II. EXAMEN DU RAPPORT

Réunie le mercredi 4 novembre 2015, la commission a examiné le rapport pour avis sur les crédits « Transports ferroviaires, collectifs et fluviaux » du projet de loi de finances pour 2016.

M. Hervé Maurey , président. - Trois avis budgétaires à l'ordre du jour ce matin. Avant de passer la parole à nos rapporteurs, je voudrais faire quelques brèves observations liminaires. Notre commission présente au total huit avis budgétaires sur le projet de loi de finances : six concernent la mission écologie et développement durable dont quatre pour les transports (aériens, ferroviaires, maritimes, routiers), un pour la prévention des risques et un pour la biodiversité et la transition énergétique ; un avis recouvre la mission politique des territoires et un avis traite d'une partie de la mission recherche, pour les crédits consacrés au développement durable.

Nous avons pu programmer deux auditions de ministres sur leurs budgets : celle de Mme Pinel il y a une dizaine de jours et celle d'Alain Vidalies la semaine prochaine. Je vous propose donc qu'à la fin de la présentation des rapports pour avis qui concernent des budgets que défendra Alain Vidalies, nous reportions notre vote à une réunion postérieure à l'audition du ministre.

M. Louis Nègre , rapporteur pour avis . - Les crédits du projet de loi de finances pour 2016 consacrés aux transports ferroviaires, collectifs et fluviaux, comprennent trois séries de dispositions :

- une partie des crédits inscrits au programme budgétaire 203 intitulé « Infrastructures et services de transport » ;

- des fonds de concours parmi lesquels figurent, au premier rang, les crédits de l'agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) ;

- le compte d'affectation spéciale « services nationaux de transport conventionné de voyageurs », qui concerne les trains d'équilibre du territoire (TET).

Après vous avoir présenté les crédits de l'État et de l'AFITF, je vous ferai part de mes vives préoccupations concernant le financement des infrastructures de transport, devenu erratique depuis l'abandon de l'écotaxe, puis les enjeux spécifiques au domaine ferroviaire, qui souffre toujours d'un manque d'État stratège, d'une infrastructure vieillissante malgré les efforts réalisés, et d'une absence de vision à moyen long terme extrêmement préjudiciable pour le système ferroviaire et en particulier pour notre industrie.

L'enveloppe accordée à SNCF Réseau, qui représente 80 % des crédits du programme budgétaire 203, s'élève à 2,5 milliards d'euros, soit un montant stabilisé par rapport à celui de l'année dernière. Elle couvre la redevance d'accès facturée par le gestionnaire d'infrastructure pour l'exploitation des trains express régionaux, les TER, des trains d'équilibre du territoire, les TET, ainsi qu'une participation de l'État pour l'utilisation du réseau par les trains de fret.

Dans les crédits consacrés au soutien, à la régulation et à la sécurité des transports terrestres, 26 millions d'euros sont prévus pour compenser à SNCF Mobilités les tarifications sociales nationales imposées par l'État, et 15 millions d'euros sont dédiés au soutien au transport combiné ferroviaire, soit 1,4 million d'euros de moins qu'en 2015.

Pour les transports fluviaux, la subvention versée à Voies navigables de France s'élève à 252 millions d'euros, en diminution aussi par rapport à 2015. 7 millions d'euros sont destinés au soutien au transport combiné fluvial et maritime, en diminution de plus de 13 % par rapport à l'année dernière.

Enfin, 17 millions d'euros serviront à financer les dépenses transversales du programme « infrastructures et services de transport », telles que les études et les dépenses de logistique de la DGITM ou des services qui lui sont rattachés, en diminution de 7 % par rapport à 2015.

On observe donc sans surprise, du côté des crédits du budget général, une diminution significative des dépenses sur nombre de lignes budgétaires.

Sur les fonds de concours apportés par l'AFITF, 339 millions d'euros doivent servir à financer des opérations contractualisées dans les contrats de projet ou de plan État-régions dans le domaine des transports ferroviaires et collectifs. Mais ce montant, en baisse de 9 % par rapport à l'année dernière, n'est encore qu'estimatif, le budget de l'AFITF devant être arrêté en décembre. En outre, 28 millions d'euros seront destinés à la mise en sécurité des passages à niveau et des tunnels.

Je dois vous faire part de ma très vive préoccupation à propos du budget de l'AFITF.

