C. LA QUESTION SPÉCIFIQUE DES MINEURS ÉTRANGERS

1. Une orientation générale adaptée : privilégier les mesures d'assignation à résidence pour les familles

Pour les familles accompagnées d'enfants mineurs, votre rapporteuse constate la rupture forte de politique entre 2011 et 2012 puisque dans cet intervalle, le nombre de mineurs placés en rétention, en métropole, a très fortement diminué par rapport à l'année 2011, comme l'illustre le tableau ci-dessous.

Nombre d'arrivées
en rétention

Nombre de mineurs
accompagnants *

2009

31 608

2010

27 450

2011

24 544

478

2012

23 492

98

1 er semestre 2013

11 843

17

* Le suivi statistique des placements de mineurs accompagnant un adulte a été mis en place en 2011.

La situation des mineurs pris en charge outre-mer relève d'une problématique particulière : la proportion de mineurs accompagnants les familles prises en charge par le CRA de Mayotte, seul équipé en outre-mer pour recevoir des mineurs, est en effet beaucoup plus forte.

Nombre d'arrivées
en rétention

Nombre de mineurs accompagnants
(exclusivement
au CRA de Mayotte)

2009

27 699

2010

30 817

2011

24 009

2 553

2012

20 585

3 990

1 er semestre 2013

8 142

1 469

Cette réduction importante du nombre de mineurs placés en rétention résulte des orientations données par la circulaire du 6 juillet 2012. Cette circulaire privilégie en effet l'assignation à résidence pour les étrangers en situation irrégulière accompagnés de leurs enfants mineurs , en raison du caractère moins coercitif de cette mesure. Il est même d'ailleurs précisé que pour les familles ne bénéficiant pas d'un hébergement stable, il convient de rechercher une structure de type hôtelier.

Votre rapporteuse remarque cependant que si l'assignation à résidence est plus protectrice qu'un placement en rétention, cette mesure pose toutefois une difficulté particulière pour l'accompagnement des étrangers dans l'exercice de leurs droits.

2. La difficile prise en charge des mineurs isolés étrangers

Un mineur étranger isolé se définit comme un individu qui voyage seul, sans la présence d'une personne titulaire de l'autorité parentale, et qui ne peut justifier au contrôle à la frontière des documents de voyage requis pour entrer sur le territoire Schengen 29 ( * ) .

Les mineurs isolés étrangers ne relèvent pas de la mission « Immigration, asile et intégration », mais du budget de la mission « justice » et du budget des départements qui en ont la charge, en application de la loi n° 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance.

Toutefois, il existe un lien avec le budget immigration car lorsque ces mineurs accèdent à la majorité, ce sont les dispositifs financés par cette mission qui vont les prendre en charge.

En 2012, 416 mineurs isolés se sont présentés aux frontières, une majorité d'entre eux arrivant par l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle.

MÉTROPOLE

SERVICES

PLACEMENTS ZONE D'ATTENTE

2012

1 er semestre 2013

DPAF-ROISSY

Age 0 < 13 ans masculins isolés

51

19

Age 0 < 13 ans féminins isolées

34

19

Age 14 < 17 ans masculins isolés

201

97

Age 14 < 17 ans féminins isolées

93

54

TOTAL

Mineurs isolés DPAF -ROISSY

379

189

Autres services

Age 0 < 13 ans masculins isolés

8

5

Age 0 < 13 ans féminins isolées

4

0

Age 14 < 17 ans masculins isolés

20

5

Age 14 < 17 ans féminins isolées

5

4

TOTAL

Mineurs isolés Autres services

37

14

TOTAL

Mineurs isolés Tous services

416

203

De janvier à juin 2013, sur les 189 mineurs isolés entrés par l'aéroport Roissy Charles-de-Gaulle, 28 ont été réacheminés (14,81 %) et 161 sont entrés sur le territoire (85,19 %).

Le faible taux de réacheminement s'explique par le fait que les magistrats considèrent que l'intérêt de l'enfant est mieux préservé par son entrée sur le territoire que par son renvoi dans le pays d'origine, en raison notamment des difficultés pour y évaluer la réalité de sa prise en charge.

Comme pour les mineurs isolés de nationalité française, ce sont les départements qui ont la charge des mineurs isolés étrangers, en application de la loi n° 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance.

Au 1 er juin 2013, hors outre-mer, près de 9500 jeunes étrangers isolés seraient présents sur le territoire national. Ce chiffre intègre les jeunes majeurs titulaires d'un contrat jeune majeur.

Ces mineurs se concentrent sur certains territoires, pour des raisons variées, liées généralement à la présence de communautés étrangères ou à la tradition d'accueil et d'ouverture de certains départements. Lors de son audition par votre rapporteuse, M. Benoît Chevaldonnet, directeur de la protection de l'enfance du conseil général du Rhône, a ainsi souligné que 28 % des mineurs isolés présents sur le département du Rhône étaient d'origine albanaise. De même, en Seine-Saint-Denis, les ressortissants des pays d'Afrique subsaharienne sont particulièrement représentés.

Ainsi, près de la moitié des mineurs isolés étrangers sont recensés en Ile-de-France et les trois premiers départements accueillant les mineurs isolés étrangers totalisent près de 35 % du nombre total de mineurs étrangers isolés, dont 20 % pour le seul département de Paris : Paris accueille 1950 mineurs, la Seine-Saint-Denis en accueille 800 et le Nord en prend en charge 500.

Le coût élevé de cette politique pour les départements, a finalement conduit l'État à définir avec l'Assemblée des départements de France un protocole, signé le 31 mai 2013 30 ( * ) .

Il a été tout d'abord défini une procédure unique pour recueillir, évaluer la minorité et orienter le mineur isolé étranger. Les départements sont alors défrayés forfaitairement, à raison de 250 euros par mineur et par jour, dans la limite de cinq jours.

