EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du 26 novembre 2014, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Jean-Pierre Raffarin, président, a procédé à l'examen des crédits du programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » de la mission « Défense » inscrits dans le projet de loi de finances pour 2015.

M. André Trillard , rapporteur . - Le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » retrace les crédits, hors dépenses de personnel, qui concernent trois secteurs bien distincts :

- en premier lieu, la prospective de défense, c'est-à-dire la recherche technologique et l'analyse stratégique ;

- en deuxième lieu, le renseignement qu'assurent, au ministère de la défense, deux services à vocation générale : la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), pour le renseignement extérieur, et la direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD), pour le renseignement de sécurité de défense ;

- enfin, l'action internationale du ministère, qu'il s'agisse de coopération ou de diplomatie de défense, aujourd'hui dans un contexte de réforme de cette action, qui tend à mettre en place une direction générale des relations internationales et de la stratégie (la future DGRIS).

Mon collègue Jeanny Lorgeoux prenant à sa charge le volet « renseignement », il me revient de rapporter sur le reste du programme 144 : d'une part la prospective de défense (recherche technologique et analyse stratégique) et, d'autre part, l'action internationale.

Mais je commencerai par quelques propos touchant aux crédits prévus, pour l'année prochaine, pour le programme dans son ensemble.

La demande de crédits inscrite à ce titre dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2015 est de 1,3 milliard d'euros, soit 3,6% des crédits de paiement prévus pour l'ensemble de la mission « Défense », hors ressources exceptionnelles (REX). Je précise ici que les crédits du programme 144, en 2015 comme en 2014, ne seront pas en attente d'un abondement au moyen de REX, ce qui préserve les actions de ce programme des incertitudes attachées aux REX l'année prochaine...

Néanmoins, ces crédits devront couvrir les dépenses obligatoires liées au report de charges du programme issu de l'exécution budgétaire 2014. Ce report est estimé à 137 millions d'euros environ ; c'est un niveau stable par rapport au report de charges de l'exécution 2013 sur la gestion 2014.

La comparaison entre la prévision pour 2015 et les crédits votés pour 2014 est malaisée pour deux raisons :

- d'une part, l'ensemble des dépenses de personnel (crédits de titre 2) de la mission « Défense », en 2015, sera regroupé sur le programme 212 « Soutien de la politique de la défense ». Tous les rapporteurs « Défense » ont éprouvé, de fait, la même difficulté à cet égard. Les comparaisons du PLF 2015 par rapport à la loi de finances pour 2014 n'est ainsi pertinente qu'à partir d'une présentation « hors titre 2 » des crédits. Soustraction faite de ces crédits de masse salariale, par rapport à 2014, la prévision pour 2015 concernant le programme 144 constitue une légère hausse en autorisations d'engagement (+ 1,3%) et une quasi-stabilité en crédits de paiement (+ 0,1%) ;

- d'autre part, de nombreuses mesures de périmètre budgétaire (autrement dit des transferts de crédits, d'une action ou d'un programme à l'autre) ont été décidées pour le programme 144 l'année prochaine. En tout état de cause, ces facteurs nuisent à la lisibilité de l'évolution des crédits par nature de dépenses.

Malgré cela, les priorités soutenues par le programme 144, pour l'année prochaine comme pour cette année, apparaissent bien en conformité avec les conclusions du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 et les orientations de la loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2014 à 2019 que sont : la réaffirmation du rôle central du renseignement, dont parlera Jeanny Lorgeoux ; la consolidation des efforts dans le domaine de la recherche de défense ; et le maintien de la capacité d'influence de la France.

J'en viens à ces deux derniers aspects.

En ce qui concerne la recherche de défense, les crédits alloués pour 2015 aux études amont sont fixés à près de 739 millions d'euros - soit plus de la moitié (55 %) de l'ensemble des crédits de paiement du programme 144. Ce montant représente, par rapport à 2014, une légère diminution (- 0,8 %), mais il demeure conforme aux prévisions de la LPM. En effet, la LPM prévoit, en faveur des études amont, une dotation de 730 millions d'euros en moyenne annuelle sur la période 2014-2019.

Ces crédits financeront des études amont dans les secteurs de la dissuasion, de l'aéronautique, du renseignement, du naval, du terrestre ou encore de la santé. S'agissant des technologies transverses, il est prévu de renforcer le dispositif « RAPID » qui, dans le cadre du « Pacte défense-PME », est destiné depuis 2009 au soutien à l'innovation duale dans les PME et entreprises de taille intermédiaire. La direction générale de l'armement (DGA) s'est engagée à porter le montant des crédits de ce dispositif de 40 à 50 millions d'euros (soit + 25%) en trois ans : 45 millions dès cette année, 50 millions l'an prochain.