Tout d'abord, et j'en suis désolé pour nous tous, nous avons été dupés sur le budget 2015 de l'agence ! Je vous rappelle que l'AFITF avait connu deux années très difficiles, en 2013 et en 2014, en raison des reports de l'entrée en vigueur de l'écotaxe. L'État avait commencé à réduire sa contribution au financement de l'agence, alors que la taxe n'était pas collectée et ne pouvait donc rapporter les recettes prévues.

Une fois ce projet de taxe poids lourds définitivement enterré, l'État a décidé, pour l'exercice 2015, d'augmenter la fiscalité sur le gazole et d'affecter le produit de cette augmentation à l'AFITF, soit 1,139 milliard d'euros. Cela devait lui permettre de retrouver un budget plus raisonnable, de 2,2 milliards d'euros, dont 1,9 milliard de crédits d'« intervention » destinés au financement effectif des infrastructures de transport. C'est en tout cas ce qu'on nous avait annoncé à l'automne dernier.

À l'époque, nous nous étions inquiétés, avec la rapporteure spéciale de la commission des finances, Marie Hélène des Esgaulx, de la façon dont serait assumée l'indemnité due à Ecomouv', qui se chiffre tout de même à un milliard d'euros. Lors d'une audition devant nos deux commissions le 29 octobre 2014, le secrétaire d'État aux transports nous avait assuré que ces montants ne seraient pas ponctionnés sur le budget de l'AFITF. Je le cite : « Les recettes consacrées au financement des infrastructures sont non seulement fléchées, mais sécurisées pour l'année 2015. Quoiqu'il arrive, ce n'est pas sur ce budget là que l'on viendra ponctionner les sommes nécessaires au paiement d'une indemnité. » Et finalement, quand on regarde le budget d'intervention de l'AFITF de 2015 tel qu'il a été exécuté, que voit-on ? Un prélèvement d'autorité de 528 millions d'euros, pour financer la première partie de ladite indemnité...

C'est très grave. D'abord, parce qu'on n'a pas dit la vérité aux parlementaires que nous sommes.

Ensuite, parce que l'Agence n'est plus en mesure d'assumer les engagements qu'elle a pris par le passé. Certes, son budget d'intervention a pu être maintenu pour 2015 à 1,8 milliard d'euros, soit 100 millions de moins par rapport à ce qui était prévu initialement, malgré la ponction de ces 528 millions d'euros. Mais à quel prix ? Elle a dû renoncer à certaines dépenses d'intervention ainsi qu'au remboursement prévu de l'avance faite par l'Agence France Trésor et utiliser la quasi-totalité de son fonds de roulement - ce qui ne sera donc plus possible à l'avenir. Elle a aussi bénéficié, il est vrai, d'une recette supplémentaire de 100 millions d'euros, la contribution volontaire des sociétés d'autoroutes. La résiliation du contrat avec Ecomouv' a plusieurs conséquences pour le budget de l'AFITF. Elle crée deux nouvelles dépenses : d'une part, l'indemnité immédiate, versée en 2015, de 528 millions d'euros, d'autre part, les créances « Dailly » à rembourser chaque année jusqu'en 2024 (environ 50 millions d'euros par an). Elle supprime également une dépense, le loyer annuel qui était dû à la société Ecomouv' pour la collecte de la taxe (250 millions d'euros par an).

Mais nous sommes toujours loin du compte. Il ne faut pas oublier que l'AFITF a accumulé, depuis 2013, près de 700 millions d'euros de retards de paiement vis à vis de SNCF Réseau, qui n'ont toujours pas été honorés en cette fin 2015 ! Cette situation anormale génère bien évidemment des frais financiers - plus de 20 millions d'euros aujourd'hui.

Et si l'on se tourne vers l'avenir, la situation est encore plus préoccupante. Dans le projet de loi de finances pour 2016, la part du produit de la TICPE affectée à l'AFITF a été réduite de 400 millions d'euros, passant de 1,139 milliard d'euros à 715 millions d'euros ! Je soutiendrai un amendement de Marie-Hélène des Esgaulx pour restituer l'affectation de 1,139 milliard d'euros à l'AFITF.

Malgré cette réduction, l'agence devrait retrouver un budget d'intervention de l'ordre de 1,9 milliard d'euros, car elle n'aura plus 528 millions d'euros d'indemnité à verser à Ecomouv'. Mais il n'en reste pas moins que cette somme est largement insuffisante pour satisfaire les engagements passés de l'agence. Elle ne pourra prendre de nouveaux engagements qu'en reportant à nouveau le remboursement de ses retards de paiement vis-à-vis de SNCF Réseau.

