Avis n° 158 (2013-2014) de MM. Alain NÉRI et Raymond COUDERC , fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 21 novembre 2013

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N° 158

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 novembre 2013

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi de finances pour 2014 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,

TOME IX

IMMIGRATION, ASILE ET INTÉGRATION :

IMMIGRATION ET ASILE

Par MM. Alain NÉRI et Raymond COUDERC,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Louis Carrère , président ; MM. Christian Cambon, Jean-Pierre Chevènement, Robert del Picchia, Mme Josette Durrieu, MM. Jacques Gautier, Robert Hue, Jean-Claude Peyronnet, Xavier Pintat , Yves Pozzo di Borgo, Daniel Reiner, vice-présidents ; Mmes Leila Aïchi, Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Gilbert Roger , André Trillard, secrétaires ; M. Pierre André, Mme Kalliopi Ango Ela, MM. Bertrand Auban, Jean-Michel Baylet, René Beaumont, Pierre Bernard-Reymond, Jacques Berthou, Jean Besson, Michel Billout, Jean-Marie Bockel, Michel Boutant, Jean-Pierre Cantegrit, Luc Carvounas, Pierre Charon, Marcel-Pierre Cléach, Raymond Couderc, Jean-Pierre Demerliat, Mme Michelle Demessine, MM. André Dulait, Hubert Falco, Jean-Paul Fournier, Pierre Frogier, Jacques Gillot, Mme Nathalie Goulet, MM. Alain Gournac, Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Gérard Larcher, Robert Laufoaulu, Jeanny Lorgeoux, Rachel Mazuir, Christian Namy, Alain Néri, Jean-Marc Pastor, Philippe Paul, Bernard Piras, Christian Poncelet, Roland Povinelli, Jean-Pierre Raffarin, Jean-Claude Requier, Richard Tuheiava, André Vallini.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) : 1395 , 1428 à 1435 et T.A. 239

Sénat : 155 et 156 (annexe n° 16 ) (2013-2014)

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La mission « Immigration, asile et intégration » a été créée en 2007 et comprend deux programmes : le programme 303 porte sur « l'immigration et l'asile », le programme 104 sur « l'intégration et l'accès à la nationalité française ».

L'action de la mission s'inscrit dans le cadre de la politique d'harmonisation des politiques d'immigration et d'asile de l'Union européenne et des engagements souscrits dans le Pacte européen pour l'immigration et l'asile d'octobre 2008, repris dans le nouveau programme pluriannuel (2010-2014) de Stockholm.

Depuis cette création, votre commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées se saisit pour avis sur le programme 303. Ce programme est composé de 4 actions qui sont la circulation des étrangers et la politique des visas (action 1), la garantie de l'exercice du droit d'asile (action 2), la lutte contre l'immigration irrégulière (action 3), et le soutien (action 4). Seule l'action 2 « garantie de l'exercice du droit d'asile » fait l'objet d'un examen par la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées.

Cette action a pour objectif de garantir aux demandeurs d'asile un traitement optimal de leur demande, ainsi qu'une bonne prise en charge en termes de conditions matérielles d'accueil et d'accès aux soins pendant la durée d'instruction de leur demande.

L'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) puis, en cas de recours, la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) qui relève du programme « Conseil d'État et autres juridictions administratives », instruisent les demandes d'asile.

I. LA GARANTIE DU DROIT D'ASILE

A. PANORAMA DE LA DEMANDE D'ASILE EN FRANCE

1. Une demande qui ne fléchit pas

La France est un des premiers pays receveurs de demandes d'asile. En 2012, 61 468 demandes ont été déposées, confirmant ainsi la hausse continue des demandes depuis plusieurs années 1 ( * ) . La République démocratique du Congo reste le premier pays d'origine des demandeurs (4 010 premières demandes), suivie par la Russie (2 873), le Sri Lanka (2 436), le Kosovo (2 084) et la Chine (2 035).

Cette hausse est imputable principalement aux demandes en provenance du continent européen, qui ont augmenté de 23%, en particulier des Balkans. Certains pays ont connu des augmentations très significatives, comme l'Albanie (+446%), la Bosnie-Herzégovine (+335%), le Kosovo (+335%), la Géorgie (+55%) ou le Pakistan (+35%). Tandis qu'en 2011, la plus forte augmentation enregistrée concernait les premières demandes en provenance du continent africain (+17% par rapport à 2010), celles-ci restent stables en 2012 (+1%).