Toujours dans le domaine de la recherche, je passe au volet « analyse stratégique ». Le ministère de la défense fait traditionnellement appel à une recherche stratégique externalisée, par le canal des instituts de recherche ; les champs d'investigation de ces études portent sur les domaines politico-militaires, géopolitiques, économiques et sociaux. Pour satisfaire ce besoin, la prévision de crédits pour 2015 est de 6,1 millions d'euros. C'est un recul de 11 % par rapport à 2014, alors que cette dotation avait enregistré une forte hausse, ces deux dernières années (+ 40 % entre 2012 et 2014).

Cependant, le budget total consacré à la recherche et développement (R&D) de la défense sera porté à 3,6 milliards d'euros l'année prochaine, soit une augmentation, par rapport à 2013 et 2014, de 11 % en deux ans, et un niveau d'effort, en la matière, qui n'avait pas été atteint depuis 2010. Il faut s'en réjouir, bien sûr : malgré les contraintes pesant sur les finances publiques, la France reste ainsi le pays d'Europe qui consacre le plus gros effort budgétaire à sa R&D de défense ; nous affectons actuellement à cette R&D 8,5 % du budget de la défense, alors que le Royaume-Uni y consacre environ 4 %, et l'Allemagne 2,5 %.

J'en viens maintenant à la capacité d'influence internationale de la France, autre priorité défendue par le programme 144 en application du Livre blanc de 2013 et de la LPM.

Comme je l'indiquai d'emblée, l'année prochaine sera marquée, en ce domaine, par la mise en place de la nouvelle direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS). Cette structure sera constituée à partir de la délégation aux affaires stratégiques (DAS) et d'éléments transférés de l'état-major des armées et de la direction générale de l'armement (DGA). M. Philippe Errera, actuel directeur des affaires stratégiques au ministère de la défense, nous a entretenus de ce projet, lors de son audition par la commission, le 22 octobre dernier.

La nouvelle direction générale disposera de 213 agents, sa création permettant la réduction de 57 postes sur le périmètre d'ensemble des relations internationales du ministère de la défense. Cette direction générale se voit allouer par le PLF 2015, pour les actions de coopération et de diplomatie de défense, un budget de 35,4 millions d'euros - dont 21,4 millions consacrés à l'aide versée au gouvernement de la République de Djibouti, au titre de l'implantation de forces permanentes françaises sur le territoire de celle-ci. Cette dépense contrainte (puisqu'elle résulte d'un traité) consomme ainsi 60% du total des crédits de coopération et de diplomatie de défense.

C'est également la future DGRIS qui, par le canal de son pôle « prospective », réalisera, désormais, l'analyse stratégique du ministère de la défense.

On doit approuver l'objectif poursuivi, à travers cette création de la DGRIS, de garantir une meilleure cohérence des composantes de l'action internationale du ministère de la défense et d'en supprimer les doublons, ou des postes à faible activité. Mais il convient aussi d'observer que le calendrier retenu pour cette réforme est contraint, dans un contexte de réformes multiples au sein du ministère et, en particulier, quelques mois avant l'emménagement prévu, pour l'administration centrale, sur le site de Balard.

De fait, d'après les précisions fournies par le Gouvernement, le fonctionnement normal de la nouvelle organisation ne pourra être atteint que lorsque cet emménagement aura été réalisé et que la DGRIS disposera de ses effectifs complets, c'est-à-dire, en principe, à l'été 2015. Il faut donc que la période transitoire qui va s'ouvrir avec la publication des textes instituant la nouvelle direction générale soit l'occasion de tester les procédures en cause et d'affiner, en tant que de besoin, l'organisation en train de se dessiner.

Au demeurant, il est paradoxal que le projet annuel de performance pour 2015 de la mission « Défense », fasse disparaître, au motif d'une simplification, l'objectif d'« améliorer les résultats obtenus par la mise en oeuvre de la diplomatie de défense », qui se trouvait jusqu'à présent associé au programme 144. En tant que rapporteur, nous déplorons cet appauvrissement de la mesure des performances du programme.

Malgré ces quelques réserves marginales, sous le bénéfice des observations que je viens de vous présenter, et de celles que va vous présenter Jeanny Lorgeoux dans un instant, nous pensons être en présence d'un programme « vertueux ».