Or, les nouveaux engagements ne manquent pas, puisque l'agence va devoir payer les loyers des contrats de partenariat signés pour la LGV Bretagne Pays de la Loire, le contournement Nîmes Montpellier, la rocade L2 de Marseille, les contrats de plan État régions 2015-2020, le troisième appel à projets pour les transports collectifs en site propre (TCSP) - si attendu -, sans compter les projets à venir du Canal Seine Nord Europe et de la liaison ferroviaire Lyon Turin... Enfin, il reste encore tous les projets du scénario 2 de la Commission Mobilité 21, sur lequel le Gouvernement, et en particulier le Premier ministre, s'était engagé ! Mais où sont les neiges d'antan et la valeur des engagements pris ?

Cette situation est d'autant plus regrettable que le Gouvernement avait une solution simple pour s'en sortir, et affecter, enfin, un niveau convenable de recettes à l'AFITF : utiliser la TICPE. La baisse d'un centime de la fiscalité sur l'essence qu'il a proposée est démagogique et ne correspond pas à l'engagement de notre pays en faveur de la transition énergétique et de la COP 21. Il n'y avait aucune raison objective de baisser le prix de l'essence, une énergie fossile dont la consommation ne saurait être encouragée. D'après un calcul rapide, cela fait perdre près de 160 millions d'euros, qui auraient pu être affectés à l'AFITF. Mais non, le Gouvernement préfère préserver le caractère erratique du financement des infrastructures de transport !

C'est dommage, car nous avions créé, avec l'AFITF - qui a fêté son dixième anniversaire cette année -, un bel outil financier, permettant l'affectation de recettes stables et prévisibles à des dépenses d'investissements qui s'étalent sur plusieurs années, et dans une perspective de report modal. Je rappelle que l'Agence a engagé 33 milliards d'euros depuis sa création, dont 21 milliards ont déjà été payés, et que deux tiers de ces sommes concernent des transports alternatifs à la route. Je doute que nous serions arrivés au même résultat si cet outil financier n'avait pas existé. Il est particulièrement significatif que l'AFITF commence d'ailleurs à intéresser des pays étrangers : Slovénie, Chine, Allemagne ont rencontré le président de l'agence pour avoir un retour sur ce dispositif.

En ce qui concerne le financement de la politique des transports, je ne suis pas plus rassuré quand je me tourne vers l'échelon local... L'article 4 du projet de loi de finances relève à 11 salariés le seuil de soumission au versement transport, ce qui correspond à un manque à gagner qui se chiffre en centaines de millions d'euros selon le Groupement des autorités responsables de transport (Gart) pour les autorités organisatrices de transport locales. Il est compensé cette année compensé par un prélèvement sur recettes, mais qu'adviendra-t-il les années suivantes ? On sait que les promesses n'engagent que ceux qui les écoutent.

J'en viens désormais aux enjeux spécifiques du domaine ferroviaire, qui attend toujours le retour de « l'État stratège », pourtant maintes fois réaffirmé dans la loi de réforme ferroviaire. Mais sur le terrain, on en est encore loin...

Au risque de me répéter, il faut tout de même souligner ce paradoxe d'un État qui reporte au maximum l'échéance d'une ouverture à la concurrence des transports ferroviaires, et obtient gain de cause à Bruxelles dans le cadre des négociations sur le quatrième paquet ferroviaire - la date d'ouverture à la concurrence a été repoussée à 2026 pour les services conventionnés - , tout en décidant d'introduire dès à présent sur son territoire la libéralisation du transport par autocar, sans verrou, qui met frontalement en concurrence, sur son territoire, les modes ferroviaire et routier. Bien entendu, je ne suis pas opposé à cette libéralisation du transport par autocar, mais il me semble logique que dans ce cas, l'on permette aussi au rail de s'adapter, en l'ouvrant à la concurrence.

