II. AUDITION DE M. LAURENT COLLET-BILLON, DÉLÉGUÉ GÉNÉRAL POUR L'ARMEMENT

Mercredi 21 octobre 2015, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Jacques Gautier, vice-président, a auditionné M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement, sur le projet de loi de finances pour 2016 (mission « Défense », programme 146 « Équipement des forces »).

M. Jacques Gautier, président. - Monsieur le délégué général, c'est avec grand plaisir que nous vous retrouvons, à l'occasion de notre examen du projet de budget de la défense pour 2016. Je vous prie d'excuser l'absence du président Raffarin, en déplacement à l'étranger. Je vous présente les félicitations de toute la commission pour votre élévation au titre de grand officier de la légion d'honneur.

Le budget 2016, notamment pour ce qui concerne les opérations d'armement, semble en ligne avec la programmation militaire que nous avons actualisée en juillet dernier. La priorité donnée aux dépenses d'équipement se traduit en effet par une dotation de près de 17 milliards d'euros, en augmentation de 300 millions d'euros par rapport à 2015. Des livraisons et des commandes importantes de matériels sont prévues : vous nous direz ce qu'il en est.

Au-delà du projet de loi de finances pour 2016, c'est aussi la fin de gestion 2015 qui nous préoccupe, en particulier pour le programme 146. En effet, dans l'attente du remplacement des ressources exceptionnelles de cessions de fréquences par des crédits budgétaires, auquel devrait procéder le collectif de fin d'année, comment la DGA gère-t-elle les tensions de trésorerie ?

Dans quelle mesure le prélèvement de 56,7 millions d'euros réalisé cet été afin de régler l'annulation de la vente des BPC a-t-il compliqué la situation ?

Quelle est l'organisation mise en place afin que, une fois le remplacement des ressources exceptionnelles (REX) voté, la DGA dépense près de 2 milliards d'euros entre le 31 décembre et le 2 janvier prochains ?

Pouvez-vous également nous faire part de votre vision de l'avenir de l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA), qui affronte actuellement une situation difficile, mise en lumière par la Cour des comptes le mois dernier ?

Monsieur le délégué général, vous avez la parole.

M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement. - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, l'exécution budgétaire 2015 est porteuse d'enjeux. Les besoins de paiement actualisés s'élèvent à 12,7 milliards d'euros pour le programme 146.

La hausse par rapport à l'année dernière résulte pour une bonne part du règlement du différend franco-russe relatif aux BPC.

Les ressources en crédits de paiement s'établissent quant à elles à 11,2 milliards d'euros, répartis en 7,7 milliards d'euros de crédits budgétaires initiaux, 67 millions d'euros de reports de crédits de 2014 sur 2015, 990 millions d'euros de prévisions de ressources extrabudgétaires liées aux fonds de concours, à l'attribution de produits, à des transferts ainsi qu'à des virements entre programmes, l'essentiel de ces ressources extrabudgétaires provenant de ce que DCNS nous a remboursé dans le cadre de l'annulation de la vente des BPC à la Russie, 23 millions d'euros de ressources exceptionnelles sur le CAS Fréquences, et 250 millions d'euros de crédits de paiement 2014 ouverts sur le PIA, prévus dès l'origine pour financer les besoins de 2015.

Nous attendons par ailleurs 2,2 milliards d'euros de crédits budgétaires complémentaires, qui doivent être ouverts en fin d'année en compensation, notamment, de la disparition des REX actée par le vote de la LPM actualisée.

Ces 2,2 milliards d'euros incluent également les 57 millions d'euros correspondant au solde de l'avance faite au titre du programme 146 pour le paiement de la transaction avec la partie russe concernant les BPC.

Nous avons avancé la somme de 950 millions d'euros dans le cadre du règlement des BPC russes, au début du mois d'août Ceci a nécessité la levée de la réserve de précaution de 615 millions d'euros. La réserve du programme 146 est donc aujourd'hui indisponible, notamment pour l'établissement du collectif budgétaire de fin d'année. Je rappelle que, dans les années précédentes, le surcoût des OPEX et autres, qui faisaient l'objet de ce collectif budgétaire de fin d'année, correspondait, peu ou prou, au montant de la réserve du 146.

Sous réserve de la mise en place effective du montant de crédits budgétaires prévu en fin d'année, le report de charges sera de 1,743 milliard d'euros à la fin de l'année. C'est un report de charges en diminution par rapport à celui de 2014. Il est important de le tenir, alors que mécaniquement, à l'issue de la LPM, en 2019, on s'attend à un report de charges de l'ordre de 2,8 milliards d'euros

La trésorerie du 146 connaît des tensions inédites. Aujourd'hui, le montant des encours est supérieur à ce qu'il reste en caisse.

