EXAMEN DES ARTICLES

TITRE IER - OBLIGATION DE RECHERCHER UN REPRENEUR EN CAS DE PROJET DE FERMETURE D'UN ÉTABLISSEMENT
Article 1er - (art. L. 1233-57-9 à L. 1233-57-22 [nouveaux] du code du travail et art. L. 613-1 à L. 615-2 [nouveaux] du code de commerce) - Instauration dans le code du travail et le code de commerce d'une obligation de recherche d'un repreneur en cas de projet de fermeture d'un établissement, sous le contrôle tribunal de commerce

L'article 1 er de la proposition de loi instaure, dans le code du travail, une obligation de recherche d'un repreneur pour toute entreprise d'au moins mille salariés envisageant un projet de fermeture d'un établissement ayant pour conséquence un licenciement collectif ainsi que, dans le code de commerce, une procédure de vérification et de sanction du respect de cette obligation devant le tribunal de commerce.

Votre commission a examiné les dispositions instaurant cette nouvelle procédure devant le tribunal de commerce, par l'insertion de nouveaux articles L. 613-1, L. 614-1, L. 614-2, L. 615-1 et L. 615-2 au sein d'un nouveau titre I er bis du livre VI du code de commerce relatif aux difficultés des entreprises, et a adopté une série d'amendements. En revanche, sauf exceptions justifiées, elle n'a pas souhaité présenter d'amendements sur les dispositions introduites dans le code du travail, relevant a priori de la seule compétence de la commission des affaires sociales.

Votre rapporteur signale que, du fait de sa dimension punitive, la judiciarisation du contrôle de l'obligation de rechercher un repreneur a suscité des critiques de la part de nombreuses personnes entendues en audition, en particulier les représentants des entreprises. Ce contrôle aurait tout à fait être conduit par l'administration, s'agissant notamment de la vérification du respect du formalisme des obligations de recherche. À cet égard, le dispositif des conventions de revitalisation 6 ( * ) aurait pu être revu et articulé avec l'obligation de rechercher un repreneur, en prévoyant une participation financière plus grande de l'entreprise en cas de manquement à l'obligation de recherche.

Le dispositif introduit dans le code de travail par la proposition de loi a vocation à se substituer à l'obligation de recherche d'un repreneur figurant à l'article L. 1233-90-1 du même code et résultant de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi, qui a traduit l'accord national interprofessionnel sur la compétitivité et la sécurisation de l'emploi conclu par les partenaires sociaux en janvier 2013. Aussi l'article 1 er bis de la présente proposition de loi abroge-t-il l'article L. 1233-90-1. Votre rapporteur ne peut que déplorer la méthode législative consistant à modifier aussi rapidement un dispositif qui vient à peine d'être créé.

De plus, l'article 2 de la présente proposition de loi prévoit la remise d'un rapport au Parlement sur la mise en oeuvre de l'obligation de rechercher un repreneur en cas de fermeture d'un établissement, dans l'année suivant la promulgation de la loi.

. L'obligation de recherche d'un repreneur

L'obligation de recherche d'un repreneur en cas de projet de fermeture d'un établissement susceptible d'entraîner un licenciement collectif trouverait place dans une nouvelle section au sein du chapitre du code du travail relatif au licenciement économique, regroupant les articles L. 1233-57-9 à L. 1233-57-22.

Le nouvel article L. 1233-57-9 fixe le champ d'application de la nouvelle obligation de recherche d'un repreneur et prévoit que l'employeur informe le comité d'entreprise du projet de fermeture. Cette obligation s'appliquerait à toute entreprise d'au moins mille salariés qui envisage la fermeture d'un établissement pouvant avoir comme conséquence un projet de licenciement collectif. Il suffirait en l'état de deux salariés travaillant dans l'établissement pour enclencher l'application de cette procédure, ce qui semble quelque peu disproportionné. Même dans l'hypothèse où la fermeture pourrait n'entraîner aucun licenciement, en raison du transfert des emplois dans un autre site, cette procédure devrait aussi être appliquée, alors que la notion de reprise n'aurait guère de sens en pareil cas.

Les auditions menées par votre rapporteur ont souligné l'incertitude entourant la notion d'établissement, qui présente un caractère économique davantage que juridique. Il pourrait s'agir d'un établissement constitué sous forme de filiale d'un groupe autant que d'un établissement physique dépourvu de la personnalité morale.

Par ailleurs, en l'état du texte, il n'aurait a priori vocation à s'appliquer qu'aux entreprises in bonis , mais pas à celles placées en procédure collective ou engagées dans une procédure de conciliation. Afin cependant d'éviter toute ambiguïté dans l'interprétation du champ d'application de ce dispositif, votre commission a adopté un amendement présenté par son rapporteur en vue d'en exclure les entreprises en procédure de conciliation, sauvegarde, redressement judiciaire ou liquidation judiciaire. En effet, pour ces entreprises, des règles spécifiques existent au sein du livre VI du code de commerce, notamment en matière de cession d'actifs de l'entreprise.

Le nouvel article L. 1233-57-10 précise la nature des informations que l'employeur doit communiquer aux représentants du personnel sur le projet de fermeture de l'établissement, en particulier les actions qu'il envisage de mener pour trouver un repreneur et la faculté pour les salariés de présenter une offre de reprise. Le nouvel article L. 1233-57-11 précise les instances de représentation du personnel compétentes en présence d'un comité central d'entreprise.

Les nouveaux articles L. 1233-57-12 et L. 1233-57-13 prévoient que l'employeur informe l'administration et le maire de la commune concernée de son projet de fermeture. Il communique à l'administration les éléments qui ont été fournis aux représentants du personnel, ainsi que les renseignements relatifs à la réunion du comité d'entreprise.

Le nouvel article L. 1233-57-14 énumère les obligations de l'employeur une fois qu'il a informé le comité d'entreprise et l'administration du projet de fermeture. En d'autres termes, il encadre les modalités selon lesquelles les actifs qui constituent l'établissement sont susceptibles d'être cédés. À cet égard, on peut s'interroger sur la valeur de ces actifs, qui peuvent être des bâtiments ou un droit au bail, éventuellement des machines et des véhicules, des stocks de marchandises, du matériel divers, c'est-à-dire des actifs corporels, mais sans doute pas des actifs incorporels tels que, par exemple, des brevets, que le cédant préférera conserver pour poursuivre leur valorisation ou céder à part.

En premier lieu, l'employeur doit « informer, par tout moyen approprié, des repreneurs potentiels » et « réaliser sans délai un document de présentation de l'établissement destiné aux repreneurs potentiels ». Votre rapporteur s'interroge sur le caractère peu réaliste et relativement imprécis de ces obligations, car il n'est pas aisé d'identifier la liste de tous les repreneurs potentiels. Or, il appartiendra au tribunal de commerce de vérifier que cette obligation a été respectée et, s'il y a lieu, de sanctionner l'employeur. Le principe constitutionnel de légalité des délits et des peines, qui trouve à s'appliquer en dehors du domaine pénal à l'égard de toute sanction ayant le caractère d'une punition, même si elle n'est pas prononcée par une juridiction répressive, suppose que les obligations susceptibles de donner lieu à sanction soient définies de façon suffisamment claire et précise pour éviter une appréciation arbitraire 7 ( * ) .

À ces premières obligations s'ajoute celle d'établir, s'il y a lieu, le bilan environnemental prévu à l'article L. 623-1 du code de commerce. On ne peut que s'étonner de cette référence à un article du code concernant les entreprises en difficulté, alors qu'elles ne sont pas concernées par le présent texte. Sans doute cette méthode de renvoi est-elle une commodité de rédaction.

Une quatrième obligation consiste à « donner accès à toutes informations nécessaires aux entreprises candidates à la reprise de l'établissement, exceptées les informations dont la communication serait de nature à porter atteinte aux intérêts de l'entreprise ou mettrait en péril la poursuite de l'ensemble de son activité ». Une telle disposition vise à encadrer très strictement les modalités de la négociation entre l'entreprise cédante et les éventuels repreneurs, alors que de telles négociations sont généralement couvertes par le régime de liberté du secret des affaires, en laissant nécessairement une certaine marge d'appréciation au cédant sur les informations qu'il souhaite communiquer à d'éventuels repreneurs. En l'état, il est difficile d'appréhender de façon précise la nature des informations que le cédant ne serait pas tenu de communiquer, celles « dont la communication serait de nature à porter atteinte aux intérêts de l'entreprise ou mettrait en péril la poursuite de l'ensemble de son activité ». Pour apprécier le respect de cette obligation, le tribunal de commerce, s'il est saisi, aura nécessairement une forte capacité d'appréciation de la situation concrète soumise à son jugement.

Les deux dernières obligations consistent pour l'employeur à examiner les offres de reprise qu'il reçoit - ce qui suppose qu'il conserve des preuves de cet examen - et à apporter une réponse motivée à chaque offre. On pourrait considérer que, par construction, si l'employeur apporte une réponse motivée à chaque offre, il les aura préalablement examinées...

Pour la plupart d'entre elles, ces six obligations de l'employeur n'ont pas le formalisme de celles qui prévoient l'information du comité d'entreprise, de l'administration et du maire. Elles comportent une marge d'appréciation voire un manque de précision qui pourraient s'avérer problématiques au regard du principe de légalité des délits et des peines et qui, en tout état de cause, soulèvent un certain nombre d'interrogations juridiques.

Le nouvel article L. 1233-57-15 dispose que le comité d'entreprise est informé, de façon confidentielle, des offres de reprise « formalisées » dans les huit jours suivant leur réception. Le comité peut émettre un avis et formuler des propositions, mais aussi « participer à la recherche d'un repreneur ». Le nouvel article L. 1233-57-16 précise qu'il doit avoir accès, à cette fin, aux informations communiquées aux repreneurs potentiels, aux offres reçues et aux réponses motivées aux offres effectuées par l'employeur.

Votre rapporteur fait part de son fort scepticisme sur la participation du comité d'entreprise au processus de recherche d'un repreneur. En effet, outre qu'une telle compétence ne relève pas des missions traditionnelles du comité en matière économique, lequel exerce un rôle avant tout consultatif, il est contestable que la recherche d'un repreneur ne soit pas une prérogative exclusive de l'employeur alors que seul l'employeur est tenu à des obligations de recherche d'un repreneur et qu'il peut d'ailleurs être sanctionné pour tout manquement à ces obligations. En pareille situation, les éventuelles démarches de recherche d'un repreneur engagées par le comité d'entreprise pourraient en outre avoir un effet perturbateur sur les démarches de l'employeur. Enfin, en pratique, il est peu probable que le comité d'entreprise soit en mesure de jouer un rôle effectif significatif dans la recherche d'un repreneur, mais cela lui donnerait accès à des informations sur l'entreprise qui ne semblent pas figurer parmi celles qui doivent en l'état lui être communiquées.

Aussi votre commission a-t-elle adopté, à l'initiative de son rapporteur, un amendement supprimant la possibilité pour le comité d'entreprise de participer à la recherche d'un repreneur.

