B. UNE RÉPONSE QUI RESTE ENCORE À CONSTRUIRE

La mise en place d'un réseau de référents a incontestablement permis à la PJJ de mieux évaluer le phénomène de la radicalisation. Néanmoins, la réponse apportée par la PJJ reste encore incertaine : la prise en charge de ces mineurs doit-elle être spécifique ou s'intégrer dans le cadre des dispositifs existants ?

1. Le positionnement ambivalent de l'institution face au développement de réponses dédiées

Si le plan d'action contre la radicalisation et le terrorisme (PART) explique l'essentiel de l'augmentation des moyens de la protection judiciaire de la jeunesse 21 ( * ) , il ne se traduit que partiellement par la mise en place de dispositifs spécifiques dédiés.

En effet, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse a choisi de s'appuyer sur les moyens supplémentaires accordés par les PLAT 2 et PART pour renforcer les dispositifs de droit commun . Cette stratégie a été confirmée par le garde des sceaux qui, lors de son audition par votre commission, a fait état de la nécessité d'abonder en moyens et personnels les services habituels de prise en charge afin de leur permettre, le moment venu, d' « avaler l'extraordinaire » . Aucun crédit n'est donc spécifiquement fléché sur des actions de prévention de la radicalisation. Aucun établissement n'a de même vocation à n'accueillir que des mineurs radicalisés.

Ce choix est particulièrement soutenu par certaines organisations syndicales du personnel de la PJJ, soucieuses d'éviter que les mineurs « identifiés » dans un processus de radicalisation soient stigmatisés. Celles-ci s'opposent à une typologie des mineurs radicalisés et à une spécialisation des interventions et rappellent que la notion d'individualisation est au coeur de l'action éducative de la PJJ. Dès lors, la boite à outils de la PJJ devrait permettre d'offrir une prise en charge adaptée à tous les mineurs, radicalisés ou non.

Ce positionnement est cependant ambivalent . En effet, l'ampleur du phénomène et la priorité gouvernementale donnée à la lutte contre le terrorisme et la radicalisation bousculent le prisme des réponses traditionnelles de la PJJ et semblent appeler une réponse particulière.

La plupart des professionnels rencontrés par votre rapporteure ont ainsi souligné la difficulté de prendre en charge un public plutôt « atypique », généralement peu connu des services de la protection de la jeunesse. L'incarcération systématique des mineurs impliqués dans les affaires terroristes appellent également une adaptation de la prise en charge par la PJJ.

Ainsi, il semble que la problématique de la radicalisation semble sensiblement différente des situations habituellement traitées par les professionnels du travail social , même si les mêmes facteurs de vulnérabilité psychologiques peuvent être identifiés.

2. La nécessité de soutenir les professionnels de la protection judiciaire de la jeunesse

La singularité de la prise en charge de ces mineurs s'exprime notamment à travers les interrogations légitimes des personnels.

Dans un contexte de menace terroriste élevée et alors que l'organisation terroriste Daesh a menacé particulièrement les fonctionnaires « des services sociaux qui retirent les enfants musulmans à leurs parents » , les personnels de la PJJ s'inquiètent pour leur sécurité et s'interrogent sur le comportement à adopter face à certains mineurs.

Nombre d'entre eux s'interrogent également sur les possibilités de partage d'informations protégées par le secret professionnel , en particulier au sein des cellules préfectorales pour les référents laïcité et citoyenneté. La question de la collaboration avec les services enquêteurs est également posée par les professionnels travaillant dans le milieu ouvert ou les établissements d'hébergement.

Le cadre juridique du secret professionnel des agents de la PJJ

En application de l'article 3-1 du décret n° 2007-1573 du 6 novembre 2007 relatif aux établissements et services du secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse , les agents de la PJJ sont soumis au secret professionnel. Une information à caractère secret peut néanmoins être partagée dans le cadre des missions de la protection de l'enfance (article L. 226-2-2 du code de l'action sociale et des familles), de l'action sociale (article L. 121-6-2 du code de l'action sociale et des familles) ou dans le cadre des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (article L. 132-5 du code de la sécurité intérieure).

