B. L'ENJEU DE LA SOUTENABILITÉ FINANCIÈRE DE LA MONTÉE EN PUISSANCE DU SERVICE CIVIQUE

Au cours de la période 2010-2015, les crédits du programme 163 consacrés au service civique ont été multipliés par trois , pour passer de 40 millions d'euros à 125 millions d'euros. Cette progression est appelée à se poursuivre car, lors de sa conférence de presse du 18 septembre 2014, le Président de la République a émis le souhait que le service civique soit élargi et accessible au plus grand nombre afin qu'à terme, en 2017, au moins un jeune sur sept ait eu l'opportunité de connaître cette forme d'engagement. Le président de l'Agence du service civique estime que l'objectif de 100 000 engagés de service civique en 2017 est réalisable, en rappelant qu'entre 2010 et 2014 le nombre de volontaires avait été multiplié par sept (de 5 000 à 35 000) et en relevant que l'engouement autour du dispositif se maintient à des niveaux plus qu'encourageants. Selon une enquête de TNS Sofres de mars 2014 sur la perception du service civique par les jeunes pour l'Agence du service civique 13 ( * ) , 89 % des jeunes engagés se déclaraient « très satisfaits de leur expérience » et plus de 80 % entendaient recommander le dispositif à d'autres jeunes.

Toutefois, le resserrement des marges de manoeuvre budgétaire continue de peser sur la capacité du dispositif à absorber l'offre en croissance continue de jeunes prêts à s'engager dans une mission de service civique. En effet, l'Agence du service civique ne peut, à l'heure actuelle, proposer qu'une mission de service civique pour quatre à cinq demandes de jeunes volontaires. Pour mémoire, en raison de la forte consommation des crédits au 1 er septembre 2013, la circulaire n° ASC/2013/332 du 26 août 2013 relative aux agréments de service civique au second semestre 2013 a eu pour objet de freiner les nouvelles entrées en cours d'année, en procédant à l'interruption temporaire et immédiate des agréments, renouvellements d'agréments et recrutements supplémentaires de jeunes volontaires et a préconisé que tout recrutement de jeunes volontaires soit différé à janvier 2014. Face à ce mécanisme de « stop and go » mis en oeuvre en 2013, potentiellement destructeur et démobilisant pour le tissu associatif et les jeunes, l'Agence du service civique prend désormais soin de raisonner par vagues de recrutement successives étalées sur l'année afin de tenir de façon plus intelligente l'objectif de recrutements dans la limite des moyens alloués en loi de finances initiale et de préserver la capacité de mobilisation du secteur.

En 2014, la dotation du service civique s'avère encore une fois en fin d'année insuffisante pour atteindre l'objectif de 35 000 volontaires, si bien que l'agence a obtenu le dégel de la réserve de précaution sur cette ligne du programme 163. En 2015, les ressources extrabudgétaires seront mobilisées afin de permettre à l'agence de tenir son objectif, en particulier la « garantie pour la jeunesse » proposée par l'Union européenne et à laquelle le service civique a été déclaré éligible par la Commission européenne.

Dans son rapport d'analyse de l'exécution budgétaire de la mission « Sport, jeunesse et vie associative » de mai 2014, la Cour des comptes estime que « la montée en charge du service civique pose de manière plus aiguë la question de sa soutenabilité budgétaire compte tenu des faibles marges de manoeuvre budgétaires de la mission en l'absence de révision de la loi de programmation des finances publiques (LPFP) et incite, comme la Cour le recommande dans le chapitre de son rapport public annuel 2014 intitulé "Le service civique : une ambition forte, une montée en charge à maîtriser" 14 ( * ) , à rechercher une montée en charge plus progressive pour s'assurer de la qualité des missions proposées et une réduction du coût unitaire pour l'État du service civique. »

Dans ces conditions, dans une réponse en date du 10 octobre 2013 à une question écrite adressée par le sénateur Raymond Couderc, la ministre des sports, de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative de alors en exercice, Mme Valérie Fourneyron, a rappelé les efforts conduits par ses services en vue de réduire le coût unitaire des missions de service civique, tout en préservant le niveau de protection sociale garanti aux jeunes volontaires.

