AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Le présent rapport pour avis analyse les crédits consacrés aux transports ferroviaires, collectifs et fluviaux figurant, d'une part, dans le budget de l'agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf), d'autre part, dans le projet de loi de finances pour 2018 au sein de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » et du compte d'affectation spéciale « Services nationaux de transport conventionnés de voyageurs ».

Ce budget présente les caractéristiques d'un budget de transition, alors que le Gouvernement a annoncé une réorientation profonde de la politique des transports, mettant l'accent sur les transports du quotidien et la modernisation des réseaux existants. La démarche engagée dans le cadre des Assises de la mobilité et du Conseil d'orientation des infrastructures doit permettre de hiérarchiser les priorités dans le domaine des infrastructures, et de garantir leur financement. Une loi d'orientation des mobilités, qui comportera la programmation de ces projets, sera ensuite présentée au Parlement, au début de l'année 2018.

Ce travail répond à plusieurs préoccupations : les risques pesant sur la soutenabilité financière de l'agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf), la faible association du Parlement à la détermination des dépenses d'infrastructures, et l'état inquiétant des réseaux existants.

La libéralisation du transport ferroviaire de voyageurs, dont le cadre devra être fixé au 1 er janvier 2019 pour les TGV, pour une mise en oeuvre effective en décembre 2020, et au 3 décembre 2019, pour les services conventionnés (TER et trains d'équilibre du territoire), doit également être organisée au plus vite, pour permettre à l'ensemble des acteurs de s'y préparer. C'est l'objet de la mission confiée par le Premier ministre à Jean-Cyril Spinetta.

Dans ce contexte, le budget pour 2018 revêt nécessairement les caractéristiques d'un budget de transition. L'augmentation du budget d'intervention de l'Afitf de 2,2 à 2,4 milliards d'euros devrait permettre à l'agence d'assumer un certain nombre d'engagements passés, en retardant certains paiements comme elle l'a fait ces dernières années. Alors qu'un doute subsistait, dans les régions Centre-Val de Loire et Hauts-de-France, sur le financement promis par l'État du renouvellement des matériels roulants des trains d'équilibre du territoire, en échange de leur transfert aux régions, votre rapporteur a obtenu de la Ministre chargée des transports l'engagement que ce financement serait assuré début 2018.

L'ensemble de ces éléments ont conduit votre rapporteur à considérer que le budget proposé pour 2018 pouvait être accepté comme tel, dans l'attente des évolutions prévues à partir de l'année prochaine.

Lors de sa réunion du 8 novembre 2017, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, suivant votre rapporteur pour avis, a émis un avis favorable à l'adoption des crédits du projet de loi de finances pour 2018 consacrés aux transports ferroviaires, collectifs et fluviaux.

I. VERS UNE RÉORIENTATION DE LA POLITIQUE DES TRANSPORTS

A. LA NÉCESSITÉ DE REDÉFINIR UNE STRATÉGIE SOUTENABLE POUR LES INFRASTRUCTURES DE TRANSPORT, AVEC LE PARLEMENT

Les gouvernements précédents ont eu tendance à promettre et même engager la réalisation de nombreux projets d'infrastructures, sans nécessairement s'assurer de leur faisabilité financière. Sur le plan budgétaire, cette politique s'est traduite par une inadéquation entre les ressources et les dépenses de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf).

Cette agence est chargée depuis 2005 de financer, pour le compte de l'État, les projets d'infrastructures, mais aussi, de façon plus récente, la part de l'État dans les contrats de plan État-régions (CPER), des investissements de régénération ou de sécurisation des réseaux routiers, ferroviaires et fluviaux, des projets de création ou de développement de transports collectifs et le renouvellement des matériels roulants des trains d'équilibre du territoire. Ce mécanisme de financement répond à une logique de report modal , puisque les ressources de l'agence sont exclusivement issues de la route : il s'agit de la redevance domaniale et d'une fraction de la taxe d'aménagement du territoire, applicables aux sociétés d'autoroutes, d'une fraction de la taxe intérieure à la consommation sur les produits énergétiques (TICPE), d'une fraction du produit des amendes radar, et de la contribution exceptionnelle des sociétés d'autoroutes négociée dans le cadre du plan de relance autoroutier conclu en 2015.

