L'ENSEIGNEMENT AGRICOLE

SECONDE PARTIE - L'ENSEIGNEMENT AGRICOLE

I. UN BUDGET EN STAGNATION, REFLET D'UNE POLITIQUE SANS AMBITION

A. UNE FAIBLE AUGMENTATION DES CRÉDITS QUI ENTRAÎNE UNE FRAGILISATION DE LA SITUATION DES ÉTABLISSEMENTS

1. L'exécution de la loi de finances initiale pour 2015

Afin de s'assurer d'une exécution conforme au budget voté par le Parlement, votre rapporteur pour avis s'est penché, comme chaque année, sur la mise à disposition des crédits de l'enseignement agricole de l'année précédente.

Au 1 er septembre 2015, le responsable de programme disposait sur les crédits de paiement hors dépenses de personnel de 458,6 millions d'euros, soit 95,8 % des crédits votés en loi de finances initiale.

Les crédits votés pour 2015 ont été soumis à l'application d'une réserve de précaution, dont le montant s'élève à 36 millions d'euros (7,5 % des crédits du programme, contre 6,6 % l'année précédente). Si des reports de crédits ont été autorisés sur l'exercice 2015 à hauteur de 0,7 million d'euros d'autorisations d'engagements 63 ( * ) , le décret n° 2015-639 du 9 juin 2015 a annulé 3 millions d'euros d'autorisations d'engagements (AE) et de crédits de paiement (CP).

Un mouvement de fongibilité asymétrique a également permis de libérer 19,2 millions d'euros de crédits supplémentaires, afin de permettre, conformément aux dispositions du code rural, le versement de la subvention « article 44 » 64 ( * ) aux établissements privés.

Sans levée de la réserve de précaution et hors abondement du programme en loi de finances rectificative, le ministère de l'agriculture, de l'alimentation et de la forêt prévoit un montant de reports de charges prévisibles fin 2015 de 38,7 millions d'euros, soit 4,2 millions de plus qu'en 2014.

La répartition des principales composantes de ces reports de charge serait la suivante :

- enseignement privé du temps plein : 10,1 millions d'euros en AE et en CP ;

- enseignement privé du rythme approprié : 17,3 millions d'euros en AE et en CP ;

- bourses sur critères sociaux : 9,1 millions d'euros en AE et en CP ;

- subventions aux fédérations représentant les établissements privés et aux organismes de formation : 0,3 million d'euros en AE et en CP.

La levée de la réserve de précaution que demandera, comme chaque année, le ministère de l'agriculture, de l'alimentation et de la forêt, permettrait de limiter ce report de charges à 2 millions d'euros en AE en CP.

Votre rapporteur pour avis ne peut que rappeler la nécessité d'une levée en temps opportun de la réserve de précaution. Les reports de charges pénaliseraient aussi bien l'offre de formation et la scolarisation des élèves dans l'enseignement privé que la politique d'accompagnement social des familles les plus en difficulté.

Comme les années précédentes, votre rapporteur pour avis se montrera particulièrement vigilant sur l'exécution du budget au cours de l'année 2016 et sur le suivi du montant des reports de charge.

2. L'évolution des crédits pour 2016
a) Une augmentation infime des crédits...

Dans sa version initiale, le PLF 2016 prévoit une hausse de 9,46 millions d'euros des crédits, soit une augmentation de 0,69 % par rapport aux crédits ouverts en 2015. Les crédits consacrés à l'enseignement technique agricole s'élèvent ainsi à 1 386,78 millions d'euros.

Évolution des crédits de l'enseignement agricole LFI 2015 -PLF 2016

(en millions d'euros)

Crédits de paiement

Ouverts en LFI 2015

Demandés en PLF 2016

Évolution en montant

Taux d'évolution

Titre 2 (dépenses de personnel)

898,16

908,05

9,89

+1,10 %

Hors titre 2

479,16

478,72

- 0,44

- 0,12%

Total

1 377,32

1 386,78

9,46

+0,7 %

Source : Ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, PAP 2016

Les crédits du programme 143 augmentent deux fois moins que ceux des autres programmes de la mission « Enseignement scolaire » (+1,1 %), mettant fin à l'égalité de traitement qui avait prévalu les années précédentes.

Le projet de loi de finances (PLF) pour 2016 met fin à cinq années d'augmentation significative des crédits de l'enseignement technique agricole .

