EXAMEN EN COMMISSION

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I. AUDITION DU MINISTRE

Réunie le jeudi 21 novembre 2013 sous la présidence de Mme Annie David, présidente , la commission procède à l' audition de M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social sur le projet de loi de finances pour 2014.

M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social . -Avec des crédits en hausse de 7 % par rapport à la loi de finances initiale de 2013, la mission travail et emploi bénéficie vraisemblablement de l'augmentation la plus importante du budget 2014. A périmètre constant, l'augmentation serait de 17 %. Cet effort manifeste l'engagement et la mobilisation du Gouvernement en faveur de l'emploi. Les crédits destinés aux contrats aidés et aux emplois d'avenir augmentent de 50 % pour atteindre 3 milliards d'euros. Plus de 80 000 emplois d'avenir ont été créés, nous atteindrons les 100 000 en 2013, auxquels s'ajouteront 50 000 nouveaux contrats en 2014. En la matière, nous avons atteint nos objectifs, quantitatifs et qualitatifs, même si la montée en charge du dispositif reste délicate sur certains territoires urbains ou d'outre-mer.

Nous avons travaillé à allonger la durée moyenne des contrats aidés, passée de six mois sur le premier trimestre 2012 à plus de onze mois actuellement - nous tendons à douze mois. Nous cherchons à moduler la durée des contrats en fonction des publics concernés.

Certains jeunes marginalisés ne peuvent accéder aux emplois d'avenir. Nous avons créé en leur faveur la garantie jeunes. Celle-ci suppose un engagement du jeune concerné, il ne s'agit pas d'une nouvelle modalité d'assistanat. Le dispositif que nous expérimentons sera porté par les missions locales et par Pôle emploi.

Après abondement à l'Assemblée nationale, l'Etat augmente de 5 % sa contribution au fonctionnement des missions locales qui bénéficieront en outre de 45 millions d'euros par le biais d'une contribution spéciale au titre de l'accompagnement au déploiement des contrats d'avenir. Pôle emploi voit ses effectifs renforcés : en 2013, l'Etat a financé la création de 2 000 CDI supplémentaires, qui s'ajoutent aux 2 000 CDI signés en 2012. Les nouveaux effectifs seront exclusivement affectés dans les agences au contact avec le public et prioritairement dans les territoires sous dotés, comme la Picardie, le Nord ou les outre-mer : la carte du portefeuille par agent est déjà largement rééquilibrée.

Mme Demontès a défendu avec brio la réforme de l'insertion par l'activité économique (IAE). Nous avons décidé d'accroître les crédits accordés aux structures de l'IAE de 25 millions d'euros, pour les porter à 222 millions d'euros.

Nous accentuons nos efforts en faveur du développement durable et de la formation professionnelle, avec une croissance des crédits de 2,7 % à périmètre constant, pour atteindre 2,9 milliards d'euros.

Les contrats de génération constituent un outil de formation important. A la différence des contrats d'avenir, gérés par la puissance publique dans ses diverses composantes, il s'agit d'un outil à la disposition des entreprises. Ils encouragent l'embauche d'un jeune en CDI sans rejeter les plus âgés.

Le déploiement de ces contrats est bien avancé dans les entreprises de plus de 300 salariés et dans les entreprises de moins de 50 salariés. Les premières avaient l'obligation d'ouvrir des négociations sur le sujet, et, à défaut d'accord, de soumettre pour homologation un plan d'action à la Direccte avant le 30 septembre 2013. Nous n'avons pas sanctionné jusqu'à présent le non-respect de ce calendrier en cas de négociation, mais il faut que les entreprises qui n'en ont pas ouvert sachent le poids de la sanction possible. Certains accords sont exceptionnels, avec une programmation précise de l'embauche des jeunes sur plusieurs années ou l'objectif d'augmenter la part des jeunes dans les embauches.

Dans les petites entreprises, où le dispositif est mis en oeuvre simplement au travers de la signature de contrats individuels d'embauche dans le cadre de binôme jeune-senior, le rythme de développement est conforme à nos prévisions.