M. Jeanny Lorgeoux , rapporteur . - Conformément à notre habitude, et comme l'a indiqué notre collègue André Trillard, je me concentrerai quant à moi sur les crédits du renseignement, qui figurent dans l'action 3 du programme 144, et qui en représentent 20% du total, soit 268 millions d'euros de crédits de paiement. Au sein du programme 144 figurent les crédits de la DGSE et de la DPSD. La DGSE emploie environ 6 000 personnes. Elle est chargée de la sécurité extérieure ; par rapport à ses homologues internationaux, le service a pour particularité d'être intégré : il réunit le renseignement humain, technique et des moyens opérationnels. Ses missions sont connues : renseignement géopolitique, capacités de contre-espionnage, lutte contre la prolifération. Nous l'avons vu lors de la crise des attaques chimiques du régime syrien en août 2013 : c'est par exemple sur renseignement de la DGSE que la France a pu disposer de moyens d'appréciation autonomes et particulièrement étayés, que le ministre de la défense était d'ailleurs venu présenter à notre commission. Enfin, la lutte contre le terrorisme, qui est la grande priorité du moment, cela va de soi, et sur laquelle la DGSE travaille en lien extrêmement étroit avec la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).

La malédiction bien connue de ce service est qu'on ne parle que de ses échecs ! Or cette année, des sources de presse apparemment bien informées, qui n'ont pas été démenties, ont indiqué que c'est sur un renseignement de la DGSE qu'a pu être éliminé -par une frappe américaine- le chef des Shebabs somaliens, Ahmed Abdi GODANE, le 1 er septembre dernier. Les Shebabs étaient responsables de la mort de l'otage Denis ALEX et de ses camarades venus le délivrer dans une opération tragique que nous avons déjà évoquée. Je profite de cette occasion pour rendre un hommage très appuyé aux agents de la DGSE, qui prennent des risques pour notre pays, qui savent ne pas devoir attendre de reconnaissance publique, et dont personne ne peut douter de l'augmentation de la charge de travail, les moyens augmentant sans aucun doute moins vite que les crises...

Pour revenir aux chiffres, la loi de programmation a prévu que les services de renseignement relevant du ministère de la défense devraient bénéficier de la création d'environ 300 postes sur la période. Ce sera une cinquantaine en 2015 pour la DGSE. On aura créé 616 emplois en 5 ans, et ce sont encore 284 postes qui sont attendus d'ici 2019, conformément à la priorité donnée à la fonction « connaissance et anticipation ». On ne peut donc que s'en féliciter dans le contexte actuel que connait le ministère de la défense. Les services de renseignement croissent et « repyramident », au rebours de tous les autres du ministère de la défense.

Les recrutements concernent des personnels de haut niveau. Il existe à la DGSE une diversité statutaire avec 27 % de militaires, 50 % de fonctionnaires civils, et 23 % de contractuels. L'objectif aujourd'hui est de continuer à diversifier les profils, par des recrutements tous très spécialisés, qu'il s'agisse d'analystes, de linguistes, d'ingénieurs télécom, de crypto-mathématiciens, de techniciens du signal....

En 2015, le budget de la DGSE hors crédits de personnel s'élèvera à 257 millions d'euros en crédits de paiement, contre 251 millions en 2014, soit + 2,4 %. L'essentiel, 219 millions d'euros, va à l'équipement. Il faut préciser, à cet égard, qu'une partie des moyens font l'objet d'une mutualisation avec les autres services de renseignement, notamment la DRM. À cette dotation, il faut ajouter la part des fonds spéciaux qui est allouée à la DGSE, leur montant total pour l'ensemble des bénéficiaires s'élevant à 50,2 millions d'euros.

Les crédits de fonctionnement de la DGSE, à 38 millions d'euros, sont en baisse, avec des économies importantes sur les frais unitaires de mission et sur le soutien. L'accroissement des frais liés à l'activité se poursuit toutefois, malgré la baisse des ratios unitaires, ce qui laisse, par déduction, entrevoir un certain accroissement du nombre de missionnaires sur les zones de crise. En résumé, le projet de budget de la DGSE pour 2015 traduit l'accentuation des moyens humains et techniques prévue par le Livre blanc de 2013. Cet effort se chiffre en dizaines de millions : il est certes significatif, il faut le saluer, mais il reste quand même modeste par rapport à l'ensemble du budget de la défense (le budget total de la DGSE représente environ 1% du budget de la défense) et il doit surtout être analysé comme un rattrapage que nous avons tous jugé nécessaire.

En matière de capacités techniques, en outre, le programme 146 « Équipement des forces » met en oeuvre des orientations de la loi de programmation militaire qui bénéficieront à la fonction connaissance et anticipation : programme de satellites d'écoute électromagnétique CERES, mise en service future des deux premiers satellites d'observation MUSIS, sans oublier naturellement les drones.