Sur la modernisation du réseau ferroviaire, on attend aussi plus de vision stratégique. Réseau ferré de France a certes adopté en septembre 2013, à la demande du Gouvernement, un grand plan de modernisation du réseau (GPMR), avec une enveloppe de 15 milliards d'euros sur six ans, pour mettre un frein au vieillissement du réseau, constaté par l'école polytechnique de Lausanne. Mais l'État n'a pas pu s'engager de façon pluriannuelle sur ces crédits, et l'on nous dit aujourd'hui que les montants consacrés à l'entretien du réseau dépendront du contrat signé entre l'État et SNCF Réseau. J'espère donc que l'État fera le nécessaire pour engager les actions annoncées le plus vite possible. Il y va de l'efficacité et de la sécurité de notre réseau.

Autre exemple où l'État peine à s'affirmer : les trains d'équilibre du territoire. Comme vous le savez, la convention signée en 2010 entre l'État et la SNCF n'est pas satisfaisante - l'offre mérite d'être revue, l'architecture financière aussi, la Cour des comptes l'a clairement souligné. Or, le Gouvernement ne cesse de reporter l'échéance d'une reprise en main de ce dossier, comme s'il avait grand peine à exercer son rôle d'autorité organisatrice ! Il aurait en effet pu modifier cette convention dès 2013, mais n'a fait que la prolonger par avenant depuis cette date.

Certes, il a créé l'année dernière une commission à ce sujet, présidée par Philippe Duron. Elle a conclu à la nécessité d'une reprise en main effective de ce dossier par l'État, d'une refonte des dessertes, d'un effort de maîtrise des coûts d'exploitation de la part de l'opérateur et d'une préparation à l'ouverture à la concurrence. Mais la question est loin d'être réglée, puisqu'un préfet, François Philizot, a été missionné pour discuter avec les régions des évolutions de desserte. Celui-ci ne pourra rendre ses conclusions qu'une fois que les nouvelles régions auront été mises en place. Cela ne me choque pas, mais on perd encore quelques mois dans ce dossier, alors qu'il aurait pu être repris en main dès 2013. Et en attendant, ces trains se vident, vieillissent, et coûtent de plus en plus cher...

Le compte d'affectation spéciale qui retrace les recettes et dépenses affectées à ces trains d'équilibre du territoire est doté pour 2016 de 335 millions d'euros, dont 217 millions pour l'exploitation des services, en augmentation de 15% par rapport à l'année dernière, et 118 millions pour la maintenance du matériel roulant.

Pour mémoire, ses recettes proviennent quasi-exclusivement de la SNCF, par le biais de la contribution de solidarité territoriale et de la taxe sur le résultat des entreprises ferroviaires. Et c'est l'augmentation de la contribution de solidarité territoriale qui permet d'absorber l'augmentation des coûts d'exploitation. C'est le chat qui se mord la queue. Seuls 19 millions d'euros sont issus du produit de la taxe d'aménagement du territoire imposée aux sociétés concessionnaires d'autoroutes.

Sur le fret ferroviaire, l'État a mis en place une conférence ministérielle périodique à ce sujet. Je rappelle toutefois qu'il n'assume pas en totalité l'enveloppe qu'il est censé reverser à SNCF Réseau pour prendre en charge une partie des péages fret. Cela représente, pour SNCF Réseau, un manque à gagner de 232 millions d'euros. C'est pour ce motif que l'ARAF a refusé à deux reprises cette année de valider les tarifs des péages fret. Elle ne les a acceptés qu'après avoir obtenu l'engagement de l'État que ses éventuels défauts de paiement pourraient être financés par une fraction du dividende de SNCF Mobilités. Mais, comme l'a souligné le président de l'ARAF lui-même, ce n'est pas du tout l'esprit de la réforme du 4 août 2014, qui était d'utiliser ces dividendes pour désendetter le réseau et non pour répondre aux difficultés budgétaires de l'État.

En outre, les tarifs des péages fret vont augmenter de 6,27 % en 2016, puis 2,4 % en 2017. Ce choc ferroviaire ne pourra pas être absorbé par les entreprises. Il faut rendre la gestion du réseau plus performante.

Enfin, la filière industrielle ferroviaire attend aussi un retour de l'État stratège. Je ne m'attarde pas sur ce point, que j'ai déjà évoqué devant vous, mais je rappelle que c'est tout un vivier d'emplois et de compétences qui est en danger, dans un domaine où la France avait pourtant tiré son épingle du jeu jusqu'à présent. Quel dommage de ne pas préserver cet acquis !