Or, nous devons conserver 200 millions d'euros pour payer les dépenses impératives, afin de ne pas mettre en difficulté les sociétés concernées en fin d'année. Comment atténuer la tension sur la trésorerie ? Nous espérons des rentrées complémentaires à hauteur de 180 millions d'euros, constituée par les intérêts générés par les sommes mises en place auprès de l'Organisation conjointe de coopération en matière d'armement (OCCAr), que nous rapatrierons.

Ces 180 millions d'euros, plus ce qui reste aujourd'hui en caisse, nous permettront de reconstituer un peu notre trésorerie, car nous sommes de fait en cessation de paiement au 20 octobre !

Nous attendons par ailleurs une rentrée potentielle de 148 millions d'euros de la société SOFRANTEM, qui servait de garantie aux exportations de DCN Arsenal de l'État. Ces 148 millions d'euros n'ont plus de vocation dans la mesure où la quasi-totalité des anciens contrats d'exportation de DCN Arsenal de l'État ont été exécutés. Il n'existe donc plus de risque et l'on peut rapatrier cet argent vers le budget central. Bercy ne partage toutefois pas totalement la vision du ministère de la défense, qui estime que ces sommes doivent lui revenir et non retourner au budget général.

Mais surtout, nous attendons les 2,2 milliards d'euros de crédits budgétaires de fin d'année pour reprendre nos actions de liquidation et de paiement. Si ces 2,2 milliards d'euros sont au rendez-vous, le report de charges sera de 1,7 milliard d'euros. En effet, selon la prévision de la DGA, à la veille de la LFR, les créances dues par le P146 atteindront environ 4 milliards d'euros, à peu de chose près. Dans la nuit qui suivra l'arrivée des crédits de la LFR, nous paierons donc la totalité des 2,2 milliards d'euros ou de la somme qui nous sera attribuée.

Le 3 janvier, nous reprendrons les paiements et effectuerons un paiement du même ordre de grandeur, avec la réouverture de la gestion budgétaire. C'est une situation extrêmement tendue et inédite.

Je ne vous cache pas que si les 2,2 milliards de LFR qui doivent arriver en fin d'année ne sont pas en totalité au rendez-vous parce qu'il faut leur imputer les surcoûts OPEX et OPINT et le surcoût de la masse salariale du ministère, l'exécution du budget 2016 se présentera mal en ce qui concerne notamment les commandes nouvelles et peut-être des commandes faisant l'objet de l'actualisation de la LPM, dans la mesure où cette actualisation est elle-même financée de manière tardive, sous la forme de 500 millions d'euros de crédits budgétaires supplémentaires à partir de 2018. Auparavant, on doit dégager des économies sur les autres programmes du ministère, le 146, le 178 et le 212 pour l'essentiel, ainsi que le 144.

Trouver 600 millions d'euros ou 700 millions d'euros, ordre de grandeur du problème de trésorerie concernant les OPEX en fin d'année, va sérieusement compliquer notre tâche en 2016 s'ils sont prélevés sur le 146. Voilà la situation de trésorerie pour la fin de l'année : elle n'est pas excellente.

S'agissant de la maîtrise des performances, les contrats s'exécutent conformément à ce qui est prévu d'une manière générale. Ceci amène à des commandes et des livraisons importantes. Nous avons ainsi notifié la commande du deuxième système de drone MALE Reaper en juillet 2015. Nous avons réceptionné, début mai, le troisième vecteur aérien du premier système Reaper , et les livraisons pour 2015 comprennent deux A400M, six NH 90, des Rafale, une FREMM, des équipements Félin, etc.

Les contrats s'exécutent correctement, conformément à ce qui est prévu, à l'exception notable de l'A400 M.

Vous avez pu noter, dans le cours de l'exécution de l'année 2015, un tir d'essai du missile M51 effectué avec succès il y a quelques semaines. Je considère la situation créée par l'échec du tir précédent comme de l'histoire ancienne. L'industriel a pris conscience des contraintes qu'entraîne la qualité et a mis ses propres dispositifs en ordre.

Nous avons désormais toute confiance dans la direction des activités de missiles mer-sol balistiques stratégiques (MSBS) d' Airbus defence and space .