La situation est plus problématique dans les entreprises de 50 à 300 salariés. Le législateur et les partenaires sociaux y ont soumis la mise en oeuvre des contrats de génération à la négociation préalable d'un accord d'entreprise. A défaut d'accord d'entreprise, un plan d'action peut être mis en place par l'employeur, qui peut également se fonder sur un accord de branche intergénérationnel. Certaines entreprises ont rapidement conclu des accords d'entreprise, mais beaucoup ont compté sur un accord de branche. Or les partenaires sociaux des branches ne se sont pas mobilisés assez vite ! Heureusement, la négociation est désormais lancée à ce niveau. Les accords de branche se succèdent. Au total, la montée en puissance globale du dispositif sera réelle en 2014 ce qui justifie l'inscription des crédits dans le budget.

Le budget traduit également l'amorce de la réforme de l'apprentissage, réforme compliquée par les dissensions existant au sein du patronat sur ce sujet dans le cadre des négociations en cours.

En ce qui concerne la formation professionnelle, nous avons transformé la dotation générale de décentralisation (DGD) de 900 millions d'euros, inscrits à mon budget, en une recette propre et dynamique des régions. Cette ressource est prise, pour deux tiers de son montant, sur les frais de gestion de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) , de la taxe d'habitation (TH) et de la cotisation foncière des entreprises (CFE), et, pour un tiers, sur les recettes de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), dont l'évolution est un peu moins dynamique. Les régions exerceront ainsi pleinement leurs compétences. En conséquence, mon budget baisse de 900 millions. Loin de moi l'idée de m'en plaindre ! J'espère même que la diminution des crédits de mon ministère matérialisera le succès de notre lutte contre le chômage - j'espère vous annoncer sa baisse dès l'an prochain.

De même, pour l'apprentissage, nous souhaitons modifier l'intervention financière de l'Etat. Plusieurs rapports administratifs et parlementaires ont examiné l'efficacité des outils financiers de l'Etat. L'exonération des charges sociales pour les entreprises qui emploient des apprentis est certes coûteuse mais efficace. Mais il n'en va pas de même pour deux autres dispositifs. Tous les rapports convergent pour souligner l'efficacité limitée de l'indemnité compensatrice de formation (ICF), versée à l'employeur par les régions en cas d'accueil d'un apprenti. L'indemnité, qui n'a aucun effet incitatif dans les grandes entreprises, est décisive pour les petites entreprises. Le versement de l'indemnité demeurera obligatoire pour les régions au bénéfice des entreprises de moins de dix salariés. En revanche, il ne le sera plus dans les entreprises dont les effectifs dépassent dix salariés, ce qui n'empêchera pas les régions d'aider ces entreprises si elles le désirent en fonction des spécificités locales. Par exemple, une région peut très bien verser une prime d'apprentissage aux entreprises de moins de 50 salariés du BTP qui emploie des apprentis. Le conseil régional que j'ai présidé doublait l'ICF pour les jeunes femmes apprenties dans des métiers considérés comme masculins.

Les entreprises qui embauchent un apprenti bénéficient actuellement d'un crédit d'impôt. A l'avenir, le crédit concernera uniquement l'embauche de jeunes disposant d'une formation courte, bac +2 au maximum, afin de limiter l'effet d'aubaine.

Nous avons à chaque fois prévu des règles de financement et de compensation transitoires. Au bout du bout, grâce à ces deux réformes, l'Etat réalisera une économie de 500 millions d'euros à horizon 2016, sans priver pour autant les maîtres d'apprentissage de l'intégralité de ces ressources.

Pour préparer l'avenir, l'Etat se mobilise sur les engagements de développement de l'emploi et des compétences et sur les aides au conseil et à l'appui à la gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences (GPEC). Les autorisations d'engagement, initialement fixées à 50 millions d'euros, et les crédits de paiement, à 100 millions d'euros, ont été revus par les députés respectivement à 40 millions et 90 millions d'euros, ces derniers souhaitant affecter la différence aux maisons de l'emploi pour soutenir les démarches de GPEC territoriales.