Je termine mon propos par un regret : le report au 1er janvier 2018 de l'entrée en vigueur de la dépénalisation des infractions au stationnement payant. Cette réforme d'envergure porte en elle de belles potentialités pour le développement des politiques de transports collectifs, en donnant enfin aux élus locaux la maîtrise pleine de ce qui doit être perçu comme une véritable politique publique, mais elle a rencontré trop de freins, ce que je regrette vivement.

Comme l'a évoqué le président, nous ne voterons sur ces crédits qu'après avoir entendu le ministre. Mais je doute pour ma part que cette audition change mon analyse de ces crédits, sur lesquels je vous proposerai d'émettre un avis défavorable, si le budget affecté à l'AFITF n'évolue pas favorablement d'ici là et s'il n'est pas fait place à une vision de long terme du financement des infrastructures de transports.

M. Hervé Maurey , président. - Je remercie le rapporteur pour sa précision et sa rigueur. J'ajouterai un petit complément sur la question du prélèvement sur le dividende de SNCF Mobilités. Je siège au conseil de surveillance de la SNCF depuis la mise en place des nouvelles structures le 1 er juillet. Il nous a été indiqué, comme l'a dit le rapporteur, qu'au titre de la compensation pour le fret, il y aurait un prélèvement de l'État cette année de 28 millions d'euros à la suite de la demande de l'ARAF. Naturellement les dirigeants de la SNCF sont tout à fait opposés à ce prélèvement, qui est contraire à l'esprit de la réforme lors de laquelle il avait été clairement dit que le dividende devait permettre ou en tout cas contribuer à résorber le déficit de la SNCF, qui est de 40 milliards d'euros aujourd'hui, et dont on espère la stabilisation à 60 milliards environ d'ici dix ans. On le sait, la situation est donc plus que préoccupante et ce prélèvement n'est pas le bienvenu.

M. Jean-Jacques Filleul . - Nous nous attendions au rapport fait par le rapporteur. La situation financière est compliquée et est héritée de l'histoire de la SNCF et de notre pays. Il faut féliciter le Gouvernement d'avoir tenu un certain nombre de caps dans ce contexte, en particulier le budget du ferroviaire qui est stabilisé, notamment les crédits de SNCF Réseau. J'ai aussi relevé dans les documents budgétaires que le fonds de concours de l'action 10 augmente pour atteindre 415 millions d'euros. La SNCF a des problèmes d'infrastructures. Je voudrais rappeler que nous avions demandé à l'époque que l'entretien soit renforcé sur le réseau d'Île-de-France, qui connaissait des difficultés depuis l'accident de Bretigny. Le Gouvernement a affecté en deux ans, d'abord cinq cents emplois supplémentaires, puis encore 350 emplois pour la maintenance des réseaux.

Globalement sur le ferroviaire, le budget devrait permettre de tenir en 2016. À la suite du rapport TET, le Gouvernement souhaite reprendre en mains sa responsabilité d'autorité organisatrice de transports. Il y a une ferme volonté de passer la convention avec les régions mais c'est toujours plus long que prévu malheureusement. Il semble aussi que nous soyons obligés de passer par un nouveau marché pour acheter des machines. En même temps, le Gouvernement a réinscrit un objectif d'un milliard et demi d'euros d'achat de matériel pour les TET.

Je voudrais aussi rappeler que la réforme de la SNCF se met en place comme prévu. La réforme du 4 août 2014 s'est mise en place avec une meilleure cohérence opérationnelle pour la réunification des métiers d'infrastructures. Tout le monde s'en félicite aujourd'hui. Quant à l'amélioration de la trajectoire financière du système ferroviaire, nous sommes d'accord que malheureusement nous en sommes à environ 45 milliards d'euros de déficit et qu'il augmente de 3,5 milliards tous les ans. Le cadre social harmonisé est en cours de négociation et le déroulement est plutôt positif.

Sur l'AFITF, nous sommes tous attentifs. Son budget d'intervention est maintenu pour 2016. Mais les trajectoires futures devront être aux alentours de 2,8 milliards d'euros pour faire face aux échéances. Je suis persuadé que le Gouvernement fera les efforts nécessaires pour que cette trajectoire soit tenue.

Je rappelle que l'ARAFER a été mise en place : c'est une évolution positive. Le plan de relance prévu à la suite de la mission sur les autoroutes est lancé. Les négociations avec les sociétés de travaux publics sont en cours. Le Gouvernement tient à maintenir les 55 % de petites entreprises de travaux publics. Je me satisfais de la situation tout en sachant qu'il faudra faire des efforts pour les infrastructures dans les années à venir.

