C. DES PARTENAIRES ESSENTIELS

1. Les investissements des chaînes de télévision : des engagements à élargir

La part de la télévision dans le financement de la production cinématographique, assise sur un pourcentage de leur chiffre d'affaires, oscille, au-delà des variations constatées d'une année sur l'autre, autour du cinquième pour la télévision payante et de 13 % pour la télévision gratuite . Elle couvre ainsi de l'ordre du tiers des coûts, avec un léger renforcement à partir de 2011 du fait de l'intervention des chaînes de la TNT dans le dispositif, sans réel retour sur investissement en matière patrimoniale, comme l'ont régulièrement souligné les travaux parlementaires, et notamment celui de l'ancien sénateur Jean-Pierre Plancade 5 ( * ) , sur ce sujet.

En 2014, les investissements des chaînes de télévision sont restés stables à 291,4 millions d'euros . Ce maintien résulte d'un double phénomène contraire : les investissements des chaînes à péage reculent de 6,3 % à 178,1 millions d'euros, tandis que la participation des chaînes historiques en clair est en hausse de 11,5 % pour atteindre 113,2 millions d'euros.

Le nombre de films d'initiative française financés par les chaînes de télévision généralistes s'élève à 93 en 2014, soit cinq films de plus qu'en 2013, avec de grandes disparités selon les chaînes . Le nombre de films sans financement de chaîne de télévision - c'est le cas de 37,9 % des films d'initiative française, dont de la quasi-totalité de ceux qui affichent un devis inférieur à 4 millions d'euros - est parallèlement en hausse avec 115 films agréés (six films supplémentaires).

Les investissements reculent de 25,9 % et atteignent 27,7 millions d'euros pour TF1 avec un nombre de films en légère baisse : treize films (contre quatorze en 2013 et dix-sept en 2012), tandis qu'ils augmentent de 20,3 % pour France Télévisions pour s'établir à 50,5 millions d'euros répartis sur soixante films (quarante-huit en 2013). France 3 affiche une hausse de ses investissements de 24,3 % avec 23,6 millions d'euros pour un nombre de films en hausse (trente-trois films) et France 2 augmente ses investissements de 16,9 % avec vingt-sept films produits pour 26,8 millions d'euros.

Les investissements d'Arte diminuent : ils passent de 7,7 millions d'euros en 2013 (vingt-cinq films) à 6,6 millions d'euros en 2014 (quinze films seulement). A contrario , M6, avec 23,1 millions d'euros et onze films, atteint le plus haut niveau de la décennie pour ses investissements dans la production cinématographique avec plus qu'un doublement (+120,2 %) par rapport à l'année précédente.

Par ailleurs, 103 films agréés en 2014 ont fait l'objet d'un préachat (dont 92 films d'initiative française) de Canal+ pour un montant global de 135,9 millions d'euros en recul de 15,3 %, soit le niveau le plus bas de la décennie. Des craintes ont pu se faire jour récemment s'agissant du maintien de l'engagement de la chaîne cryptée en faveur du cinéma. Selon l'audition de son nouveau directeur du cinéma par votre rapporteur, il n'en serait rien. Du reste, le bilan d'étape des acquisitions de Canal+ au 30 septembre 2015 apparaît plus que rassurant puisqu'à cette date, la totalité du budget destiné au préachat de films français est intégralement consommé et affiche même un surinvestissement de 0,8 million d'euros, pour un total de 154,5 millions d'euros. Une dotation d'1,5 million d'euros a, en outre, été accordée à la Cinémathèque française par la nouvelle direction du groupe.

Les chaînes de la TNT, très consommatrices de films, ne contribuent pourtant que modestement au financement des films , même si elles ont augmenté leurs investissements en 2014. Ainsi, les nouvelles chaînes de la TNT gratuite apportent 5,3 millions d'euros (3,9 millions d'euros en 2013) répartis sur vingt-huit films, soit 1,8 % de l'ensemble des investissements des chaînes de télévision.

Néanmoins, les recettes publicitaires des chaînes de télévision gratuites s'érodent (-11 % entre 2007 et 2014) compte tenu du fractionnement des audiences consécutif au développement des chaînes de la TNT et des nouveaux usages délinéarisés (télévision de rattrapage, vidéo à la demande à l'acte et par abonnement, télévision connectée à Internet, etc.), comme de la baisse de la durée d'écoute de la télévision surtout chez les plus jeunes générations.

