II. UNE AMÉLIORATION FRAGILE DE LA SITUATION DES JURIDICTIONS

A. DES EFFECTIFS TOUJOURS SOUS TENSION, EN DÉPIT DE RECRUTEMENTS PLUS IMPORTANTS

Le plafond d'autorisation d'emplois du programme 166 « Justice judiciaire » pour 2016 serait fixé à 31 743 ETPT.

Ce schéma d'emplois repose sur la création nette de 157 emplois, trois fois plus que l'an passé. Il s'agit principalement d'emplois de magistrats (+ 178) et de greffiers (+ 189). Comme les années précédentes, ces créations sont permises, notamment, par la conversion d'emplois de catégorie C, non remplacés (- 198) en emplois de greffiers.

Schéma d'emplois du programme « Justice judiciaire » pour 2016
(en ETPT)

Catégorie d'emploi

Entrées prévues

Sorties prévues

Solde des emplois du programme

Magistrats de l'ordre judiciaire

482

304

+ 178

Personnels d'encadrement

61

101

- 40

B métiers du greffe, de l'insertion et de l'éducatif

546

357

+ 189

B administratifs et techniques

52

24

+ 28

C administratifs et techniques

390

588

- 198

Total

1 531

1 374

+ 157

Source : PLF 2016 - projet annuel de performance.

1. La correction bienvenue de la sous-consommation du plafond d'emplois

L'an passé, votre rapporteur pour avis avait souligné le problème posé, à chaque exercice budgétaire depuis 2011, par la sous-consommation du plafond d'emplois : tous les ETPT ne sont pas consommés en fin d'année, certains étant reportés l'année suivante et d'autres tout simplement supprimés. Le taux de consommation de ce plafond, pour l'ensemble des emplois judiciaires, était de 97,5 % en 2013 et de 98,1 % en 2014, ce qui représentait, pour cette dernière année, une différence de 600 ETPT.

Ce décalage systématique entre les crédits ouverts et les crédits effectivement dépensés affecte la sincérité de la programmation budgétaire .

Toutes les catégories d'emplois ne sont pas, à cet égard, dans la même situation : le plafond est presque toujours atteint pour les greffiers ou les personnels de catégorie C. Les écarts sont en revanche beaucoup plus importants pour les magistrats ou les directeurs de greffe.

Ainsi, en 2014, seuls 24 emplois de magistrats ont été créés, alors qu'il en était annoncé 63, et seulement 34 en 2015 pour 64 initialement prévus. Les crédits correspondants ne sont pas toujours perdus : ils peuvent être convertis en emplois d'autres catégories de personnels ou de vacataires.

Votre rapporteur constate que la situation s'est encore détériorée en 2014, puisque le taux de consommation du plafond d'emplois relatif aux magistrats est tombé à moins de 95 % en 2014.

Le ministère de la justice semble avoir pris la mesure de ce problème, puisqu'il propose dans le présent budget une correction du plafond, à hauteur de 324 ETPT, pour l'ajuster à la consommation réelle. Combiné avec les créations de postes annoncées, cet ajustement technique devrait permettre de résorber la sous-consommation du plafond d'emplois, ce dont votre rapporteur se félicite.

Cette correction ne lève toutefois pas toutes les questions que pose le présent projet de loi de finances, s'agissant des effectifs de magistrats.

En effet, comme votre rapporteur l'indiquait déjà l'année dernière, le ministère de la justice utilise une partie des crédits de personnel non consommés pour mobiliser la réserve judiciaire ou recruter des vacataires ou des assistants de justice. Cette pratique a concerné, en 2012, 244 des 562 ETPT non consommés.

Or, ainsi que notre collègue François Pillet l'a observé, dans son rapport sur le projet de loi organique relatif à l'indépendance et l'impartialité des magistrats et à l'ouverture de la magistrature sur la société 8 ( * ) , le Gouvernement souhaite, par ce texte, faciliter les recrutements de magistrats non professionnels, moins coûteux puisqu'ils sont rémunérés à la vacation : magistrats exerçant à titre temporaire, juges de proximité, magistrats honoraires ou membres de la réserve judiciaire. Cette volonté n'est pas condamnable en soi. Toutefois, il convient d'observer, en la matière, une juste mesure et éviter que des fonctions de magistrats professionnels soient durablement suppléées par le recours à ces vacataires.

2. Un effort de recrutement à poursuivre

Le Gouvernement poursuit cette année encore les efforts de recrutement engagés depuis trois ans, sans que ceux-ci permettent encore de résorber les importantes vacances de postes observées.

Si le nombre de postes de magistrats créés est important, force est de constater que ces créations ne profiteront pas nécessairement au fonctionnement courant des juridictions.

a) Des vacances de postes toujours importantes

Une nouvelle fois, le constat des années précédentes peut être reconduit à l'identique : les vacances de postes se sont aggravées, en dépit des créations d'emplois intervenues. Ces vacances correspondent à des postes affectés à des juridictions, par la circulaire de localisation des emplois dite circulaire « CLE », qui n'ont pas été pourvus, faute d'un effectif suffisant. Ne sont pas comptées dans ces vacances les absences temporaires, pour raisons médicales ou autres.