Des opérations urgentes ont été également lancées pour 83 millions d'euros courant 2015. Il s'agit principalement de matériels relatifs à la préparation opérationnelle et à la communication des hélicoptères Tigre, d'équipements complémentaires pour le Rafale, de jumelles de vision nocturne pour le commandement des opérations spéciales (COS), de capacités d'appui électronique, etc.

Les commandes, en 2015, portent sur le Tigre HAD, le NH90, la réalisation à concrétiser d'ici la fin de l'année des futurs satellites de télécommunication, huit MRTT, le lancement du programme FTI, etc.

Tout cela est totalement sous contrôle.

Un mot de politique industrielle. Le rapprochement entre Safran et Airbus, sous l'entité Airbus Safran Launchers holding , est quasiment achevé. C'est à une étape majeure de la consolidation de nos filières de lanceurs et de missiles européens.

Le rapprochement entre Nexter et Krauss-Maffei Wegmann (KMW) est en phase de finalisation dans des conditions qui nous paraissent satisfaisantes.

Le Rafale va être exporté vers l'Égypte, accompagné d'une FREMM et de deux BPC. Ce pays souhaiterait d'autres navires de taille inférieure. La mise en vigueur du contrat pour la vente de Rafale au Qatar est attendue prochainement. L'hypothèque principale de la LPM, constituée par la nécessité d'exporter 40 Rafale, avec une production minimale de 11 par an, est ainsi levée. Nos échanges pour la vente de nouveaux appareils sont toujours aussi intenses avec l'Inde et les autres pays du Moyen-Orient.

Les activités d'exportation vers l'Australie ne ralentissent pas, bien au contraire, comme par exemple les ventes importantes de sous-marins. Je ne garantis pas que cette année soit une année record, mais elle se présente bien comme supérieure à toutes les précédentes, et je pense que nous continuerons à engranger en 2016 les résultats des actions entreprises courant 2015.

Fin 2015, la DGA comptera environ 9 700 personnes. Nous nous inscrivons ainsi dans la trajectoire élaborée pour rejoindre le modèle de fonctionnement de la DGA à l'horizon 2019. Il est au demeurant inenvisageable d'aller au-delà de cette trajectoire.

Nous sommes en effet en limite de capacité en matière d'expertise technique dans un certain nombre de domaines. Nous disposons d'un nombre réduit d'ingénieurs, de techniciens et d'ouvriers compétents pour conduire nos missions, qui, je le rappelle n'ont pas varié depuis le début de l'actuelle LPM, ni même depuis le début de la précédente. Nous nous sommes organisés pour tenir les orientations fixées par la LPM à travers le modèle 2019 que j'évoquais à l'instant, mais je n'irai pas au-delà.

Pour ce qui est de l'année 2016, les besoins de paiement du programme 146 s'établissent à 9,8 milliards d'euros hors report de charges de l'année 2015. Les crédits prévus pour le PLF s'élèvent à 10,16 milliards d'euros. Ces ressources sont essentiellement des crédits budgétaires, le recours aux REX étant supprimé à la suite des dispositions prises à l'été 2015. Il existe quelques ressources extrabudgétaires à hauteur de 63 millions d'euros - fonds de concours, attribution de produits.

Le niveau de dépenses autorisées est de 9,8 milliards d'euros, soit un montant inférieur aux 10 milliards d'euros de crédits de paiement que j'ai mentionnés.

Le report de charges sur le programme 146 pourrait être abaissé à un peu moins de 1,6 milliard d'euros à la fin de 2016. Tout dépend de ce qu'il sera fin 2015, mais on est toujours dans la perspective d'un report de charge extrêmement important fin 2019, d'un montant de 2,8 milliard d'euros, si tous les crédits budgétaires sont au rendez-vous, compte tenu des efforts à faire en matière de commandes d'équipements, notamment les commandes complémentaires décidées au titre de l'actualisation de la LPM. Il s'agit donc d'un souci permanent.

Concernant le programme 144, les ressources consacrées aux études amont représenteront 707 millions d'euros de paiement. On est toujours là sur les ordres de grandeur de la LPM. Je rappelle que la moyenne prévue est de 730 millions d'euros par an. La dotation pour 2016 est un peu inférieure à cette moyenne, mais cela vient en compensation des dotations des années 2014 et 2015 qui étaient supérieures.

Quelles sont les perspectives concernant les études amont ? Nous comptons préparer un nouveau standard du Tigre, le standard 3. Nous continuerons de préparer les futures générations de la dissuasion - sous-marin lanceur d'engins, missiles balistiques. Un certain nombre de travaux technologiques sont également liés à la frégate FTI, ainsi qu'à une activité intense dans le domaine de la cybersécurité.