Évolution des crédits de paiement du programme 143 depuis 2010

LFI 2010

LFI 2011

LFI 2012

LFI 2013

LFI 2014

LFI 2015

PLF 2016

Montant (M€)

1 259,12

1 290,98

1 303,09

1 324,59

1 342,73

1 377,32

1 386,78

Évolution (%)

N/A

+2,5 %

+0,9 %

+1,6 %

+1,3 %

+2,6 %

+0,7 %

Source : Commission de la culture, de l'éducation et de la communication

Le PLF 2016 étant bâti sur l'hypothèse d'un taux d'inflation de 1,0 %, l'enseignement technique agricole connaîtra dès lors une baisse réelle de son budget en 2016 .

b) ...qui concerne essentiellement les dépenses de personnel de l'enseignement public

En outre, cette hausse est intégralement imputable à l'augmentation des dépenses de personnel (+1,1 %) , liée à la création de 140 postes supplémentaires d'enseignants, tandis que les crédits hors dépenses de personnel stagnent (- 0,09 %) .

Au sein de l'action n°1 (enseignement public), il convient de remarquer l' augmentation significative des crédits de personnel, en hausse de 14,3 millions d'euros (+2,16 %) et de ceux liés aux visites médicales des élèves en stage , qui augmentent de 0,6 million d'euros (+86,4 %), conséquence des nouvelles réglementations en matière de travaux dangereux.

Les autres composantes de l'action voient leurs crédits stagner ou diminuer.

Évolution des crédits de paiement hors titre 2 de l'action n°1

PLF 2015
(M€)

LFI 2015
(M€)

PLF 2016
(M€)

PLF 2016/
PLF 2015 (M€)

PLF 2016/
LFI 2015(M€)

PLF 2016/ LFI 2015 (%)

Total action n°1 : « Mise en oeuvre des enseignements dans les établissements publics »

39,47

38,21

38,04

- 1,43

- 0,17

- 0,4 %

dont pensions des CFA-CFPPA

3,18

3,11

2,61

- 0,57

- 0,5

- 16 %

dont assistants d'éducation

28,82

28,11

28,11

- 0,71

0

0

dont emplois d'avenir professeur

0,47

0,34

0,2

- 0,27

- 0,14

- 41 %

dont actions ponctuelles à caractère pédagogique

1,99

1,77

1,60

- 0,39

- 0,17

- 9,6 %

Source : Ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt

c) La fragilisation de la situation financière des établissements

Comme l'année dernière, votre rapporteur s'inquiète de la fragilisation de la situation financière des établissements , liée notamment à la baisse des crédits couvrant les charges de pensions pour les emplois gagés des centres de formation d'apprentis (CFA) et des centres de formation professionnelle et de promotion agricoles (CFPPA) ainsi qu'au financement insuffisant des assistants d'éducation employés au sein de ces établissements .

En prévoyant une dotation aux établissements de 28,1 millions d'euros pour 1 247 assistants d'éducation , le PLF 2016 marque une baisse des crédits prévus de 700 000 euros par rapport au PLF 2015. Cette somme correspondrait toutefois aux crédits effectivement ouverts en 2015.

Suite à son entretien mené avec la direction générale de l'enseignement et de la recherche (DGER), il apparaît que les 82 postes d'assistants d'éducation supplémentaires prévus par le PLF 2015 - portant le nombre de postes d'assistants d'éducation financés à 1 247 - constituent des postes fictifs , l'augmentation des crédits induits par leur création visant à combler l'écart de financement qui existe entre le ministère de l'éducation nationale et l'enseignement agricole.

En effet, chacun des 1 165 postes d'assistant d'éducation est budgété à hauteur de 24 130 euros, soit 2 460 euros de moins qu'au ministère de l'éducation nationale . Cela revient à mettre à la charge des établissements cet écart ou à rémunérer les assistants d'éducation de l'enseignement agricole sensiblement moins que leurs homologues de l'éducation nationale pour un travail identique.

Votre rapporteur pour avis estime louable l'effort de rattrapage engagé par le ministère mais regrette que le PLF 2016 entérine le gel de 0,7 million d'euros survenu au cours de l'exercice 2015. Toutefois, le maintien dans les documents budgétaires de 82 postes fictifs , quand bien même ces derniers ne serviraient qu'au calcul de dotations versées aux établissements, constitue une insincérité budgétaire patente et inopportune .

Alors que le PLF 2016 prévoit la création de 42 postes dans l'enseignement privé, les crédits de personnel diminuent de 4,46 millions d'euros par rapport à 2015. Votre rapporteur pour avis s'interroge sur cette diminution , que les services du ministère expliquent par :

- l'intégration du lycée du Grand-Blottereau de Nantes dans l'enseignement agricole public. Ce transfert, réalisé en gestion en 2014, fait l'objet d'une régularisation en 2016 pour un montant d'environ 0,9 million d'euros ;

- une dotation prévue en 2014 et 2015 supérieure aux besoins et révisée à 224,2 millions d'euros pour l'exercice 2015.