Toujours sur le renseignement, je voudrais dire un mot de la DPSD, la direction de protection et de sécurité de la défense, « service de sécurité interne » du ministère de la défense. Elle est chargée de rendre des avis sur les demandes d'habilitation des militaires, et elle assure la protection des installations, y compris sur les théâtres d'opérations extérieures, comme le Mali. Elle agit également, et c'est très important, au profit des entreprises liées à la défense, en matière de contre-ingérence et d'intelligence économique, pour protéger leur patrimoine scientifique et assurer la sécurité de nos systèmes. Vous voyez comme c'est vital.

À l'exact opposé de la DGSE, la DPSD avait perdu près d'un tiers de ses effectifs en dix ans, passant de 1 500 postes en 2003 à 1 100 actuellement. Cette diminution a porté essentiellement sur des personnels affectés à des tâches administratives de gestion des procédures d'habilitation des personnels. Ces procédures ont été entièrement numérisées, grâce au projet de dématérialisation SOPHIA, ce qui a permis de redéployer des postes vers les catégories A. Nous appelions de nos voeux depuis plusieurs années la stabilisation des moyens de la DPSD : c'est chose faite en 2015 et nous nous en félicitons.

L'organisation centrale et territoriale du service, qui dispose d'antennes sur l'ensemble du territoire, a également été rationnalisée en 2013. Ces évolutions sont très positives et il faut espérer que la nomination du général BOSSER, ancien directeur de la DPSD, comme chef d'état-major de l'armée de terre, soit un levier de visibilité pour cette direction et l'aide dans son entreprise de « montée en gamme » de ses recrutements.

Compte tenu de ces évolutions positives, s'agissant des crédits du renseignement dans le programme 144, je ne peux qu'inciter la commission à donner un avis favorable sur notre rapport.

Mme Nathalie Goulet . - Avec la commission d'enquête du Sénat sur la lutte contre les réseaux djihadistes, nous mesurons pleinement l'importance vitale du renseignement pour assurer notre sécurité. C'est à la suite d'une commission d'enquête post affaire Merah que la réforme du renseignement intérieur a d'ailleurs été menée à bien et nous ne pouvons que nous en féliciter. Cet effort en faveur des services doit être poursuivi - car nous avons encore des lacunes, qu'il s'agisse de leur cadre d'action ou de la coopération internationale - et soutenu, de façon, me semble-t-il, trans-partisane.

M. Gaëtan Gorce . - Je m'associe à l'hommage que vous avez rendu aux personnels des services. Leur renforcement n'exclut pas, bien au contraire, l'affermissement de notre contrôle parlementaire. Comment est actuellement traitée la question des progressions de carrière des agents qui y travaillent ?

M. Daniel Reiner . - André Trillard a évoqué le dispositif « RAPID ». Les crédits qui lui sont consacrés s'avèrent en augmentation, mais je voudrais dire que l'appui aux PME ne doit pas se borner à cela, car ces crédits restent, malgré tout, limités par rapport au volume global de crédits des études amont. Parmi celles-ci, une part plus importante devrait revenir aux PME, afin que le « Pacte défense-PME » se traduise dans les faits.

Au passage, je signale qu'à ma connaissance les études amont sur le futur drone MALE européen, qui ont été décidées fin 2013, n'ont toujours pas démarré. Il serait temps de transformer la volonté affichée en une réalité !

Enfin, une question : dans la perspective de la création de la DGRIS, perçoit-on déjà une évolution des méthodes de travail de la DAS ?

M. Jeanny Lorgeoux , rapporteur . - La pertinente remarque de Nathalie Goulet dépasse le seul cadre du programme 144 ; les moyens de la DGSI, qui figurent dans la mission « Sécurités », ont d'ailleurs aussi été augmentés et la coopération paraît aussi étroite que possible entre la DGSE et la DGSI sur la question de la lutte antiterroriste.

Après la réforme de l'encadrement supérieur de la DGSE, c'est désormais à une réforme du statut de ses personnels civils que la DGSE s'attelle. Vous avez raison, la question des perspectives de carrière (que ne pourra que faciliter la constitution d'une véritable communauté du renseignement), est très importante.

M. Gaëtan Gorce . - Je pensais surtout aux militaires qui servent à la DGSE...

M. Daniel Reiner . - Nous rencontrons le même problème dans les forces spéciales !

M. Jeanny Lorgeoux , rapporteur . - En ce qui concerne la mise en place de la DGRIS, il est un peu tôt pour tirer un bilan argumenté.

Lors de la même réunion du 26 novembre 2014, la commission, ayant examiné l'ensemble des programmes de la mission « Défense », a décidé de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de cette mission, tels que rétablis par son amendement, dans le PLF pour 2015, les groupes UMP et UC-UDI s'abstenant.

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