De plus, l'article 226-14 du code pénal autorise tout professionnel de l'action sociale, protégé de toute sanction disciplinaire ou poursuite pour violation du secret professionnel, à informer le préfet du caractère dangereux pour elles-mêmes ou pour autrui des personnes qui les consultent et dont ils savent qu'elles détiennent une arme ou qu'elles ont manifesté leur intention d'en acquérir une.

Enfin, l'article 40 du code de procédure pénale pose l'obligation pour les fonctionnaires de transmettre au procureur de la République toute information concernant un crime ou un délit.

À ces questions, le cadre réglementaire fixé par la DPJJ incite les référents laïcité et citoyenneté présents au sein des cellules territoriales de suivi à transmettre une expertise concernant l'orientation à donner à une situation individuelle, sans communiquer d'autre information que la prise en charge ou non du mineur par la PJJ.

Concernant le signalement d'un mineur radicalisé, les professionnels ne doivent s'adresser qu'au procureur de la République, seul juge de l'opportunité d'une saisine de la cellule préfectorale.

Enfin, les professionnels du secteur public comme du secteur associatif habilité ont témoigné auprès de votre rapporteure de la difficulté d'évaluer les situations de radicalisation, qui peuvent parfois relever d'une provocation ou d'une revendication identitaire en réaction à une situation d'« abandon par la République », et de les différencier des simples exercices d'une pratique religieuse.

Dans ce contexte inédit, la formation est particulièrement nécessaire pour accompagner les personnels, afin qu'ils partagent des clés de compréhension communes et mobilisables sur le terrain. Au 1 er novembre 2016 , 6 304 professionnels ont été formés dans le cadre du plan de formation triennal à la prévention de la radicalisation , en suivant un module de trois jours.

Alors que seulement 476 personnes avaient été formées au 1 er août 2015, votre rapporteure salue l'effort considérable mené par la direction pour former l'ensemble des personnels de la PJJ et notamment le secteur associatif habilité.

3. La construction de prises en charge spécialisées

La direction de la PJJ et l'ensemble des personnels reconnaissent que le cadre d'intervention vis-à-vis des adolescents radicalisés reste à construire. La production d'un référentiel de prise en charge pourra néanmoins reposer sur les expérimentations menées par les DIR, les initiatives de recherche et la fédération d'un réseau de partenaires associatifs.

a) Des expérimentations de spécialisation des personnels

Dans deux inter-régions (DIR), la DPJJ expérimente la mise en place de groupes d'appui .

Au sein de la direction interrégionale Ile-de-France/Outre-mer, a été mis en place un groupe d'appui composé de deux éducateurs spécialement recrutés, piloté par le référent laïcité et citoyenneté de la DIR, soutenu par des interventions de psychologues et de médecins psychiatres.

Chargés d'intervenir auprès des mineurs avec les professionnels référents pour étayer les pratiques professionnelles et d'animer des groupes de parole, ce groupe suivra particulièrement la population pénale poursuivie par le pôle antiterroriste de Paris, majoritairement incarcérée. Dans ce cadre, elle travaillera à la préparation de propositions de sorties de détention provisoire.

Le dispositif expérimenté dans la direction interrégionale Sud-Est est, quant à lui, structuré autour d'un pôle ressources interrégional et d'un groupe d'appui aux équipes.

Le pôle ressources réunira des personnalités qualifiées des mondes universitaire et judiciaire, les partenaires institutionnels ainsi que les professionnels de la PJJ afin de rassembler les connaissances théoriques en la matière, construire un savoir partagé, produire des référentiels de pratiques et participer à la démarche d'évaluation du dispositif.

Un guide de présentation des situations, identifiant les points critiques ou les indicateurs de basculement, pourrait ensuite être validé par le groupe d'appui.

Votre rapporteure encourage particulièrement les initiatives mises en place pour animer des groupes de parole où les professionnels peuvent échanger sur leurs pratiques, mais aussi communiquer leurs craintes et leurs interrogations.