Les commandes et les livraisons continueront l'année prochaine, conformément à ce qui est en cours, avec un quatrième B2M, deux BSAH, un système de drone de lutte antimines, et le successeur du FAMAS.

M. Jacques Gautier, président. - La mise en concurrence du FAMAS se termine-t-elle ?

M. Laurent Collet-Billon. - Pas encore. Une sélection sera annoncée prochainement. On engagera une campagne d'évaluation à Bourges, de manière à retenir le meilleur produit. On tirera quelques milliers de cartouches afin de tester le comportement des armes sélectionnées.

Il y aura également des SCCOA 4, des avions de transport C-130, dont le périmètre et les modalités de commande sont à l'étude.

Les armées expriment le besoin de quatre appareils. On sait que l'actualisation de la LPM prévoit un montant de 330 millions d'euros en crédits de paiement pour cet achat. Or, quatre C-130J neufs représentent bien plus que 330 millions d'euros...

Nous avons engagé une action avec les forces aériennes américaines en vue de l'acquisition d'un certain nombre d'appareils, dont au moins deux avec des capacités de ravitaillement en vol. Nous avons également pris des informations auprès d'industriels de l'aéronautique européens qui pourraient acquérir des C-130H ayant encore un potentiel certain et les modifier en vue de les adapter aux besoins du ravitaillement en vol des hélicoptères.

Ces actions doivent converger à la fin de l'année. Le ministre pourra alors trancher ; la commande correspondante sera passée en 2016. Si elle excède 330 millions d'euros, je demanderai au ministre de bien vouloir m'indiquer les arbitrages budgétaires en conséquence, compte tenu des niveaux de report de charges atteints.

Les livraisons des Tigre et des NH90 sont extrêmement importantes. Nous recevrons également six Rafale neufs et trois Rafale marine mis au standard F3, trois A400M, un lot de missiles M51, une FREMM, un système de drone MALE Reaper , ainsi que des missiles Aster 15 et Aster 30, pour l'essentiel.

Les contrats s'exécutent correctement. Le souci essentiel vient pour moi de l'A400M et de son niveau technique.

Quant au C-130, l'aspect de ravitaillement en vol me paraît totalement critique, dans la mesure où cela permet de procurer aux hélicoptères une allonge bien supérieure à celle qu'ils ont sur les théâtres africains. En outre, cela évite aux hélicoptères de devoir se poser au sol et de se ravitailler sur des nourrices prépositionnées, dans un nuage de poussière ! Nous savons tous que le ravitaillement des hélicoptères par l'A400M n'est pas pour demain...

M. Jacques Gautier , président. - S'il est possible un jour !

M. Laurent Collet-Billon - En effet. Ce sujet mérite donc une attention particulière.

M. Xavier Pintat. - Merci pour la clarté de vos propos et leur franchise.

Notre commission est bien consciente de la situation tendue des finances publiques. En ce qui me concerne, je pense qu'il aurait été préférable, pour la bonne exécution du budget et pour que les décisions soient bien suivies d'effets, que la situation financière soit clarifiée le plus tôt possible. Le 31 décembre paraît un peu lointain ; peut-être une loi de finances rectificative aurait-elle été la bienvenue avant.

Vous avez rappelé que le dernier tir d'essai du missile M51 a été un succès. Pourriez-vous faire le point sur l'adaptation de nos sous-marins au M51 ?

Qu'en est-il par ailleurs de la conception du sous-marin nucléaire lanceur d'engins de troisième génération (SNLE 3G) ?

Vous avez évoqué les drones MALE. On sait qu'une commande d'un nouveau système équipé d'une charge utile de renseignements d'origine électromagnétique (ROEM) est en cours. À quelle date nos armées pourront-elles en disposer ?

Enfin, l'étude sur deux ans portant sur la nouvelle génération de drone MALE à l'horizon 2025 prévue en coopération entre l'Allemagne, l'Italie et la France au moins, est-elle réellement lancée ?

M. Daniel Reiner. - Pour construire des équipements de qualité en France, on a besoin d'exporter. On le sait depuis longtemps. Il se trouve que les exportations ont désormais changé de dimension. Passer de 4 milliards d'euros à 8 milliards d'euros, voire à 15 milliards d'euros, change la face des choses à bien des égards.

Si on a besoin de l'export, c'est pour abaisser le coût de nos propres acquisitions. Mais, dès lors que les exportations sont réalisées, comment retrouve-t-on les crédits avancés par l'Etat pour le développement initial ? Je sais que c'est un exercice compliqué, mais cela justifierait cet effort à l'exportation.