Pour finir, j'évoquerai la LGV-SEA Paris-Tours-Bordeaux. Cette négociation qui date de 2010 est une véritable catastrophe financière et technologique. Il faut espérer que les autres projets seront conduits différemment, avec des conditions de travail différentes et notamment davantage d'argent public.

M. Hervé Maurey , président. - Sur la mise en oeuvre de la réforme, je rappelle que le fait de commencer par un prélèvement sur le dividende au profit de l'État, contrairement à l'esprit de la réforme, n'est pas un très bon signal.

M. Gérard Cornu . - En écoutant notre rapporteur, on a presque le moral à zéro. D'une manière générale en effet, on voit que sur le dossier des infrastructures routières et ferroviaires, la parole de l'État n'est plus crédible. On assiste à des mensonges répétés. Je prendrais pour exemple l'abandon de l'écotaxe, qui a des conséquences catastrophiques, à la fois pour les conseils départementaux mais aussi pour l'État. On nous a menti au sujet des indemnités à Ecomouv, j'ai pour ma part une question. La ministre Ségolène Royal nous avait indiqué que les portiques seraient réutilisés. S'agit-il encore d'un mensonge ? Où en est-on ?

M. Claude Bérit-Débat . - Nous avons entendu le procureur général Louis Nègre dans une intervention incisive. Mais faisons attention. Lorsque vous dites que les promesses n'engagent que ceux qui les entendent, je crois que le Gouvernement précédent était justement spécialiste en la matière. Je souhaite revenir sur les crédits de l'AFITF. Je me félicite qu'ils soient stabilisés. Entre 2012 et 2016, il y a une stabilisation autour de 1,85 milliard d'euros. Comme l'a dit Jean-Jacques Filleul, il faudrait à terme arriver à 2,5 milliards. Je rappelle tout de même que nous sommes dans une situation particulièrement difficile et que l'opposition elle-même nous enjoint à faire des économies. Aujourd'hui, le rapporteur-procureur préconise de faire des efforts supplémentaires.

Sur la question du versement transport, je note avec satisfaction que le Gouvernement s'engage pour une compensation totale. On peut s'interroger sur l'avenir mais quelle est la cause de cela ? C'est une harmonisation des seuils sociaux que les entreprises et les syndicats patronaux ne cessent de demander. On y arrive justement et il faut s'en féliciter. Je répète que je soutiens les remarques formulées par Jean-Jacques Filleul et que je ne partage pas l'analyse du rapporteur. L'opposition s'oppose mécaniquement et fait de la démagogie mais ce n'est jamais bon pour les citoyens qui nous observent car on sait que ce que l'on promet aujourd'hui, on ne l'a pas tenu hier et on ne le tiendra pas demain.

M. Charles Revet . - Je félicite le rapporteur pour son analyse très complète. Je suis pour ma part très favorable au ferroviaire. Je considère que nos ancêtres ont su réaliser au fil du temps, le meilleur maillage qui existe en Europe. Le recul pris chaque année devient dramatique dans certains secteurs. Monsieur le président, ne pourrait-on pas faire un véritable état des lieux sur ce sujet ?

De manière plus spécifique, le sujet est lié à celui des ports. Dans certains ports européens - comme par exemple Hambourg - 50 % du fret se fait par le ferroviaire ou le fluvial. Or, chez nous, nous sommes à 4 ou 5 % pour le ferroviaire et 8 ou 10 % pour le fluvial. Pourtant, souvent, il ne s'agirait que d'aménagements qui permettraient de développer le fluvial ou le ferroviaire et d'avoir un effet pour nos ports et l'emploi qu'ils drainent.

Mme Évelyne Didier . - Je réserverai le détail de mes remarques pour la séance. Mais je crois qu'il faut arrêter les postures. Cela devient lassant. On sait tous qu'il n'y a pas assez d'argent pour les infrastructures. Nous avons un gros déficit. Lorsqu'on dit que l'AFITF manque de crédits, on le sait depuis le début puisque nous avions prévu à l'origine que l'AFITF fonctionnerait grâce aux dividendes des autoroutes. Dès le moment où on a privatisé les autoroutes, en 2005, on a de fait supprimé la principale ressource de l'AFITF. Puis il y a eu les épisodes malheureux de l'écotaxe. Vous savez tous, gouvernements de droite comme de gauche, qu'il y a derrière cela l'incapacité de Bercy à accepter qu'une somme d'argent lui échappe et soit fléchée sur un organisme. Ce n'est pas nouveau. En fin de compte, nous n'avons pas assez d'argent pour le service public. Or, on n'arrête pas de faire du service public bashing . On démantèle les opérateurs historiques qui sont une force pour notre pays : c'est ce qui se passe avec l'injonction de l'Europe sur les concessions hydrauliques. Tant que ces politiques-là seront à l'oeuvre, nous n'en sortirons pas. C'est à cela qu'il faut s'attaquer : la richesse produite en France aujourd'hui va aux actionnaires plutôt que d'aller aux services publics.