Le nouvel article L. 1233-57-17 dispose que le comité d'entreprise peut avoir recours à un expert rémunéré par l'entreprise, comme c'est prévu dans le cadre d'autres procédures de consultation, pour l'assister dans sa mission. Il ne s'agit pas obligatoirement d'un expert-comptable, comme c'est généralement le cas. Cet expert pourrait avoir accès à des informations particulièrement vastes, car il devrait analyser le processus de recherche d'un repreneur et le contenu des offres pour le comité d'entreprise, en ayant accès pour ce faire à toutes les informations fournies aux repreneurs potentiels par l'entreprise. Il apporterait son concours au comité d'entreprise s'il souhaite participer directement à la recherche d'un repreneur. L'expert devrait remettre un rapport au comité. Par cohérence, l'amendement supprimant la possibilité pour le comité d'entreprise de participer à la recherche d'un repreneur modifie l'étendue du rôle de l'expert désigné par le comité.

Le nouvel article L. 1233-57-18 précise les instances de représentation du personnel compétentes en présence d'un comité central d'entreprise.

Le nouvel article 1233-57-19 prévoit que l'employeur consulte le comité d'entreprise sur toute offre de reprise qu'il envisage d'accepter, en appréciant la capacité de l'offre à assurer la pérennité de l'activité et de l'emploi sur le site. Le comité d'entreprise est appelé à émettre un avis sur ces offres. Dans l'hypothèse où aucune offre n'aurait été reçue ou n'aurait été acceptée, l'employeur devrait présenter un rapport au comité d'entreprise, qui serait aussi communiqué à l'administration, selon le nouvel article L. 1233-57-20. Ce rapport devrait faire état des actions engagées par l'employeur pour rechercher un repreneur, des éventuelles offres de reprise reçues et des motifs qui ont pu conduire à ne pas accepter les offres reçues.

Le nouvel article L. 1233-57-21 précise que les actions de recherche d'un repreneur sont prises en compte dans la convention de revitalisation conclue entre l'entreprise et l'administration en cas de fermeture.

Enfin, le nouvel article L. 1233-57-22 prévoit l'intervention d'un décret en Conseil d'État pour déterminer les modalités d'application de ce nouveau dispositif d'obligation de rechercher un repreneur. C'est à la suite de cet article que l'amendement déjà évoqué supra insère un article additionnel visant à exclure les entreprises soumises à une procédure de conciliation, sauvegarde, redressement judiciaire ou liquidation judiciaire, au sein d'une sous-section consacrée aux dispositions d'application.

. L'intervention du tribunal de commerce

L'article 1 er de la proposition de loi prévoit l'intervention du tribunal de commerce, à la demande du comité d'entreprise, pour contrôler le respect par l'entreprise des différentes composantes de l'obligation de rechercher un repreneur et, s'il y a lieu, la sanctionner en cas de manquement. Pour ce faire, un nouveau titre I er bis est inséré au sein du livre VI du code de commerce, composé des nouveaux articles L. 613-1, L. 614-1, L. 614-2, L. 615-1 et L. 615-2. Le texte fait ainsi le choix d'un contrôle judiciaire et non administratif.

Ce choix soulève deux difficultés. D'une part, le livre VI est consacré aux difficultés des entreprises : il traite des dispositifs de prévention ainsi que des procédures collectives que sont la sauvegarde, le redressement judiciaire et la liquidation judiciaire. Or, même s'il s'inspire manifestement des dispositions relatives aux procédures collectives dans sa rédaction, le dispositif institué par la proposition de loi ne concerne pas les entreprises en difficulté, de sorte que le choix d'insertion dans le code de ce dispositif créerait une incohérence.

D'autre part, en l'état du droit, le tribunal de commerce ne dispose pas d'une compétence rationae personae à l'égard de l'ensemble des entreprises susceptibles d'être concernées par l'obligation de rechercher un repreneur. À titre de comparaison, en matière de procédures collectives, il est compétent à l'égard des personnes physiques et morales ayant une activité commerciale ou artisanale 8 ( * ) , mais pas à l'égard des agriculteurs, des professions libérales et des personnes morales de droit privé sans activité commerciale, en particulier les associations, lesquels relèvent de la compétence du tribunal de grande instance. Il serait paradoxal, par conséquent, que ces entreprises relèvent du tribunal de commerce pour ce qui concerne l'obligation de recherche d'un repreneur, même si, en pratique, peu de cas devraient se présenter en raison des effectifs salariés généralement limités des entreprises agricoles ou indépendantes ainsi que des associations.

Sur la proposition de son rapporteur, votre commission a adopté deux amendements visant à remédier à ces difficultés en donnant au texte davantage de cohérence juridique. Le premier amendement propose d'insérer ce nouveau dispositif dans un nouveau titre VII, intitulé « Du contrôle de l'obligation de rechercher un repreneur », à la fin du livre VII du code de commerce relatif aux juridictions commerciales et à l'organisation du commerce, lequel comporte déjà quelques dispositions diverses 9 ( * ) . Le second amendement propose de retenir la répartition habituelle de compétence entre le tribunal de commerce et le tribunal de grande instance, telle qu'elle est fixée par exemple au livre VI du code de commerce pour les procédures collectives 10 ( * ) : il s'agit de se conformer aux règles habituelles de répartition des contentieux, dans un souci de bonne administration de la justice.

Concernant le tribunal territorialement compétent, la question se pose du choix entre le tribunal du siège social de l'entreprise ou le tribunal du lieu de l'établissement. En l'état du droit, l'article 42 du code de procédure civile, de valeur réglementaire, dispose que « la juridiction territorialement compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur ». Pour l'application du présent texte, cette disposition conduit à ce que le tribunal compétent soit celui du siège social de l'entreprise propriétaire de l'établissement et pas celui dans le ressort duquel se situe l'établissement. Il en est de même en matière de procédures collectives.

Cependant, comme l'ont montré ses auditions, votre rapporteur signale que les représentants des tribunaux de commerce et des juges consulaires sont particulièrement réticents à appliquer ce nouveau dispositif, en particulier le mécanisme de sanction, dont l'effectivité semble dès lors aléatoire. En effet, cette nouvelle procédure ne correspond pas aux compétences habituelles des tribunaux de commerce, qui portent sur les litiges entre commerçants ou sociétés commerciales ainsi que sur le traitement des difficultés des entreprises.

. L'engagement et le déroulement de la procédure devant le tribunal

Pour saisir le tribunal afin d'engager la procédure, la proposition de loi ouvre au comité d'entreprise un délai de sept jours à compter de la réunion, prévue au nouvel article L. 1233-57-20 du code du travail 11 ( * ) , au cours de laquelle l'employeur l'informe qu'il n'a reçu ou accepté aucune offre de reprise de l'établissement dont il envisage la fermeture, de sorte que l'établissement ne peut pas faire l'objet d'une reprise. Le critère de l'absence de reprise est donc un critère de recevabilité de l'action engagée devant le tribunal, ce qui pourtant n'apparaît pas clairement dans la rédaction retenue par le texte.

Aussi l'amendement évoqué ci-dessus pour déterminer les tribunaux compétents précise-t-il également les conditions d'ouverture de l'action. À cette fin, il crée au début du nouveau titre VII du livre VII du code de commerce, proposé par votre commission, un nouvel article liminaire L. 770-1 fixant clairement à la fois la nature de la procédure, c'est-à-dire la vérification des obligations de recherche d'un repreneur et éventuellement la sanction, le critère d'ouverture, à savoir l'absence de reprise de l'établissement, la qualité du demandeur, à savoir le comité d'entreprise, et les tribunaux compétents.

Par ailleurs, le texte attribue délibérément au comité d'entreprise un monopole pour engager l'action. On aurait pu également envisager que l'action puisse être engagée par le ministère public, voire par l'entreprise elle-même, soucieuse de démontrer qu'elle a respecté ses obligations, sans parvenir pour autant à trouver un repreneur.

Concernant le déroulement de la procédure, la phase de vérification du respect des obligations et la phase de sanction semblent imbriquées au sein d'une seule et même procédure, que le texte enserre dans un délai très bref de quatorze jours, devant aboutir à un jugement par lequel le tribunal statuerait à la fois sur le respect des obligations et sur la sanction éventuelle en cas de non-respect de ces obligations. Or, la proposition de loi prévoit que le tribunal peut sanctionner l'entreprise lorsqu'il a jugé qu'elle n'avait pas respecté ses obligations. Procéduralement, il paraît plus clair de dissocier le jugement sur le respect des obligations du jugement de sanction. Cette distinction a d'ailleurs été suggérée par plusieurs personnes entendues en audition. À cet égard, dans le cadre des procédures collectives, les procédures de sanction sont distinctes, même si elles sont ouvertes sur la base d'éléments apparus à l'occasion de la procédure collective.

Dans ces conditions, votre commission a souhaité distinguer clairement une procédure de vérification, ouverte par le tribunal à la demande du comité d'entreprise, et une procédure de sanction, ouverte à la demande du comité d'entreprise au vu du jugement rendu au terme de la procédure de vérification. La procédure de sanction pourrait aussi être ouverte sur requête du ministère public, chargé de l'ordre public économique, comme c'est le cas usuellement pour les sanctions en matière commerciale.

Plus largement, votre commission a veillé au respect des droits de la défense et à la présence du ministère public dans la procédure. Pour renforcer la rigueur juridique du dispositif, elle a cherché à se rapprocher du régime procédural en vigueur devant les tribunaux de commerce, en particulier en cas de procédure collective.

Ainsi, outre un article liminaire L. 770-1 déjà détaillé supra , le nouveau titre intitulé « Du contrôle de l'obligation de rechercher un repreneur » devrait comporter deux chapitres, le premier relatif à la procédure de vérification et le second relatif à la procédure de sanction. À l'initiative de son rapporteur, votre commission a adopté deux amendements prévoyant des chapitres en ce sens.

De plus, la proposition de loi prévoyant l'intervention d'un décret en Conseil d'État pour déterminer les modalités d'application de la procédure instituée devant le tribunal, votre commission a adopté un amendement de son rapporteur créant un troisième chapitre relatif aux conditions d'application.

. La procédure de vérification du respect de l'obligation de recherche

Selon la proposition de loi, le tribunal peut être saisi par le comité d'entreprise dans les sept jours suivant la réunion, prévue au nouvel article L. 1233-57-20 du code du travail, au cours de laquelle l'employeur l'a informé qu'il n'a pas reçu d'offre ou qu'il n'a donné suite à aucune offre reçue. S'il n'existe pas de comité d'entreprise, ce qui serait irrégulier pour une entreprise d'au moins mille salariés, et qu'un procès-verbal de carence en ce sens a été transmis à l'inspection du travail, les délégués du personnel peuvent saisir le tribunal. Sur ce dernier point, votre rapporteur relève que cette disposition, outre son caractère contraignant car elle impose la condition d'une transmission préalable d'un constat de carence, est superflue, dans la mesure où le code du travail prévoit déjà, par principe, que les délégués du personnel exercent les attributions du comité d'entreprise lorsque celui-ci n'a pas été mis en place 12 ( * ) .