Au premier semestre 2013, le rythme de cette hausse s'est encore accéléré, avec un taux de progression d'environ 10%. Les projections pour 2013 laissent penser que près de 70 000 demandes devraient être déposées.

Source : rapport d'activité de l'OFPRA

En 2012, les évolutions à la hausse les plus significatives concernent l'Albanie (+280%), le Kosovo (+197%), le Bangladesh (+90%) et la Guinée (+22%). À l'inverse, les demandes en provenance du Sri Lanka (-34%), de la République démocratique du Congo (-8,5%), de la Turquie (-8%), du Pakistan (-3,6%) et de la Chine (-2,1%) sont en baisse.

Source : rapport d'activité de l'OFPRA

Le taux d'acceptation est de 9,4% des demandes d'asile en 2012 contre 11% en 2011 (décisions OFPRA). Si l'on ajoute les recours déposés ensuite devant la CNDA et accordés, le taux d'accord global est d'environ 21%.

2. La question de la liste des pays sûrs

La loi du 10 décembre 2003 a introduit en droit français la notion de pays sûr. Aux termes de son article L.741-4,2, le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile considère un pays comme sûr « s'il veille au respect des principes de liberté, de la démocratie et de l'état de droit, ainsi que des droits de l'homme et des libertés fondamentales ».

Les conséquences sur les demandeurs sont surtout en termes de procédure : les ressortissants des États figurant sur cette liste ne peuvent bénéficier d'une admission au séjour au titre de l'asile.

Certes leur demande est instruite par l'OFPRA, mais dans le cadre de la procédure prioritaire dans un délai de 15 jours. En cas de refus de la demande, un recours peut être déposé devant la Cour nationale du droit d'asile, néanmoins il n'a pas de caractère suspensif.

La prise en compte du caractère sûr du pays d'origine n'exclut pas le principe de l'examen individuel de la demande d'asile. L'instruction porte sur le fond de la demande, peut donner lieu à un entretien, et dans certains cas aboutir à une décision d'admission. Une demande ne peut être rejetée au seul motif que le demandeur est ressortissant d'un pays figurant sur cette liste.

La liste des pays d'origine sûrs est établie par le Conseil d'administration de l'OFPRA, elle est régulièrement actualisée, soit volontairement par l'ajout ou le retrait de certains pays suite à des changements internes (c'est ainsi que la Croatie a été retirée de cette liste par décision du conseil d'administration de l'OFPRA en date du 28 juin 2013), soit par décision du Conseil d'État qui peut demander le retrait de pays inscrits sur la liste. Ainsi, le 4 mars 2013, le Conseil d'État, saisi par plusieurs associations, a annulé l'inscription sur cette liste du Bangladesh.

Extrait de la décision du Conseil d'État du 4 mars 2013

14. Considérant, en quatrième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que, compte-tenu des violences auxquelles sont exposés au Bangladesh des opposants politiques ainsi que certaines catégories de la population en raison de leur religion, de leur origine ou de leurs opinions, sans garantie de pouvoir disposer d'une protection suffisante de la part des autorités publiques, ainsi que des violations des droits des minorités et des personnes déplacées dans certaines régions, la République populaire du Bangladesh ne pouvait être regardée, à la date de la décision attaquée, comme présentant les caractéristiques permettant son inscription sur la liste des pays d'origine sûrs au sens du 2° de l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit s'asile ;

Les modifications apportées à la liste des pays d'origine sûrs ont une influence sur l'évolution de la demande d'asile. Ainsi, l'inscription du Bangladesh et de l'Arménie en décembre 2011 a entraîné une baisse respective de 71% et de 42% de ces flux en 2012. A contrario , le retrait de l'Albanie et du Kosovo, par décision du Conseil d'État du 26 mars 2012, a entraîné une reprise de ces demandes dès le second semestre 2012.

Au 1 er août 2013, cette liste contenait 15 pays : l'Arménie, le Bénin, la Bosnie-Herzégovine, le Cap-Vert, le Ghana, l'Inde, la Macédoine (ARYM), Maurice, la Moldavie, la Mongolie, la Monténégro, le Sénégal, la Serbie, la Tanzanie, l'Ukraine.

