EXAMEN EN COMMISSION

Réunie sous la présidence de M. Jean-Pierre Raffarin, président, la commission a examiné le présent rapport lors de sa séance du mardi 17 novembre 2015.

M. Alain Gournac, rapporteur pour avis. - Monsieur le Président, mes chers collègues, en 2016, la gendarmerie nationale sera dotée d'environ 8,3 milliards d'euros en autorisations d'engagement, en augmentation de +2,4 % par rapport à 2015. Les crédits de paiement s'élèveront quant à eux à 8,1 milliards d'euros, en hausse de +0,8 %.

Les crédits de titre 2 pour rémunérations et charges sociales, qui représentent comme en 2015 environ 85 % des crédits du programme, se montent en 2016 à près de 6,9 milliards d'euros, soit une hausse de +0,7 % par rapport à 2016.

Au sein du « hors titre II », les dépenses de fonctionnement s'établiront en 2016 à 1,1 milliard d'euros en crédits de paiement, en baisse de 0,16 % par rapport à 2015.

Par ailleurs, les dépenses d'investissement s'élèveront à 103 millions d'euros, soit + 18,5 millions d'euros par rapport à 2015.

Enfin, les députés ont adopté un amendement du Gouvernement traduisant le plan de lutte contre l'immigration clandestine et qui prévoit environ 19,8 millions d'euros supplémentaires en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement ainsi que 370 postes supplémentaires. Au cours d'une seconde délibération, l'Assemblée nationale a toutefois adopté un amendement du Gouvernement, qui prévoit une baisse de 20 millions d'euros des crédits des programmes police nationale et gendarmerie nationale afin de contribuer au respect de la norme de dépense en valeur de l'État.

Au total, la hausse des crédits de paiement demandés pour la gendarmerie sera de +1 %, contre +0,8 % avant adoption des deux amendements. Cette hausse reste modérée et ne traduit pas encore selon moi un effort suffisant, à la hauteur de la situation exceptionnelle que nous vivons.

Certes, le directeur général de la gendarmerie nationale, le général Favier, nous a quelque peu rassurés sur la question du dégel de la réserve.

Comme vous le savez, le taux de mise en réserve est passé à 8 % en 2015. S'appliquant à l'ensemble des dépenses hors titre II, la réserve se montera ainsi à 98 millions d'euros environ pour la gendarmerie, soit 1,2 % des crédits de la mission en 2016. Or, les dépenses hors titre II de la gendarmerie nationale sont très rigides. À titre d'exemple, les loyers se monteront à eux seuls à plus de 500 millions d'euros en 2016, les dépenses d'énergie et fluides à 84 millions d'euros, etc. Au total, les dépenses de fonctionnement et d'investissement de la gendarmerie sont à 75 % des dépenses obligatoires, loyers et paiements contractuels.

Dès lors, la levée de la réserve est essentielle pour assurer le paiement des nouveaux équipements indispensables aux activités des forces de la gendarmerie.

Or, le ministre de l'Intérieur a précisé, lors de son audition devant notre commission le 3 novembre dernier, en ce qui concerne l'exercice 2015, qu'un dégel de 38 millions d'euros a eu lieu le 23 septembre permettant de couvrir les dépenses de la gendarmerie mobile et d'acquérir des véhicules et des munitions, des discussions étant en cours pour le déblocage du solde. Ensuite, en ce qui concerne l'exercice 2016, il a annoncé que le dégel des crédits aurait lieu dès le début de l'année afin que les moyens nécessaires à l'acquisition des véhicules, des protections, des armes et des munitions soient disponibles.

Un effort est certes également accompli en ce qui concerne les effectifs.

Après une augmentation de 162 postes en 2015, le projet de loi de finances pour 2016 prévoit une augmentation de 554 nouveaux postes. Aux 184 postes prévus par le PLF 2016 initial s'ajoutent en effet 370 postes prévus par le plan de lutte contre l'immigration clandestine.

Il faut cependant tenir compte de l'écart entre le plafond d'emplois et les effectifs réels. Le programme gendarmerie se caractérise en effet par une sous-exécution particulièrement importante de ce plafond d'emploi, écart de près de 2 000 emplois souligné par la Cour des comptes dans son rapport sur l'exécution budgétaire 2014.

Cette sous-exécution est due à un écart persistant entre la masse salariale prévue et le plafond d'emplois et a tendance à fausser quelque peu la discussion budgétaire. Il conviendra donc de le réduire autant que possible à l'avenir.

Au total, le budget de la gendarmerie, comme celui de l'ensemble des forces de sécurité, tel qu'il est prévu par le PLF 2016 dans son état actuel, ne me semble pas répondre de manière adéquate au terrible défi qui nous est lancé.