L'Etat a entrepris de rationaliser ses interventions au titre des maisons de l'emploi. A leur création, celles-ci avaient pour objectif principal de réunir les réseaux de l'ANPE et des associations pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (Assedic). Compte tenu de la création de Pôle emploi, une de leurs raisons d'être a disparu. Tous les Gouvernements successifs se sont alors posé la question d'une baisse du financement de l'Etat à leur intention. Pour ma part, je partage les conclusions du rapport Iborra et du rapport de l'Igas (Inspection générale des affaires sociales) sur la territorialisation des politiques de l'emploi : les maisons de l'emploi ont une utilité. Toutefois leur situation est très hétérogène sur le territoire, ce qui doit nous conduire à revoir l'affectation des crédits. Il convient d'analyser la situation de chaque maison de l'emploi, de pousser à des regroupements et d'appuyer celles qui offrent une véritable plus-value parce qu'elles réalisent une véritable GPEC territoriale.

Nous avons examiné les effets des exonérations de charge dans les entreprises situées dans les zones de revitalisation rurale (ZRR). Nous avons constaté l'existence de certains effets d'aubaine au profit des organismes d'intérêt général et supprimé les crédits n'ayant pas d'utilité, ce qui ne manquera pas de susciter quelques interrogations.

Le Gouvernement mobilise des crédits considérables pour la mise en oeuvre des politiques de l'emploi. La lutte contre le chômage ne se résume pas à ces politiques, elle passe d'abord par le soutien à la croissance. Mais dans la période actuelle, les politiques de l'emploi sont indispensables, elles doivent être pertinentes et préparer l'avenir en accompagnant les personnes les plus éloignées du marché du travail.

Mme Annie David, présidente . - Je donne maintenant la parole au rapporteur pour avis sur la mission « travail et emploi ».

M. Claude Jeannerot, rapporteur pour avis . - Vous avez répondu par anticipation, monsieur le ministre, à certaines de nos questions. Le nombre de contrats de génération conclus en 2013 ne correspond pas pleinement aux attentes initiales. Pouvez-vous nous donner des prévisions et des objectifs chiffrés pour l'exercice 2014 ?

A titre personnel, j'estime qu'il serait sage de diminuer les moyens alloués aux maisons de l'emploi dans les territoires où elles font doublon avec Pôle emploi. Pouvez-vous clarifier vos intentions sur l'avenir de ces maisons et leur rôle dans la mise en oeuvre de la GPEC territoriale ?

L'Afpa n'est pas sortie d'affaire malgré l'intervention volontariste du Gouvernement. Nous savons que les banques vont suivre, ce qui est déjà rassurant. Mais la réponse au problème de l'Afpa est d'augmenter son chiffre d'affaires et de présenter une offre de formation claire et lisible. Elle peine à mobiliser pour le plan de 30 000 formations prioritaires pour l'emploi. Le nécessaire renforcement des compétences régionales en matière de formation ne doit pas porter préjudice aux formations d'intérêt national délivrées par l'Afpa.

Quoique j'aie scrupule à intervenir sur l'IAE devant Christiane Demontès, je souhaiterais savoir où en sont les décrets annoncés. Nous les attendons pour mettre en oeuvre les préconisations du rapport présenté le 17 juillet dernier par la présidente du Conseil national de l'insertion par l'activité économique. Les décrets comporteront des informations importantes pour les départements notamment : le montant socle de l'aide au poste, le montant modulé, les exonérations de cotisations sociales.

La commission souhaiterait disposer du rapport d'évaluation des aides à l'apprentissage réalisé dans le cadre de modernisation de l'action publique.

Nous avons auditionné hier le directeur de l'Unedic. Les taux de sortie des contrats aidés est honorable pour les chômeurs de longue durée ; il l'est beaucoup moins pour ceux de très longue durée, c'est-à-dire les chômeurs privés d'emplois depuis plus de deux ans, qui n'ont pas tous plus de 58 ans. Comment remédier à cette situation préoccupante ?