B. LES DISPOSITIONS DU PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 2014

1. Présentation générale du budget

Le programme 303 concentre la majorité des crédits dévolus à la mission Immigration, asile et intégration.

L'action « garantie de l'exercice du droit d'asile » (action 02) reste la plus importante, en volume, de la mission. Elle absorbe 85,11% des autorisations d'engagement, avec 503,73 millions d'euros, et 83,59% des crédits de paiement, avec le même montant, du programme 303. Ces crédits sont en légère augmentation par rapport à la loi de finances pour 2013 (+0,5%), qui les avait elle-même accrus de 22,6%.

Action

LFI 2013

PLF 2014

Évolution 2013/2014 en €

Évolution 2013/2014 en %

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

Action 01

1 547 500

1 547 500

1 490 000

1 490 000

-57 500

-57 500

-3,7%

-3,7%

Action 02

501 140 000

501 140 000

503 730 000

503 730 000

2 590 000

2 590 000

0,5%

0,5%

Action 03

69 260 000

75 754 000

63 410 000

73 411 000

-5 850 000

-2 343 000

-8,4%

-3,1%

Action 04

24 726 000

26 032 000

23 170 000

23 969 000

-1 106 000

-2 063 000

-6,3%

-7,9%

TOTAL

596 673 500

604 473 500

591 800 000

602 600 000

-4 873 500

-1 873 500

-0,8%

-0,3%

Les quatre principaux postes des dépenses d'asile sont le financement des centres d'accueil des demandeurs d'asile (CADA), l'hébergement d'urgence, l'allocation temporaire d'attente (ATA) et la subvention versée à l'OFPRA.

Source : projet annuel de performance

Les dépenses de fonctionnement regroupent les dotations versées à l'OFPRA. En 2013, les effectifs ont été renforcés, puisque le plafond d'emplois de l'établissement a été relevé de dix équivalents temps plein, et il en est de même dans la loi de finances initiale pour 2014. Les dotations de la LFI 2014 sont en augmentation de 2,2 millions par rapport à la loi de finances initiale de 2013, pour pouvoir permettre ce recrutement et améliorer le délai de traitement des demandes. Également, les coûts d'interprétariat sont inclus dans ces dépenses.

Les dépenses d'intervention sont relatives à la prise en charge sociale des demandeurs d'asile pendant toute la durée d'instruction de leur dossier. Elles regroupent :

- les dotations liées aux CADA. L'État finance un dispositif national d'accueil des demandeurs d'asile, pérenne, et qui comporte 270 CADA, deux centres de transit et un centre d'accueil et d'orientation des mineurs isolés demandeurs d'asile. Le montant alloué au titre du PLF 2014 est de 213 800 000 € (AE=CP) ;

- les dispositifs d'hébergement d'urgence, qui complètent le parc des places en CADA, insuffisant. La prévision de crédits au titre du PLF 2014 est de 115 400 000 € (AE=CP), soit une baisse de près de 10 millions par rapport à la LFI 2013 ;

- l'allocation temporaire d'attente, ATA, qui est versée aux demandeurs d'asile pendant la durée d'instruction de leur dossier, y compris en cas de recours devant la CNDA, s'ils ne sont pas hébergés en CADA. La prévision de crédits pour 2014 s'élève à 135 000 000 € (AE=CP), soit une baisse de 5 millions par rapport à la LFI 2013. Cette baisse s'explique en particulier par la suppression d'ATA indues suite à l'audit demandé par le ministre de l'Intérieur conjointement avec le ministre délégué en charge du budget, à l'IGF et à l'IGA, sur la gestion de ladite allocation. Selon les informations portées à la connaissance de vos rapporteurs par le ministre lors de son audition devant votre commission, déjà 7 millions d'euros de versements indus ont été supprimés au deuxième semestre 2013 ;

- le soutien à des actions d'accompagnement des demandeurs d'asile, qui permet de financer notamment la prise en charge sociale et médico-psychologique des demandeurs victimes de torture, et dont la prévision de crédits en LFI 2014 est la même qu'en LFI 2013, soit 230 000 €.

