B. LE RECOURS À DIFFÉRENTS LEVIERS POUR RENFORCER L'EFFICACITÉ DES JURIDICTIONS

1. Un levier procédural à manier avec précaution

Au cours des dernières années, des solutions ont été recherchées dans la rationalisation des procédures applicables devant les juridictions administratives, pour permettre un traitement plus rapide des affaires les plus simples.

Le recours à ce levier procédural est délicat car il suppose de ménager la qualité des décisions rendues, tout en rendant la procédure plus efficace, pour permettre une amélioration des délais de traitement et un allégement de la charge de travail des juridictions.

À cet égard, le recours au juge unique a contribué notablement à l'amélioration des délais de traitement des affaires par les juridictions.

Devant les tribunaux administratifs, les affaires jugées par un juge unique et non par une formation collégiale relèvent actuellement de quatre catégories différentes :

- les affaires au fond instruites et jugées selon la procédure de droit commun, la seule dérogation apportée tenant à la composition de la formation de jugement ;

- les affaires au fond instruites et jugées selon une procédure dérogatoire du droit commun, essentiellement en raison de l'urgence (contentieux des obligations de quitter le territoire français lorsque l'étranger fait l'objet d'une mesure de surveillance, contentieux du refus d'entrée sur le territoire au titre de l'asile, contentieux du stationnement des résidences mobiles des gens du voyage, contentieux du droit au logement opposable) ;

- les procédures de référé qui incluent le contentieux de l'exploitation des saisies informatiques effectuées lors des perquisitions administratives ordonnées dans le cadre de l'état d'urgence ;

- les ordonnances.

Devant les cours administratives d'appel, les affaires jugées par un juge unique sont beaucoup plus limitées.

Si l'on fait masse de l'ensemble de ces compétences, l'évolution de la part respective des affaires jugées par une formation collégiale et par un juge unique s'établit comme suit :

TA

(données brutes)

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

Affaires jugées

en formation collégiale

70 045

71 378

78 115

79254

83570

79966

81 513

36,10%

37,15%

39,68%

42,75%

44,28%

41,4%

41,05%

Affaires jugées

par un juge unique
(affaires au fond
et référés)

62 933

62 800

58 847

55063

57402

59986

62 846

32,44%

32,69%

29,89%

29,70%

30,42%

31,1%

31,65%

Ordonnances

61 029

57 951

59 913

51073

47738

53014

54 205

31,46%

30,16%

30,43%

27,55%

25,30%

27,5%

27,30%

Source : services du Conseil d'État

Dans le but de raccourcir encore les délais de procédure, la compétence du magistrat statuant seul a connu récemment de nouvelles avancées avec la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile et la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France.

Par ailleurs, le Conseil d'État a engagé une réflexion d'ensemble sur l'évolution du rôle et des pouvoirs du juge administratif qui s'est traduite par le décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016 portant modification du code de justice administrative, appelé aussi décret « justice administrative pour demain » (JADE). Ce décret a ainsi prévu la possibilité :

- pour les présidents de juridiction de déléguer à des magistrats administratifs ayant atteint le grade de premier conseiller et ayant au moins deux ans d'ancienneté le pouvoir de rejeter des requêtes par ordonnance dans certaines hypothèses ;

- pour les présidents de tribunal administratif de statuer par ordonnance sur les requêtes relevant d'une série qui, sans appeler de nouvelle appréciation ou qualification de faits, présentent à juger en droit des questions identiques à celles tranchées par un arrêt devenu définitif de la cour administrative d'appel dont ils relèvent ;

- pour les présidents de cour administrative d'appel et pour les présidents de formation de jugement des cours de rejeter par ordonnance les requêtes d'appel manifestement mal fondées ;

- pour les présidents adjoints de la section du contentieux et pour les conseillers d'État désignés par le président de la section du contentieux la possibilité de statuer par ordonnance.

Les personnes rencontrées par votre rapporteur se sont accordées pour dire que le recours au juge unique avait atteint ses limites et qu'il ne pouvait être envisagé d'aller plus loin sous peine d'industrialiser le traitement des affaires et de dégrader la qualité des décisions de justice rendues .

Ainsi, lors de son déplacement au tribunal administratif de Lille, les représentants des syndicats de magistrats administratifs ont signalé à votre rapporteur certaines hypothèses de procédure à juge unique pour lesquelles les magistrats revenaient, en pratique, à la collégialité. C'est par exemple le cas en matière de contentieux indemnitaire, qui relève du juge unique lorsque les montants en cause sont inférieurs à 10 000 euros, alors même que les questions de droit posées peuvent être particulièrement complexes.

