III. UN DOUTE PERSISTANT SUR L'EFFICACITÉ DES POLITIQUES DE SOUTIEN AUX ENTREPRISES DANS LES TERRITOIRES

Dans la continuité de ses premières analyses l'année dernière, votre rapporteur a poursuivi cette année son étude des politiques d'accompagnement des entreprises dans les territoires, en vue notamment de leur développement et de leur internationalisation.

Outre une réflexion dans la durée sur l'action des services déconcentrés de l'État en région en matière de développement économique face à la montée en puissance de la compétence des régions à l'égard des entreprises, il s'est spécialement intéressé cette année aux services déconcentrés de la direction générale des entreprises (DGE), c'est-à-dire le « pôle 3E » 31 ( * ) des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRRECTE), et à la réorganisation du dispositif gouvernemental en matière d'intelligence économique. Il a également observé la mise en place, avec d'importants moyens, de la nouvelle Agence France Entrepreneurs (AFE).

Dans ces domaines, au vu de ses auditions, votre rapporteur ne peut que réitérer les éléments de constat qu'il avait formulés l'année dernière :

- sérieux doute quant à l'efficacité de la pluralité des acteurs et de leur coordination dans l'accompagnement des entreprises dans les territoires ;

- difficulté à maintenir une présence de proximité des services de l'État pour les PME et les ETI et, en conséquence, interrogation sur la capacité des services déconcentrés à continuer à assumer dans les territoires, à terme, des missions de développement économique et d'accompagnement des entreprises ;

- insuffisance des actions de soutien à l'internationalisation des PME et des ETI ;

- absence persistante de lisibilité des différents dispositifs publics.

Il convient d'ajouter que beaucoup d'énergie a été dépensée dans la période récente sur les questions de réorganisation administrative - après celle dépensée pour la réforme de l'administration territoriale de l'État (RéATE) -, du fait de la nouvelle carte des régions, tant dans les DIRECCTE que dans les services régionaux, au détriment des actions de développement économique et d'accompagnement des entreprises. Selon le directeur général des entreprises, entendu par votre rapporteur, la nouvelle organisation des DIRECCTE a été opérationnelle à l'été 2016, grâce à une correcte anticipation en 2015.

Enfin, comme les DIRRECTE ne gèrent plus de crédits d'intervention en région, votre rapporteur s'interroge sur la consistance de la plus-value, pour les entreprises, de l'action des services déconcentrés de l'État. Les régions sont aujourd'hui de facto les principaux soutiens financiers des entreprises et doivent clairement assumer cette responsabilité, dans le cadre des schémas régionaux de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII), instaurés par la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République. Ces schémas sont à ce jour en cours d'élaboration.

Dans ces conditions, comme votre rapporteur l'avait déjà énoncé l'année dernière, l'État territorial n'a plus aujourd'hui vocation à jouer un rôle d'accompagnement financier individuel des entreprises. Une clarification du partage des responsabilités entre l'État et les régions devra intervenir dans le domaine du développement économique et du soutien aux entreprises : si l'État doit conserver au niveau national un rôle stratégique d'impulsion et de soutien aux filières, dans le cadre d'une politique économique et industrielle nationale, il appartient aux régions, au niveau local, d'exercer la responsabilité des différentes composantes de l'action économique de proximité auprès des PME et des ETI. Cette clarification doit être assortie d'une réelle rationalisation des interventions des différents acteurs publics compétents sur ce champ, sous la prééminence des régions, et pourrait se traduire par un transfert d'agents de l'État vers les régions. À cet égard, votre rapporteur relève que l'action des chambres consulaires doit s'inscrire dans le cadre défini par le SRDEII.

Par ailleurs, votre rapporteur déplore que la montée en puissance annoncée des régions dans le domaine économique ne conduise pas la DGE à engager une réflexion sur une adaptation en profondeur de ses interventions territoriales, pour les concevoir de façon complémentaire de celles des régions et non de façon juxtaposée, afin de compenser les disparités entre les actions économiques des différentes régions, dans un cadre stratégique national. Les réformes récentes et la réduction de ses effectifs semblent conduire la DGE à se focaliser sur une logique trop souvent administrative de maintien d'emplois ou d'implantations géographiques du fait d'une présence territoriale en recul.

La période actuelle ne peut donc être qu'intermédiaire, avant la mise en place d'un nouveau modèle d'action économique locale . Il appartient à l'État d'anticiper cette évolution nécessaire, à laquelle le conduit la restriction des fonds publics, plutôt que de maintenir une administration déconcentrée dont les capacités d'action se réduisent année après année.

Les organisations représentant les entreprises que votre rapporteur a entendues en audition ont largement souscrit à cette analyse.

La réforme envisagée du pilotage des pôles de compétitivité s'inscrit d'ailleurs dans la perspective d'une telle évolution et votre rapporteur déplore que le Gouvernement n'ait pas encore arbitré une telle réforme, alors que les régions sont en train d'élaborer leurs SRDEII. Le principe en est de rééquilibrer les rôles respectifs de l'État et des régions dans le pilotage des pôles, alors que la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 précitée a confié à ces dernières une mission de soutien du fonctionnement des pôles. Il s'agirait de transférer la responsabilité du financement du fonctionnement des pôles aux régions, sauf pour quelques pôles stratégiques à vocation internationale, dont la liste resterait à déterminer 32 ( * ) . Dans le cadre des politiques nationales de filières, l'État conserverait toutefois une capacité de financement de certains projets d'intérêt national des pôles.