De façon quelque peu superflue juridiquement, le texte indique que le comité d'entreprise peut saisir le tribunal « s'il estime » que l'entreprise n'a pas rempli ses obligations de recherche d'un repreneur ou qu'elle n'a pas donné suite à une offre de reprise « qu'il considère » comme sérieuse. Il n'y a pas lieu de préciser les motivations de l'auteur de la saisine, mais à l'inverse il est pertinent de préciser l'objectif de la procédure enclenchée par cette saisine, à savoir la vérification du respect par l'entreprise de ses obligations et le contrôle du motif de refus des offres éventuelles qui ont pu être présentées.

Sur la proposition de son rapporteur, votre commission a adopté un amendement pour clarifier la rédaction du texte sur la saisine du tribunal.

Par la suite, la proposition de loi précise que le tribunal, une fois saisi, statue sur l'ouverture de la procédure, sans plus de précision. Cette formule reprend celle prévue en matière de procédures collectives, qui commencent par un premier jugement d'ouverture. Par l'adoption d'un amendement présenté par son rapporteur, votre commission a souhaité préciser les conditions dans lesquelles intervient le jugement d'ouverture, en permettant notamment à l'entreprise de présenter ses observations, au nom des droits de la défense. Il s'agit de préciser que le tribunal statue sur l'ouverture de la procédure de vérification seulement après avoir entendu ou dûment appelé en chambre du conseil - c'est-à-dire en audience non publique, ce qui est suffisant au stade de l'ouverture de la procédure, comme c'est prévu pour les procédures collectives 13 ( * ) - les représentants de l'entreprise, c'est-à-dire le défendeur, et ceux du comité d'entreprise, c'est-à-dire le demandeur. Il est aussi proposé que le tribunal puisse entendre au stade de l'ouverture toute personne dont l'audition lui semble utile et qu'ensuite le ministère public soit informé de l'ouverture de la procédure, de façon à ce qu'il puisse intervenir dans les phases ultérieures de la procédure.

Une fois qu'il a statué sur l'ouverture, la proposition de loi indique que le tribunal peut recueillir tous renseignements sur la situation de l'entreprise et sur les actions engagées pour la recherche d'un repreneur et qu'il peut se faire assister par un expert de son choix. En pratique, il est peu probable que le tribunal de commerce soit en mesure de procéder lui-même à cette collecte de renseignements. En pareille situation, dans le cadre d'une procédure collective, le code de commerce prévoit que le tribunal désigne un juge pour procéder à cette collecte, à charge pour lui de rendre compte au tribunal le moment venu 14 ( * ) . Votre commission a adopté un amendement en ce sens présenté par son rapporteur, ajoutant également que le secret professionnel n'est pas opposable au juge commis par le tribunal s'il s'adresse aux professionnels et aux organismes qui peuvent disposer d'informations utiles (commissaires aux comptes et experts-comptables, administrations, sécurité sociale...) et que le juge peut se faire assister par un expert de son choix.

En outre, dans la mesure où le tribunal doit statuer rapidement sur la vérification du respect des obligations de recherche d'un repreneur, il peut être opportun dans certains cas de désigner un administrateur judiciaire, compétent pour ce type de mission qu'il réalise dans le cadre des procédures collectives en particulier 15 ( * ) , afin d'établir un bilan économique, social et le cas échéant environnemental de l'entreprise. Aussi votre commission a-t-elle adopté un amendement en ce sens à l'initiative de son rapporteur, prévoyant également que ce bilan peut être complété par une évaluation des éventuelles offres de reprise qui ont pu être reçues par l'entreprise.

Par la suite, la proposition de loi dispose que le tribunal « examine » la conformité de la recherche du repreneur aux obligations prévues par le code du travail, le caractère sérieux des éventuelles offres de reprise reçues et l'existence d'un motif légitime de refus, défini de façon exclusive comme « la mise en péril de la poursuite de l'ensemble de l'activité de l'entreprise ».

D'un point de vue procédural, le présent texte prévoit que le tribunal « examine » - et non « statue », terme que votre rapporteur estime plus approprié - après avoir entendu ou dûment appelé le dirigeant d'entreprise, le comité d'entreprise, le ministère public, le représentant de l'administration s'il en fait la demande - c'est-à-dire le commissaire au redressement productif selon les informations communiquées à votre rapporteur - ainsi que toute personne dont l'audition peut être utile. Sans précision contraire, l'audience est publique. La rédaction n'est pas adaptée s'agissant du ministère public, qui doit exprimer un avis devant par le tribunal, comme c'est le cas en matière de procédures collectives. Pour clarifier et préciser les conditions dans lesquelles le tribunal « statue », votre commission a adopté un amendement à l'initiative de son rapporteur, précisant que le tribunal statue après avoir recueilli l'avis du ministère public, formalité substantielle obligatoire. Cet amendement prévoit aussi que l'administrateur judiciaire peut être entendu, s'il a été désigné par le tribunal pour établir le bilan économique et social.

Votre commission a adopté un amendement présenté par son rapporteur destiné à préciser la rédaction des trois éléments que le tribunal doit contrôler, reprenant notamment par analogie deux des objectifs fixés à la procédure de sauvegarde par l'article L. 620-1 du code de commerce pour apprécier le caractère sérieux des offres de reprise, à savoir permettre la poursuite de l'activité de l'établissement et le maintien de l'emploi.

S'agissant du motif légitime de refus, votre rapporteur considère que la définition univoque retenue par la proposition de loi n'est évidemment pas satisfaisante, car elle ne couvre pas tous les cas envisageables de motifs légitimes, à commencer par un prix excessivement bas par rapport à la valeur des actifs que comporte l'établissement. Ceci crée une sérieuse difficulté au regard du droit de propriété si l'on considère que l'on ne peut pas refuser de céder l'établissement en cas d'offre à très bas prix. En outre, la définition retenue par le texte paraît incohérente, sauf à la justifier par un motif de concurrence, car elle suggère que la cession de l'établissement peut porter atteinte à la poursuite de l'activité de l'entreprise, alors que sa fermeture n'y porterait pas atteinte puisqu'elle était envisagée et qu'elle a eu lieu au moment où le tribunal est appelé à statuer. D'autres motifs légitimes sont également envisageables, par exemple une obligation légale ou conventionnelle, la mise en oeuvre d'un projet local d'urbanisme, l'interdiction d'une technique ou d'une production exploitée dans cet établissement...

Votre rapporteur estime préférable de laisser au tribunal lui-même le soin d'apprécier le motif du refus et son caractère légitime, en fonction des circonstances de l'espèce. Aussi votre commission a-t-elle, à l'initiative de son rapporteur, adopté un amendement destiné à supprimer toute définition du motif légitime du refus de cession de l'établissement.

Enfin, sur proposition de son rapporteur, votre commission a adopté un amendement précisant que le tribunal statue par un jugement dans le mois suivant la saisine, de sorte que la procédure de vérification doit être conduite en un mois. Le texte fait le choix d'une procédure rapide, en quatorze jours, pour la vérification et pour l'éventuelle sanction. Un délai plus important semble cependant nécessaire pour permettre au tribunal de statuer en connaissance de cause.

Votre rapporteur ajoute que ce jugement statuant sur le respect des obligations de recherche d'un repreneur pourra faire l'objet d'un appel.

. La procédure de sanction en cas de méconnaissance de l'obligation

Votre commission considère que la procédure de sanction ne peut être engagée que si le tribunal a déjà statué par un premier jugement dans le cadre de la procédure de vérification. La proposition de loi prévoit que la sanction peut être encourue si l'entreprise n'a pas respecté les obligations de recherche d'un repreneur ou bien si elle a refusé une offre sérieuse sans motif légitime. Elle indique que le tribunal « peut imposer une pénalité », de sorte que la sanction est facultative, à la discrétion du tribunal, quand bien même les obligations de recherche n'ont pas été respectées ou une offre sérieuse a été refusée sans motif légitime... Au regard de l'état d'esprit des représentants des juges consulaires entendus par votre rapporteur à l'égard de cette nouvelle procédure, il est peu probable que des sanctions soient fréquemment prononcées dès lors qu'elles présentent un caractère facultatif à la discrétion des tribunaux.

Votre rapporteur ajoute que le choix d'instituer une seconde procédure pour la sanction permet d'éviter d'interpréter le texte comme laissant la faculté au tribunal de se saisir d'office pour prononcer une sanction, ce qui serait contraire à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, lequel exige que la garantie des droits soit assurée, comme en a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2012-286 QPC du 7 décembre 2012 16 ( * ) .

S'agissant de la nature juridique de la pénalité, terme qui correspond à une terminologie de droit fiscal, mais qui présente bien le caractère d'une sanction quelle que soit la dénomination retenue, il faut la considérer comme une amende civile. En effet, il ne s'agit ni d'une amende pénale, car le texte n'institue aucun délit, ni d'une amende administrative, car elle est prononcée par un juge. Les amendes civiles sont rares dans la législation 17 ( * ) , mais elles peuvent constituer un outil utile en cas de manquement sanctionné par le juge civil en matière économique. Dans ces conditions, votre commission estime qu'il est préférable de retenir la notion d'amende civile dans le texte.

La proposition de loi dispose que le montant de la pénalité peut atteindre vingt fois la valeur mensuelle du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC), soit de l'ordre de 30 000 euros, par emploi supprimé du fait de la fermeture de l'établissement, dans la limite de 2 % du chiffre d'affaires annuel de l'entreprise. Elle ajoute que le montant de la pénalité tient compte de la situation de l'entreprise et des efforts engagés pour la recherche d'un repreneur, disposition inutile au regard du principe d'individualisation des peines.

D'un point de vue procédural, la proposition de loi ne précise pas de quelle façon le tribunal statue. Il semble pouvoir statuer par le même jugement que celui portant sur la vérification de l'obligation de recherche, sans que cela soit expressément organisé. Le texte est muet sur les droits de la défense et sur le rôle du ministère public, alors qu'il institue le prononcé d'une sanction par le tribunal et que le caractère équitable et contradictoire de la procédure doit donc être clairement garanti.

Afin de lever ces diverses difficultés résidant dans l'unique alinéa de la proposition de loi relatif à la procédure de sanction stricto sensu , à l'initiative de son rapporteur, votre commission a adopté un amendement précisant que la procédure de sanction, pouvant aboutir au prononcé d'une amende civile, est ouverte à la demande du comité d'entreprise ou sur requête du ministère public, gardien de l'ordre public, lorsque le premier jugement a constaté que l'entreprise n'a pas respecté ses obligations de recherche d'un repreneur ou a refusé une offre jugée sérieuse sans motif légitime. Il est proposé que cette saisine intervienne au plus tard dans le mois suivant le premier jugement concluant la procédure de vérification. Cet amendement prévoit également que le tribunal statue après avoir entendu ou dûment appelé en chambre du conseil l'entreprise, pour respecter les droits de la défense, et le comité d'entreprise et après avoir recueilli l'avis du ministère public. Votre commission n'a pas proposé de modifier le montant encouru de l'amende.