En outre, comment lisse-t-on les livraisons d'équipements de telle manière que les exportations ne viennent pas perturber la programmation ? C'est là aussi un exercice compliqué, mais qui relève de la DGA, au titre de la politique industrielle.

Par ailleurs, la situation de l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA) constitue un dossier. On sait à quoi cet établissement a servi et le rôle qu'il a joué. On sait qu'il concentre un grand nombre d'esprits brillants. Mais aucun contrat d'objectifs et de performances (COP) n'est à signer à ce jour !

Profitant de cette absence, on joue avec l'ONERA et on lui verse une subvention juste en-dessous de ce dont il aurait besoin. Il faudrait donc définir une politique claire sur ce que l'on attend de cet organisme public que beaucoup de pays nous envient.

D'ailleurs, nombreux sont ceux qui ont recours aux services de l'ONERA. Ces contrats étant déterminés, il convient que l'on définisse les moyens objectivement nécessaires à l'organisme et qu'on les lui fournisse chaque année, de sorte qu'on ne soit pas obligé de traiter un budget en déséquilibre permanent, qui empêche l'Office de régler des problèmes aussi graves que celui de la soufflerie de Modane. Si celle-ci a une utilité, il faut la maintenir en état !

Je sais que la DGA n'est pas seule responsable de la situation, mais elle peut jouer un rôle pour éclaircir cette situation. L'ONERA en a vraiment besoin !

M. Jeanny Lorgeoux. - Merci de nous avoir répondu par avance sur les études amont. Si j'ai bien compris, si on descend en 2016 à 706 millions d'euros en crédits de paiement, c'est pour avoir plus les autres années.

M. Laurent Collet-Billon. - On a déjà eu plus en 2014 et 2015 !

M. Jeanny Lorgeoux. - Quel est le bilan du Pacte Défense PME en matière de recherche et développement ?

Par ailleurs, nous nous intéressons aux capacités développées au profit du renseignement. Dans le cadre de l'accord finalisé avec l'Allemagne, le périmètre du programme MUSIS s'est élargi à un troisième satellite d'observation. Sera-t-il en très haute résolution ou extrêmement haute résolution ?

Nous observons du reste, entre le bleu 2015 et le bleu 2016, un nouveau décalage du programme, en raison de difficultés liées au développement de l'optique. Est-on assuré de tenir les échéances ?

Mme Michelle Demessine. - Je souhaiterais revenir sur le M51. Après l'échec du tir en 2013, je prends acte que le dernier tir, le 28 septembre, a été couronné de succès. Mais on peut cependant s'interroger : qu'est-ce qui peut expliquer, outre une faiblesse dans la gouvernance, qu'il existe trois versions de cet équipement en dix ans ?

Une nouvelle version est actuellement à l'étude, celle du M51.3. Quel est le montant des crédits attribués aux études correspondantes ?

M. Yves Pozzo di Borgo. - Il semble que l'état-major ne veuille plus acquérir d'équipements qu'on ne puisse maintenir dans la durée en supportant un usage intensif lié à notre niveau d'engagement. Comment la DGA prend-elle en compte cette problématique ?

Des évaluations du coût véritable de maintien en condition opérationnelle (MCO) sont-elles en cours en lien avec les OPEX ? Elles me semblent nécessaires au vu des résultats du MCO des hélicoptères dans la bande sahélo-saharienne, et je pense qu'elles doivent être intégrées dans les modélisations utilisées par la DGA. Partagez-vous ce point de vue ? De quels outils êtes-vous doté dans cette perspective ?

Mme Leila Aïchi. - Monsieur le délégué général, vous avez évoqué les contraintes liées à la qualité. Fléchez-vous particulièrement les sujets de l'écoconception et de la transition énergétique dans le cadre des budgets de recherche et développement ?

M. Alain Gournac. - Monsieur le délégué général, je tenais à vous remercier pour les informations que vous nous avez communiquées. Je suis inquiet au sujet de l'A400M. Peut-être la fonction de ravitaillement en vol ne verra-t-elle jamais le jour. Je m'inquiète par ailleurs des difficultés de parachutage. D'autres difficultés sont apparues ; sont-elles à présent réglées ?

M. Laurent Collet-Billon. - S'agissant de l'adaptation des SNLE 2G, une adaptation du Triomphant est actuellement en cours, qui doit conduire à une modification complète du bateau et à son entrée dans le cycle actif vers le milieu de l'année 2016 avec le missile M51.2.