Enfin, des fonds de concours européens sont attendus pour 2014 à hauteur de 7 002 359 €. Le fonds européen pour les réfugiés soutient et encourage les efforts consentis par les États pour accueillir les demandeurs d'asile.

Plus généralement, la baisse des dotations liées à l'hébergement d'urgence et l'ATA s'expliquent aussi par la création de places en CADA.

2. L'optimisation de la prise en charge des demandeurs d'asile dans les centres d'accueil

L'hébergement en CADA répond aux normes minimales d'accueil prévues par la réglementation européenne. Néanmoins ces places sont actuellement insuffisantes pour répondre à la demande et aux besoins.

Le dispositif national d'accueil (DNA) comporte, au 31 décembre 2012, 21 410 places réparties sur 270 centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA), alors que le parc comprenait 5 282 places au 1 er janvier 2001. Ce développement s'est inscrit, entre 2005 et 2007, dans la perspective pluriannuelle de la loi de programmation pour la cohésion sociale du 18 janvier 2005, qui retenait l'objectif de 20 000 places de CADA à la fin 2007. Cet objectif a été atteint avec la création de 1 000 nouvelles places en 2007, puis en 2010.

À la suite de à la conférence nationale contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale, le Gouvernement a décidé de créer 4 000 places supplémentaires en CADA sur le territoire, entre 2013 et 2015. Suite à cette annonce, le secrétaire général à l'immigration et à l'intégration (SGII) a enjoint les préfets d'initier des procédures d'appels à projets départementaux visant à créer 1 000 nouvelles places de CADA au 1 er juillet 2013. Le nombre de places devant être créées à cette date a été porté par la suite à 2 000 par un addendum à la circulaire daté du 21 janvier 2013.

La sélection nationale qui s'est opérée au printemps 2013 a permis de retenir 69 projets pour un total de 2 047 places, augmentant ainsi le parc national de 9,7% . L'un des critères importants retenus dans le cadre de la sélection nationale des projets est la déconcentration du parc existant, de manière à rééquilibrer l'offre d'hébergement sur le territoire , et favoriser ainsi un système de péréquation nationale de la prise en charge des demandeurs d'asile.

La quasi-totalité des projets présentés dans des territoires moins soumis aux pressions des flux, tels que la Basse-Normandie, la Champagne-Ardenne, le Limousin, et la région Poitou-Charentes, a ainsi été retenue. La sélection a également permis de retenir un grand nombre de projets en Aquitaine, en Auvergne, en Bourgogne, en Bretagne, dans le Centre, en Languedoc-Roussillon, en Midi-Pyrénées, en Pays-de-Loire et en Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA).

Les 1 000 places suivantes doivent être ouvertes en avril 2014. Enfin, les 1 000 dernières places devront être créées fin 2014.

Ainsi, avec la création de 4 000 places supplémentaires, ce sont au total 25 689 places qui composeront le parc . L'objectif cible est de tendre vers 92% d'occupation des places de CADA par des demandeurs d'asile et autres personnes autorisées (89% réalisation 2012).

II. UN SYSTÈME A BOUT DE SOUFFLE QU'IL CONVIENT DE RÉFORMER

A. DES INTERROGATIONS QUI DEMEURENT ET UNE RÉFORME NÉCESSAIRE POUR PRÉSERVER UN DROIT FONDAMENTAL

1. Un délai de traitement des demandes préoccupant

Avec la hausse de la demande d'asile, l'OFPRA et la CNDA se sont retrouvées confrontées à un problème de traitement de cette demande et à l'incapacité d'y répondre dans des délais raisonnables.

Ainsi, le délai moyen de traitement d'un dossier par l'OFPRA est critique : 186 jours en réalisation 2012, auxquels il faut rajouter l'éventuel recours devant la CNDA. Au premier semestre 2013, la situation s'est encore détériorée, atteignant 204 jours ! La cible, horizon 2015, est de réduire ce délai de moitié.