D'abord, bien que les augmentations d'effectifs ne soient pas négligeables, elles ne seront pas suffisantes à elles seules pour rendre la gendarmerie plus efficace compte tenu de l'affaiblissement qui se poursuit des moyens de fonctionnement. Cet affaiblissement touche tous les aspects du fonctionnement courant de la gendarmerie ainsi que les véhicules. En fait, ce budget accentue l'évolution qui fait du programme 152 un budget de plus en plus consacré aux crédits de personnels, qui dépassent 85 % du total. Parallèlement, les moyens de fonctionnement et d'investissement qui seraient nécessaires pour renouveler les véhicules, moderniser les systèmes informatiques et donner aux enquêteurs les moyens de répondre aux immenses défis qui se posent à eux aujourd'hui, ne sont pas assurés.

Avant de conclure, je voudrais évoquer le sujet des associations professionnelles de militaires (APNM). Nous avons en effet reçu l'association « Gend XXI ». Comme vous le savez, c'est la loi du 28 juillet 2015 actualisant la programmation militaire qui a permis la constitution de ces nouveaux organismes.

Aujourd'hui, l'association Gend XXI s'est donc constituée en APNM. Elle est actuellement en discussion avec des associations des autres armées pour créer une fédération. L'association « Gendarmes et citoyens » a également modifié ses statuts et est désormais dirigée par des gendarmes actifs. Elle devrait rapidement se transformer en APNM. Enfin, l'association de défense des droits des militaires-gendarmerie (ADEFDROMIL) est également en cours de constitution en APNM.

Je note que l'association que nous avons entendue a tenu un langage modéré et respectueux de l'institution. Je pense, à titre personnel, que les associations peuvent être utiles en permettant une meilleure remontée des difficultés rencontrées par les gendarmes, ce qui est positif : ils ont parfois tendance à être excessivement silencieux ! Il faudra toutefois rester vigilant. Les représentants de Gend XXI nous ont ainsi dit que si les associations estimaient ne pas être assez associées au dialogue interne, elles seraient naturellement tentées de parler davantage aux médias, ce qui ne serait pas forcément une bonne chose !

Pour conclure, le budget qui nous est présenté ne me semble pas, en l'état, à la hauteur de la menace, en particulier de la menace terroriste dont nous avons malheureusement pu mesurer l'intensité vendredi. Le Président de la République a annoncé des moyens supplémentaires en personnel pour l'ensemble des forces de sécurité. Il est nécessaire que les moyens de fonctionnement suivent ! En l'absence de précisions suffisantes à ce stade sur la manière dont cet effort supplémentaire sera intégré au PLF 2016, je vous propose que la commission donne un avis de sagesse aux crédits du programme 152. Nous pourrons ensuite nous déterminer à titre personnel, en fonction des précisions qui nous seront données par le ministre de l'Intérieur en séance, selon que nous jugerons l'effort prévu suffisant ou non.

Je laisse maintenant la parole à Michel Boutant.

M. Michel Boutant, rapporteur pour avis. - Monsieur le Président, mes chers collègues, je souligne d'abord que, par rapport au budget initialement présenté, de nouvelles annonces ont été faites à la suite des attentats du 13 novembre, dont la création de 5 000 postes supplémentaires pour les forces de sécurité dans les deux prochaines années. En ce qui concerne le fort taux de dépenses de personnel du programme, il en a toujours été ainsi et c'est une situation normale. Quant aux fortes dépenses de loyer, elles sont la contrepartie de l'obligation de disponibilité des gendarmes.

Je souhaite ensuite évoquer deux sujets pour lesquels un effort budgétaire particulier a été engagé.

En premier lieu, comme les autres forces de sécurité, la gendarmerie nationale est, depuis les attentats du mois de janvier, en première ligne pour lutter contre le terrorisme.

Dans le cadre du plan global de lutte contre le terrorisme du 21 janvier 2015, le décret d'avance du 9 avril 2015 a ainsi permis un effort budgétaire particulier.

En ce qui concerne la gendarmerie nationale, le décret a prévu 35 millions d'euros pour le programme 152, dont 12 millions d'euros pour les dépenses de personnel. Il a ainsi permis de financer 18,9 millions d'euros de nouveaux équipements : véhicules, armements et équipements de protection, notamment pour intensifier la lutte contre les drones malveillants et renforcer les moyens du Groupement d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) et des pelotons d'intervention de la gendarmerie nationale (PSIG) ; 2 millions d'euros dans le cadre d'un plan de renforcement et de modernisation technologique des services ; 2,1 millions d'euros de dépenses liées aux recrutements.