Ainsi, le nombre de postes non pourvus à la date du 1 er janvier 2015 s'élève à un peu plus 5 % de l'effectif total des magistrats en juridiction (404 postes pour un effectif théorique de 7 887 magistrats). La situation s'améliore légèrement pour les fonctionnaires, puisque le taux de vacance passe, en un an, de 7,6 % à 7 %. Elle demeure toutefois préoccupante, puisque 1 494 postes sont vacants pour un effectif théorique de 21 105. Le taux de vacance des personnels de greffe est même beaucoup plus important, à 9,2 %, ce qui représente 829 postes pour un effectif localisé de 9 009 greffiers. Rapportés au nombre des juridictions (873 9 ( * ) ), ces chiffres signifient qu'il manque en moyenne 1 greffier par juridiction et 1 magistrat pour deux juridictions.

Comparaison entre l'effectif réel et théorique des magistrats
affectés en juridictions, hors Cour de cassation
(au 1 er janvier de l'année concernée)

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

Effectifs théoriques

7844

7740

7740

7687

7687

7829

7853

7887

Effectifs réels

7630

7710

7708

7594

7521

7489

7458

7483

Solde

-214

-30

-32

-93

-166

-340

-395

-404

Taux de vacance d'emploi

2,73 %

0,39 %

0,41 %

1,21 %

2,16 %

4,34 %

5,03 %

5,12 %

Source : ministère de la justice et commission des lois.

Comparaison entre l'effectif réel et théorique des fonctionnaires affectés
en juridictions ou en service administratif régional
(au 1 er janvier de l'année concernée)

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

Effectifs théoriques

21274

21189

20902

20778

20929

21025

21105

21174

Effectifs réels

20247

20076

19997

19837

19509

19419

19502

19680

Solde

-1027

-1113

-905

-941

-1420

-1606

- 1603

-1494

Taux de vacance d'emploi

4,83 %

5,25 %

4,33 %

4,53 %

6,78 %

7,64 %

7,60 %

7,06 %

Source : ministère de la justice et commission des lois.

b) Des créations de postes marquées par l'objectif de lutte contre le terrorisme

Le présent budget rend compte, comme on l'a vu, d'un réel effort de création d'emplois. Au total, 395 nouveaux emplois seraient créés pour les magistrats, les greffiers et les personnels de catégorie B, alors que 228 emplois seraient supprimés pour les greffiers en chef et les personnels de catégorie C. Le chiffre net des créations est donc trois fois supérieur à celui de l'an passé (157 contre 49).

Ces créations d'emplois sont toutefois principalement motivées par le plan de lutte contre le terrorisme.

Ce plan, décidé au cours de l'année 2015, après les évènements dramatiques du mois de janvier, comprend en effet un volet propre au ministère de la justice, qui doit se traduire, pour les services judiciaires, par la création de 283 postes supplémentaires : 114 de magistrats, 114 de greffiers et 15 postes d'assistants spécialisés. Ceci représente les deux tiers des nouveaux postes créés par le présent budget.

Le tiers restant correspond aux autres priorités du programme 166 : il s'agit d'offrir aux réformes précédemment votées ou en cours de l'être les moyens qu'elles requièrent.

Ainsi, 24 emplois supplémentaires de magistrats et 69 emplois supplémentaires de greffiers devraient être consacrés à la mise en oeuvre des réformes relatives à la justice du XXI ème siècle. Il s'agirait, particulièrement, de la création des services d'accueil unique du justiciable au sein des greffes des juridictions et du déploiement des premiers « greffiers assistants des magistrats » (GAM).

Comme l'année dernière, le Gouvernement souhaite renforcer l'effectif des juges d'application des peines, par la création de 27 nouveaux emplois, afin d'assurer la bonne mise en oeuvre de la loi du 15 août 2014 relative à la prévention de la récidive et à l'individualisation des peines .

10 emplois de magistrats seraient consacrés à la poursuite de la mise en oeuvre de réformes plus anciennes, notamment celle sur l'hospitalisation sous contrainte 10 ( * ) . Seulement 3 nouveaux postes de magistrats seraient consacrés à l'activité juridictionnelle générale, ce qui ne semble pas à la mesure des besoins en la matière, compte tenu des dégradations observées en matière de délais de traitement.

Ces propositions de création de postes appellent deux observations.

La première tient à l'importance des moyens dédiés à la lutte contre le terrorisme. Les décisions prises sont légitimes, compte tenu de la menace à laquelle notre pays est confronté . Toutefois une question se pose : sur quelles actions seront prélevés les crédits nécessaires aux recrutements supplémentaires ? Compte tenu de la situation déjà très difficile des juridictions, il serait préoccupant que ces moyens supplémentaires soient principalement obtenus par des redéploiements internes au programme 166.

Cette remarque est d'autant plus nécessaire que le Président de la République a annoncé, le 16 novembre dernier devant le Parlement réuni en Congrès, la création de 2 500 nouveaux postes dans les services judiciaires et l'administration pénitentiaire. Or, ceci représente un effort presque trois fois supérieur à celui du plan de lutte contre le terrorisme actuellement en cours.