DÉPENSES DE L'AFITF DEPUIS 2010

Dépenses (en millions d'euros)

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

Routes

771

869

763

664

705

739

779

831

Ferroviaire

1031

688

643

729

668

705

820

961

Fluvial

45

73

44

66

35

64

83

102

Portuaire et littoral

53

58

59

69

30

58

55

50

Transports collectifs

187

265

315

349

268

172

213

236

Divers (PEI Corse, aires de contrôle des poids lourds)

46

26

33

32

8

17

22

20

Total - hors frais financiers et hors indemnité versée à Écomouv

2133

1979

1857

1909

1714

1755

1972

2200

RECETTES DE L'AFITF DEPUIS 2010

Recettes (en millions d'euros)

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017 1 ( * )

2018 2 ( * )

Fraction de la taxe d'aménagement du territoire (applicable aux sociétés d'autoroutes)

539

542

535

538

571

555

560

565

472

Redevance domaniale (applicable aux sociétés d'autoroutes)

189

193

198

300

314

326

331

350

355

Fraction du produit des amendes radars

126

177

272

170

203

233

360

400

450

Fraction de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE)

1139

715

735

1076

Contribution exceptionnelle des sociétés d'autoroutes négociée dans le cadre du plan de relance autoroutier

100

100

100

60

Droit d'entrée A 63

400

Produits divers

1

2

Subvention budgétaire (Programme 203)

915

974

900

560

656

Subvention budgétaire (Plan de relance)

331

Versement de la région Normandie (dans le cadre de l'accord sur les trains d'équilibre du territoire)

35

Total recettes hors avance France Trésor

2097

2287

1907

1568

1743

2354

2066

2150

2448

Source : direction générale des infrastructures, des transports et de la mer

Depuis 2013, l'Afitf rencontre des difficultés budgétaires, d'abord dues aux reports successifs de l'entrée en vigueur de l'écotaxe, puis à son abandon, décidé à la fin de l'année 2014. L'agence devait en effet bénéficier d'une grande partie de ses recettes annuelles, soit 700 à 800 millions d'euros, à la place d'une subvention budgétaire que lui versait chaque année l'État. Mais celui-ci a commencé à réduire le montant de cette subvention dès 2013, alors que l'Afitf ne percevait aucune recette supplémentaire. Les ressources de l'Afitf ont ainsi diminué fortement, passant de 1,9 milliard d'euros en 2012 à 1,6 milliard en 2013 et 1,7 milliard en 2014.

Le manque à gagner résultant de l'abandon définitif de l'écotaxe n'a été que partiellement compensé par l'affectation d'une fraction de la taxe intérieure à la consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Si cette fraction s'est élevée à 1,1 milliard d'euros en 2015, l'Afitf a dû assumer, cette même année, 528 millions d'euros de frais résultant de la résiliation du contrat avec la société Ecomouv', qui avait été chargée de la collecte de l'écotaxe (le paiement de la totalité des frais de résiliation, soit près de un milliard d'euros, étant échelonné sur plusieurs années). Dans les lois de finances initiales pour 2016 et 2017, la part de TICPE affectée à l'Afitf a été réduite à respectivement 715 puis 735 millions d'euros.

En 2017, alors que les besoins de financement de l'agence étaient estimés à 2,5 milliards d'euros par son ancien président, Philippe Duron, son budget s'est élevé à 2,2 milliards d'euros.

En conséquence, l'agence a accumulé des restes à payer. À la fin de l'année 2016, ils s'élevaient à 12,3 milliards d'euros , auxquels il convient d'ajouter les engagements correspondant aux contrats de plan État-région 2015-2020, soit 6,9 milliards d'euros et les projets de construction d'une ligne ferroviaire à grande vitesse entre Lyon et Turin et du canal Seine-Nord Europe.