M. Michel Sapin, ministre . - Nous avons pris l'engagement de signer 500 000 contrats de génération sur cinq ans, soit 100 000 contrats par an. Trois catégories d'entreprises sont concernées selon que leurs effectifs sont inférieurs à 50 salariés, compris entre 50 et 300 salariés, ou supérieurs à 300 salariés. Chaque catégorie représente schématiquement un tiers des contrats potentiels. Les contrats signés dans les grandes entreprises ne sont pas comptabilisés car ils ne coûtent rien à l'Etat. Notre cible s'établit ainsi à plus ou moins 60 000 contrats en année pleine. Les crédits inscrits correspondent à 20 000 contrats signés avant la fin de l'année 2013. Nous ajoutons 50 000 contrats environ, échelonnés tout au long de l'année prochaine. Cette cible correspond donc à nos objectifs initiaux.

Votre question sur le sort de l'Afpa (Association nationale pour la formation professionnelle), dont vous êtes l'un des meilleurs connaisseurs, est légitime. L'association, dont la disparition était programmée, était au bord du dépôt de bilan en juin 2012. Le Gouvernement est mobilisé et a décidé non de la mettre sous perfusion mais de sauver cet outil : 110 millions d'euros de crédits ont été inscrits en juin 2013, de manière à passer des échéances délicates. Nous réfléchissons à des solutions juridiques afin de donner à l'Afpa la possibilité de gérer de manière dynamique le parc immobilier important qu'elle utilise, qui est l'un des atouts, mais dont elle n'est pas propriétaire. La question décisive est celle de la commande. Il convient d'encourager les régions à recourir davantage à l'Afpa pour des prestations de formation classiques, dans le respect des conditions de marché concurrentielles ; il nous faut aussi adapter les règles de marché pour les prestations que seule l'Afpa peut réaliser. Cela interviendra à l'occasion de la future loi sur la formation professionnelle. Enfin, l'Afpa a consenti des efforts pour diminuer ses charges et ses coûts et relancer son activité. Elle réussit, quoique plus lentement que nous l'espérions, à sortir de sa situation difficile. Nous restons vigilants.

L'insertion par l'activité avait souffert de la non-indexation de l'aide pendant des années. Le nombre de postes a augmenté. L'aide au poste comprendra une part socle et une part variable. Le décret sur la généralisation de l'aide au poste sera soumis pour consultation le 27 novembre 2011 au Conseil national de l'IAE puis transmis au Conseil d'Etat. Certaines des nouvelles dispositions s'appliqueront dès le 1 er janvier prochain, les autres en juillet.

Vous aurez les éléments d'information demandés sur l'apprentissage.

Le nombre de jeunes de moins de 25 ans au chômage diminue ; la décrue s'amorce enfin et devrait continuer. À l'inverse, il est vrai que la situation des chômeurs de très longue durée, notamment les chômeurs âgés de plus de 56 ans, qu'on ose appeler seniors, est délicate. L'allongement de la durée moyenne des contrats aidés constitue une première réponse, même si elle est insuffisante. Certains contrats peuvent aller jusqu'à deux ans. Un contrat plus long favorise une véritable professionnalisation et inscrit la réinsertion dans l'emploi dans la durée. Il y aura peut-être besoin de réponses complémentaires pour traiter ce douloureux enkystement qui aboutit à des cassures sociales quasi irrémédiables.

M. Yves Daudigny . - Nous mesurons, monsieur le ministre, le caractère volontariste de votre action et nous la soutenons. Nous assumons le recours aux contrats aidés dans le contexte actuel. Mon département présente le triste record du chômage en région Picardie. J'ai pu constater que les chômeurs ne considéraient pas Pôle emploi comme un interlocuteur privilégié. Le renforcement de cette institution est un enjeu d'importance. Je salue votre action en la matière.

Les établissements publics d'insertion de la défense (EPIDe), créés par ordonnance en août 2005, accueillent des jeunes dépourvus de diplômes, et parfois en voie de marginalisation, dans le cadre de contrats de volontariat. Leurs coûts de fonctionnement sont élevés. Leur budget est maintenu pour 2014. Quel peut être leur avenir ? Enfin quel regard portez-vous sur l'inspection du travail, institution ancienne et essentielle dans les relations de travail ?