La proposition de loi ajoute, de façon là encore innovante, que la pénalité est affectée à la Banque publique d'investissement (BPI) pour financer des projets d'activité économique sur le territoire de l'établissement fermé. En effet, il n'est pas usuel que des amendes prononcées par les tribunaux fassent l'objet d'une affectation spéciale : elles abondent généralement le budget de l'Etat. Juridiquement, l'affectation à la BPI de la ressource publique qu'est le produit de l'amende - et non de l'amende elle-même - est possible, car la BPI est un « groupe public » en vertu de l'article 1 er A de l'ordonnance n° 2005-722 du 29 juin 2005 relative à la BPI. Toutefois, la BPI est constituée de plusieurs composantes, en particulier un établissement public dénommé BPI-Groupe et une société anonyme également dénommée BPI-Groupe. L'article 4 de l'ordonnance précitée énumère les ressources de l'établissement public, parmi lesquelles il semble préférable de faire figurer le produit de l'amende.

L'utilisation des sommes ainsi récoltées par la BPI est encadrée, mais encore faut-il que la BPI soit sollicitée pour des projets économiques dans le même bassin d'emploi que celui dans lequel l'établissement a fermé, faute de quoi ces sommes, si tant est qu'elles puissent représenter un montant significatif, resteraient inemployées. Il n'est pas forcément pertinent que la loi soit aussi précise.

Afin de clarifier l'affectation du produit de l'amende civile prononcée par le tribunal, votre commission a adopté deux amendements sur proposition de son rapporteur, pour prévoir que le produit est affecté à l'établissement public BPI-Groupe pour financer, par priorité seulement, des projets dans le bassin d'emploi de l'établissement et pour compléter la liste des ressources de l'établissement public BPI-Groupe à l'article 4 de l'ordonnance du 29 juin 2005 précitée.

La proposition de loi prévoit une seconde sanction, qui semble tout à fait inadaptée juridiquement à votre rapporteur. Elle indique en effet que le tribunal, de façon tout aussi facultative, peut enjoindre à l'entreprise de rembourser tout ou partie des aides financières publiques qu'elle a reçues dans les deux années précédant le jugement au titre de l'établissement fermé en matière d'installation, de développement économique ou d'emploi.

Outre que la notion d'aide financière publique manque de précision, sans qu'il soit possible d'y pourvoir de façon satisfaisante par décret, alors qu'il s'agit d'une sanction, dont les éléments doivent par conséquent être fixés de manière suffisamment claire et précise par le législateur en vertu du principe de légalité des peines, on peut s'interroger sur la pertinence même d'une telle injonction de remboursement, alors que les collectivités publiques concernées ne sont pas parties à l'instance et que le tribunal saisi n'est pas en mesure de connaître précisément les aides publiques en cause.

De plus, il est discutable de vouloir confier au tribunal de commerce une compétence en matière administrative, à l'égard de personnes publiques. On peut discuter de la conformité d'une telle attribution de compétence au regard du principe fondamental reconnu par les lois de la République selon lequel « relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative l'annulation ou la réformation des décisions prises, dans l'exercice des prérogatives de puissance publique, par les autorités exerçant le pouvoir exécutif, leurs agents, les collectivités territoriales de la République ou les organismes publics placés sous leur autorité ou leur contrôle » 18 ( * ) . En l'espèce, une telle disposition conduirait également à éclater un contentieux, au détriment d'une bonne administration de la justice.

En outre, les collectivités publiques concernées sont déjà en mesure de saisir le juge compétent, à savoir le juge administratif, d'une demande de remboursement des aides qu'elles ont attribuées si elles constatent que l'entreprise qui a fermé l'établissement n'a pas respecté les engagements pris ou les conditions d'attribution et d'emploi de ces aides. À l'inverse, si ces engagements et ces conditions ont été respectés par l'entreprise, prévoir le remboursement s'apparente à la remise en cause d'une situation légalement acquise sans motif suffisant d'intérêt général en dehors de la volonté de sanction, ce qui semble douteux d'un point de vue constitutionnel.

Pour l'ensemble de ces raisons, à l'initiative de son rapporteur, votre commission a adopté un amendement supprimant cette seconde sanction d'injonction de remboursement des aides financières publiques.

Votre commission a aussi adopté, sur proposition de son rapporteur, un amendement supprimant le délai global de quatorze jours encadrant l'ensemble de la procédure de vérification et de sanction, ainsi que la règle selon laquelle la décision d'homologation par l'administration du plan de licenciement consécutif à la fermeture de l'établissement ne peut intervenir avant le jugement, sans plus de précision. En effet, il n'y a pas lieu de lier les deux procédures administrative et judiciaire, qui suivent chacune leur cours indépendamment l'une de l'autre. Il n'y a pas lieu de faire dépendre d'une décision du tribunal la décision de l'administration du travail attendue par les salariés qui doivent être licenciés, dès lors que la décision du tribunal est sans effet sur les licenciements.

. L'entrée en vigueur du nouveau dispositif

La proposition de loi prévoit que les dispositions relatives à la nouvelle obligation de recherche d'un repreneur instituée dans le code du travail et le code de commerce sont applicables aux procédures de licenciement collectif engagées à compter du 1 er janvier 2014. Votre rapporteur indique que le choix de cette date résulte du fait que la proposition de loi a été adoptée en septembre 2013 par l'Assemblée nationale. Il s'étonne en revanche que soient évoquées une application à compter de l'engagement de procédures de licenciement, car la nouvelle obligation de rechercher un repreneur ne s'applique pas à compter de l'engagement de la procédure de licenciement, mais avant la fermeture de l'établissement pouvant conduire à un licenciement collectif.

Si votre commission laisse le soin à la commission des affaires sociales, saisie au fond, de modifier la date d'application de l'article 1 er de la proposition de loi, elle a cependant adopté un amendement de coordination présenté par son rapporteur pour tirer les conséquences de ses amendements ayant modifié l'insertion du dispositif dans le code de commerce.

. Des interrogations constitutionnelles

S'il n'a pas souhaité remettre en cause l'économie générale du texte de l'article 1 er de la proposition de loi, tel qu'adopté par l'Assemblée nationale, votre rapporteur observe cependant qu'il existe des interrogations quant à la constitutionnalité de l'obligation de recherche d'un repreneur, ainsi que de son contrôle et surtout de sa sanction, au regard de la liberté d'entreprendre, du droit de propriété et éventuellement de la liberté contractuelle.

En effet, la fermeture d'un établissement par une entreprise in bonis , malgré les licenciements qui peuvent en résulter, peut être considérée comme relevant de la liberté d'entreprendre, tandis que le refus de céder à une autre entreprise, qui peut être une entreprise concurrente, même sans motif légitime ou sérieux, peut être considéré comme relevant du droit de propriété. Dans ces conditions, sanctionner un manquement dans l'obligation de rechercher un repreneur et surtout le refus de cession peut s'apparenter à une atteinte à la liberté d'entreprendre et au droit de propriété, qui ne serait pas nécessairement justifiée par un motif d'intérêt général suffisant.

Le Conseil constitutionnel admet que la liberté d'entreprendre puisse recevoir des limitations au nom de l'intérêt général, à condition que cette liberté ne soit pas dénaturée ou ne reçoive pas des atteintes disproportionnées 19 ( * ) . En l'espèce, l'objectif du maintien de l'emploi, dérivant du cinquième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 qui prévoit le droit d'obtenir un emploi, peut constituer un objectif d'intérêt général.

S'agissant du droit de propriété, le Conseil constitutionnel admet qu'il soit apporté des limitations au droit de disposer de ses biens, attribut essentiel du droit de propriété 20 ( * ) qui est en cause avec la présente proposition de loi, à la condition que l'atteinte soit justifiée par un motif d'intérêt général et qu'elle ne soit pas disproportionnée. Cependant, en pareille hypothèse, il convient selon une jurisprudence constante de prévoir des garanties légales suffisantes pour l'exercice du droit de propriété, c'est-à-dire fixées dans la loi, ce que propose votre commission dans ses amendements.

Outre les amendements adoptés par votre commission pour renforcer la régularité juridique et procédurale du dispositif, votre rapporteur considère que l'obligation de rechercher un repreneur pour un site dont on envisage la fermeture constitue bien un motif d'intérêt général, qui peut donc justifier une sanction en cas de manquement de l'entreprise. À cet égard, le mode de calcul du montant de la sanction, en proportion du SMIC et du nombre d'emplois supprimés, s'avère adapté et proportionné. En revanche, votre rapporteur est plus réservé sur la sanction du refus sans motif légitime d'une offre de reprise présentant un caractère sérieux, en ce qu'elle porte atteinte au pouvoir de libre disposition du propriétaire et à la liberté d'organisation de l'entreprise.

En effet, dans sa décision n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002 sur la loi de modernisation sociale, le Conseil constitutionnel a censuré la nouvelle définition du licenciement économique, au motif que « la loi conduit le juge (...) à substituer son appréciation à celle du chef d'entreprise quant au choix entre les différentes solutions possibles » 21 ( * ) . Cette considération paraît transposable au cas prévu par la présente proposition de loi, dans lequel le juge doit apprécier si l'entreprise a reçu des offres sérieuses de reprise et si elle disposait d'un motif légitime pour refuser ces offres.

En outre, dans la mesure où la proposition de loi institue une pénalité ayant le caractère d'une sanction prononcée par une autorité juridictionnelle, il y a lieu de veiller au principe de légalité des délits et des peines, conformément à la jurisprudence constitutionnelle. Or, ainsi que cela a été évoqué supra , le manque de consistance et l'imprécision de certaines obligations instaurées dans le code du travail, susceptibles de justifier une sanction, peuvent susciter des interrogations au regard de ce principe.

Enfin, il convient de ne pas priver de garanties légales la protection des droits de la défense, raison pour laquelle d'ailleurs votre commission a adopté des amendements de nature à préciser la procédure sur ce point.

Sous réserve de l'adoption de ses amendements, votre commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 1 er de la proposition de loi.

TITRE II - MESURE EN FAVEUR DE LA REPRISE DE L'ACTIVITÉ PAR LES SALARIÉS
Article 3 (art. L. 631-13 du code de commerce) - Information des salariés de la possibilité de présenter une offre pour une entreprise en redressement judiciaire

L'article 3 de la proposition de loi institue, à l'article L. 631-13 du code de commerce, une obligation d'information des représentants des salariés par l'administrateur judiciaire, après l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire, de la possibilité pour les salariés de lui soumettre des offres tendant au maintien de l'activité de l'entreprise.

L'article L. 631-13 dispose en effet que, dès l'ouverture de la procédure de redressement, les tiers sont admis à soumettre à l'administrateur des offres tendant au maintien de l'activité de l'entreprise, par une cession totale ou partielle de celle-ci, dans les conditions prévues pour la cession de l'entreprise en cas de liquidation judiciaire. À l'égard du débiteur soumis à la procédure de redressement, les salariés constituent bien des tiers, admis à présenter s'ils le souhaitent des offres de reprise total ou partielle de l'activité. Par conséquent, l'article 3 de la proposition de loi ne modifie pas l'état du droit, mais poursuit uniquement l'objectif d'informer les salariés sur l'existence d'une faculté.