Dans un référé du 10 juin 2016 , la Cour des comptes a déploré l'accumulation de ces restes à payer, faisant peser « de sérieux doutes sur la capacité de l'Afitf à faire face à ses engagements. » De fait, l'Afitf permet à l'État de s'affranchir des principes du droit budgétaire. En particulier, les engagements financiers ne font l'objet d'aucun plafonnement dans la loi de finances et sont autorisés par le seul conseil d'administration de l'agence, indépendamment de la norme d'évolution des dépenses de l'État. La régulation s'effectue donc année après année par les crédits de paiement.

Dans ce contexte, l'agence a régulièrement été contrainte de reporter certains paiements et a accumulé une dette vis-à-vis de Réseau ferré de France puis SNCF Réseau , qui s'élevait à 447 millions d'euros à la fin de l'année 2016, dont 37 millions d'euros de pénalités financières. Ce montant est certes en diminution, mais n'en reste pas moins important.

DETTE DE L'AFITF VIS-À-VIS DE SNCF RÉSEAU

Montants en millions d'euros

Fin 2015

Fin 2016

Fin 2017

(prévision)

Principal

LGV Est 2

159

0

27

LGV SEA

512

406

255

Autres

6

4

0

Sous-Total

677

410

282

Intérêts

Pénalités financières

30

37

46

Total

707

447

328

Source : direction générale des infrastructures, des transports et de la mer

Outre l'enjeu du rétablissement de la soutenabilité de sa trajectoire financière, le financement des projets d'infrastructures par l'Afitf ne permet pas d'associer suffisamment le Parlement à la détermination de ces dépenses . En effet, la loi de finances détermine les plafonds de recettes dont l'agence peut disposer, mais non ses dépenses. Son budget est généralement arrêté en décembre de l'année précédant l'exercice, soit après les débats relatifs à la loi de finances. Aussi le projet de loi de finances ne donne-t-il qu'une indication, estimative, des dépenses de l'agence.

La priorité donnée aux nouveaux projets d'infrastructures a également eu des effets négatifs sur l'état du réseau ferroviaire . Comme l'a montré l'audit réalisé par l'École polytechnique de Lausanne sur l'état du réseau ferré national en 2005, actualisé en 2012 3 ( * ) , le sous-investissement dans l'entretien et la régénération du réseau a accéléré son vieillissement. L'âge moyen des voies est de 31 ans 4 ( * ) . En conséquence, le réseau est désormais plus difficile et plus coûteux à entretenir, et de nombreuses plages de travaux doivent être libérées, parfois au détriment du trafic de voyageurs et surtout du fret.

Le financement des lignes à grande vitesse a également contribué à creuser la dette du gestionnaire du réseau , Réseau ferré de France puis SNCF Réseau, qui approche désormais 45 milliards d'euros 5 ( * ) , et s'aggrave chaque année de 3 milliards d'euros.

Mais cette dette s'explique surtout par le dérapage des dépenses d'exploitation lié au sous-investissement sur le réseau et la montée en charge des investissements de remise à niveau, que n'a pas compensé l'augmentation pourtant dynamique des péages. En effet, d'après la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer, entre 2010 et 2016, la réalisation simultanée des quatre grands projets de lignes à grande vitesse (LGV Sud Europe Atlantique, LGV Bretagne - Pays-de-la-Loire, LGV Est, contournement ferroviaire de Nîmes et de Montpellier) en tant que telle n'est responsable que d'un quart de l'augmentation de 15 milliards d'euros de la dette de SNCF Réseau.


* 1 D'après le budget rectificatif du 15 juin 2017.

* 2 Budget prévisionnel.

* 3 Audit sur l'état du réseau ferré national français, par MM. Robert Rivier & Yves Putallaz, École polytechnique fédérale de Lausanne - LITEP Laboratoire d'Intermodalité des Transports et de Planification, 7 septembre 2005, et audit revisité sur l'état du réseau, par MM. Yves Putallaz et Panos Tzieropoulos, École polytechnique fédérale de Lausanne - LITEP Laboratoire d'Intermodalité des Transports et de Planification, septembre 2012.

* 4 Source : Arafer, bilan annuel du transport ferroviaire de voyageurs pour les années 2015-2016.

* 5 44,9 milliards d'euros en normes IFRS, 42 milliards d'euros en normes françaises, au 31 décembre 2016.

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