L'érosion des recettes publicitaires des chaînes gratuites pourrait, à moyen terme, fragiliser les investissements de celles-ci dans la production cinématographique.

Pour René Bonnell, dans son rapport précité relatif au financement de la production et de la distribution cinématographiques à l'heure du numérique, « de telles prévisions sur le chiffre d'affaires des chaînes de télévision ne peuvent que contracter les obligations d'investissement à réglementation constante » . Dans un scénario pessimiste, leur apport chuterait de 18 % entre 2012 et 2017, correspondant à une diminution de 30 millions d'euros pour les chaînes généralistes et de 33 millions d'euros pour Canal+. Avec une évolution plus optimiste, la contraction atteindrait malgré tout 4 %. L'auteur estime dès lors qu' « il paraît difficilement concevable d'alourdir les obligations des diffuseurs compte tenu des problèmes qu'ils vont devoir affronter. Deux types d'initiatives demeurent possibles : trouver d'autres ressources en provenance du marché réglementé ou intégrer dans le périmètre des obligations les opérateurs OTP de vidéo. »

2. Les fonds régionaux : un désengagement à éviter

Les fonds régionaux d'aide à la production en région n'ont cessé de se développer depuis une dizaine d'années et représentent aujourd'hui un élément incontournable du financement du cinéma et de l'audiovisuel en France.

En 2014, les collectivités territoriales ont engagé 64,7 millions d'euros en faveur de la production cinématographique et audiovisuelle (16 millions d'euros pour la seule Ile-de-France), dont 49,4 millions d'euros en budget propre et 15,3 millions d'euros en provenance du CNC dans le cadre des conventions de coopération cinématographique et audiovisuelle, soit un montant stable par rapport à celui investi en 2013.

Les aides régionales ont représenté 2 % du financement des films soutenus par les collectivités territoriales de long métrage d'initiative française agréés en 2014 . La proportion de ces aides est plus élevée pour les devis inférieurs à 4 millions d'euros, ainsi que pour les premiers et deuxièmes films. Elle est encore supérieure pour les courts métrages et les documentaires , en raison de la faiblesse relative des apports des producteurs et des diffuseurs.

Le fonctionnement des fonds régionaux a considérablement évolué au cours des dernières années grâce aux efforts de professionnalisation, de transparence et de communication . Les collectivités territoriales financent désormais presque intégralement les bureaux d'accueil des tournages (également appelés « commissions du film »), qui offrent aux professionnels du cinéma et de l'audiovisuel une assistance gratuite portant sur différents types de services : pré-repérages et renseignements sur les sites de tournage, recherche de techniciens, de comédiens et de figurants, aide aux autorisations de tournage, logistique, mise à disposition de bureaux de production, relations avec la presse et les autorités locales.

On compte à ce jour quarante bureaux d'accueil en métropole et Outre-mer fédérés par la Commission nationale du film France (CNFF), association subventionnée par le CNC, pour développer les tournages en région et promouvoir les tournages et la post-production en France .

Les conventions de coopération cinématographique et audiovisuelle

La politique conventionnelle du CNC, initiée en 1989, vise à faire du secteur cinéma et audiovisuel un véritable pôle de développement culturel et économique local, à travers la coopération entre les collectivités territoriales et l'État. Elle touche à l'ensemble des domaines du secteur de la création en passant par l'éducation à l'image et la diffusion culturelle du patrimoine cinématographique.

Le CNC finance les fonds d'aides à la production mis en place par les collectivités territoriales afin d' augmenter les apports mobilisés principalement par les régions en faveur de la production cinématographique et audiovisuelle et par conséquent, d'accompagner leur engagement dans ce secteur. Il poursuit à ce titre un triple objectif :


préserver et accroître la diversité des oeuvres produites , en diversifiant leurs sources de financement : à cet égard, l'engagement d'un nombre croissant de régions constitue une garantie pour la pluralité des expressions artistiques et culturelles ;


améliorer les conditions de financement du secteur cinématographique et audiovisuel, en amenant les collectivités territoriales à contribuer au soutien à la production des oeuvres ;


• amener les collectivités territoriales à devenir des partenaires durables du secteur cinématographique et audiovisuel, notamment des professionnels implantés sur leur territoire, et accompagner la relocalisation des tournages sur notre territoire.