Source : projet annuel de performance

Pourtant, le nombre total de décisions rendues par l'OFPRA n'a cessé d'augmenter depuis 2007, passant de 37 589 en 2007 à 60 128 en 2012, soit une hausse de 60% en cinq ans. En 2012, la hausse a été de 8% par rapport à 2011. En termes de productivité, le travail accompli à l'OFPRA est remarquable ! Les agents traitent en moyenne 1,8 dossier par jour, plaçant l'OFPRA devant ses équivalents européens. Néanmoins, malgré un renforcement régulier des effectifs et l'augmentation du nombre de décisions rendues, le nombre de dossiers en instance ne se résorbe pas. Ainsi, il est passé de 8 200 en 2007 à 24 260 au 31 décembre 2012. Au 30 juin 2013, il s'élèverait à 30 400. Ceci s'explique par l'augmentation, continue et plus forte, de la demande d'asile.

A l'inverse, le délai de traitement des dossiers devant la CNDA s'est amélioré : en l'espace de 3 ans, les délais prévisionnels de jugement ont diminué de 7 mois, passant de près de 15 mois et demi à un peu plus de 8 mois. Rappelons que les crédits de fonctionnement de la CNDA ne dépendent pas du présent programme, néanmoins vos rapporteurs se réjouissent de cette baisse du délai de traitement.

Rappelons que le contrat d'objectifs et de performance de l'OFPRA, signé en septembre dernier, fixe un objectif de traitement global de 9 mois, recours devant la CNDA inclus ! Soit 3 mois pour traiter le dossier à l'OFPRA. Cet objectif est à horizon 2015, pour une prévision de croissance de la demande comprise entre 5% et 10%.

Néanmoins, compte-tenu du flux actuel de dépôt des demandes, du stock de dossiers en instance, et surtout de la transposition en droit français de la directive dite « procédure » qui aura nécessairement des répercussions sur le traitement des dossiers ( cf. infra ), vos rapporteurs s'inquiètent que cet objectif reste un voeu pieux.

2. La concertation préalable à la réforme du droit d'asile

Face à une demande d'asile en augmentation continue depuis plusieurs années et la difficulté à y apporter des réponses rapides, le ministre de l'Intérieur a annoncé en mai 2013 la mise en place d'une concertation nationale sur la réforme du droit d'asile. Celle-ci a été lancée le 15 juillet 2013, sous le co-pilotage de deux parlementaires : Jean-Louis Touraine et Valérie Létard.

Un comité de concertation a été installé à cet effet, qui réunit tous les grands acteurs de la politique de l'asile : associations, Haut-commissariat aux réfugiés, administrations, élus. Ce comité doit s'appuyer sur les travaux conduits par quatre ateliers, sur les thèmes suivants : évolution des procédures d'asile ; accueil, orientation et accompagnement des demandeurs d'asile ; hébergement des demandeurs d'asile ; insertion de bénéficiaires d'une protection internationale.

Sans vouloir préjuger des conclusions du rapport, qui devrait être remis sous peu, plusieurs sujets incontournables ont d'ores et déjà été identifiés :

- Une réduction significative des délais : rappelons que ceux-ci sont de plus en plus critiques et atteignent 17 mois en moyenne aujourd'hui. L'objectif, à l'horizon 2015, est de descendre à 9 mois ;

- Une détermination dès l'arrivée, de l'éligibilité de la demande d'asile avec un traitement accéléré des demandes dont le fondement est de toute évidence infondé ;

- Un pilotage plus directif des hébergements : des équilibres entre territoires doivent être recherchés. Les demandeurs d'asile doivent être dirigés vers des hébergements en fonction des places disponibles ;

- Une territorialisation plus importante de toute la procédure : un dispositif efficace est un dispositif au plus près des réalités locales ;

Sur ces deux derniers points, rappelons que vos rapporteurs avaient souligné lors de l'examen de la LFI 2013 que 68% des demandes déposées étaient concentrées dans 5 régions, créant ainsi un déséquilibre géographique considérable.

- L'éloignement des déboutés du droit d'asile qui engorgent les hébergements. Les indicateurs de performance sont significatifs : 10% des places en CADA sont occupées par des personnes n'étant plus censées y avoir accès.

Interrogé par vos rapporteurs lors de son audition devant la commission, sur le calendrier de la réforme, le Ministre de l'Intérieur, M. Manuel Valls, a indiqué que suite à la remise des conclusions du comité de concertation, une consultation politique sera engagée, suivie des arbitrages nécessaires pour qu'un projet de loi puisse être déposé et aboutir en 2014. Quant aux modifications relevant du domaine réglementaire, elles seront prises sans attendre la loi.