Cette disposition n'a pas suscité de remarque particulière au cours des auditions de votre rapporteur, notamment de la part du Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires (CNAJMJ). En raison de sa portée réelle très limitée, elle n'appelle pas d'observation de la part de votre commission.

Votre rapporteur se borne donc à indiquer que la question de la reprise d'une entreprise par ses salariés, si elle est souvent évoquée dans les débats actuels sur le maintien de l'activité économique et industrielle, en particulier devant le Parlement 22 ( * ) , doit être maniée avec prudence. En effet, elle suppose que les salariés disposent des capacités financières et managériales leur permettant de mener avec succès un projet de cette nature, ce qui n'est pas toujours le cas.

Votre commission a donné un avis favorable à l'adoption sans modification de l'article 3 de la proposition de loi.

TITRE III - MESURES EN FAVEUR DE L'ACTIONNARIAT DE LONG TERME
Article 5 (art. L. 225-123 et L. 225-124 du code de commerce) - Instauration d'un droit de vote double de droit pour les actions de sociétés cotées détenues depuis deux ans

L'article 5 de la proposition de loi vise à instaurer un droit de vote double de droit pour les actions des sociétés cotées détenues depuis au moins deux ans, sauf clause contraire des statuts de la société ou décision contraire de l'assemblée générale extraordinaire des actionnaires, ainsi qu'à ajuster les règles de perte du droit de vote double en cas de transfert des actions concernées. Il modifie à cet effet les articles L. 225-123 et L. 225-124 du code de commerce. Ce faisant, il supprime également, à l'article L. 225-123, la disposition obsolète, contestable juridiquement et très rarement utilisée, voire jamais par les sociétés cotées, selon laquelle les droits de vote double peuvent être réservés aux actionnaires de nationalité française ou ressortissant d'un autre État membre de l'Union européenne.

Cette disposition est motivée par l'idée d'encourager l'actionnariat de long terme en le récompensant, sur la base du postulat de la bienveillance des actionnaires de long terme à l'égard de la société dont ils détiennent des parts et de l'intérêt pour les sociétés françaises de disposer d'un actionnariat stable.

En l'état du droit, l'article L. 225-123 du code dispose qu'un droit de vote double de celui conféré aux autres actions, dérogeant au principe selon lequel une action égale une voix, peut être attribué aux actions entièrement libérées pour lesquelles il sera justifié d'une inscription nominative, depuis deux ans au moins, au nom du même actionnaire. La décision d'attribuer un tel droit de vote double revient aux statuts ou l'assemblée générale extraordinaire des actionnaires. Sont seules concernées les actions au nominatif, à l'exclusion des actions au porteur.

À cet égard, votre rapporteur relève que, selon les personnes entendues en audition, les investisseurs institutionnels et les investisseurs étrangers ne font généralement pas inscrire leurs actions au nominatif et s'en tiennent à des actions au porteur, pour des raisons de commodité de gestion et de cession de leurs participations. L'inscription nominative, formalité supplémentaire qui consiste à enregistrer l'identité du détenteur dans les registres de la société émettrice des titres 23 ( * ) , concernerait ainsi davantage des actionnaires individuels.

En cas d'augmentation de capital conduisant à l'attribution gratuite d'actions nominatives aux actionnaires détenant déjà des actions dotées d'un droit de vote double, les actions nouvelles attribuées peuvent bénéficier du droit de vote double dès leur émission.

De plus, l'article L. 225-124 du code précise que tout action convertie au porteur ou transférée en propriété perd de ce seul fait le droit de vote double éventuel qui lui était attaché, sauf en cas de succession, de liquidation de communauté de biens entre époux ou de donation entre vifs au profit d'un conjoint ou d'un parent au degré successible, ainsi qu'en cas de fusion ou de scission d'une société actionnaire, sauf stipulation contraire des statuts de la société ayant attribué le droit de vote double.

Actuellement, un certain nombre de sociétés, y compris cotées, ont décidé d'avoir recours au droit de vote double, en modulant généralement la durée de détention requise entre deux et quatre ans, voire cinq ans, de façon à fidéliser leur actionnariat et à le connaître, du fait de la condition d'inscription nominative des actions. Le choix d'utiliser le droit de vote double relève de la stratégie de chaque société vis-à-vis de ses actionnaires, en fonction également de la composition de l'actionnariat et la nature des actionnaires.

L'article 5 de la proposition de loi dispose que l'attribution des droits de vote double est de droit dans les sociétés cotées, lorsque les actions au nominatif sont détenues depuis deux ans, ainsi que, dès leur émission, dans le cas d'attribution d'actions gratuites au nominatif pour les actionnaires détenant déjà des actions bénéficiant du droit de vote double, sauf si les statuts de la société en décident autrement ou les actionnaires réunis en assemblée générale extraordinaire s'y opposent 24 ( * ) .

Ainsi, l'article 5 de la proposition de loi inverse la règle en vigueur à l'article L. 225-123, pour les seules sociétés cotées, en rendant automatique l'attribution du droit de vote double après deux ans de détention au nominatif. De plus, elle n'autorise plus aucune souplesse en matière de durée préalable de détention, en fixant la durée à deux ans. Par ailleurs, outre des coordinations et des clarifications rédactionnelles, il modifie l'article L. 225-124 pour prévoir que la perte du droit de vote double en cas de transfert direct ou indirect de la propriété de l'action bénéficiant de ce droit.

L'article 5 de la proposition de loi comporte, en outre, un mécanisme transitoire selon lequel la comptabilisation de la durée de deux ans court à compter de l'entrée en vigueur de la loi, dans le cas des sociétés qui n'ont pas mis en place le droit de vote double, et selon lequel les statuts continuent à s'appliquer lorsqu'ils prévoient déjà le droit de vote double.

Ces dispositions ont suscité une réprobation unanime de la part des personnes entendues en audition par votre rapporteur. Plusieurs personnes ont critiqué l'absence d'étude d'impact sur une modification aussi importante du droit des sociétés.

En outre, on peut s'interroger sur l'atteinte au principe d'égalité entre les actionnaires, dans la mesure où l'on basculerait d'un régime dans lequel les associés, dans les statuts, ou les actionnaires, réunis en assemblée générale extraordinaire, peuvent décider de l'attribution de droits de vote double et donc modifier les conditions d'exercice de leur droit de propriété, en consentant librement à déroger au principe d'égalité, vers un régime d'application automatique de droits de vote double prévue par la loi, sauf décision contraire.

Selon les personnes entendues par votre rapporteur, en particulier l'Autorité des marchés financiers (AMF), l'application automatique des droits de vote double serait, au mieux, sans effet réel significatif et, au pire, pourrait susciter des effets négatifs ou des effets pervers.

D'une part, compte tenu des conséquences qu'aurait sur la répartition des droits en vote en assemblée générale l'application automatique du droit de vote double dans les sociétés cotées, de nombreux investisseurs, notamment des investisseurs étrangers, généralement hostiles au droit de vote double, feraient inscrire à l'ordre du jour des prochaines assemblées générales des résolutions en vue d'écarter l'application de la loi 25 ( * ) . De ce fait, un grand nombre de sociétés cotées ne pratiquant pas aujourd'hui le droit de vote double ne le pratiqueraient pas davantage après l'entrée en vigueur de la loi, tandis que celles qui le pratiquent déjà ne seraient pas affectées 26 ( * ) . Dès lors, le présent texte ne trouverait à s'appliquer que dans un nombre très restreint de sociétés.

D'autre part, l'application automatique du droit de vote double peut susciter des effets négatifs ou pervers à plusieurs titres.

Dans la mesure où les droits de vote double sont contestés par nombre d'investisseurs institutionnels et étrangers, le présent texte affecterait l'image de la place de Paris à l'étranger, déjà réputée selon l'AMF pour faire des entorses aux principes communément admis de la démocratie actionnariale, le principe de l'égalité entre les actionnaires en particulier.

Dans certains cas, en présence d'actionnaires souhaitant prendre le contrôle d'une société contre le gré des autres actionnaires ou des dirigeants, le présent texte pourrait renforcer le risque de prise de contrôle rampante, que d'autres dispositions du texte visent justement à réduire. Plus largement, cela peut avoir un effet déstabilisateur sur l'actionnariat et sa répartition dans le cas où la nouvelle règle ne serait pas écartée par l'assemblée générale.

Enfin, cette disposition pourrait fragiliser la législation de la France vis-à-vis de la Commission européenne et vis-à-vis des autres États membres de l'Union européenne, dont les principaux (Allemagne, Royaume-Uni, Espagne, Italie...) n'admettent pas dans leur législation de telles dérogations au principe de l'égalité entre les actionnaires et contestent leur existence dans certaines législations, même si quelques États membres connaissent les droits de vote doubles voire multiples, notamment en Scandinavie. Le caractère automatique et plus optionnel du droit de vote double le rendrait plus critiquable.

Par ailleurs, votre rapporteur relève qu'il existe d'autres moyens, plus efficaces et plus pertinents, susceptibles d'encourager l'actionnariat de long terme et de fidéliser les actionnaires, en particulier les actionnaires individuels, sans perturber la répartition des droits de vote au sein des assemblées générales et donc sans effets négatifs, par exemple les incitations fiscales en vue d'une détention de longue durée (dégressivité de l'imposition des plus-values de cession de titres) ainsi que la pratique des dividendes majorés au-delà de deux ans 27 ( * ) , qui pourrait être développée et encouragée.

Dans ces conditions, à l'initiative de son rapporteur, votre commission a adopté un amendement de suppression de l'article 5, considérant qu'il était préférable de s'en tenir à l'état du droit en vigueur, sans perturber les règles de fonctionnement des sociétés cotées françaises, même si elle admet que cela peut présenter une utilité dans un nombre très limité de cas.

Toutefois, dans l'éventualité où la commission des affaires sociales ne retiendrait pas cet amendement de suppression, votre commission a adopté trois amendements présentés par son rapporteur destinés à améliorer le texte, à en limiter les effets négatifs et à y introduire davantage de souplesse.

Outre un amendement rédactionnel et de coordination, il s'agirait, par un premier amendement, de conserver la souplesse qui existe dans le droit actuel en matière de durée de détention requise pour l'attribution du droit de vote double, en permettant aux statuts ou à l'assemblée générale extraordinaire des actionnaires de prévoir une durée supérieure à celle de deux ans prévue par le texte de façon automatique.

Par un second amendement, il s'agirait de supprimer une disposition très contestée et source de grande insécurité juridique, selon laquelle le droit de vote double est perdu lorsque l'action est transférée en propriété « directement ou indirectement ». En effet, la notion de transfert indirect de propriété peut couvrir une grande variété de situations (par exemple la prise de contrôle d'une société actionnaire par une autre société) et manque de ce fait de précision juridique, alors qu'elle aurait un effet sur le nombre et la répartition des droits de vote en assemblée générale. Elle créerait une incertitude sur l'état des droits de vote et donc sur l'issue des votes en assemblée générale, pouvant justifier des recours contentieux à l'encontre de résolutions adoptées de façon incertaine en assemblée générale. À cet égard, l'article L. 235-2-1 du code de commerce prévoit que « les délibérations prises en violation des dispositions régissant les droits de vote attachés aux actions peuvent être annulées ».