La seconde observation de votre rapporteur tient, une nouvelle fois, à la mauvaise prise en compte, par le budget, des réformes en cours. Ainsi, comme l'ont observé les représentants du syndicat de la magistrature lors de leur audition, si l'Assemblée nationale confirme son vote sur le projet de loi relatif au droit des étrangers en France, s'agissant de l'intervention du juge judiciaire en matière de rétention administrative des étrangers faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, les juges des libertés et de la détention seront reconnus compétents pour se prononcer dès le début sur la légalité du placement en rétention administrative. Or, compte tenu du nombre important de placements prononcés chaque année sur ce fondement 11 ( * ) , ceci représentera une charge contentieuse très importante pour les juridictions, évaluée, selon les informations communiquées à votre rapporteur par la Chancellerie , à près de 22 ETPT de magistrats et une dizaine d'ETPT de greffiers . Votre rapporteur s'étonne que le Gouvernement, qui s'est déclaré favorable à la position de l'Assemblée nationale et s'est opposé à celle du Sénat, n'ait pas anticipé cet impact dans le budget des services judiciaires.

3. Une réforme statutaire attendue pour les personnels de greffes

Dans le cadre des travaux engagés par la garde des sceaux sur la justice du XXI ème siècle, une réflexion a été conduite sur l'évolution du métier de greffiers. Elle a mis en évidence la nécessité d'une réforme des statuts de greffiers en chef et de greffiers des services judiciaires.

Une négociation a été engagée, sur ce point, en 2014, par la direction des services judiciaires (DSJ) avec l'ensemble des organisations syndicales représentatives des personnels de greffe.

Un protocole d'accord a été conclu, le 15 juillet 2014, avec la majorité des organisations syndicales. Ce protocole a rappelé les principaux objectifs de la réforme :

- le maintien d'un corps de direction spécifique et revalorisé à la DSJ ;

- la valorisation du métier de greffier des services judiciaires, par l'extension de ses missions, notamment à des fonctions de responsabilité ;

- un accès plus aisé au corps des greffiers pour les adjoints administratifs affectés dans les services judiciaires.

Les projets de textes issus de cette concertation ont été soumis au comité technique ministériel les 9 et 10 juillet 2015. Ils ont recueilli un avis favorable de la majorité des organisations syndicales représentatives.

Les nouveaux statuts particuliers confortent le greffier en chef, dénommé « directeur de greffe », dans ses fonctions d'encadrement supérieur au sein des services judiciaires. Ils renforcent par ailleurs les missions dévolues aux greffiers pour l'encadrement, l'assistance au magistrat et l'accueil des justiciables, ce qui est conforme aux objectifs de la réforme relative à la justice du XXI ème siècle.

Cette revalorisation des missions a une traduction indiciaire et organisationnelle.

Le corps des greffiers doit ainsi bénéficier d'une grille indiciaire revalorisée en deux grades, tenant compte du niveau de recrutement, de la qualification et des nouvelles responsabilités des greffiers.

Les directeurs de greffe voient aussi leur grille indiciaire revalorisée. Un troisième grade est créé, qui concerne l'accès à certains emplois fonctionnels. Il s'agit d'offrir aux intéressés un parcours professionnel attractif et de favoriser la mobilité vers des responsabilités supérieures.

La création de deux statuts d'emplois fonctionnels, de catégorie A pour les directeurs de greffe et B pour les greffiers, doit en outre permettre de valoriser les compétences des directeurs de greffe et des greffiers expérimentés accédant à des postes à responsabilités.

À terme, il est prévu que le statut d'emploi de greffier « fonctionnel », c'est-à-dire celui des greffiers de catégorie B exerçant certaines fonctions d'encadrement, concerne un millier d'emplois, dont 200 dès 2016. Les emplois à responsabilité correspondant seraient ceux des actuels chefs de greffe, ainsi que de nouveaux emplois d'encadrement aujourd'hui occupés par des greffiers en chef, de catégorie A.

Le statut d'emploi de directeur de greffe « fonctionnel » concernera, quant à lui 140 emplois, c'est-à-dire 10 % du corps.

Cette réforme statutaire est intervenue au 1 er novembre de cette année. Son coût devrait s'élever, pour le budget triennal 2015-2017, à 11,5 millions d'euros, ce qui inclut, notamment le coût du reclassement des greffiers dans la nouvelle grille indiciaire (8 millions d'euros).

Votre rapporteur constate qu'elle était attendue par les personnels de greffe et qu'elle présente le mérite de mieux correspondre au niveau élevé de qualification des greffiers et des greffiers en chef aujourd'hui en exercice.


* 8 Rapport n° 119 (2015-2016) de M. François Pillet, fait au nom de la commission des lois, déposé le 28 octobre 2015, disponible à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl14-660.html.

* 9 Les juridictions judiciaires comptent en effet une Cour de cassation, 36 cours d'appel et 836 juridictions de premier degré  dont, notamment, 168 tribunaux de grande instance et 304 tribunaux d'instance.

* 10 Loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge .

* 11 Ainsi, on comptait, en 2014, 25 018 placements de majeurs en rétention administrative.

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