EXAMEN EN COMMISSION

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Réunie le mercredi 29 novembre 2017, sous la présidence de M. Alain Milon, président, la commission procède à l'examen du rapport pour avis de M. René-Paul Savary sur la mission « Régimes sociaux et de retraite » du projet de loi de finances pour 2018.

M. Alain Milon, président. - La parole est à René-Paul Savary, rapporteur pour avis pour la mission « Régimes sociaux et de retraite » et le compte d'affectation spéciale « Pensions ».

M. René-Paul Savary. - Nous en venons, avec ce rapport sur le compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions » et la mission « Régimes sociaux et de retraite » à l'examen des crédits du budget de l'État finançant une partie des dépenses de l'assurance vieillesse. Je remercie notre Président qui a proposé cette année d'élargir le périmètre de cet avis budgétaire au Cas « Pensions » alors que nous n'examinions les années passées que les crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite ». Cela nous permet désormais de disposer d'une vision plus consolidée des dépenses des régimes de base de l'assurance vieillesse.

Vous avez, mes chers collègues, à votre disposition un schéma, qui figurera dans le rapport écrit, représentant la complexité de notre système de retraite face à la diversité des statuts des cotisants. Vous le notez, les travailleurs indépendants relèvent jusqu'à sa suppression définitive en 2020 du RSI pour la retraite de base mais aussi du régime complémentaire des indépendants. Les professionnels libéraux relèvent pour la base et leur complémentaire de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales (CnavPL). Les exploitants agricoles relèvent de la MSA pour leur retraite de base et d'un régime complémentaire obligatoire spécifique (RCO) financé en partie par la mission « Régimes sociaux et de retraite ». Les salariés agricoles sont affiliés également à la MSA pour leur régime de base et aux régimes de retraite complémentaire des salariés du privé Agirc-Arrco. Les salariés du privé relèvent de la Cnav pour leur retraite de base et également de l'Agirc-Arrco. Si les contractuels de la fonction publique cotisent également à la Cnav pour leur retraite de base, ils sont affiliés à l'Ircantec pour leur retraite complémentaire.

S'agissant des fonctionnaires titulaires des trois fonctions publiques, des ouvriers de l'État ou des salariés d'entreprises ou d'institutions publiques relevant de régimes spéciaux, ils sont assurés à des régimes dits « complets » c'est-à-dire qui ne distinguent pas la base de la part complémentaire et versent une pension unique. Les fonctionnaires civils et militaires de l'État relèvent du service des retraites de l'État dont les dépenses sont retracées dans le Cas « Pensions » comme le Fonds spécial des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'État. Les fonctionnaires territoriaux et hospitaliers sont assurés auprès de la CNRACL. Il existe enfin plus d'une quinzaine de régimes spéciaux dont l'équilibre financier est assuré par une subvention d'équilibre. La mission « Régimes sociaux et de retraite » concerne les subventions du budget de l'État versées à onze régimes spéciaux, dont la plupart sont en voie d'extinction.

Prendre en compte la complexité du système des retraites me paraît essentiel à la veille du projet de réforme systémique annoncé qui pourrait conduire à interroger l'architecture de ce système.

Chaque année, lors de l'examen du PLFSS, nous votons les objectifs de dépenses des seuls régimes de base de l'assurance vieillesse, qui correspondent d'une part, aux régimes de base des travailleurs du secteur privé et d'autre part, aux régimes de retraite « complets » de la fonction publique et des autres régimes spéciaux. En 2018, elles s'élèveront à 236,4 milliards d'euros dont 232,3 milliards de prestations.

La différence correspond aux frais de gestion nécessaires à la liquidation de ces prestations. On estime que ces frais de gestion atteignent un montant total de 5 à 6 milliards d'euros pour l'ensemble des 310 milliards de prestations de base et complémentaires versées par la branche vieillesse de la sécurité sociale.

Les objectifs de dépenses de la branche vieillesse dans le PLFSS ne prennent donc pas en compte les dépenses des régimes complémentaires, qui représentent tout de même plus de 85 milliards d'euros. Je souscris à ce titre à l'idée, évoquée la semaine dernière par notre Président lors de la CMP sur le PLFSS, d'élargir le champ des LFSS à ces dépenses ainsi qu'à celles des hôpitaux et de l'assurance chômage au sein d'un texte de financement consolidé de la protection sociale. Ce n'est pourtant pas la piste qui a été évoquée devant notre assemblée par le ministre des comptes publics.