M. Jacques Gautier , président. - Le dernier sera Le Téméraire , en 2019.

M. Laurent Collet-Billon. - C'est cela. On est sur un certain rythme de travail, le retour à la mer du Triomphant devant avoir lieu début 2016.

L`année 2016 sera assez compliquée en termes d'essais. Nous avons prévu un essai de maquettes « Jonas » au tout début de 2016, de manière à améliorer notre connaissance des phénomènes hydrodynamiques lors de l'éjection du missile du bateau. Il s'agit donc d'une maquette très instrumentée. Le second essai consistera à lancer un missile depuis Le Triomphant de manière à le qualifier et à permettre son retour dans le cycle opérationnel. Tout ceci doit avoir lieu dans le courant du premier semestre 2016. J'ajoute que, s'agissant de la dissuasion, nous avons un tir d'entraînement des forces air-sol moyenne portée amélioré (ASMPA), à partir d'un Rafale catapulté du porte-avions en Méditerranée, avec ravitaillement en vol, etc. C'est une très grosse opération à monter.

Nous avons commandé deux systèmes de drone MALE Reaper , de trois véhicules chacun, au standard Block 1, qui est actuellement limité aux opérations en Afrique. Les deux systèmes suivants seront au standard Block 5. Le troisième système, si on le commande début 2016, arrivera début 2019. C'est un nouveau développement. Il comprendra une nouvelle architecture de commande / contrôle avec séparation de la chaîne de commande du vecteur et de la chaîne de mission (pilotage des capteurs et transmission des données). Le Block 5 permet des facilités en termes d'adaptation d'une charge utile différente, en particulier les charges utiles de ROEM. Il permet également l'adaptation aux conditions de vol en Europe, ainsi que l'entraînement. Nous rétrofiterons les deux systèmes Block 1 en système Block 5.

Pour ce qui concerne la charge utile de ROEM, il existe deux sources potentielles : soit une charge d'origine américaine, soit une charge française. Le développement d'une charge utile en France prendrait au minimum trois ans, probablement quatre. Bien sûr, cela garantirait notre autonomie, mais nous ne pouvons le faire seul, l'intégration à bord du véhicule nécessitant l'intervention de General Atomics. Le choix n'est pas encore arrêté. Nous continuons à envisager les deux voies simultanément. Le ministre sera en mesure de trancher début 2016.

M. Daniel Reiner. - Si on veut faire un MALE européen, il faudra bien qu'on ait un capteur avec des renseignements électromagnétiques.

M. Laurent Collet-Billon. - Je parle pour le moment du Reaper ...

Pour ce qui est du MALE européen, quatre pays ont aujourd'hui décidé de s'associer : l'Allemagne, la France, l'Italie et l'Espagne, qui a fait acte de candidature et devrait recevoir rapidement une réponse favorable..

L'Allemagne réclame le leadership aux plans étatique et industriel. Le partage des coûts de la première phase (étude de définition) s'organise comme suit : 31 % pour l'Allemagne et trois fois 23 % pour les autres pays (60 millions d'euros ont été prévus pour cette phase). L'Espagne admet que son arrivée tardive ne lui permet pas de se voir affecter des lots de travaux significatifs. Airbus GmbH s'arrangera donc avec Airbus Military Sociedad Limitada.

Les travaux de lancement de la phase de définition sont en cours. Nous avons plusieurs types de préoccupations. Les premières concernent le niveau des spécifications demandées. Nous estimons qu'il ne faut pas aller au-delà du raisonnable en matière de capacité de survol du drone car cela conduirait à des coûts exorbitants. Notre position est assez simple : le niveau de sûreté recherché ne doit pas être supérieur à celui de l'aviation civile pour ne pas conduire à des coûts dirimants par rapport aux sources d'approvisionnement dont nous disposons actuellement.

La discussion va également porter sur la répartition des « paquets » industriels pour la phase ultérieure de développement. Autant nous pouvons admettre que le véhicule aérien soit placé sous l'autorité industrielle d'Airbus GmbH, avec une forte contribution de Dassault Aviation sur la certification aéronautique du dispositif, autant nous souhaitons que le choix des industriels responsables des capteurs soit partagé. Nous estimons que notre industrie, avec Thalès ou Sagem, est performante sur ce point et serons particulièrement vigilants sur l'intégration de charges utiles maîtrisées et au meilleur niveau des performances mondiales.

Normalement, si les choses suivent leur cours, le contrat de définition devrait relever de l'OCCAr, qui devrait le notifier au printemps 2016. Les choses courront à partir de là. Il faut attendre environ un an pour obtenir une estimation financière qui repose sur des éléments crédibles. Je rappelle qu'on a prévu deux ans d'études pour établir une définition.