Votre commission a adopté un amendement de suppression de l'article 5 de la proposition de loi et, dans le cas où elle ne serait pas suivie par la commission au fond, trois amendements modifiant l'article.

Article 7 (nouveau) (art. L. 225-197-1 du code de commerce) - Augmentation de la part du capital social susceptible d'être attribuée aux salariés sous forme d'actions gratuites

Introduit par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale à l'initiative de son rapporteur, l'article 7 de la proposition de loi tend à modifier l'article L. 225-197-1 du code de commerce pour porter de 10 à 30 % la part maximale du capital social d'une société susceptible d'être attribué aux salariés sous forme d'actions gratuites, à la condition que tous les salariés de la société en bénéficient.

En l'état du droit, selon la rédaction actuelle de l'article L. 225-197-1, l'assemblée générale extraordinaire des actionnaires, sur proposition du conseil d'administration ou du directoire, peut autoriser le conseil d'administration ou le directoire à procéder à une attribution gratuite d'actions, existantes ou à émettre, à tout ou partie du personnel salariés de la société, dans la limite de 10 % du capital social. Ce plafond est porté à 15 % pour les petites et moyennes entreprises (PME) non cotées 28 ( * ) .

Par coordination, l'article 7 de la proposition de loi dispose que le plafond de 15 % prévu pour les PME non cotées ne s'applique que dans le cas où l'attribution gratuite d'actions ne bénéficie qu'à certaines catégories du personnel de la société. En effet, en cas d'attribution à tous les salariés, le seuil de 30 % devra trouver à s'appliquer également aux PME non cotées.

L'attribution d'actions gratuites est, parmi d'autres, un instrument de rémunération indirecte et d'incitation des salariés ou de certaines catégories d'entre eux, par exemple les cadres ou les cadres dirigeants, en les intéressant au cours de l'action et donc aux résultats de la société.

Cependant, de l'avis unanime des personnes entendues en audition par votre rapporteur, la disposition introduite par l'article 7 de la proposition de loi n'aura qu'un effet extrêmement limité. Elle peut intéresser quelques sociétés dont les salariés détiennent déjà un part importante du capital, à supposer toutefois qu'elles souhaitent leur attribuer un nombre très important d'actions sous forme gratuite plutôt que procéder à une augmentation de capital réservée aux salariés. En d'autres termes, une telle disposition ne crée aucune contrainte et ne fait qu'ouvrir une faculté qui sera, en pratique, très rarement utilisée.

Si l'attribution d'actions gratuites ne bénéficiait pas à l'ensemble des salariés de la société, le plafond actuel de 10 % continuerait de s'appliquer, sans modification. Contrairement aux dispositions prévues aux articles 5 et 8, il ne s'agit pas ici de modifier la règle en vigueur, mais simplement de la compléter sans que cela puisse susciter d'effets pervers ou négatifs particuliers a priori , si ce n'est une interrogation sur la portée effective de la législation française.

Dans ces conditions, l'article 7 de la proposition de loi n'appelle pas d'observations particulières de la part de votre commission.

Votre rapporteur souligne toutefois qu'il n'est pas dans l'intérêt des salariés de voir une trop grande part de leur épargne placée dans les actions de leur employeur et de dépendre trop exclusivement de lui à ce titre.

Votre commission a donné un avis favorable à l'adoption sans modification de l'article 7 de la proposition de loi.

Article 8 (nouveau) (art. L. 233-32 et L. 233-33 du code de commerce) - Possibilité pour les dirigeants d'une société d'agir pour faire échec à une offre publique d'acquisition

Introduit par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale à l'initiative de son rapporteur, l'article 8 de la proposition de loi inverse le principe de neutralité des dirigeants retenu en 2006 par le législateur en cas d'offre publique d'acquisition (OPA). Il ouvre ainsi la capacité pour les organes de direction d'une société faisant l'objet d'une offre d'agir afin de la faire échouer. L'objectif affiché est d'éviter que des sociétés françaises puissent être facilement rachetées par des sociétés étrangères, fragilisant de ce fait le tissu industriel français ainsi que les emplois concernés.

Tel qu'il résulte de la loi n° 2006-387 du 31 mars 2006 relative aux offres publiques d'acquisition, qui a notamment transposé la directive 2004/25/CE du 21 avril 2004 concernant les offres publiques d'acquisition, le droit français correspond à la règle commune fixée par la directive, c'est-à-dire le principe de neutralité. Votre rapporteur signale que l'article 12 de la directive autorise les États membres à ne pas appliquer, par exception, l'article 9, ce qui correspond à l'intention de l'article 8 de la présente proposition de loi.

Le principe de neutralité repose sur l'idée que des conflits d'intérêts potentiels peuvent exister pour les dirigeants d'une société faisant l'objet d'une OPA, entre l'intérêt de la société et les intérêts particuliers des dirigeants, qui peuvent avoir un intérêt personnel à faire échouer une offre, dès lors qu'elle peut conduire à leur éviction. La neutralité des dirigeants préserve la liberté des actionnaires sollicités par l'offre, qui peuvent juger s'ils l'acceptent ou non, sans être influencés par le comportement, les actes et les déclarations des dirigeants. Ces derniers sont cantonnés dans la gestion des affaires courantes.

Le principe de neutralité repose également sur l'idée qu'une OPA n'est pas nécessairement hostile ou même négative pour la société qui en fait l'objet. Une offre réussie peut contribuer au développement de la société concernée, au bénéfice de l'activité économique et de l'emploi. Elle peut aussi assurer une réorientation stratégique bénéfique pour une société fragile et affaiblie. Elle peut permettre de remplacer une direction défaillante ou mettant en oeuvre une stratégie qui n'apporte pas les résultats attendus.

Le principe de neutralité résulte à l'origine de recommandations dans les années 1980 de la Commission des opérations de bourse (COB), à laquelle a succédé l'Autorité des marchés financiers (AMF), dans l'objectif effectivement de respecter le jeu du marché et la liberté des actionnaires, considérant que les dirigeants peuvent préférer défendre leurs intérêts propres en cas d'OPA.

Article 9 de la directive 2004/25/CE du 21 avril 2004 concernant les offres publiques d'acquisition

Obligations de l'organe d'administration ou de direction de la société visée

1. Les États membres veillent au respect des règles prévues aux paragraphes 2 à 5.

2. Pendant la période visée au deuxième alinéa, l'organe d'administration ou de direction de la société visée obtient une autorisation préalable de l'assemblée générale des actionnaires à cet effet avant d'entreprendre toute action susceptible de faire échouer l'offre, à l'exception de la recherche d'autres offres, et en particulier avant d'entreprendre toute émission d'actions de nature à empêcher durablement l'offrant de prendre le contrôle de la société visée.

Une telle autorisation est requise au moins à partir du moment où l'organe d'administration ou de direction de la société visée reçoit les informations sur l'offre mentionnées à l'article 6, paragraphe 1, première phrase, et aussi longtemps que le résultat de l'offre n'a pas été rendu public ou qu'elle n'est pas devenue caduque. Les États membres peuvent exiger que cette autorisation soit obtenue à un stade antérieur, par exemple dès que l'organe d'administration ou de direction de la société visée a connaissance de l'imminence de l'offre.

3. En ce qui concerne les décisions qui ont été prises avant le début de la période visée au paragraphe 2, deuxième alinéa, et qui ne sont pas encore partiellement ou totalement mises en oeuvre, l'assemblée générale des actionnaires approuve ou confirme toute décision qui ne s'inscrit pas dans le cours normal des activités de la société et dont la mise en oeuvre est susceptible de faire échouer l'offre.

4. Aux fins de l'obtention de l'autorisation préalable, de l'approbation ou de la confirmation des détenteurs de titres, visées aux paragraphes 2 et 3, les États membres peuvent prévoir des règles permettant la convocation d'une assemblée générale des actionnaires à bref délai, à condition que cette assemblée ne se tienne pas durant les deux semaines qui suivent sa notification.

5. L'organe d'administration ou de direction de la société visée établit et rend public un document contenant son avis motivé sur l'offre, notamment son avis quant aux répercussions de la mise en oeuvre de l'offre sur l'ensemble des intérêts de la société et spécialement l'emploi ainsi que quant aux plans stratégiques de l'offrant pour la société visée et leurs répercussions probables sur l'emploi et les sites d'activité de la société selon la description figurant dans le document d'offre conformément à l'article 6, paragraphe 3, point i). L'organe d'administration ou de direction de la société visée communique dans le même temps cet avis aux représentants du personnel de la société ou, lorsqu'il n'existe pas de tels représentants, au personnel lui-même. Si l'organe d'administration ou de direction de la société visée reçoit en temps utile un avis distinct des représentants du personnel quant aux répercussions de l'offre sur l'emploi, celui-ci est joint au document.

6. Aux fins du paragraphe 2, il y a lieu d'entendre par organe d'administration ou de direction, à la fois le conseil d'administration de la société et son conseil de surveillance, lorsque la structure de la société est de type dualiste.

Ainsi, l'article L. 233-32 du code de commerce détermine l'attitude que peuvent avoir les organes de direction 29 ( * ) d'une société faisant l'objet d'une OPA. Il dispose que « le conseil d'administration, le conseil de surveillance, à l'exception de leur pouvoir de nomination, le directoire, le directeur général ou l'un des directeurs généraux délégués de la société visée doivent obtenir l'approbation préalable de l'assemblée générale pour prendre toute mesure dont la mise en oeuvre est susceptible de faire échouer l'offre, hormis la recherche d'autres offres », pendant la période d'offre publique. À tout moment, la recherche d'un « chevalier blanc » susceptible de présenter une contre-offre, pour contrer l'OPA, est donc possible.

L'article L. 233-32 permet à la société concernée, sur décision de l'assemblée générale extraordinaire, d'émettre des bons - autrement appelés « bons Breton », du nom de M. Thierry Breton, ministre de l'économie et des finances ayant préparé le projet de loi transposant la directive du 21 avril 2004 précitée - permettant de souscrire à des actions à des conditions préférentielles et de décider leur attribution gratuite à tous les actionnaires. Cette faculté, qui doit être utilisée avant la clôture de l'offre, permet de diluer la participation acquise par l'auteur de l'offre. Sa mise en oeuvre peut être déléguée par l'assemblée générale au conseil d'administration ou au directoire, la délégation précisant ses conditions d'utilisation, notamment le montant maximal de l'augmentation de capital pouvant en résulter.

L'article L. 233-32 prévoit également, par cohérence, la suspension de toute délégation accordée par l'assemblée générale avant la période d'offre dont la mise en oeuvre est susceptible de faire échouer l'offre, hormis la recherche d'autres offres.

Dès lors, sauf décision expresse des actionnaires réunis en assemblée générale extraordinaire - actionnaires sollicités par ailleurs par l'auteur de l'offre pour apporter leurs actions -, c'est le principe de neutralité qui trouve à s'appliquer pour les dirigeants. Le rôle décisionnaire appartient aux seuls actionnaires, qui peuvent chacun apprécier leur intérêt propre.