Parmi les dépenses des régimes de base, les régimes de la fonction publique pèsent pour 80 milliards d'euros. Le CAS « Pensions » retrace les dépenses de retraite des fonctionnaires de l'État uniquement (58,4 milliards en 2018). Les dépenses de la CNRACL (22 milliards) pour les fonctionnaires territoriaux et hospitaliers font partie des dépenses des régimes de base au même titre que la MSA par exemple. Les contractuels de la fonction publique, comme les élus locaux, relèvent du régime général pour la retraite de base et de l'Ircantec pour la retraite complémentaire.

S'agissant des régimes spéciaux, la mission « Régimes sociaux et de retraite » concerne 11 régimes spéciaux parmi lesquels quatre sont significatifs : le régime de la SNCF, le régime des mines, le régime des marins et celui de la RATP. Ils représentent environ 9 milliards d'euros de prestations sur les 15 milliards d'euros de dépenses de l'ensemble des régimes spéciaux.

Vous le constatez donc, les régimes de retraite couverts par le CAS « Pensions » et la mission « Régimes sociaux et de retraite » concernent une part significative des dépenses des régimes de base. L'intervention de l'État dans ces deux missions budgétaires relève de deux logiques différentes : une contribution d'équilibre en tant qu'employeur dans le cadre du CAS « Pensions » ; une subvention d'équilibre pour les régimes spéciaux couverts par la mission « Régimes sociaux et de retraite ».

Le CAS « Pensions » regroupe trois programmes :

- le programme 741, qui retrace les dépenses des pensions de retraite ainsi que des allocations temporaires d'invalidité des fonctionnaires civils et militaires de l'État. Il présente pour 2018 un montant de 54,7 milliards d'euros de crédits soit près de 95 % des dépenses du CAS. Ces dépenses sont financées en 2018 à hauteur de 6,8 milliards d'euros par les cotisations salariales des fonctionnaires, dont les taux convergent avec ceux des salariés du privé depuis la réforme des retraites de 2010.

Le montant de la contribution d'équilibre employeur de l'État et des cotisations patronales des autres employeurs (établissements publics, Orange, La Poste...) s'élève pour sa part à près de 47 milliards d'euros. La création de la contribution employeur en 2003 a constitué un progrès de transparence sur les conditions de partage de l'effort contributif entre les employeurs publics et leurs agents qui demeure toutefois insuffisant. Dans le cas du régime de retraite des fonctionnaires de l'État, cette contribution employeur couvre à la fois la part employeur de la cotisation retraite des fonctionnaires mais elle permet également d'équilibrer le régime en compensant son déséquilibre démographique et en finançant les prestations de retraite non couvertes par le seul effort contributif.

C'est ce qui explique que les taux de cette contribution au sein du régime de retraite de l'État demeurent très éloignés des taux employeurs (base et complémentaire) dans le privé, assis sur la masse salariale : 74,3 % pour les fonctionnaires civils et 126 % pour les militaires contre 16,3 % pour les employeurs privés.

La contribution d'équilibre employeur joue donc bien le rôle de subvention du régime de retraite des fonctionnaires de l'État mais dans une proportion qu'il est aujourd'hui impossible de mesurer, j'y reviendrai ;

- le programme 742, concerne le Fonds spécial des ouvriers des établissements de l'État (FSPOEIE) créé en 1928 qui verse un montant de 1,9 milliards d'euros de prestations en 2018 (soit 2,5 % des dépenses du CAS).

La contribution employeur de l'État pour ce programme, assise sur la masse salariale au taux de 34,6 %, n'atteint qu'un montant de 282 millions en 2018 nécessitant une subvention d'équilibre ad hoc de 1,4 milliard ;

- enfin, le programme 743 regroupe les pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre (PMIVG) ainsi que les pensions ou rentes de régimes de retraite dont l'État est redevable, notamment au titre d'engagements historiques et de reconnaissance de la Nation. Ces dépenses, par nature exclusivement financées par la solidarité nationale, atteignent en 2018 un montant de 1,9 milliard.

De son côté, la mission « Régimes sociaux et de retraite » retrace les subventions d'équilibre que l'État verse aux 11 régimes spéciaux concernés ainsi qu'au régime complémentaire des exploitants agricoles. Le montant des crédits de cette mission atteint 6,33 milliards en 2018 soit une hausse de 1,3 % par rapport à 2017, après quatre années consécutives de baisse. Elle résulte de la progression des dépenses dans les régimes de la SNCF et de la RATP.