S'agissant des exportations, dans le cas du Rafale, on est à onze appareils par an ; c'est le chiffre contractuel mis en place avec Dassault Aviation. Les capacités industrielles théoriques de la chaîne sont de vingt-deux par an. Concernant la récupération des financements du Rafale, il faut se souvenir que Dassault Aviation a financé 25 % du développement de l'avion.

La récupération de ce qui est investi en développement dans les matériels exportés fait en principe l'objet de redevances, d'un montant modeste compris entre 2 % et 4 %. Cependant, les industriels demandent généralement l'exonération de ces redevances afin d'améliorer l'aspect commercial de leurs propositions ; ils obtiennent assez souvent gain de cause.

Nous avons d'autres dispositifs qui permettent de soutenir les exportations, comme le préfinancement du développement d'équipements qui peuvent connaître un certain succès à l'exportation, celui-ci conduisant l'industriel à nous rembourser.

Compte tenu de la faiblesse des séries françaises et des cadences extrêmement faibles de nos fabrications, les exportations constituent un complément utile pour l'industriel et pour les PME qui le fournissent. Les exportations permettent aujourd'hui à l'industrie de stimuler les fournisseurs d'équipements ; dans le cas spécifique du Rafale, Dassault pourra passer à trois par mois sans difficulté. Nous produisons par ailleurs à Lorient des FREMM sur un rythme très faible ; nous pouvons largement doubler le rythme de production actuel. Quant au rythme de production des SNLE et des SNA, il est calé sur l'obligation de toujours disposer d'un bateau en chantier à Cherbourg jusqu'en 2030 environ.

Le lissage de la production s'effectue quasiment sans douleur. S'agissant du Rafale, les armées disposeront des vingt-six appareils prévus par la LPM bien avant la fin de celle-ci. Ceci a amené certains ajustements dans les flux de paiement.

Pour ce qui est des VBMR Griffon, on en aura environ quatre-vingt-dix avant la fin de 2019, pas un de plus. À Roanne, la baisse de charge est très significative dans l'attente des premières livraisons de Griffon, car l'activité actuelle n'est pas une activité de production de VBCI, mais de modifications de ceux-ci pour les passer à une surprotection de 32 tonnes. Ce doit être le cas d'un peu plus de quatre-vingt-dix d'entre eux d'ici 2016 ou début 2017.

L'ONERA ne dispose pas de COP, mais nous exigeons de l'Office qu'il produise une vision stratégique avant qu'on ne lui établisse un COP. Nous ne l'avons toujours pas. Nous sommes parfaitement conscients des charges extraordinaires qui pèsent sur l'ONERA, qui portent à la fois sur la soufflerie de Modane avec des problèmes d'affaissement de terrain, et sur la relocalisation en région parisienne, du fait des problèmes liés à l'immeuble de grande hauteur à Châtillon.

Tout ceci doit être traité, mais nous voulons le faire dans le cadre d'un plan. Or c'est à l'ONERA de l'établir. Un plan stratégique doit comporter plusieurs volets, à commencer par les subventions étatiques. La DGA et, plus généralement, le ministère de la défense n'ont jamais été défaillants en matière de versement de subventions à l'ONERA, contrairement à d'autres ministères.

Nous rappelons également à l'ONERA que s'il est indispensable que l'Office obtienne des contrats de l'État, il doit également en obtenir des industriels. On a engagé une action pour faire le point sur tout cela. Nous devons activer le dispositif, mais nous ne ferons pas tout à la place de l'ONERA.

Nous avons indiqué à l'Office que son association aux grandes écoles d'ingénieurs, en particulier celles qui sont placées sous la tutelle de la défense, constituait une piste, afin que l'ONERA s'érige, par exemple, en centre de recherche associé de l'Institut supérieur d'aéronautique et de l'espace (ISAE) à Toulouse. Tout cela est à mettre en place.

S'agissant du plan Pacte Défense PME, nous sommes en phase d'évaluation. On a un retour excellent concernant nos actions en faveur des PME. Deux cents PME ont ainsi participé à l'assemblée générale du club RAPID autour des exportations, de la structuration des offres, etc. A cette occasion, on a fait venir dix-sept grands groupes. Tout cela a donné lieu à 1 200 rendez-vous dont un nombre important aura des suites.

En effet, à la DGA nous associons la technologie et la technique de manière totalement transversale. C'est ce qui intéresse les clients des grands groupes et les PME. Par exemple, une PME qui fabrique des casques et des matériels audio pour les pilotes a été mise en contact avec un grand lunetier français, qui veut réaliser des « Google glass » à la française.