En outre, les dépenses de personnel supplémentaires ont permis d'augmenter les effectifs de la gendarmerie nationale de 100 ETPT au titre du renseignement territorial et d'unités opérationnelles des services spécialisés ainsi que de mobiliser les réserves civile et opérationnelle, qui vont sans doute être encore plus mobilisées à l'avenir.

L'effort budgétaire au titre de la lutte anti-terroriste se poursuivra en 2016 avec un montant de 5,2 millions d'euros notamment consacrés à la modernisation informatique de la gendarmerie.

En matière de lutte anti-terroriste, je souhaite souligner le travail accompli par la sous-direction à l'anticipation opérationnelle (SDAO), créée en 2012 pour doter la gendarmerie d'un niveau de centralisation du renseignement recueilli par les brigades sur le terrain. La SDAO coordonne ainsi le renseignement opérationnel, notamment à travers le service spécialisé de veille et d'exploitation de l'information d'alerte. Elle enrichit le dispositif anti-terroriste national et transmet les informations obtenues en zone gendarmerie aux services spécialisés, en concertation avec le service central du renseignement territorial (SCRT).

Lors de son audition du 3 novembre, le ministre de l'Intérieur nous a ainsi indiqué que la gendarmerie a été à l'origine de 41 signalements de départ vers les zones de djihad et qu'elle avait recueilli et partagé 25 notes de renseignement en lien avec les investigations à l'occasion de l'enquête sur les attentats de Charlie Hebdo. Enfin, les opérations de lutte contre la cybercriminalité, désormais basées au nouveau pôle de Pontoise, complètent l'éventail de la lutte anti-terroriste.

Le décret désignant le « deuxième cercle » des services de renseignement, prévu par la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, a d'ailleurs été examiné par la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). La SDAO pourra ainsi utiliser une grande partie des techniques ouvertes aux services de la communauté du renseignement, à l'exclusion, notamment, de certains algorithmes utilisés dans le cadre de la lutte anti-terroriste.

Deuxième sujet d'actualité qui a des conséquences importantes pour le budget de la gendarmerie, la gestion de la « crise migratoire » que nous connaissons depuis quelques mois.

Un total de 900 ETPT supplémentaires vont ainsi être recrutés dans les unités de forces mobiles de la police et de la gendarmerie et au sein de la police de l'air et des frontières, dont 370 pour la gendarmerie mobile. En effet, les forces mobiles sont déjà particulièrement utilisées depuis le début de l'année, soit dans le cadre du plan Vigipirate, soit aux frontières (Calais, Vintimille).

Je voudrais ensuite évoquer l'effort positif accompli pour préserver les « fondamentaux » de la gendarmerie nationale dans un contexte budgétaire globalement restrictif.

Les crédits hors titre 2 augmenteront de 1,36 %. Le programme Gendarmerie contribue à l'effort de redressement des finances publiques mais son caractère prioritaire est ainsi manifeste. Le directeur général de la gendarmerie nationale nous a fait part de sa satisfaction à cet égard même s'il a également indiqué que les crédits demeureront un peu inférieurs aux niveaux de renouvellement optimal des moyens.

À titre d'exemple, un montant de 40 millions d'euros sera consacré en 2016 au renouvellement du parc automobile, soit les crédits nécessaires à l'acquisition de 2 000 véhicules supplémentaires. Ce nombre n'atteint toujours par le seuil de 3 000 véhicules permettant d'assurer un renouvellement normal des voitures mais il traduit un effort certain par rapport aux années précédentes.

Il convient également de souligner l'importance du plan triennal d'urgence pour le traitement des logements les plus délabrés du parc domanial, dont la mise en oeuvre a débuté en 2015 et dont la déclinaison pour 2016 prévoit 70 millions d'euros en autorisation d'engagement pour réhabiliter environ 5 000 logements. Ce plan d'urgence est essentiellement destiné à l'entretien et la réhabilitation des logements en vue de supprimer les « points noirs ». Le plan prévoit ainsi d'engager une trentaine d'opérations de réhabilitation lourde et de mise aux normes de casernes ainsi que les secondes phases de réfection du clos et du couvert des casernes de Bouliac et de Gap.

Enfin, le déploiement du projet NEOGEND permettra de doter les gendarmes d'outils mobiles d'accès aux systèmes d'information, dans une logique de proximité et de souplesse dans l'emploi des forces, en particulier en milieu rural. Le directeur général de la gendarmerie nationale nous a ainsi fait part du projet de doter l'ensemble des gendarmes de terrain d'une tablette informatique permettant d'automatiser de nombreuses tâches répétitives. A ce plan centré sur la mobilité, s'ajoutera le volet 2016 du plan de modernisation technologique de la gendarmerie qui permettra de développer des dispositifs de pré-plaintes en ligne ou encore d'aide à la décision s'appuyant sur les données de masse (Big Data).