M. Jean-François Mayet . - Je remercie notre rapporteur, dont je partage l'inquiétude concernant l'avenir de la « nébuleuse SNCF ». Je vis au quotidien l'agonie technique de la ligne Paris-Toulouse. Chaque semaine il y a un incident technique qui cause des retards. Nous avons été quelques-uns à écouter un excellent rapport du président de La Poste qui nous a démontré que c'était son changement de statut qui permettait de sauver l'avenir de La Poste et l'emploi des 277 000 salariés. Tant que la SNCF aura un droit de tirage permanent sur les deniers publics, cela ne marchera pas car ce système ne génère pas de dirigeants capables de gérer la SNCF. Les nantis de la SNCF, ceux qui ont une ligne, ont de la chance pour l'instant mais cela ne durera pas si l'on ne réforme pas la SNCF, car nous n'avons pas les moyens d'entretenir ces lignes. C'est une gestion de gribouille qui donne le droit à la SNCF de tirer de l'argent public et d'assécher un État déjà lui aussi à l'agonie sur le plan financier.

Mme Annick Billon . - Je ne reviens pas sur la situation financière de la SNCF aujourd'hui. Pour avoir participé au rapport Duron sur les TET avec mon collègue Jean-Jacques Filleul, nous avons bien constaté que la situation n'était pas simple et ne pouvait être réglée rapidement car elle est le résultat d'années de gestion. Il faut trouver des financements. Je voudrais rappeler que nos territoires ont besoin du ferroviaire. En Vendée par exemple, depuis le rapport Duron, une association se mobilise à Luçon pour le ferroviaire parce que le ferroviaire est source de désenclavement et de développement économique.

M. Jean-François Longeot . - Je remercie le rapporteur pour ses éclaircissements. Je ne sais pas si dire la vérité et nous mettre devant nos responsabilités, c'est être procureur. Moi je ne le pense pas en tout cas. Nous devons pouvoir prendre en considération toutes les difficultés financières. L'abandon de l'écotaxe en est une des principales causes. Mettre en difficulté la SNCF, c'est en faire subir les conséquences à nos territoires puisque les plus petits territoires ne seront plus reliés entre eux. Il y aura aussi des conséquences fortes en matière d'emploi pour toutes les entreprises qui travaillent pour le ferroviaire. Lundi, j'ai discuté avec le nouveau directeur d'Alstom : leur cahier des charges et leur plan de travail ne vont pas loin.

M. Louis Nègre , rapporteur pour avis. - Je suis d'accord avec vous, M. Filleul, la situation financière est compliquée. C'est une situation ancienne, oui. Reconnaissons aussi que nous n'avons pas toujours été parfaits. On peut se tromper. Mais il faut tout de même dire ce qui est. Nous avons fait des erreurs mais qu'attendez-vous, maintenant que vous êtes au pouvoir, pour changer cela ? Vous citez à juste titre l'accident de Bretigny avec les 850 postes supplémentaires affectés à l'entretien : sont-ce des créations de postes ? Comment sont-elles financées ? Dans ma région, brutalement, tous les emplois liés à la modernisation de la ligne Grasse-Cannes ont été pris et envoyés pour faire de la sécurisation et du contrôle des voies. Il ne faut pas habiller Pierre en déshabillant Paul.

M. Jean-Jacques Filleul . - Ce sont des recrutements.

M. Louis Nègre , rapporteur pour avis. - Eh bien j'attends une réponse de la ministre pour savoir comment sont financés 850 postes supplémentaires.

M. Jean-Jacques Filleul . - Vous ne pouvez pas dire cela. Il y a des besoins de maintenance. On ne peut pas d'un côté déplorer que la maintenance ne se fasse pas et de l'autre se demander comment on la paye lorsqu'on la recrute.