Ce dispositif national, fondé sur le principe de l'effet de levier selon la règle « 1 euro du CNC pour 2 euros de la région », se veut incitatif et cherche à inscrire l'intervention des régions dans la durée. Depuis 2004, les conventions sont triennales et tripartites entre le CNC, les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) et les régions. Des avenants financiers annuels précisent les engagements financiers de chacune des parties.

L'année 2014 a vu le lancement de la quatrième génération de conventions pluriannuelles qui comprend quatre parties :


• la première partie est consacrée à l'écriture, au développement, à la production cinématographique et audiovisuelle, ainsi qu'à l'accueil de tournages : elle bénéficie de crédits de la collectivité territoriale concernée et d'un abondement du CNC ;


• la deuxième partie concerne la diffusion culturelle, l'éducation artistique et le développement des publics : elle est financée par la collectivité territoriale, par les DRAC et, pour certains festivals d'intérêt national ou international, par des crédits du CNC ;


• la troisième partie est dédiée à l'exploitation cinématographique : elle vise à permettre aux signataires de mener une politique coordonnée dans le soutien aux salles de cinéma ;


• enfin, la quatrième partie concerne le patrimoine cinématographique principalement financé par les régions, voire les départements, et par le CNC. Elle concerne la numérisation des oeuvres et la valorisation du patrimoine cinématographique, notamment le soutien aux cinémathèques régionales.

Les conventions de coopération cinématographique et audiovisuelle couvrent désormais quarante collectivités territoriales : vingt-cinq régions (soit l'intégralité des régions de métropole et 3 d'Outre-mer), treize départements, l'eurométropole de Strasbourg et la ville de Paris.

En 2014, le montant des engagements inscrits dans les conventions s'élève à 112 millions d'euros tous partenaires confondus , contre 45,6 millions d'euros en 2004 (+146 %).

Source : CNC

Au titre du projet de loi de finances pour 2016 (sous-action 2 « Soutien dans le domaine du cinéma » de l'action 2 « Industries culturelles » du programme 334 « Livre et industries culturelles » de la mission « Médias, livre et industries culturelles »), 2,6 millions d'euros de crédits déconcentrés seront versés aux directions régionales des affaires culturelles (DRAC) en faveur du soutien aux manifestations (festivals et associations régionales de salles de proximité et d'Art et Essai) favorisant la découverte d'oeuvres cinématographiques peu diffusées et/ou produites localement.

La diminution des dotations de l'État aux collectivités territoriales pourrait toutefois avoir de graves répercussions sur le financement de la création cinématographique dans les années à venir. Il conviendra donc de veiller à ce que les partenariats avec le CNC demeurent suffisamment attractifs. En outre, la réforme territoriale, avec la création de treize grandes régions, ne devra pas conduire à une remise en cause de cette politique de soutien.

3. Les SOFICA : une mobilisation à favoriser

Créé en 1985, le dispositif des Sociétés de financement de l'industrie cinématographique et de l'audiovisuel (SOFICA) représente un instrument essentiel au financement de la création cinématographique et audiovisuelle indépendante. Elles collectent des fonds de particuliers ouvrant droit à réduction d'impôt sur le revenu 6 ( * ) - 1,47 milliard d'euros depuis leur création - pour financer de la production cinématographique ou audiovisuelle (à 80 % dans des films d'initiative française), contre des droits à recettes des oeuvres cofinancées .

Signe de qualité et d'exigence, de nombreux films ainsi financés sont régulièrement sélectionnés au Festival de Cannes : Des hommes et des dieux, Polisse, De rouille et d'os ou Entre les murs en font partie. En 2015 la Palme d'Or Dheepan de Jacques Audiard avait obtenu le soutien de huit SOFICA dans le cadre de son plan de financement. Chaque année, une dizaine de SOFICA est agréée par le ministère de l'économie et autorisée à intervenir au stade du développement comme de la production d'un projet. Pour faire face à la sous-capitalisation des sociétés de production, les SOFICA ont d'ailleurs été incitées à investir davantage dans le développement au moyen d'un avantage fiscal majoré de 40 à 48 % par rapport à la production.

En trente ans, 1 850 longs métrages ont bénéficié de leur soutien pour un total de 828 millions d'euros, une part minoritaire (environ 15 % de leurs investissements) étant destinés à la production audiovisuelle.