Pour ce qui est de MUSIS, les trois satellites seront identiques. Notre souci est de continuer à maîtriser le calendrier.

Le M51.1 réutilise les têtes nucléaires du M45 ; ce que l'on a modifié, c'est la partie haute - têtes nucléaires, aide à la pénétration. Le M51.2 emporte des têtes nucléaires dites « océaniques », qui autorisent la grande portée, ce qui n'était pas le cas des têtes du M45. La troisième génération, qui doit voir le jour à l'horizon 2025, vise à maintenir les capacités de notre composante océanique face aux défenses antimissiles les plus sévères ; ceci nous amène à également revoir la partie haute. Ce faisant cela génère une charge de travail supplémentaire pour les industriels de la propulsion. Notre souci est de les alimenter en permanence. On a donc prévu de rénover un étage du M51 tous les dix ans. On est là sur des flux extrêmement tendus en termes de production sur mesure.

Monsieur Pozzo di Borgo, confiez-moi le MCO aéronautique et je vous répondrai ! Je ne suis pas en charge du MCO aéronautique...

M. Yves Pozzo di Borgo. - Ce n'est pas la question !

M. Laurent Collet-Billon. - Si, en grande partie !

On suit évidemment attentivement ce qui se passe sur les théâtres extérieurs en termes de disponibilité des matériels et d'événements techniques, de manière à pouvoir anticiper la détermination des mesures correctives chez les constructeurs. Je ne peux vous dire la qualité du dispositif déployé ; elle est certainement excellente, car nous avons toute confiance dans la qualité des personnels des armées. Dans tous les cas de figure, nous avons une phase d'utilisation, qui fait l'objet d'un document de lancement établi entre l'état-major des armées, la DGA et l'armée utilisatrice, qui doit nous permettre de figer le coût d'utilisation des matériels en fonction d'un scénario d'emploi. La partie difficile est évidemment la détermination du scénario d'emploi, qui n'est jamais celui qu'on a prévu. Cela permet néanmoins de disposer d'une banque de données et d'avoir ainsi une idée des coûts complets des programmes à terme. Cette action concerne tous les programmes actuellement en cours.

Nous avons beaucoup d'activités d'écoconception. En matière d'opérations d'armement et d'études amont, nous intégrons systématiquement l'environnement dans nos développements ; 44 % des opérations d'armement suivent cette démarche. Je ne puis vous dire quand nous serons à 100 % : ce sera fonction de l'état d'avancement des développements et des nouveaux lancements. Je pense cependant que nous sommes sur la bonne voie ; nous nous plions bien évidemment à toutes les règles environnementales - REACH, etc. - qui existent dans le corpus réglementaire, voire législatif.

Nous adoptons le même type de démarche pour nos propres établissements - gestion rigoureuse des installations classées, plans de prévention des risques technologiques dans les établissements à caractère dangereux, en particulier ceux abritant des missiles. Nous avons également mis en oeuvre des méthodes de déconstruction verte des propulseurs de missiles, à l'aide de bactéries qui nous débarrassent du Propergol, au lieu de tirer le propulseur dans l'atmosphère. On insiste aussi sur la certification ISO 14001 et le maintien de celle-ci pour tous nos établissements. On a mis également en oeuvre, avec le SID, un plan de performance énergétique.

Nous conduisons des opérations de dépollution longues et pénibles, comme à Angoulême. Nous devons encore traiter de la problématique des ballastières de Toulouse ; le site de Sorgues fait par ailleurs l'objet d'une attention particulière. Il s'agit, pour la plupart, des sites historiques des poudres. Bien évidemment, ce sont des sujets très lourds, dont le traitement s'inscrit dans la durée.

Enfin, s'agissant de l'A400M, le ministre a exigé d'Airbus, en juillet, de disposer fin 2016 de six avions au standard 1.5, premier standard militaire, contrairement au standard actuel, qui est avant tout un standard d'appareils de transport logistique. Nous voulons pouvoir effectuer en toute sécurité le largage de charges lourdes par la rampe arrière et des parachutages par les deux portes latérales. Il faut aussi que l'avion dispose d'un système d'autoprotection contre les missiles à très courte portée à cette même date.

La fonction du ravitaillement des hélicoptères est reportée à plus tard. Nous voulons d'abord que ces points essentiels pour l'utilisation de l'A400M sur le terrain soient traités.

M. Jacques Gautier, président . - Merci, Monsieur le Délégué général, pour l'ensemble de ces informations.

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