En effet, la loi n° 2013-1203 du 23 décembre 2013 de financement de la sécurité sociale pour 2014 a adapté les modalités de financement de la protection sociale instituées en 2010, en procédant à un alignement du régime de cotisation sur le droit commun en supprimant le mécanisme de compensation complémentaire versée par l'État à l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS). Cette mesure a ainsi permis de réduire de près de 20 % le coût mensuel unitaire d'une mission de service civique pour l'État.

D'autres efforts ont été entrepris afin de maîtriser le coût global du dispositif en agissant plus particulièrement sur la réduction du coût unitaire des missions de service civique :

- dans le prolongement de la mise en place, en 2010, de l'extranet « ELISA », un projet visant à permettre la dématérialisation des contrats de service civique est en cours d'élaboration. Une première étude de cadrage général a été réalisée et une deuxième étude se poursuit sur l'automatisation des flux de données OSCAR-ELISA entre les outils développés par l'Agence du service civique et l'Agence de services et de paiement (ASP) qui verse aux volontaires leurs indemnités de service civique ;

- le pilotage et le suivi des agréments de service civique ont été améliorés par l'adoption d'un plan lors du conseil d'administration de l'Agence du service civique de décembre 2013. En 2014, l'agence a ainsi expérimenté, au niveau national, la mise en place d'une campagne d'agrément cadencée. Les indicateurs et modalités de suivi des enveloppes régionales ont, en outre, été rénovés et les outils de budgétisation affinés ;

- la durée moyenne d'engagement est contenue dans la limite de huit mois, afin de conjuguer la qualité des missions et la nécessaire maîtrise du coût du dispositif ;

- l'Agence du service civique a contribué à la réduction du coût global du dispositif, en réduisant fortement ses dépenses de communication, en capitalisant l'expérience acquise pendant les premières années du dispositif et en travaillant à un pilotage plus fin des agréments et à l'amélioration des outils de prévision budgétaire.

Le Gouvernement a consenti à un effort de 100 millions d'euros en faveur du service civique sur le triennal 2015-2017 . Afin d'abonder les crédits de l'Agence du service civique, des fonds devraient également être mobilisés dans le cadre de la garantie européenne pour la jeunesse et auprès d'autres départements ministériels et de personnes publiques intéressées au dispositif. En effet, un financement interministériel du service civique est pleinement justifié dès lors qu'un grand nombre de ces missions d'intérêt général participent pleinement des objectifs de sensibilisation poursuivis par certains ministères auprès de la société civile, notamment en matière de santé (aide personnalisée auprès des personnes dépendantes, prévention des addictions, éducation alimentaire...), de formation des pompiers volontaires ou encore d'environnement et de développement durable.

En outre, le ministère entend mettre en oeuvre certaines des préconisations formulées dans le rapport 15 ( * ) de juillet 2014 du président de l'Agence du service civique, M. François Chérèque, afin d'assurer la montée en charge du dispositif, parmi lesquelles on peut retenir en particulier :

- la possibilité de faire monter en puissance le mécénat privé ;

- l'affectation au service civique d'une ressource fiscale : M. Chérèque évoquait, par exemple, la possibilité d'affecter au service civique une fraction de la taxe sur les jeux en ligne, ou une taxe prélevée sur les activités de la Française des jeux, ou bien d'y affecter le rendement de l'augmentation préconisée par la mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale du taux de TVA réduit applicable à certaines boissons (sucrées, énergisantes...) au titre d'une contribution de santé publique. Compte tenu du contexte budgétaire actuel peu propice à l'apparition de nouveaux prélèvements, cette piste semble avoir été écartée ;

- la limitation du bénéfice de l'aide au tutorat, d'un montant de 100 euros par mois par engagé, aux seuls organismes agréés qui accueillent plus de cinq volontaires par an, soit 13 % des organismes d'accueil pour 64 % des volontaires.