Au sein des 258 films agréés en 2014, les SOFICA sont intervenues sur 103 films , soit quatre de plus qu'en 2013. L'investissement global s'établit à 33,9 millions d'euros , contre 32,9 millions d'euros en 2013, soit un investissement moyen par film de 330 000 euros , qui couvre en moyenne 7,3 % du devis. Il s'agit majoritairement de projets dont le devis est supérieur à la moyenne nationale, mais également de films indépendants, comme le prévoit la charte instaurée en 2005 par le CNC.

Participation des SOFICA au financement des films agréés

films

dont FIF

apports (M€)

apport moyen par film (M€)

% des devis des films concernés

% des devis des films agréés

2005

78

70

31,63

0,41

6,9

2,5

2006

78

72

32,78

0,42

6,7

2,9

2007

88

81

40,59

0,46

7,2

3,4

2008

97

86

38,34

0,40

4,8

2,6

2009

98

91

36,21

0,37

5,6

3,3

2010

108

100

50,03

0,46

7,9

3,5

2011

104

93

36,43

0,35

6,6

2,6

2012

118

102

44,66

0,38

7,1

3,3

2013

99

91

32,89

0,33

7,4

2,6

2014

103

89

33,99

0,33

7,3

3,4

Source : CNC

Instruments utiles dans un contexte de stagnation, voire de diminution structurelle, des sources de financement de la création cinématographique, les SOFICA restent toutefois insuffisamment mobilisés . Leur coût, stable, est estimé à 21 millions d'euros en 2016 , pour 6 400 ménages environ.

René Bonnell rappelait ainsi dans son rapport précité que « leur retour sur investissement n'est pas fameux lorsqu'il existe et leur sous-amortissement fréquent. La réglementation a peu à peu durci les critères d'agrément en privilégiant de degré de risque encouru et le niveau de soutien apporté à la production indépendante. Par ailleurs, le plafonnement des avantages fiscaux a eu pour effet de réduire la collecte via les banques et les sociétés de gestion de patrimoine. »

Jean-Frédérick Lepers et Jean-Noël Portugal, dans leur rapport publié en 2013 sur L'avenir des industries techniques et de l'audiovisuel en France , appelaient à en renforcer l'efficience , au regard des dispositifs de mobilisation de fonds privés existants à l'étranger, notamment en améliorant l'implication des investisseurs dans les projets financés. Ils estimaient ainsi que « le système gagnerait à ouvrir sa fenêtre de collecte tout au long de l'année et à défricher de nouveaux modèles. Combiner incitation fiscale et attrait pour le cinéma (invitations, informations exclusives, visites de tournages, événements privés sur le web, festivals, etc.) est un levier puissant et déjà exploité, mais il est possible d'aller plus loin. De nouvelles relations entre producteurs, auteurs et public peuvent être explorées. Sans déroger au cahier des charges des Sofica, il y a place pour des modèles hybrides combinant collecte de fonds, ingénierie de production et fonction de plateforme permettant aux investisseurs d'interagir entre eux et avec les porteurs de projets. ».

Pour sa part, René Bonnell proposait, d'un point de vue plus fiscal, d'orienter les investissements des SOFICA vers le financement de films à budget modeste , en contrepartie d'un avantage fiscal majoré, et la prise en participation dans des sociétés financières investissant dans la production , ce qui supposerait une modification législative.

À l'occasion des trente ans du dispositif, une table ronde intitulée « Investir dans le cinéma indépendant, l'ambitieux pari des SOFICA » , a été organisée le 8 avril dernier par le CNC. De nombreux producteurs du cinéma indépendant y ont témoigné du rôle majeur des SOFICA pour la mise en production de leurs projets et de l'avantage du dispositif en termes de trésorerie. Y ont été annoncés des aménagements destinés à maintenir la rentabilité du dispositif et en assurer ainsi la pérennité auprès des souscripteurs . Votre rapporteur pour avis, convaincu de l'efficacité du système, appelle de ses voeux leur mise en oeuvre prochaine.


* 5 « Production audiovisuelle : pour une politique industrielle au service de l'exception culturelle » - Rapport d'information n° 616 (2012-2013).

* 6 Prévue à l'article 199 unvicies du code général des impôts (CGI).

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