Mme Christiane Demontès . - Si tout budget constitue un acte politique, le vôtre traduit un choix en faveur de l'emploi dont nous nous félicitons. Nous aurons d'autres rendez-vous législatifs sur la formation professionnelle et la décentralisation. Il reste encore beaucoup à accomplir en matière de simplification des dispositifs, et c'est un euphémisme ! Cela pourrait faciliter le retour à l'emploi des chômeurs.

Depuis dix-huit mois, de nombreux dispositifs ont été mis en place en faveur de l'emploi, notamment dans le cadre de la loi sur la sécurisation de l'emploi, mais les entreprises les connaissent mal. Les Direccte (Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi) disposent-elles de moyens spécifiques pour informer et accompagner les entreprises, en particulier les PME ?

Un travail important a été réalisé en matière d'IAE. L'aide au poste généralisée décidée par le Gouvernement sur la recommandation du CNIAE (Conseil national de l'insertion par l'activité économique) rendra, je l'espère, les dispositifs plus lisibles pour les salariés en insertion comme pour les acteurs du territoire.

Chaque dispositif doit être utilisé conformément à ses objectifs tout en évitant les effets d'aubaine. Il y a là une réflexion à conduire et une information à donner. Il est inacceptable que des personnes au chômage depuis plus de dix-huit mois ou deux ans n'aient d'autre perspective que le passage au RSA. L'un des enjeux de la lutte contre le chômage de très longue durée est que l'IAE serve vraiment aux publics éloignés de l'emploi. Ce n'est pas par hasard qu'il y a plus de moyens pour les chantiers d'insertion et un peu moins pour les entreprises d'insertion, qui accueillent des publics moins éloignés de l'emploi.

Mme Aline Archimbaud . - Quelle suite donnerez-vous au rapport de Christophe Sirugue sur l'avenir du RSA ? Depuis plusieurs années, nous constatons l'échec du RSA-activité, du RSA-jeunes. Comment en sortir ? Ce rapport trace des pistes. C'est une priorité, puisque cela concerne un noyau dur de chômeurs de longue durée.

Le Sénat a voté le projet de loi relatif à l'économie sociale et solidaire (ESS) présenté par M. Hamon. Quand l'Assemblée nationale débattra-t-elle de ce texte qui reconnaît, enfin, un secteur longtemps considéré comme marginal alors qu'il est susceptible de créer de l'activité et de développer l'insertion ? Dans le programme de lutte contre la pauvreté, 5 millions d'euros sont affectés à l'ESS : peut-on imaginer une montée en puissance de l'effort public ? Il y a des exemples d'entreprises que des salariés auraient pu reprendre en Scop (sociétés coopératives et participatives) s'ils n'avaient pas appris leur fermeture au dernier moment. Les pouvoirs publics doivent porter à ce secteur une attention accrue. Certaines Dirrecte n'ont pas vraiment compris les spécificités de l'ESS : les dossiers administratifs sont trop complexes pour les structures concernées. Vous avez d'ailleurs dû être saisi de la situation de chantiers d'insertion de Seine-Saint-Denis.

A Aulnay, face à la situation complexe du site de PSA, les acteurs locaux s'étaient mobilisés car l'enjeu était énorme pour le département. Une impulsion nationale a manqué, qui aurait pu être relayée localement. Une mobilisation conjuguée de la région et de l'Etat aurait aidé à trouver des solutions industrielles pour quelques salariés. Nous avons raté quelque chose.

Mme Michelle Meunier . - Merci pour la clarté de vos propos. Le report d'un an de l'obligation de gratifier les stagiaires dans le secteur social et médico-social est préoccupant. La suspension de cette disposition issue de la loi sur l'enseignement supérieur et la recherche du 22 juillet dernier permettent de se donner le temps de la réflexion mais inquiète les régions et surtout les départements. C'est pourquoi je souhaite vous interroger sur ce sujet.

Mme Annie David, présidente . - J'allais poser la question !