Pour rappel, le coût unitaire pour l'État d'une mission de service civique, estimé aujourd'hui en moyenne à 804 euros par mois par engagé, se décompose de la façon suivante :

- la compensation des exonérations de charges sociales dont bénéficient les volontaires, versée directement à l'ACOSS, d'un montant de 162,5 euros en 2014 (203 euros en 2013) ;

- l'aide au titre de la formation civique et citoyenne, versée par l'Agence de services et de paiement aux organismes d'accueil après deux mois de réalisation effective d'une mission de service civique. Le montant de l'aide est variable : 150 euros par engagé pour les organismes organisant la formation aux premiers secours de niveau 1 au titre de leur habilitation ou quand ils ont recours à des organismes extérieurs autres que la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF) et la Croix-Rouge ; ou 100 euros par engagé lorsque la formation est prise en charge par l'Agence du service civique dans le cadre d'un marché public avec la FNSPF et la Croix-Rouge ;

- l'indemnité de service civique versée à l'engagé, d'un montant net mensuel de 467,34 euros, ou de 573,72 euros sur critères sociaux.

L'agence finance des missions de service civique d'une durée moyenne de 7,2 mois.

À paramètres constants, l'Agence du service civique envisage la montée en charge du service civique selon la programmation suivante :

2014

2015

2016

2017

Contrats en cours au 1 er janvier de l'année

12 001

14 950

22 393

33 789

Flux de contrats nouveaux conclus dans l'année

22 999

35 050

52 607

66 211

Total de jeunes en service civique (« stock »)

35 000

50 000

75 000

100 000

Source : Agence du service civique

Dans ces conditions, le tendanciel 16 ( * ) du coût du service civique sur la même période est le suivant :

(en euros)

2014

2015

2016

2017

Indemnité, protection sociale et formation civique et citoyenne

132 581 795

190 434 543

293 581 965

401 726 497

Autres dépenses

7 389 870

9 464 224

12 786 709

15 363 768

Total

139 971 665

199 898 767

306 368 674

417 090 265

Source : Agence du service civique

À terme, pour un coût annuel de prise en charge par l'État d'environ 4 000 euros par engagé, les moyens du service civique devraient donc atteindre idéalement en 2017, pour satisfaire l'objectif de 100 000 volontaires, un peu plus de 417 millions d'euros.

Dans son rapport précité d'analyse de l'exécution budgétaire de la mission de mai 2014, la Cour des comptes indiquait que, pour réduire le coût unitaire du service civique, « la fixation d'une indemnité forfaitaire d'un montant inférieur pour les missions à temps partiel pourrait être examinée ». Elle concluait, dans sa principale recommandation concernant le service civique, à la nécessité de « retenir un rythme de montée en charge du service civique compatible avec la maîtrise du risque de substitution à l'emploi induit par la multiplication des missions et procéder aux arbitrages indispensables pour assurer l'adéquation entre les objectifs et les moyens budgétaires. »

Votre rapporteur pour avis ne partage pas l'idée émise par la Cour des comptes qui consisterait à réfléchir à une modulation de l'indemnité de service civique en fonction de la durée hebdomadaire de la mission. En effet, une mission de service civique requiert, dans son principe, un fort investissement personnel du jeune volontaire, si bien que les contrats doivent autant que possible porter sur des engagements hebdomadaires supérieurs au mi-temps.