Trois programmes composent la mission :

- le programme 198, relatif aux régimes sociaux et de retraite des transports, affiche une dépense de 4,1 milliards d'euros. Il comprend les subventions versées aux régimes de la SNCF (3,3 milliards, + 0,9 % par rapport à 2017) et de la RATP (700 millions, + 4,22 %) ainsi qu'à un ensemble de petits régimes en voie d'extinction comme les régimes des chemins de fer secondaires pour un montant cumulé de 127 millions (- 10 %) ;

- le programme 197 concerne le régime de retraite et de sécurité sociale des marins qui comprend la subvention d'équilibre versée par l'État à la branche vieillesse de l'Établissement national des invalides de la marine (Enim) pour un montant de 824 millions en 2018 (en recul de 0,45 % par rapport à 2017) ;

- enfin le programme 195, relatif aux régimes de retraite des mines, de la Seita et divers réunit les crédits consacrés à des régimes en extinction rapide et aux caractéristiques démographiques extrêmement dégradés pour un montant de 1,4 milliard (- 3 %). La principale dépense concerne le versement, au fonds spécial de retraite de la caisse des mineurs d'une subvention d'équilibre de 1,2 milliard.

Depuis 2017, ce programme budgétaire retrace également la subvention versée par l'État au régime de retraite complémentaire des exploitants agricoles (RCO) pour un montant de 55 millions. À cette subvention, accordée à l'automne 2016, s'ajoute désormais l'affectation au RCO du produit de la taxe sur les farines, que notre commission souhaitait supprimer dans le PLFSS. Ces mesures de soutien au RCO ont eu pour contrepartie une augmentation de la cotisation des exploitants agricoles.

Je m'étonne au passage de l'imputation comptable qui a été choisie l'an dernier pour la subvention de l'État au RCO tant l'objet de ce programme budgétaire concerne non seulement des régimes de base mais qui plus est des régimes « fermés ».

La grande diversité des régimes couverts par ces deux seules missions budgétaires laisse entrevoir l'immense difficulté que la réforme des retraites annoncée aura à faire converger l'ensemble des régimes de retraite vers des règles identiques. Le principal enjeu de la réforme sera prioritairement d'améliorer la transparence du système de retraite qui alimente actuellement le sentiment de manque d'équité entre les Français face à la retraite.

Il demeure encore des différences comme en atteste l'entrée en vigueur, seulement depuis le 1er janvier 2017, de la réforme de 2010 portant sur le report de l'âge minimum légal dans les régimes de la RATP et de la SNCF. Il s'agit là pourtant d'une exception, qui justifie que notre commission assortisse de réserves son vote des crédits de la mission « Régimes sociaux » depuis plusieurs années. Je vous invite d'ailleurs à renouveler ces réserves dans l'avis que nous rendrons.

Le comité de suivi des retraites a montré combien en matière d'âge de départ à la retraite et de taux de remplacement, les écarts entre les régimes du privé et du public n'étaient pas significatifs.

Un point demeure toutefois obscur : la forte diversité des règles empêche aujourd'hui de comparer les efforts contributifs entre les régimes pour atteindre un même taux de remplacement. C'est tout l'enjeu du calcul nécessaire du taux de rendement pour chaque régime de retraite c'est-à-dire du rapport entre le montant total des cotisations salariales versées et le montant de la pension servie à la retraite. Cet indicateur sera au coeur de la réforme à venir.

En effet, si un « un euro cotisé » doit rapporter la même chose quel que soit le statut du cotisant ou le régime dans lequel il l'a versé, cela signifie qu'il ne peut subsister de différence dans le niveau de la participation employeur sauf à reconnaître des spécificités selon les métiers ou les fonctions. Ce sera nécessairement le cas pour les militaires par exemple. Mais quid des autres catégories de fonctionnaires ?

La logique de la réforme proposée par le Président de la République nécessitera de rendre transparent le coût de l'ensemble des dispositifs de solidarité, c'est-à-dire de tout ce qui ne relève pas de la seule logique contributive pour laquelle les assiettes et les taux de cotisation, salarial comme employeur, se devront d'être harmonisés.

La réforme impliquera donc en réalité de réinterroger tout notre système de retraite : quels dispositifs de solidarité souhaitons-nous conserver parmi les droits familiaux à la retraite, les pensions de réversion, le minimum vieillesse, la prise en charge des périodes d'inactivité ? Et si on les conserve, comment les valorise-t-on en termes de points ou d'euros alimentant les futurs comptes notionnels ? C'est le défi qui nous attend en tant que législateur au cours de l'année 2018 : appréhender la complexité actuelle du système de retraite et décider ce qu'il convient de conserver ou de faire évoluer.

En attendant, je vous propose de donner un avis favorable sur les crédits du CAS « Pensions » et de la mission « Régimes sociaux et de retraite », assorti des réserves évoquées.