Toutefois, les représentants des conseils généraux entendus par votre rapporteuse ont souligné que ce délai était beaucoup trop court pour procéder à une évaluation correcte, celle-ci étant plutôt de l'ordre de trois semaines .

À la fin de cette période d'évaluation, le président du conseil général saisit le procureur de la République du lieu où le mineur a été repéré ou s'est présenté. Le procureur de la République désigne alors le conseil général du lieu de placement définitif auquel il confie le mineur par ordonnance provisoire.

Le principe d'une répartition territoriale a été arrêté, sur la base d'une clef de répartition correspondant à l a part de personnes de moins de 19 ans dans chaque département mais la décision de placement revient en dernier lieu au procureur de la République. Une cellule nationale, placée à la direction de la protection judiciaire de la jeunesse est chargée du suivi des flux d'arrivée de jeunes étrangers isolés et communique aux parquets toutes les indications nécessaires relatives au placement définitif des mineurs. Toutefois, dans certains cas, le parquet ne tient pas compte de l'expertise de la cellule, comme a pu le souligner M. Benoît Chevaldonnet, directeur de la protection de l'enfance du conseil général du Rhône.

Enfin, votre rapporteuse a été sensible à la problématique particulière des mineurs étrangers isolés victimes de la traite : ce phénomène n'est pas pris en compte en France aujourd'hui : selon les estimations de M. Fabien Gandossi et de Mme Juliette Laganier, représentants de la Croix-Rouge, près de 1 000 à 1 500 enfants échapperaient au dispositif de protection de l'enfance et entreraient dans des filières de travail forcé ou de prostitution. À cet égard, le lieu d'accueil et d'orientation (LAO), géré par la Croix-Rouge et dont la fonction principale est actuellement de recueillir les mineurs isolés étant arrivés sur le territoire national via l'aéroport Charles-de-Gaulle - qui pourrait donc voir son activité s'arrêter en la matière, en raison du nouveau rôle des départements -, pourrait utilement recentrer son action sur cette question.

Enfin, des syndicats de policiers entendus par votre rapporteuse ont fait état de filières acheminant des mineurs sur le territoire national, mais l'association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers (ANAFE) a, quant à elle, émis des doutes sur leur existence.

3. Un suivi perfectible lors de l'accession à la majorité

Les mineurs isolés étrangers sont considérés comme des mineurs et non comme des étrangers : ils bénéficient de ce fait des dispositifs de protection des mineurs. Ce choix est protecteur, mais il importe de noter que cette frontière peut être parfois conduire à des incohérences. Le mineur a pu faire l'objet de nombreuses mesures éducatives, il a pu bénéficier d'une prise en charge coûteuse ; si, à sa majorité, il ne bénéficie pas d'une régularisation, l'ensemble des moyens mobilisés qui lui ont été consacrées sont en quelque sorte perdus. Lors de leur audition par votre rapporteuse, les représentants des conseils généraux du Rhône et de la Seine-Saint-Denis ont tous les deux fait part de leur insatisfaction quant à cette situation.

Elle est d'autant plus dommageable, que la plupart des personnes entendues par votre rapporteuse, représentants des conseils généraux ou des associations, ont souligné que ces mineurs étaient très souvent assidus, sérieux et cherchaient à s'intégrer rapidement, comme en témoigne par exemple leur apprentissage généralement rapide du français.

Lors de son audition par votre rapporteuse, le représentant du Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI) a souligné que la prise en charge des mineurs est perfectible à Paris, entrainant des retards de scolarisation qui seront ensuite préjudiciables aux étrangers, lorsqu'ils demanderont un titre de séjour.

Le cadre juridique actuel distingue deux situations lors de l'accession à la majorité du mineur, selon qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance avant son seizième anniversaire, ou qu'il l'a été après .

S'il avait moins de seize ans lorsqu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance, la situation du mineur est régie par l'article L. 313-11 2° bis du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) : cet article prévoit la délivrance d'une carte de séjour temporaire, mention « vie privée et familiale », « sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation, de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française ».

Lorsque le mineur a été confié à l'aide sociale à l'enfance après son seizième anniversaire, l'article L. 313-15 du CESEDA s'applique : cet article prévoit la délivrance, à titre exceptionnel, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, de la carte de séjour temporaire portant la mention « salarié » ou « travailleur temporaire » au jeune majeur étranger, qui, confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans, justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle. Cette disposition est également mise en oeuvre sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature des liens du jeune avec la famille restée dans le pays d'origine, et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française.

Votre rapporteuse estime que la transition lors du passage à la majorité n'a pas fait l'objet d'une étude approfondie : par le simple effet de l'âge, l'étranger relève brusquement d'une logique différente, qui ne prend qu'imparfaitement en compte l'étape précédente. Des acteurs très différents, conseils généraux, d'une part, et le ministère de l'intérieur, d'autre part, se succèdent donc, entrainant parfois des situations sous-optimales, aussi bien humainement que financièrement.

C'est tout particulièrement le cas pour les mineurs confiés à l'aide sociale à l'enfance alors qu'ils étaient âgés de plus de seize ans.

Votre rapporteuse estime donc qu'une réflexion approfondie devrait s'engager sur ce sujet.

*

* *

Sous le bénéfice de ces observations, la commission a donné un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs à l'immigration et à l'intégration de la mission « Immigration, asile et intégration » du projet de loi de finances pour 2014.


* 29 Les règles de minorités applicables sont celles de la France, mais votre rapporteuse remarque que, dans certains pays, la majorité est à 21 ans.

* 30 http://www.justice.gouv.fr/art_pix/1_1_310513protocolemie2.pdf cf. Annexe n° 3.

Page mise à jour le

Partager cette page