S'agissant de l'AFE, votre rapporteur considère que sa création même et la montée en puissance des crédits qui lui sont attribués témoignent de façon significative du maintien d'une certaine dispersion des acteurs publics et donc de leurs moyens dans le champ du soutien aux entreprises et aux initiatives économiques, ainsi que du chevauchement des missions des uns et des autres, alors que la priorité doit porter sur leur rationalisation et leur simplification.

En effet, à la fin de l'année 2015, l'AFE a pris la suite, avec les mêmes statuts associatifs, de l'ancienne Agence pour la création d'entreprises (APCE), dont la pérennité avait même un temps été discutée, compte tenu de son coût pour le budget de l'État au regard des actions réalisées (communication experte et professionnelle sur la création d'entreprises, via internet, et formation). L'APCE avait ainsi dû renoncer à une partie de ses missions, compte tenu de la forte baisse des subventions de l'État. La création de l'AFE correspond à une annonce du Président de la République.

Désormais l'AFE, dont les objectifs prioritaires sont, outre le soutien à l'entrepreneuriat de l'APCE, la lutte contre les inégalités territoriales en matière de développement économique, en particulier dans les zones de politique de la ville, et le renforcement de l'accompagnement des entreprises nouvellement créées, dispose en 2016 de 6 millions de budget, comportant 2 millions d'euros de subventions de l'État, 2 millions d'euros de subventions provenant d'autres partenaires et 2 millions d'euros de ressources propres. Elle devrait disposer des mêmes ressources publiques en 2017, dont la moitié correspond à des crédits d'intervention.

Par ailleurs, selon les informations communiquées à votre rapporteur, le projet de loi de finances rectificative pour 2016 devrait attribuer à l'AFE une enveloppe de 20 millions d'euros de crédits d'intervention supplémentaires, pour financer des organismes de soutien à la création d'entreprises ainsi que des projets nationaux dans ce domaine.

S'il souscrit bien sûr aux objectifs de l'AFE, votre rapporteur exprime néanmoins les plus grandes réserves sur la pertinence d'une telle organisation, dotée de crédits importants, pour les motifs déjà évoqués supra de nécessaire rationalisation des dispositifs publics de soutien aux entreprises. Au moment où la réduction des crédits publics doit inciter à une telle rationalisation, une telle situation ne peut manquer d'étonner.

S'agissant du dispositif gouvernemental en matière d'intelligence économique , votre rapporteur rappelle la création, au début de l'année 2016 33 ( * ) , du service de l'information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE), service à compétence nationale rattaché à la DGE, issu de la fusion de l'ancienne délégation interministérielle à l'intelligence économique, rattachée au Premier ministre, et du service de coordination à l'intelligence économique, rattaché au ministère de l'économie.

Si la fusion de ces deux structures apparaît comme une rationalisation bienvenue, votre rapporteur s'interroge sur les missions de cette nouvelle entité administrative, placée sous la direction d'un commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économiques, directement rattaché au ministre et doté de certaines compétences interministérielles. En effet, cette rationalisation apparaît comme un recentrage voire un repli du dispositif gouvernemental sur une approche plus régalienne de la question de l'intelligence économique.

Entendu par votre rapporteur, le nouveau commissaire a expliqué les priorités de son service, portant sur l'identification et la protection des intérêts économiques français stratégiques. Cette mission comporte une dimension de renseignement économique, visant à identifier les entreprises stratégiques et à éclairer les décisions économiques de l'État, par exemple en cas de cession d'une entreprise française à un investisseur étranger. En d'autres termes, les missions intéressant plus directement les entreprises elles-mêmes, concernant la sensibilisation et l'accompagnement sur les enjeux d'intelligence économique, ne sont plus prioritaires.

Votre rapporteur estime donc discutable d'avoir créé un tel service aux missions certes recentrées mais restreintes, alors que, selon ses auditions, les entreprises ont toujours besoin de pédagogie sur ces enjeux d'intelligence économique, qui sont aussi un facteur de compétitivité, tant d'un point de vue défensif (protection des informations stratégiques de l'entreprise) qu'offensif (utilisation par l'entreprise des informations extérieures disponibles et influence sur l'environnement). Dans ces conditions, il s'interroge aussi sur la mission des 22 correspondants régionaux actuels du SISSE, placés au sein des DIRECCTE.

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En conclusion, alors que votre commission, sur la proposition de son rapporteur, avait émis un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Développement des entreprises et du tourisme » inscrits au projet de loi de finances pour 2016, votre rapporteur constate que les évolutions intervenues au cours de l'année 2016 ne permettent pas de maintenir cet avis.

D'une part, le système de régulation des professions réglementées du droit issu de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, assis sur des avis controversés de l'Autorité de la concurrence, revêt une grande complexité au niveau réglementaire et ne paraît pas pleinement satisfaisant pour assurer dans la durée l'équilibre des professions comme des territoires.

D'autre part, il faut constater un certain immobilisme de l'État dans le domaine du soutien au développement économique et à l'internationalisation des entreprises, ainsi qu'une absence de remise en cause des actions de l'État face à la montée en puissance annoncée des régions, sur la base du schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation. En outre, la nécessaire rationalisation des acteurs publics du développement économique n'est pas engagée, dans ce nouveau contexte.

Compte tenu de ces observations, votre commission des lois a émis un avis défavorable à l'adoption des crédits du programme « Développement des entreprises et du tourisme » de la mission « Économie » inscrits au projet de loi de finances pour 2017.


* 31 Entreprises, emploi et économie.

* 32 Il existe à ce jour 70 pôles de compétitivité.

* 33 Décret n° 2016-66 du 29 janvier 2016 instituant un commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économiques et portant création d'un service à compétence nationale dénommé « service de l'information stratégique et de la sécurité économiques ».

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