Cependant, l'article L. 233-33 du code de commerce lève le principe de neutralité précisé par l'article L. 233-32 dans l'hypothèse où l'auteur de l'OPA n'applique pas ce même principe ou des mesures équivalentes. Il s'agit de la clause de réciprocité, qui permet dans ce cas aux dirigeants de la société-cible d'agir pour faire échouer l'offre. Pour que cette hypothèse de levée du principe de neutralité puisse s'appliquer, l'assemblée générale doit avoir au préalable, dans les dix-huit mois précédant le dépôt de l'offre, autorisé les organes de direction à prendre toute mesure pour agir contre une éventuelle OPA. Cette autorisation peut porter sur l'émission de « bons Breton » : on parle dans ce cas de délégation « à froid », c'est-à-dire hors période d'offre, par distinction avec la délégation « à chaud », pendant la période de l'offre.

Au vu des auditions de votre rapporteur, ce dispositif équilibré fait l'objet d'un large consensus parmi les acteurs concernés, dans la continuité du consensus ayant prévalu à l'adoption de la loi du 31 mars 2006.

Or, l'article 8 de la proposition de loi modifie l'article L. 233-32 pour prévoir que, pendant la période d'offre, le conseil d'administration ou, après autorisation par le conseil de surveillance, le directoire peut prendre toute décision susceptible de faire échouer l'offre, sous réserve des pouvoirs propres de l'assemblée générale des actionnaires et du respect de l'intérêt de la société. Ainsi, l'abandon du principe de neutralité ne conduit pas à permettre aux organes de direction d'exercer des prérogatives appartenant à l'assemblée générale ou de mettre en jeu l'intérêt de la société. Ainsi, la cession d'un actif stratégique indispensable, par exemple une unité de production ou des brevets à l'origine de revenus importants pour la société, ne serait pas possible.

Toutefois, paradoxalement, la présente proposition de loi maintient la suspension en cas d'offre des délégations « à froid » accordées par l'assemblée générale avant la période d'offre, prévue par l'article L. 233-32, de toute mesure de nature à faire échouer une offre, sous réserve des attributions de l'assemblée générale. Cette suspension paraît incohérente avec la volonté de donner aux dirigeants la capacité d'agir contre une offre. Il pourrait en résulter que, dans le régime prévu par la proposition de loi, les dirigeants disposent de moins de prérogatives en période d'offre que dans le cadre actuel.

En outre, l'article 8 de la proposition de loi modifie l'article L. 233-33 du code de commerce pour autoriser les statuts d'une société à prévoir que les mesures susceptibles de faire échouer une offre doivent être autorisées au préalable par l'assemblée générale et que les délégations « à froid » peuvent aussi être suspendues en cas d'offre. Le principe de neutralité deviendrait ainsi l'exception, optionnelle, à condition d'être prévu dans les statuts et uniquement sur décision des actionnaires, le droit commun devenant l'absence de neutralité. Le texte ajoute que l'autorisation peut être statutairement requise pour toute offre ou bien seulement lorsque l'auteur de l'offre n'applique pas lui-même le principe de neutralité. Cependant, ce dispositif ainsi conçu ne conserve pas une clause automatique de réciprocité, ce qui crée un déséquilibre potentiel pour les sociétés qui feraient le choix dans leurs statuts de conserver le principe de neutralité des dirigeants, dans l'hypothèse où elles feraient d'une OPA par une société dont les dirigeants ne sont pas soumis au principe de neutralité.

Remettant en cause vingt-cinq ans de pratique, ces dispositions ont été largement critiquées par les personnes que votre rapporteur a entendues en audition, considérant notamment que l'état actuel du droit permettait aux sociétés qui le souhaitent de mettre en place les moyens de contrer une offre et qu'en tout état de cause la clause de réciprocité permet de lever le principe de neutralité sans difficulté. L'attachement au principe de neutralité paraît très largement partagé, par crainte notamment des effets sur la société et sur les intérêts des actionnaires - par exemple sur le cours de l'action - des conflits d'intérêts que peuvent connaître les dirigeants d'une société faisant l'objet d'une OPA, qui souhaiteront généralement contribuer à faire échouer l'offre alors qu'elle peut être favorable pour la société comme pour les actionnaires.

En outre, abandonner le principe de neutralité singulariserait la France au sein de l'Union européenne, même si elle ne violerait pas de ce fait le droit communautaire. On peut s'interroger sur les conséquences de ce choix dans l'avenir en cas d'OPA sur des sociétés françaises par des sociétés d'autres États membres de l'Union européenne. Une telle évolution donnerait de la France l'image d'un pays hostile aux OPA, ce qui ne serait pas sans conséquence pour l'action des entreprises françaises à l'international.

Au surplus, un tel dispositif n'empêchera pas les OPA de réussir, mais il pourra les freiner, perturber le marché et peser négativement sur le cours des actions des sociétés concernées, nuire à l'intérêt des actionnaires et fragiliser la société faisant l'objet de l'offre. Selon l'AMF, environ vingt-cinq OPA par an ont lieu en France ces dernières années, dont pas plus d'une est hostile, la plupart de ces opérations concernant exclusivement des sociétés françaises.

En outre, dans un certain nombre de cas, les investisseurs étrangers en assemblée générale présenteront des résolutions pour imposer dans les statuts le principe de neutralité que la loi aurait écarté, supprimant de ce fait toute portée réelle à cette modification législative. La tendance actuelle des sociétés françaises est de rechercher davantage les capitaux d'investisseurs étrangers pour assureur leur croissance, ce qui suppose de retenir des règles qui leur conviennent, d'autant que cet apport de capitaux extérieurs peut donner lieu, le moment venu, à une OPA en cas de participation importante 30 ( * ) .

Enfin, tel qu'il est conçu, le dispositif de l'article 8 de la proposition de loi appelle vraisemblablement des coordinations dans le code de commerce, pour assurer sa cohérence, ce que ne fait pas le présent texte.

Dans ces conditions, à l'initiative de son rapporteur, votre commission a adopté un amendement de suppression de l'article 8, considérant qu'il était préférable de s'en tenir à l'état du droit en vigueur, sans perturber les règles de fonctionnement des sociétés cotées françaises.

Toutefois, dans l'éventualité où la commission des affaires sociales ne retiendrait pas cet amendement de suppression, votre commission a adopté trois amendements présentés par son rapporteur destinés à améliorer le texte et à lui rendre davantage de cohérence.

Elle a adopté un amendement de précision rédactionnelle portant sur la modification de l'article L. 233-32, de façon à prévoir une rédaction cohérente avec le reste de l'article L. 233-32 du code de commerce.

Elle a également adopté un amendement supprimant la suspension des délégations accordées par l'assemblée générale pour prendre des mesures de nature à faire échouer une offre, dans un souci de cohérence d'ensemble du dispositif à donner les moyens aux dirigeants d'agir contre l'offre.

Par un troisième amendement, elle a rétabli une clause de réciprocité automatique dans l'hypothèse où une société tenue au principe de neutralité en vertu de ses statuts ferait l'objet d'une offre dont l'auteur ne respecterait pas ce principe, comme le droit actuel le prévoit. Il n'y aurait donc pas besoin d'une décision de l'assemblée générale pour autoriser les organes de direction à agir.

Votre commission a adopté un amendement de suppression de l'article 8 de la proposition de loi et, dans le cas où elle ne serait pas suivie par la commission au fond, trois amendements modifiant l'article.

TITRE IV (nouveau) - MESURES EN FAVEUR DU MAINTIEN DES ACTIVITÉS INDUSTRIELLES SUR LES SITES QU'ELLES OCCUPENT
Article 9 (nouveau) (art. L. 111-3, L. 123-1-3, L. 123-2 et L. 123-13 du code de l'urbanisme) - Interdiction du changement d'affectation des zones industrielles dans les documents d'urbanisme

Introduit par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale à l'initiative de son rapporteur, l'article 9 de la proposition de loi vise à interdire le changement d'affectation des zones industrielles, afin d'éviter les opérations de spéculation immobilière dans celles-ci. Pour répondre à cette préoccupation, le présent article propose de recourir aux outils d'urbanisme dont disposent les élus locaux, en particulier le plan local d'urbanisme (PLU).

Pour répondre à cet objectif, l'article 9 propose plusieurs modifications dans le code de l'urbanisme.

En premier lieu, il tend à insérer un nouvel alinéa à l'article L. 113-1 du code selon lequel, quelles que soient les dispositions d'urbanisme applicables sur une commune ou une intercommunalité, une zone constituée d'îlots fonciers de plus de 2 000 mètres carrés, supportant un ou plusieurs bâtiments industriels, pourrait uniquement faire l'objet de nouvelles constructions, extensions et aménagements destinés à poursuivre une activité industrielle. Cette disposition s'appliquerait même en présence de dispositions contraires.

La deuxième modification propose l'insertion d'un nouvel alinéa à l'article L. 123-1-3 du code - qui prévoit des éléments d'orientation dans un projet d'aménagement et de développement durables (PADD), composante du PLU - selon lequel chaque PADD devrait tenir compte des implantations industrielles existantes, fixer les modalités de leur développement et arrêter les objectifs de développement des activités industrielles en général.

Troisièmement, le texte propose d'insérer un nouvel alinéa à l'article L. 123-2 du code de l'urbanisme créant une servitude imposant que les zones accueillant des activités industrielles soient classées en zones à urbaniser (zones dites 2AU) ne permettant d'accueillir que des activités de cette nature. Cette disposition interdit tout changement de nature aux sites industriels.

Enfin, le texte propose de compléter l'article L. 123-13 du code de l'urbanisme pour élargir les cas conduisant à une révision obligatoire du PLU à celui du changement de destination d'une zone sur laquelle il existe des installations industrielles. Ainsi, seule une procédure de révision du PLU permettrait l'évolution d'une zone accueillant des activités industrielles.

Bien que les objectifs poursuivis soient louables, cet article soulève toutefois de nombreuses difficultés. Tout en reconnaissant l'existence d'une spéculation immobilière sur les sites industriels contre laquelle il convient de lutter, les personnes entendues par votre rapporteur ont estimé qu'il convenait de ne pas exagérer ce phénomène. Par ailleurs, la sanctuarisation ad vitam aeternam des friches industrielles semble en contradiction avec les politiques de recyclage foncier conduites par les collectivités territoriales pour assurer le développement d'autres activités économiques ou la construction de logements. C'est d'ailleurs cet objectif que poursuit l'article 84 bis du projet de loi pour l'accès au logement et à un urbanisme rénové, tel qu'il a été inséré par le Sénat en première lecture 31 ( * ) à l'initiative de notre collègue René Vandierendonck, rapporteur de ce texte au nom de votre commission.

Article 84 bis du projet de loi pour l'accès au logement et à un urbanisme rénové

L'article 84 bis , adopté par le Sénat en première lecture, proposait la création de « zones de vigilance » au sein desquelles seraient encadrées les autorisations d'urbanisme qui seraient accordées. Ces zones seraient arrêtées par le représentant de l'État dans le département après avoir préalablement recueilli l'avis des maires et présidents des établissements publics de coopération intercommunale concernés, ainsi que celui des propriétaires des terrains visés.