On peut admettre que certaines missions soient réalisées à temps partiel, avec un minimum de 24 heures hebdomadaires, afin de ménager suffisamment de flexibilité pour des jeunes dont la situation le justifie. D'autres missions peuvent conduire des jeunes volontaires à s'investir pour une durée hebdomadaire parfois bien supérieure à la durée légale de travail applicable à un salarié de droit commun, jusqu'à 48 heures. De fait, la compensation financière perçue au titre d'une mission de service civique a toujours eu un caractère forfaitaire car elle ne saurait être assimilée à une rémunération. Or, une modulation de cette indemnité en fonction du temps d'investissement hebdomadaire de l'engagé l'assimilerait à un défraiement, ce qui est contraire à l'esprit même de l'engagement de service civique qui n'a pas vocation à se substituer à un emploi, qu'il soit partiel ou à temps plein.

La mission de service civique doit pouvoir offrir suffisamment de souplesse organisationnelle au jeune concerné, en particulier lorsque celui-ci souffre d'un handicap ou vient d'un milieu déstructuré. Las associations agréées, encore pour un certain nombre d'entre elles « arc-boutées » sur une durée de mission comprise entre 24 heures et 48 heures hebdomadaires et entre six et douze mois, doivent comprendre que le service civique est appelé à s'adapter au niveau d'autonomie du jeune.

Par ailleurs, votre rapporteur pour avis estime qu'une des pistes à exploiter en vue d'une réduction du coût unitaire d'une mission de service civique pour l'État réside dans la possibilité pour les collectivités territoriales de flécher une partie de leurs subventions en faveur du mouvement associatif sur les organismes agréés pour l'accueil des volontaires du service civique . Les collectivités territoriales sont encore peu nombreuses à s'impliquer activement dans le recrutement et l'accueil d'engagés de service civique. Les collectivités territoriales ne représentent que 9 % des organismes agréés de service civique et ne réalisent que 7 % des recrutements effectifs de volontaires, contre respectivement 80 % et 84 % pour les associations 17 ( * ) . Il est vrai qu'il est plus aisé pour une structure associative d'accompagner le jeune volontaire dans l'exercice de sa mission par la mise en place d'un tutorat de proximité.

À cet égard, l'expérimentation conduite en Meurthe-et-Moselle, qui a vu ses effectifs de sapeurs-pompiers diminuer dramatiquement en quelques années, est instructive. L'Agence du service civique, qui ne pouvait prendre en charge des missions de service civique de douze mois pour former des jeunes à ce type d'intervention, a conclu un partenariat avec le département dans lequel la durée des missions de service civique adaptées aux sapeurs-pompiers pour les jeunes intéressés est fixée à neuf mois, dont trois mois de formation de pompier volontaire remboursés par le conseil général. L'objectif est d'intégrer à terme près de 1 500 jeunes dans des missions de service civique adaptées aux pompiers volontaires (100 jeunes concernés en 2014, 175 en 2015).

Par conséquent, l'implication des collectivités territoriales en matière de service civique pourrait prendre la forme plus pertinente d'un soutien financier accru aux organismes agréés au titre du service civique soit par les préfets de région au niveau local, soit par l'Agence du service civique au niveau national. De plus, la possibilité pour l'Agence du service civique de déléguer le soin aux collectivités territoriales d'attribuer des missions de service civique constituerait une source d'économie de l'ordre de 10 %, puisqu'elle ne serait pas tenue de leur reverser le forfait de 100 euros par engagé par mois au titre de la formation civique et citoyenne qui ne vaut que pour les associations.


* 13 http://www.tns-sofres.com/etudes-et-points-de-vue/perception-du-service-civique-par-les-jeunes

* 14 Cour des comptes, Rapport public annuel 2014 , Tome I - Les observations, volume 1 : pp. 209 à 248.

* 15 Chérèque François, Liberté, égalité, citoyenneté : un service civique pour tous , rapport remis au Gouvernement le 11 juillet 2014.

* 16 Les hypothèses retenues pour ce chiffrage sont une stabilité des principaux sous-jacents (durée moyenne des missions, taux de rupture, taux d'organismes sans but lucratif, taux de boursiers, répartition des contrats sur l'année...).

* 17 Agence du service civique, Rapport d'activité 2013 .

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