B. UNE RÉPONSE QUI DOIT ÉGALEMENT ÊTRE APPORTÉE AU NIVEAU EUROPÉEN

1. Une refonte du droit d'asile à l'échelle européenne ...

Dans la ligne du Pacte européen pour l'immigration et l'asile d'octobre 2008, la Commission européenne a déposé un ensemble d'instruments modifiant les directives et règlements en vigueur afin d'achever la mise en place du régime d'asile européen commun (RAEC).

Ainsi, le 26 juin 2013, le Parlement Européen et le Conseil ont adopté le règlement (UE) n°604/2013, dit "Dublin III". La France a participé activement à la refonte de ce règlement. Si le principe général demeure identique, l'objectif de cette nouvelle version est de renforcer l'efficacité du système tout en garantissant le respect des droits des demandeurs d'asile pendant toute la durée de la procédure.

Ce texte entraine un certain nombre de modifications contribuant à renforcer les garanties apportées aux demandeurs d'asile :

- le renforcement des obligations d'information du demandeur d'asile ;

- la création d'un mécanisme d'alerte, en cas de problèmes structurels dans le fonctionnement du système d'asile et d'accueil d'un État membre ;

- une meilleure prise en compte des demandeurs d'asile vulnérables : il s'agit essentiellement des mineurs non accompagnés (recherche accrue de la présence éventuelle de parents dans un autre État membre, coopération entre États membres renforcée, documents d'information spécifiques) et des personnes pouvant être en situation de dépendance ou malades (échange de données médicales entre États membres, notamment afin de garantir la continuité des soins et organiser éventuellement un transfert adapté) ;

- une formalisation "écrite" de l'entretien réalisé dans le cadre de la mise en oeuvre de la procédure Dublin qui devra être adressée avec la requête de saisine à l'État membre supposé être responsable de la demande d'asile ;

- le droit d'exercer un recours effectif contre la décision de transfert : le demandeur d'asile doit disposer d'un recours effectif dont l'effet peut être suspensif ;

- la réduction de certains délais de procédure dans un objectif de célérité de l'examen de la demande d'asile.

Également, le règlement « Eurodac » a été modifié par le règlement 603/2013/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. D'application directe, il entrera en vigueur le 20 juillet 2015. Rappelons qu'Eurodac est une base de données permettant de comparer les empreintes digitales des demandeurs d'asile afin de faciliter l'application du règlement Dublin III. En particulier, il permet de déterminer l'État-membre à qui incombera l'examen de la demande d'asile.

Enfin, trois directives ont été publiées, qui participent à la refonte du droit d'asile au niveau européen :

- la directive « qualification » 2 ( * ) définit les conditions pour bénéficier d'une protection internationale et le contenu de cette protection ;

- la directive « accueil » 3 ( * ) prévoit les conditions d'accueil des demandeurs d'asile le temps de l'examen de leur demande au sein de l'Union européenne ;

- la directive « procédure » 4 ( * ) fixe les règles relatives à l'examen des demandes de protection internationale en première instance et en appel au sein des États membres.

2. ... qui ne sera pas sans conséquences

D'application directe, le règlement Dublin III n'exige pas de transposition en droit interne : il sera applicable à compter de janvier 2014. La Commission européenne travaille actuellement à la rédaction d'un règlement d'application, en concertation avec les États membres. Toutefois, certaines de ses dispositions devront être insérées dans le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), afin d'assurer la cohérence des règlements communautaires avec le droit national d'une part, et d'intégrer la création d'un recours spécifique d'autre part. En effet, ce règlement va introduire une modification substantielle en droit français : il impose de mettre en place un recours pleinement suspensif contre les décisions de remise à un autre État membre responsable de l'examen de sa demande d'asile .

De même, les trois directives devront être transposées en droit interne, avec parfois des modifications d'ampleur.

La procédure « qualification » devra être transposée avant le 21 décembre 2013. Plusieurs modifications législatives sont attendues, comme l'allongement de la durée du titre de séjour accordé aux personnes bénéficiant d'une protection subsidiaire ou encore la prise en compte renforcée des questions liées au genre du demandeur ...