En revanche, votre rapporteur pour avis tient également à souligner les efforts accomplis en matière d'accompagnement des élèves handicapés . La dotation pour 2016 de compensation du handicap s'élève à 5,49 millions d'euros, en progression de 0,6 million d'euros (+16 %). Cette dotation est consacrée pour l'essentiel au recrutement d'auxiliaires de vie scolaire (AVS).

La dotation en faveur des bourses sur critères sociaux connaît une diminution significative de 2,8 millions d'euros (- 3,5 %) par rapport aux prévisions du PLF 2015 et de 1,5 million d'euros par rapport aux crédits effectivement ouverts en 2015.

Particulièrement préoccupée par cette baisse, votre rapporteur pour avis a obtenu l'assurance qu'il ne s'agissait là que d'un ajustement technique, lié à une surestimation chronique des crédits les années précédentes . Elle se montrera particulièrement vigilante quant au maintien de ces aides sociales, tant en ce qui concerne leur montant que le nombre des bénéficiaires, afin que l'enseignement agricole continue de jouer pleinement son rôle de promotion sociale.

3. L'application des protocoles de 2013

Dans l'application stricte des protocoles d'accord conclus en 2013 avec les établissements privés, le projet de loi de finances pour 2016 prévoit le maintien des subventions aux établissements privés à un montant identique à celui de 2015 : 346,4 millions d'euros . Ce montant n'inclut pas les rémunérations des personnels contractuels de droit public des établissements du temps plein, qui sont prises en charge par l'État à hauteur de 227,9 millions d'euros (- 1,9 %).

Du fait de son incapacité à garantir l'application des dispositions légales et réglementaires en matière de financement de l'enseignement agricole privé sous contrat, issues notamment de la loi « Rocard » du 31 décembre 1984 65 ( * ) , l'État a conclu avec les différentes familles de l'enseignement privé des accords lui permettant de déroger à ses obligations : accords Gaymard-Forissier de 2004, protocoles Barnier de 2009 et, dernièrement, les protocoles conclus en 2013.

Ces derniers encadrent le montant des subventions versées aux différentes fédérations du temps plein et du rythme approprié - le Conseil national de l'enseignement agricole privé (CNEAP), l'Union nationale des maisons familiales rurales d'éducation et d'orientation (UNMFREO) et l'Union nationale rurale d'éducation et de promotion (UNREP) - jusqu'à la fin de l'année 2016.

Pour l'exercice 2016, ce montant s'élève à 127 millions d'euros pour les établissements du temps plein (CNEAP et UNREP) et à 215,17 millions d'euros pour les établissements du rythme approprié (UNMFREO et UNREP).

Entendus par votre rapporteur pour avis, les responsables des établissements privés ont exprimé leur satisfaction quant à la stricte application de ces protocoles .

Ils ont néanmoins fait part de leur préoccupation quant à l'expiration prochaine de ces accords et aux conditions d'un éventuel renouvellement de ces derniers . Il semblerait que le ministère souhaite proposer la reconduction pour un an des protocoles de 2013, reportant la négociation du financement des établissements privés à la prochaine législature.

Votre rapporteur pour avis s'inquiète de l'avenir du financement des établissements privés sous contrat ; il est à craindre que 2017 verra la conclusion de protocoles analogues à ceux de 2013, entérinant de ce fait la méconnaissance de la loi Rocard .

Alors que l'enseignement agricole constitue plus que jamais une filière d'excellence, le plus à même de répondre aux besoins spécifiques de certains jeunes, votre rapporteur pour avis considère qu'il convient de sortir de la logique de plafonnement des effectifs et de contingentement de l'offre de formation .

Par exemple, le développement des maisons familiales rurales (MFR) en Guyane, où celles-ci répondent à un véritable besoin et suscitent un engouement des jeunes et de leurs familles, est empêché par le plafonnement de la subvention.

La rigueur qui s'exerce sur le financement des établissements privés est d'autant moins compréhensible que le coût unitaire de formation par élève dans l'enseignement public a augmenté de près de 30 % entre 2008 et 2015 .

Votre rapporteur pour avis rappelle son attachement au développement équilibré des différentes composantes de l'enseignement agricole, dont les spécificités et la complémentarité font la richesse et l'originalité de l'enseignement agricole.

Votre rapporteur pour avis souhaite que l'échéance des protocoles de 2013 donne lieu à une enquête quinquennale - menée en toute transparence - ainsi qu'à la nécessaire revalorisation de la subvention aux composantes de l'enseignement privé sous contrat, dans l'intérêt des établissements comme des élèves.


* 63 Arrêté du 24 mars 2014.

* 64 En référence à l'article 44 du décret du 14 septembre 1988 en application de la loi Rocard.

* 65 Loi n° 84-1285 du 31 décembre 1984 portant réforme des relations entre l'État et les établissements d'enseignement agricole privés.

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