M. Jean-Pierre Godefroy . - Les emplois de service ont fait l'objet de deux décisions successives : la suppression des 15 points d'abattement et celle de la déclaration au forfait, avec un allègement fiscal de 0,75 centime par heure. Un rapport devait être rendu après un an sur ces dispositions. D'après l'Acoss (Agence centrale des organismes de sécurité sociale), les emplois de service ont considérablement diminué : 38 millions d'heures perdues, soit 23 000 équivalents temps plein. Bien sûr, le climat économique joue aussi. Reste que la sous-déclaration semble repartir à la hausse, alors que le Cesu (chèque emploi service universel) l'avait fait régresser. Ces emplois non délocalisables sont difficilement remplaçables sur nos territoires. Cette situation est inquiétante et concerne également le ministre du budget et celui des affaires sociales : les personnes qui perdent leur emploi ne cotisent plus. Renouveler les erreurs passées serait catastrophique.

M. René-Paul Savary . - Quand aurons-nous le bilan de l'expérimentation de la garantie-jeunes ? Souhaitez-vous la généraliser ? L'aide au poste dans l'IAE est bienvenue, mais il aurait fallu associer les collectivités en amont pour qu'elles s'inscrivent bien dans le dispositif. Quelle sera la place des départements, exactement ? Il ne faut pas qu'ils se désengagent. Mon objectif est d'infléchir la courbe des bénéficiaires du RSA (revenu de solidarité active). Pour atteindre l'objectif qui nous est commun, chacun doit jouer son rôle et exercer ses compétences. Le RSA doit évoluer, certes, mais nous ne pouvons pas parler d'échec.

Mme Aline Archimbaud . - Même pour le RSA-activité ?

M. René-Paul Savary . - Oui ! Mais il faut réaliser un rapprochement avec la prime pour l'emploi (PPE) et l'allocation adulte handicapée (AAH) et revoir la pertinence de la répartition de ces allocations : le RSA-socle est la seule allocation de revenu qui soit payée par une collectivité, les autres étant réglées par l'Etat.

M. Michel Vergoz . - C'est un plaisir de vous écouter tant vos propos sont clairs et convaincants.

M. Michel Sapin, ministre . - A La Réunion, ils ont même été ensoleillés.

M. Michel Vergoz . - Cela n'a pas été facile de les faire entendre mais vous y êtes magnifiquement parvenu. Je me prends parfois à imaginer que votre voix porte l'ESS.

M. Michel Sapin, ministre . - Il y a déjà un ministre pour cela !

M. Michel Vergoz . - J'insiste. Lorsque vous évoquez les opportunités que nous devons chercher pour lutter contre le fléau du chômage, je me dis que vous pourriez expliquer que notre économie doit marcher sur ses deux jambes : économie marchande et ESS. Cet appui à M. Hamon serait déterminant. Ne nous voilons pas la face : avec une autre majorité, nul ne parlerait de l'ESS. Le secrétariat d'Etat à l'ESS, qui avait été confié en 2000 à M. Guy Hascoët, a été ensuite rayé d'un trait de plume, et cette démarche a été mise entre parenthèses pendant treize ans. L'ESS peut pourtant être performante chez nous et la demande est réelle. Elle est toutefois insuffisamment soutenue par les pouvoirs publics, ce qui peut culpabiliser ses promoteurs, comme si c'était une économie de réparation. Je rêve que vous mettiez votre belle voix au service de l'ESS !

Mme Annie David, présidente . - Vous avez évoqué une différenciation de la politique d'exonération dans les ZRR (zones de revitalisation rurale). Pourriez-vous apporter des précisions sur ce point à l'élue montagnarde que je suis ?

M. Michel Sapin, ministre . - Nous avons maintenu les crédits des EPIDe à 45 millions d'euros, auxquels s'ajoutent 21 millions d'euros du ministère de la Ville, plus des crédits de la Défense. Nous devons toutefois réfléchir au dispositif global de lutte contre la marginalisation. Vos propositions sur ce point seront les bienvenues.

