, soit du financement d'une majoration de durée d'assurance. La mise en place du compte personnel de prévention de la pénibilité entraînera également des dépenses liées aux frais d'expertise nécessaires pour traiter les réclamations des salariés, ainsi que le remboursement des frais de gestion à la CNAV et au réseau des caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT).

La montée en charge du dispositif sera progressive. Selon l'étude d'impact du présent projet de loi, 300 000 personnes utiliseraient chaque année des points accumulés sur leurs comptes en 2025 . La direction de la sécurité sociale indique qu' à terme, le dispositif concernerait 18 % des salariés du secteur privé, soit environ 3,3 millions de personnes .

Tableau n° 49 : Evaluation du coût du compte personnel de prévention de la pénibilité

(en milliards d'euros 2011)

2014*

2020

2030

2040

Coût du compte personnel de prévention de la pénibilité

0,0

0,5

2,0

2,5

* Le compte personnel de prévention de la pénibilité ne sera mis en place qu'à compter de 2015.

Source : étude d'impact au projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites

Compte tenu des estimations du nombre de bénéficiaires, le coût du dispositif est évalué à 500 millions d'euros en 2020 et 2,5 milliards en 2040 .


* 71 Chiffres de la CNAVTS, au 31 août 2013.

* 72 Les dix facteurs de pénibilité, énumérés à l'article D. 4121-3-1 du code du travail, sont : les manutentions manuelles de charges, les postures pénibles définies comme positions forcées des articulations, les vibrations mécaniques, les agents chimiques dangereux, les activités exercées en milieu hyperbare, les températures extrêmes, le bruit, le travail de nuit, le travail en équipes successives alternantes et le travail répétitif caractérisé par la répétition d'un geste à une cadence contrainte.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page