En sus de ces groupes d'appui, le STEMO de Paris Centre expérimente actuellement une mesure d'investigation (MJIE) « radicalisation » à la pluridisciplinarité renforcée, en lien avec les magistrats des enfants du tribunal pour enfants et du pôle antiterroriste de Paris. Cette mesure s'adresse spécifiquement aux mineurs poursuivis pour association de malfaiteurs en vue d'une entreprise terroriste.

b) Le développement de la recherche

La DPJJ pilote deux projets de recherche destinés à améliorer les pratiques professionnelles de prise en charge des mineurs radicalisés.

Le premier, confié à deux chercheurs spécialisés de l'Université Paris--X, commencera officiellement le 28 novembre 2016 par la réunion d'un comité de pilotage 22 ( * ) et sur la base d'un échantillon de dossiers extraits du tableau de recensement anonymisé des situations individuelles, analysera tant les causes multifactorielles d'engagement dans la radicalisation que les pistes d'amélioration de la prise en charge actuelle de ces mineurs.

Un second projet devrait être initié à destination des mineurs et jeunes majeurs incarcérés, afin de mesurer les radicalisations qui s'opèrent au sein des établissements pénitentiaires.

Votre rapporteure salue le développement de ces démarches qui participent à l'évaluation des prises en charge des mineurs par la PJJ.

c) Le rôle du secteur associatif habilité dans la construction de l'offre d'actions de prévention de la radicalisation

La mise en place d'un réseau de partenaires, fédérés par les référents laïcité et citoyenneté, est fortement encouragée par la DPJJ. En effet, le secteur associatif habilité peut offrir des solutions expérimentales à des situations individuelles très spécifiques et aider à diversifier les actions de prévention de la radicalisation.

À cet égard, les principales fédérations du SAH regrettent qu'aucun moyen du plan d'action contre la radicalisation et le terrorisme (PART) ne soit affecté au SAH. Aucun moyen dédié n'a été accordé pour renforcer les centres éducatifs fermés associatifs alors même qu'ils sont sollicités pour prendre en charge ces mineurs. De plus, les fédérations déplorent d'être insuffisamment formées au phénomène de radicalisation, même si un tiers des places du plan de formation triennal est réservé au SAH.

Le jugement des mineurs impliqués dans les dossiers terroristes

Les juges pour enfants de Paris sont également confrontés au double défi de la croissance des mineurs impliqués dans des affaires terroristes, ainsi que celle des mineurs « en voie de radicalisation ».

Le juge des enfants et le juge d'instruction partagent une compétence concurrente pour l'instruction des délits commis par les mineurs alors que l'instruction des crimes relève obligatoirement des juges d'instruction.

En matière terroriste, les juridictions parisiennes, y compris le tribunal pour enfants et la cour d'assises des mineurs, disposent d'une compétence nationale spécialisée. Les juridictions de la jeunesse n'interviennent qu'au stade du jugement.

En 2016, 4 dossiers ont été jugés et 2 sont en attente. En 2017, 4 dossiers doivent être audiencés au premier trimestre. Or les dossiers de terrorisme, importants par leur volume, nécessitent également un temps long de préparation pour le magistrat mais également un temps significatif d'audience. Un poste fléché « terrorisme » devrait venir renforcer le tribunal pour enfants de Paris.

Il semble néanmoins que ce renforcement soit insuffisant pour faire face aux convocations de la cour d'assises des mineurs, spécialement composée de sept magistrats professionnels, sans jury.

Les magistrats entendus par votre rapporteure ont également souligné le paradoxe à juger des faits de terrorisme commis par des mineurs par une cour d'assises uniquement composée de professionnels, pour les crimes commis par les plus de seize ans, et par un tribunal pour enfants composé d'un juge pour enfants et de deux assesseurs non professionnels pour les délits.

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Sous réserve de ces observations, votre commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Protection judiciaire de la jeunesse » pour le projet de loi de finances pour 2017.


* 21 Voir I. du présent rapport.

* 22 Il sera composé de chercheurs, de la DPJJ, des référents laïcité et citoyenneté, d'une directrice des méthodes éducative, d'un pédopsychiatre, de magistrats, et notamment d'un juge d'instruction antiterroriste.

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