La garantie-jeunes est expérimentée dans dix sites, ce qui concerne 10 000 jeunes. Une deuxième vague de même ampleur sera lancée l'an prochain. La lutte contre le chômage des moins de 25 ans mobilise désormais tous les chefs d'Etat et de Gouvernements européens : c'est une bonne nouvelle ! La situation est inacceptable : en moyenne, un jeune européen sur quatre est au chômage. Dans chaque pays, le taux de chômage des jeunes est deux fois plus élevé que le taux global : 50 % contre 25 % en Espagne, 8 % contre 4 % en Allemagne. C'est insupportable. Sur nos territoires, nous atteignons des taux de chômage de 56 %, à La Réunion...

M. Michel Vergoz . - 60 % !

M. Michel Sapin, ministre . - ... ou à Amiens-Nord. La garantie jeunesse européenne a été instaurée pour que tous les pays d'Europe mettent en place des dispositifs de lutte contre le chômage des jeunes. Les crédits de six milliards d'euros programmés ne concernent que 2014 et 2015. Il faut agir vite. Chez nous, l'aide européenne bénéficiera aux régions où le taux de chômage est supérieur à 25 %, comme je l'ai annoncé à La Réunion. Il faut lutter contre la rhétorique de dénonciation de l'assistanat, qui est dangereuse, en précisant les devoirs qui doivent être remplis. Nous expérimentons des outils, et dans un an nous y verrons plus clair et pourrons monter en puissance. La moitié des sites d'expérimentation ont un taux de chômage inférieur à 25 %.

Une proposition de loi complètera bientôt les dispositions déjà adoptées sur la gratification des stages. Un stage doit rester une modalité d'appropriation d'une compétence inscrite dans un cursus universitaire. Ce n'est pas le premier emploi.

Cent onze millions d'euros sont consacrés aux ZRR en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement. La réforme du dispositif de l'exonération de cotisations employeurs pour les organismes de ZRR prévue dans le projet de loi de finances est critiquée. Elle recentre sur les bas salaires l'exonération pour les contrats conclus avant le 1 er novembre 2007. Nous souhaitons introduire de la dégressivité entre 1,5 et 2,4 Smic pour éviter les effets de seuil et aligner le barème sur l'exonération de droit commun dont bénéficient les employeurs en ZRR. Seront concernés surtout les très gros établissements, ou ceux qui paient largement au-dessus du smic pour lesquels l'effet d'aubaine était maximal.

L'inspection du travail constitue un élément fondamental du dispositif de protection des salariés en France, qui a été souvent prise comme modèle à l'étranger. Tout salarié doit avoir un interlocuteur qui l'aide à faire respecter ses droits et tout employeur doit trouver un interlocuteur pour l'aider à comprendre ses obligations. L'inspecteur du travail agit en toute indépendance sur son territoire, nul ne peut l'empêcher de contrôler une entreprise en particulier et il est libre de la suite à donner à ses constats. La convention de l'OIT (Organisation internationale du travail) protège ces principes dont le Conseil d'Etat comme le Conseil constitutionnel considèrent qu'ils font partie des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Il n'est absolument pas question de les remettre en cause.

Toutefois, la lutte contre les abus au détachement de travailleurs nécessite la collaboration de plusieurs inspecteurs, afin qu'ils travaillent en réseaux. Certains doivent aussi se spécialiser, comme les juges l'ont fait lorsqu'il a fallu lutter contre les réseaux mafieux ou le trafic de drogue. Cela n'enlève rien à l'indépendance mais celle-ci n'est pas l'autonomie. Il faudra parfois conduire de véritables politiques nationales, par exemple sur l'égalité salariale entre hommes et femmes. J'ai mené depuis un an un dialogue social approfondi sur ces questions et constaté des décalages entre les revendications nationales des syndicats et ce qu'ils soutiennent dans mon ministère. Si nous ne développons pas ainsi la capacité d'action de l'Inspection du travail, les grands délits resteront impunis.

L'ESS est en effet un secteur qui crée des emplois ou en sauve, notamment par l'IAE. Je suis favorable à son développement. Le texte sera présenté avant l'été à l'Assemblée nationale.