La procédure « accueil », quant à elle, a un délai de transposition fixé au 20 juillet 2015. Parmi les modifications induites, on peut citer notamment le raccourcissement d'un an à neuf mois de procédure le délai à compter duquel un demandeur d'asile peut accéder au marché du travail, ainsi que l'élargissement de la notion de membre de la famille : seront considérés comme tels les parents de mineurs isolés demandeurs d'asile, qui recevront de fait les droits attribués aux demandeurs de protection internationale. Enfin, de nouvelles garanties sont prévues pour les personnes vulnérables et les mineurs non accompagnés.

Enfin, celle qui aura le plus de conséquences sera la directive « procédure ». En effet, elle apporte des garanties aux demandeurs qui entraîneront une hausse mécanique des délais d'instruction par l'OFPRA. En particulier, elle permet la présence d'un tiers auprès du demandeur d'asile à l'occasion de son entretien.

Également, l'article 31 prévoit que les « États-membres veillent à ce que la procédure d'examen soit menée à terme dans les six mois à compter de l'introduction de la demande ». Si cet objectif louable est en conformité avec celui présent dans le contrat d'objectifs et de performances de l'OFPRA, on peut tout de même se demander comment il pourra être réalisable compte-tenu des difficultés que connaît l'OFPRA, malgré une hausse des moyens, à traiter les demandes parallèlement à la hausse continue de celles-ci !

EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa réunion du 21 novembre 2013, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a examiné le présent rapport pour avis.

Après l'exposé des rapporteurs, un débat s'est engagé.

M. André Vallini. - Je partage l'avis des deux rapporteurs. L'affaire dite « Leonarda » a mis en lumière l'exaspération des français devant ces délais. Pendant ce temps, les familles trouvent un logement, s'intègrent, il est humainement difficile de les faire partir ensuite s'ils sont déboutés. Les Conseils Généraux sont eux-aussi sollicités, car s'il y a des enfants de moins de 3 ans, les déboutés du droit d'asile sont à leur charge.

M. Jean-Marie Bockel. - Sur la répartition géographique des demandeurs d'asile, certaines régions, comme Mulhouse, connaissent un afflux de demandeurs, auquel il faut faire face en mettant en place une capacité d'accueil qui, de fait, provoque un flux supplémentaire. C'est sans fin ! Cela crée un contrecoup, et seule l'autorité de l'État pour faire cette répartition sur le territoire que nous appelons tous de nos voeux. Elle sera difficile à réaliser, mais nécessaire.

M. Daniel Reiner. - Pouvez-vous rappeler les moyens supplémentaires dont disposera l'OFPRA ?

M. Alain Néri, rapporteur pour avis. - L'effort à l'OFPRA est engagé depuis plusieurs années. Déjà l'an dernier, 10 postes équivalent temps plein ont été créés, et ce sera la même chose en 2014. Financièrement, l'effort est de 2,2 millions d'euros supplémentaires.

Cette situation tendue n'est dans l'intérêt de personne, et comme le rappelait André Vallini, les Conseils Généraux sont dans une situation financière difficile, et lorsqu'il y a des enfants en bas âge, l'hébergement reste un problème car très précaire. Il faut avoir le courage politique de prendre ses responsabilités.

M. Jean-Louis Carrère, président. - La création de 4 000 places supplémentaires et la meilleure dispersion sur le territoire vont désengorger le dispositif. Il faut jouer sur tous les leviers, avec humanité, et faire en sorte de mettre un terme à l'utilisation abusive des places de CADA. Les crédits vont visiblement dans le bon sens.

Puis, la commission donne un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration », les groupes UMP et UDI-UC s'abstenant.

ORIGINE GÉOGRAPHIQUE DES DEMANDEURS D'ASILE EN 2012 ET AU PREMIER SEMESTRE 2013

2012


* 1 À l'échelle mondiale, 479 300 requêtes ont été enregistrées en 2012 dans 44 pays industrialisés, indique le rapport publié par le Haut-Commissariat aux Réfugiés. C'est le nombre le plus important depuis 2003 et il s'inscrit dans une tendance à la hausse observée depuis plusieurs années.

* 2 Directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d'une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection.

* 3 Directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale.

* 4 Directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale.

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