M. Louis Nègre , rapporteur pour avis. - Moi je considère qu'un choix est possible. Sur le fond, je crois qu'il y a des possibilités de faire différemment. Mon rapport est certes critique. Mais lorsque vous signalez que la dette est de 45 milliards et qu'elle passera à 60 milliards, on ne peut que s'inquiéter pour l'avenir. Il n'y a pas d'augmentation des fonds de concours de l'AFITF. En crédits de paiement, on avait l'année dernière 371 millions et en 2016, on a plus que 339 millions. Il y a donc une diminution de 9 %. Sur les crédits de l'AFITF, il y a une diminution de 3 % sur le fluvial et le portuaire, M. Revet, une diminution de 4 % de la subvention allouée à Voies navigables de France (VNF) et le transport combiné fluvial et portuaire baisse de 13 %. Sur l'ARAFER, nous sommes d'accord : le fait que 55 % de petites entreprises puissent contribuer, c'est une bonne chose. M. Cornu, vous avez souligné la question de la crédibilité. Il vaudrait mieux en effet parler moins et tenir ses promesses. M. Bérit-Débat, vous m'appelez procureur général. Dans notre commission, nous avons une grande liberté de parole et je m'en félicite. Mais mon rapport est un cri d'alerte. Je suis malheureux de cette situation. L'argument de ce qu'a fait le précédent Gouvernement n'est pas le meilleur à mon avis : cela signifie que vous n'avez pas fait mieux trois ans après. Par ailleurs, l'objectif est bien de trouver 2 ou 2,5 milliards d'euros supplémentaires pour l'AFITF. Philippe Duron le dit lui-même. Nous avons une vision partagée sur ce montant.

M. Revet, vous montez au créneau sur le portuaire avec raison. Pourquoi n'est-on pas plus efficace dans ce domaine ? Certains aménagements spécifiques pour relier les ports aux voies ferrées ne sont pas faits et cette situation n'est pas bonne pour la France.

Mme Didier, vous souhaitez que l'on arrête les postures. Il faut commencer par balayer devant sa propre porte. Lorsque vous dites que Bercy est toujours immobile, je ne sais plus où vous vous situez. Vous dénoncez le service public bashing . Mais M. Mayet lui, parle « d'agonie » : il est dans la réalité. Je ne suis pas dans le service public bashing : je voudrais simplement un service public qui marche. Dans mon département, il y a ceux que l'on appelle les « naufragés du TER », qui voudraient simplement les « 3A » : à l'heure, avertis et assis. Dans mon département, les trains sont sales, taggés et peu abordables. Je reviens de Transports for London. J'y ai entendu quelque chose qui m'a intéressé. Transports for London a récupéré une ligne qui avait été faite par une autre compagnie. Elle fonctionnait très mal et était sale. Après la reprise en main, on a constaté une augmentation de 260 %, uniquement grâce à des choses simples. M. Mayet, comme vous, je suis favorable à l'ouverture à la concurrence de la SNCF. On n'arrive pas à réformer la SNCF de l'intérieur : seule l'ouverture à la concurrence permettrait de stimuler ce grand corps malade. Quant à son « droit de tirage » permanent sur les deniers publics : oui c'est vrai. Mme Billon, il faut se mobiliser pour trouver des financements, je suis d'accord. M. Longeot, vous parlez à juste raison des difficultés causées par l'abandon de l'écotaxe.

Je terminerai en rappelant que ce système ferroviaire était l'un des meilleurs du monde. La SNCF est encore une signature dans le monde entier. Ses filiales internationales et Keolis prennent des marchés dans le monde entier. Nous avons donc un potentiel extraordinaire dans cette entreprise. On augmente nos parts de marché à l'extérieur. Je critique l'incohérence de la politique menée : d'un côté, on interdit l'ouverture à la concurrence du ferroviaire et de l'autre, on ouvre à la concurrence des cars. Je n'arrive pas à suivre le fil de cette politique. Deuxième critique, si on veut faire avancer les choses, il faut une vision à long terme. Enfin, la gestion financière n'est pas à la hauteur : on vit sur la dette, on l'augmente et on fonctionne sur elle. Cette gestion n'a pas d'avenir.

Réunie le mercredi 18 novembre 2015, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a émis un avis défavorable à l'adoption des crédits du projet de loi de finances pour 2016 consacrés aux transports ferroviaires, collectifs et fluviaux.

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