Jusqu'en 2010, le nombre des emplois de service s'était accru chaque année. La rupture est intervenue en 2011, lorsque les 15 points d'abattement ont été supprimés. En 2012 et 2013, leur diminution s'est accentuée. La suppression des 15 points d'abattement a incité de nombreux employeurs à passer au forfait, ce qui a des conséquences très graves pour les salariés, dont les droits à la retraite se trouvent minorés. Maintenir le dispositif au réel préserve les droits des salariés. Il y a aussi un aspect conjoncturel : les ménages commencent par faire des économies sur ce poste lorsque leur pouvoir d'achat diminue. Le travail au noir semble s'être développé. Nous allons faire des assises des emplois de service, avec Mmes Pinel et Vallaud-Belkacem car ce secteur concerne beaucoup d'emplois féminins.

A Aulnay, les engagements pris par PSA ont été étoffés au cours des négociations. La loi sur la sécurisation de l'emploi a pour objectif fondamental qu'en cas de plan de sauvegarde de l'emploi, la contrepartie individuelle et collective soit meilleure.

L'information, sur laquelle insistait Mme Demontès, est plus délicate en période économiquement difficile, parce que les chefs d'entreprise se préoccupent d'abord de passer le mois et de trouver des marchés. Le contrat de génération ne créera pas de postes là où il n'y en a pas besoin, car les deux tiers du coût doivent être assumés par l'employeur. Comme le Cice (crédit d'impôt compétitivité emploi), c'est un outil d'anticipation : en cas d'hésitation, il est décisif et accélère la décision.

Le rapport de Christophe Sirugue sur le RSA est très utile. Nous demanderons des expertises supplémentaires. Je souhaite que soit analysée la chaîne toute entière, de la PPE (prime pour l'emploi) au RSA (revenu de solidarité active) en passant par les allocations de chômage, de solidarité... Il y a des seuils, des contradictions, des trappes : il faut tout revoir. Ces mesures doivent avoir une meilleure efficacité sociale et budgétaire car elles coûtent très cher !

Nous préparons un projet de loi sur la formation professionnelle, l'apprentissage et la démocratie sociale. Il est nécessaire de réformer la formation professionnelle. En application des dispositions L1 du code du travail, nous avons confié un ensemble de sujets aux partenaires sociaux, qui souhaitaient s'en emparer. La négociation, qu'ils conduiront librement, sera difficile. Il faut toutefois qu'elle débouche avant la troisième semaine de décembre, sinon, le Gouvernement prendra ses responsabilités. Les systèmes d'urgence ont bien fonctionné, puisque nous avons déjà largement dépassé nos objectifs du plan de 30 000 formations prioritaires pour l'emploi. Mais l'urgence doit pour ainsi dire devenir une politique inscrite dans la durée. Une partie des crédits de la formation professionnelle relève des pouvoirs publics, de l'Etat, de Pôle emploi et des régions. Il faut simplifier et préciser le rôle de chaque acteur. Nous retrouverons dans le projet de loi un volet décentralisation qui intéresse particulièrement les élus locaux... Le texte comprendra également un volet réformant l'apprentissage.

Le volet démocratie sociale comprendra deux sujets. La représentativité des partenaires sociaux, d'abord, qui a déjà été réglée pour les organisations syndicales de salariés, mais pas pour les organisations patronales, qui souhaitent que l'on avance sur ce sujet. Le rapport public de M. Denis Combrexelle sur le sujet est très intéressant. Il convient ensuite de clarifier les circuits de financement des organisations patronales et syndicales. Les difficultés observées dans les négociations en cours sur la réforme de la formation professionnelle ne sont peut-être pas étrangères aux prochaines modifications du financement des organisations patronales. La légitimité du dialogue social se fonde aussi sur la transparence du financement et de sa représentativité : il y a eu trop de soupçons.

Le texte sera adopté en conseil des ministres en janvier. Il fera l'objet d'une première lecture, en procédure accélérée, dans la foulée, afin d'être applicable dès juin ou juillet 2014.

Mme Annie David, présidente . - Vous nous annoncez un texte effectivement très important. Merci, monsieur le ministre, d'avoir répondu à toutes nos questions.

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