Enfin, je voudrais évoquer le bilan selon moi très positif de l'utilisation de la réserve opérationnelle de la gendarmerie. De toutes les réserves militaires, c'est celle qui fonctionne le mieux. En 2014, environ 23 000 réservistes ont été mobilisés pour 468 452 jours d'activités. Les réservistes ont été intégrés en 2015 dans le dispositif opérationnel de lutte anti-terroriste mis en place par la gendarmerie nationale. Ils ont ainsi renforcé les unités territoriales sous forme de détachements autonomes (détachements de surveillance et d'intervention), participé à la sécurité et à la surveillance des sites sensibles et apporté de manière permanente un soutien au dispositif de renseignement et d'information de la gendarmerie. Ils jouent en effet, grâce à la diversité de leur recrutement, le rôle de « capteurs » auprès de leurs lieux de résidence et des milieux socioprofessionnels auxquels ils appartiennent.

En conclusion, même si la situation budgétaire reste tendue et malgré certains points noirs persistants comme l'immobilier domanial, pour lequel un effort important sera toutefois fait en 2016, les crédits de la gendarmerie nationale sont préservés et même renforcés dans certains domaines. En outre, la posture de la gendarmerie a été dûment adaptée au contexte sécuritaire issu des événements de janvier dernier et la récente crise migratoire a également été réellement prise en compte. Dès lors, nous avons toutes les raisons de donner un avis favorable à ce budget.

M. Daniel Reiner. - S'agissant des crédits de la gendarmerie, il ne faut pas aller jusqu'à la caricature ! Combien d'escadrons de gendarmes ont été supprimés entre 2002 et 2012 ? Cela donnera la mesure de l'effort accompli cette année !

M. Alain Gournac, rapporteur pour avis. - La situation que nous vivons est exceptionnelle. Après les événements du mois de janvier, je n'ai pas eu le sentiment que la menace était suffisamment prise au sérieux, notamment dans le monde rural. On aurait souhaité un effort beaucoup plus important. Les moyens, notamment informatiques, sont très insuffisants !

M. Michel Boutant, rapporteur pour avis. - Pour répondre à Daniel Reiner, ce sont 15 escadrons de gendarmerie qui ont été supprimés entre 2002 et 2012.

M. Jeanny Lorgeoux. - Les crédits hors titre II sont en hausse ; je voterai donc ce budget. Si j'étais dans l'opposition, aurais-je la sagesse de le voter aussi ? Je l'espère !

M. Yves Pozzo di Borgo. - Le rapport de notre collègue Philippe Dominati sur le renseignement a suggéré que les services souffraient sans doute d'un certain manque de coopération et de coordination. Dans le contexte actuel, il conviendrait peut-être de renforcer la fonction renseignement au sein de la gendarmerie pour obtenir davantage de résultats.

Mme Hélène Conway-Mouret. - La gendarmerie prévôtale est-elle toujours aussi active ?

M. Jacques Legendre. - Si le Président de la République a annoncé hier des mesures nouvelles pour la gendarmerie, c'est bien parce que le budget présente en l'état des lacunes par rapport à l'état de la menace aujourd'hui. Si les annonces sont concrétisées avant le vote en séance, nous serons sans doute amenés à prendre une position différente.

M. Jacques Gautier. - Nos rapporteurs ont travaillé sur un projet de budget qui va être modifié. Le Président de la République et le Premier ministre ont annoncé des amendements améliorant les effectifs ; dans ces conditions je préconise que notre groupe s'abstienne. Si les amendements attendus sont présentés, nous pourrons voter en faveur des crédits de la gendarmerie nationale, à laquelle nous sommes tous attachés.

M. André Trillard. - Si ce budget était celui d'une entreprise, un tel rapport entre les frais de personnel et les dépenses d'investissement ne laisserait pas d'inquiéter !

M. Michel Boutant, rapporteur pour avis. - Pour répondre à Mme Conway-Mouret, les gendarmes sont toujours aussi sollicités dans leurs fonctions de prévôts auprès de nos forces armées en opérations extérieures.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Je comprends parfaitement la volonté de faire pression pour que le Gouvernement dépose les amendements qu'il a annoncés. Si in fine le budget de la gendarmerie est celui que le Président de la République a évoqué, nous l'adopterons. Je mets donc aux voix le texte.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Sécurités », les membres du groupe Les Républicains s'abstenant.

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