M. Dominique Watrin. - Mon propos se concentrera sur les crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite » dont l'objet est tout de même, je le rappelle, de pallier le déséquilibre démographique important de certains régimes spéciaux dont un nombre significatif est en voie d'extinction. Je note que les crédits de la mission sont stables entre 2017 et 2018 et que ces régimes ont réalisés d'importants efforts d'économie de gestion de l'ordre de - 15 % en 4 ans. D'un point de vue général, je suis inquiet quant à la philosophie qui sous-tend à la fois le propos de notre rapporteur et le projet de réforme systémique évoqué par le Président de la République. Dans une interview donnée à la presse à la fin de l'été, ce dernier a annoncé une sorte de « deal » aux cheminots consistant à supprimer leur régime spécial de retraite en échange de la reprise par l'État de la dette ferroviaire. Il est pourtant clair que la dette de la SNCF s'explique par les investissements du groupe, dans le TGV par exemple, et ne doit donc pas être supportée par les salariés ! Quelle que soit l'évolution future du système de retraite, je rappelle que le déséquilibre du régime des cheminots est d'abord et avant tout du à la baisse de leur nombre : ils étaient 1,5 million en 1945 contre 150 000 aujourd'hui.

Je suis également en désaccord avec le propos du rapporteur qui consiste à analyser les crédits de cette mission dans le cadre de la future réforme. Cette dernière est porteuse d'un changement fondamental dans notre système de solidarité en faisant passer le système de retraite actuel d'un système à prestations définies, à un système à cotisations définies. C'est une idée ancienne portée par le Medef notamment qui refuse de voir augmenter les cotisations d'assurance vieillesse. Mais pour les salariés, le changement sera considérable : les pensions pourront devenir la variable d'ajustement du financement de la sécurité sociale. Notre groupe s'y opposera et votera également contre le rapport qui vient de nous être présenté.

M. Olivier Henno. - Je reviens sur le bilan des réformes successives des retraites en particulier celles qui ont eu pour conséquence de reporter l'âge de départ à la retraite. Malgré ces réformes qui ont décalé de seulement 24 mois l'âge moyen de départ à la retraite, je constate que la France est encore l'un des pays où cet âge moyen est le plus faible. Il serait inférieur en moyenne de deux ans par rapport aux autres pays de l'Union européenne. Il n'est pas rare de voir encore dans les entreprises certains salariés partir à 58 ou 59 ans à la retraite. Je crains donc que la réalité soit éloignée des chiffres qui ont été évoqués sur les âges de départs à la retraite.

M. René-Paul Savary. - Il est clair que nous ne partageons pas la même philosophie sur les retraites avec notre collègue Dominique Watrin. La réforme entend effectivement mettre en place un régime universel de retraite, ce qui ne signifie pas un régime unique. Mais comment accepter que la réforme décidée en 2010 de reporter l'âge minimum légal de départ à la retraite commence simplement à s'appliquer dans les régimes de la SNCF et de la RATP alors même qu'ils bénéficient de conditions de départ beaucoup plus avantageuses ?

D'autre part, l'analyse des équilibres financiers des régimes de retraite des fonctionnaires fait apparaître des écarts importants entre les contributions employeurs des collectivités publiques et les taux de cotisations patronales de l'assurance vieillesse de base et complémentaire. C'est un fait marquant qui doit nous interpeller. J'ignore encore quel sera le degré d'universalité du système après la réforme mais il me parait souhaitable et logique que les régimes spéciaux s'adaptent.

M. Jean-Louis Tourenne. - Je souhaiterais avoir des explications sur la différence entre les taux de contribution employeurs dans le public et les taux de cotisation patronales dans le secteur privé.

M. René-Paul Savary. - Comme je l'ai indiqué dans mon exposé, la contribution employeur pour les fonctionnaires de l'État intègre à la fois la part patronale de l'État employeur et aussi une dimension de compensation démographique. Le régime de retraite des fonctionnaires affiche un ratio démographique inférieur à 1, c'est à dire beaucoup plus dégradé que celui du régime général qui s'élève à 1,3.

Un dernier mot pour répondre à notre collègue Olivier Henno. L'âge moyen de départ à la retraite, y compris dans la fonction publique civile sédentaire, est environ de 61,9 ans. Cet âge a été repoussé de plus de deux ans grâce à la réforme de 2010.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite » et du compte d'affectation spéciale « Pensions » du projet de loi de finances pour 2018, assorti toutefois d'une réserve concernant les règles de départ à la retraite des régimes de la SNCF et de la RATP.

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