Par ailleurs, il autorisait également un tiers à demander au représentant de l'État dans le département de se substituer à l'exploitant d'une installation classée afin de réhabiliter cette dernière dès lors que son activité serait définitivement arrêtée.

Ensuite, cet article prévoyait que le maître d'ouvrage à l'initiative d'un changement de destination du terrain acquis préalablement à la suite de l'arrêt d'une installation classée devrait définir les mesures de gestion de la pollution des sols afin de préserver à la fois l'ordre public et la nouvelle destination envisagée.

Enfin, les projets de construction établis sur une zone de vigilance devaient faire l'objet d'une étude de sols afin de déterminer les mesures de dépollution à mettre en oeuvre. Par ailleurs, l'autorité titulaire du pouvoir de police pouvait assurer d'office les travaux de dépollution et de mise en conformité du terrain avec sa destination future aux frais du responsable. Dans ce cadre, la personne tenue a priori responsable de la pollution serait le dernier exploitant de l'installation à l'origine de la pollution ou son ayant-droit, à défaut le producteur de déchets ou, sinon, le propriétaire de l'assise foncière des sols pollués.

Par ailleurs, le présent article apparaît sans lien avec l'objectif de la proposition de loi visant à reconquérir l'économie réelle. Cette disposition aurait utilement pu être examinée dans le cadre, par exemple, du projet de loi précité pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR), qui aborde notamment les questions de la hiérarchie des normes d'urbanisme ainsi que le renforcement et la généralisation des PLU. La présente disposition paraît même manquer l'objectif initial de la présente proposition de loi : en laissant persister des friches industrielles dans certains territoires, l'objectif de reconquête de l'économie réelle ne serait pas atteint.

Il apparaît en outre peu pertinent de renvoyer à des documents d'urbanisme l'objectif d'encourager et de stimuler le développement industriel, action qui repose avant tout sur une politique fiscale et économique adaptée aux spécificités territoriales, et non sur des dispositions figeant et imposant à l'autorité en charge de la planification des sols la destination industrielle de certaines zones.

L'Association des maires de France (AMF) s'est inquiétée devant votre rapporteur des risques pouvant résulter d'une telle disposition. En effet, l'obligation de conserver la nature industrielle d'un site pourrait conduire au maintien de friches industrielles dans les cas où la collectivité territoriale ne disposerait pas des moyens nécessaires pour adapter le site et accueillir de nouvelles industries ou en cas d'absence de repreneurs.

Cet article interdit ainsi toute évolution des zones industrielles, parfois situées en plein coeur d'une agglomération, et pour lesquelles aucune évolution industrielle n'est envisageable, ne serait-ce que parce que l'optimisation des processus de livraison est impossible. Or, de nombreuses collectivités ont mis en oeuvre des politiques de réaménagement, de densification et de revitalisation de leur centre urbain, pour stimuler ces zones et construire des logements. Dans ce cadre, les sites industriels sont renvoyés aux abords de l'agglomération, afin de bénéficier d'un réseau de communication facilitant leur accès. En outre, force est de constater que la géographie du tissu industriel a évolué au cours des dernières décennies, avec un déport des activités industrielles en dehors des agglomérations en raison de l'extension de l'urbanisation de ces dernières. À cet égard, la nature industrielle de certains sites, en raison de leur situation géographique trop proche des zones habitables, a vocation à évoluer et non pas à être sanctuarisée. Plus généralement, dans un contexte de rareté de la ressource foncière, votre commission ne saurait souscrire à la sanctuarisation des zones industrielles.

Par ailleurs, on peut s'interroger sur l'articulation des dispositions d'urbanisme aujourd'hui en vigueur avec la servitude créée à l'article L. 123-2 du code de l'urbanisme. En effet, sur la forme, elle fait référence aux zones d'urbanisation future alors que cette notion a été remplacée par celle de zones à urbaniser (zones 2AU). Sur le fond, les zones 2AU sont, par nature, des réserves foncières non encore urbanisées. Il n'est donc pas possible de classer une zone accueillant déjà des activités industrielles en zone 2AU. En outre, aucune disposition du code de l'urbanisme n'interdit de réserver des zones 2AU pour l'accueil d'activités industrielles.

S'agissant du PADD, votre rapporteur rappelle qu'il s'agit d'un document de nature programmatique, destiné à fixer les orientations des politiques publiques d'urbanisme dans certains domaines (logement, transport et déplacement, implantations commerciales, développement économique, préservation des ressources naturelles, lutte contre l'étalement urbain). Il n'a aucune vocation prescriptive contrairement aux modifications proposées à l'article L. 123-1-3 du code de l'urbanisme.

En outre, l'obligation de recourir systématiquement à une révision du PLU pour changer la destination d'une zone accueillant des installations industrielles semble en contradiction avec la volonté constante de simplifier les démarches des collectivités territoriales. Or, l'application de la disposition prévue par la proposition de loi à l'article L. 123-13 du code de l'urbanisme conduirait, pour des projets modestes, à l'application de la procédure de révision, longue, lourde et coûteuse, en raison principalement des obligations de concertation qui incombent à la collectivité territoriale.

Enfin, votre rapporteur s'interroge sur les difficultés constitutionnelles soulevées par cet article, en raison du caractère autoritaire des dispositions qui imposent d'office aux autorités locales la destination de certains terrains. Cette disposition paraît contraire au principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales et va à l'encontre d'une contextualisation de l'action de planification urbaine, chère à votre commission. Lors des débats parlementaires sur la loi n° 2012-376 du 20 mars 2012 relative à la majoration des droits à construire, votre commission s'était opposée à une mesure similaire prévoyant une majoration des droits à construire de 30 % soumise à une procédure jugée complexe. Par ailleurs, les élus locaux doivent pouvoir définir et porter un projet local sans se voir imposer un schéma d'évolution industrielle qui ne soit pas adapté aux spécificités de leurs territoires.

Dans ces conditions, à l'initiative de son rapporteur, votre commission a adopté un amendement de suppression de l'article 9. Elle admet cependant qu'une réflexion pourrait être conduite en vue d'une meilleure prise en compte de la répartition des activités industrielles dans les documents d'urbanisme.

Votre commission a adopté un amendement de suppression de l'article 9 de la proposition de loi.

* *

*

Sous réserve de l'adoption de ses amendements, votre commission a donné un avis favorable aux dispositions de la proposition de loi dont elle s'est saisie pour avis.


* 6 En cas licenciements économiques importants ayant un impact fort sur un bassin d'emploi, une convention de revitalisation doit être conclue entre l'État et l'entreprise concernée, pour financer des mesures de nature à recréer de l'activité économique et des emplois, grâce à la participation financière de l'entreprise (articles L. 1233-84 et suivants du code du travail).

* 7 Voir, par exemple, la décision du Conseil constitutionnel n° 92-307 DC du 25 février 1992.

* 8 Article L. 621-2 du code de commerce, relatif à la sauvegarde, applicable au redressement judiciaire en application de l'article L. 631-7 et à la liquidation judiciaire en application de l'article L. 641-1.

* 9 Le livre VII du code de commerce regroupe les dispositions relatives aux chambres de commerce et d'industrie, aux tribunaux de commerce et aux juridictions commerciales particulières, aux greffes des tribunaux de commerce, à l'aménagement commercial, ainsi qu'aux marchés d'intérêt national et aux manifestations commerciales.

* 10 Voir par exemple l'article L. 621-2 du code de commerce pour la procédure de sauvegarde.

* 11 Voir supra.

* 12 Articles L. 2313-13 du code du travail et suivants.

* 13 Voir par exemple l'article L. 621-1 du code de commerce pour la procédure de sauvegarde.

* 14 Voir par exemple l'article L. 621-1 du code de commerce.

* 15 Voir par exemple l'article L. 623-1 du code de commerce pour la procédure de sauvegarde.

* 16 Le considérant 7 de la décision indique ainsi :

« Considérant, toutefois, que ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition ne fixent les garanties légales ayant pour objet d'assurer qu'en se saisissant d'office, le tribunal ne préjuge pas sa position lorsque, à l'issue de la procédure contradictoire, il sera appelé à statuer sur le fond du dossier au vu de l'ensemble des éléments versés au débat par les parties ; que, par suite, les dispositions contestées confiant au tribunal la faculté de se saisir d'office aux fins d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire méconnaissent les exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789 ; que, dès lors, les mots « se saisir d'office ou » figurant au premier alinéa de l'article L. 631-5 du code de commerce doivent être déclarés contraires à la Constitution ; »

* 17 Voir par exemple l'article L. 442-6 du code de commerce en matière de pratiques restrictives de concurrence.

* 18 Décision du Conseil constitutionnel n° 86-224 DC du 23 janvier 1987.

* 19 Voir notamment les décisions n° 98-401 DC du 10 juin 1998 et 2000-439 DC du 16 janvier 2001.

* 20 Voir la décision n° 96-373 DC du 9 avril 1996.

* 21 Considérant 49.

* 22 Voir à cet égard les articles 11 et 12 du projet de loi relatif à l'économie sociale et solidaire. Ce texte a fait l'objet d'un rapport pour avis de la commission des lois, consultable à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/rap/a13-106/a13-106.html .

* 23 Voir les articles L. 228-1 et suivants du code de commerce.

* 24 En application de l'article L. 225-96 du code de commerce, l'assemblée générale extraordinaire des actionnaires statue « à la majorité des deux tiers des voix dont disposent les actionnaires présents ou représentés ».

* 25 À titre d'exemple, les recommandations sur le gouvernement d'entreprise émises en janvier 2014 par l'Association française de la gestion financière (AFG) précisent :

« Si un texte visant à généraliser les droits de vote double venait à être adopté, l'AFG invite les sociétés à proposer au vote de l'assemblée générale une disposition inscrivant dans leur statut l'égalité des droits de tous les actionnaires. »

* 26 Selon l'AMF, plus de la moitié des grandes sociétés cotées ont opté pour le droit de vote double.

* 27 La pratique du dividende majoré est encadrée par l'article L. 232-14 du code de commerce.

* 28 Il s'agit d'une disposition incitative introduite par la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l'allégement des démarches administratives pour faciliter le recrutement de cadres dans les PME non cotées.

* 29 Les organes de direction des sociétés anonymes (SA) peuvent être organisés selon deux schémas, en application du code de commerce (articles L. 225-17 à L. 225-95-1) : un schéma moniste classique, avec conseil d'administration, dans lequel le président du conseil d'administration peut aussi exercer la fonction de directeur général, des directeurs généraux délégués pouvant être adjoints au directeur général, et un schéma dualiste, moins répandu, qui distingue un conseil de surveillance et un directoire, organe également collégial, étant entendu que les fonctions du directoire peuvent aussi être exercées par un directeur général unique.

* 30 Le seuil de déclenchement obligation d'une offre publique d'acquisition est fixé à 30 % du capital ou des droits de vote (article L. 433-3 du code monétaire et financier).

* 31 Cet article a été supprimé par l'Assemblée nationale en deuxième lecture.

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