D'autres outils procéduraux ont pu être utilisés tels que la suppression de l'appel pour certains contentieux . En pratique cette dispense d'appel ne produit pas toujours les effets recherchés.

À titre d'exemple, afin de réduire le délai de traitement des recours qui peuvent retarder la réalisation d'opérations de construction de logements en zones tendues 15 ( * ) , le décret n° 2013-879 du 1 er octobre 2013 relatif au contentieux de l'urbanisme a donné compétence aux tribunaux administratifs pour connaître en premier et dernier ressort des recours contre les permis de construire, de démolir ou d'aménager (article R. 811-1-1 du code de justice administrative).

Or, en pratique, selon les personnes entendues par votre rapporteur, cette procédure a eu un effet inverse à celui recherché car les décisions qui arrivent directement devant le Conseil d'État font plus souvent l'objet de cassation et de renvoi devant le tribunal administratif, allongeant d'autant les délais de traitement.

Pour améliorer cette situation, M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires, a demandé à Mme Christine Maugüé, présidente de la 7 ème chambre de la section du contentieux du Conseil d'État, de constituer un groupe de travail chargé de réfléchir aux moyens de lutter contre les recours abusifs en matière d'urbanisme.

D'autres réformes de procédures sont encore trop récentes pour qu'on puisse réellement apprécier leur efficacité.

Ainsi, la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXI e siècle a donné un cadre légal commun aux actions de groupe en matière judiciaire et administrative et a créé une action collective devant le juge administratif, destinée au traitement des contentieux sériels .

Pour l'instant, selon les personnes entendues par votre rapporteur, seules deux actions collectives seraient en cours, devant le tribunal administratif de Nice. Ces personnes estiment néanmoins que cette procédure pourrait gagner en efficacité dans certains contentieux de « séries » comme par exemple en matière de contentieux relatifs aux plans de sauvegarde de l'emploi, pour lesquels il peut y avoir de nombreux requérants.

2. La recherche de nouveaux leviers permettant aux magistrats de se recentrer sur leur coeur de métier
a) Le renforcement du dispositif d'aide à la décision

De nouveaux modes de collaboration , qualifiés d'aide à la décision, se sont peu à peu développés afin de permettre aux membres des juridictions administratives d'augmenter le nombre de décisions rendues et de diminuer la durée de traitement des dossiers.

Ils consistent à confier à des assistants le soin de préparer, sous le contrôle des magistrats, soit des projets de décisions simples, soit des éléments d'analyse d'un dossier.

Les assistants qui apportent ainsi leur concours aux magistrats relèvent de deux catégories :

- les assistants du contentieux : fonctionnaires titulaires de catégorie A, pour l'essentiel des attachés, affectés sur ces fonctions comme le sont les autres agents de greffe. Leurs fonctions se situent à la charnière du greffe et des magistrats. Ils sont notamment chargés de préparer les dossiers contentieux sous le contrôle d'un magistrat, d'assister les présidents de chambre par la préparation d'ordonnances, ou encore de constituer des dossiers de documentation juridique. Leur nombre est passé de 94 en 2009 à 116 ETPT en 2015 puis à 104,65 ETPT en 2016. Deux tiers de ces emplois sont exercés dans les tribunaux administratifs ;

- les assistants de justice : agents contractuels exerçant à temps partiel, recrutés pour une durée maximale de deux ans renouvelable deux fois. Ils apportent leur concours aux travaux préparatoires juridictionnels. Ce dispositif permet aux magistrats de disposer de collaborateurs auxquels ils délèguent soit la préparation de dossiers simples, soit un certain nombre de recherches sur des dossiers plus complexes. Ils ne peuvent exercer plus de 90 vacations horaires par mois ce qui correspond approximativement à un service de trois jours par semaine. Ils perçoivent une rémunération brute mensuelle comprise entre 574,80 euros pour 60 heures de vacations et 862,20 euros pour 90 heures de vacations 16 ( * ) .

En 2016, les juridictions administratives comptaient 143 assistants de justice pour 151 ETPT, soit un effectif en diminution par rapport à l'année 2015 (155 assistants). La répartition de ces assistants était de 32 (35 en 2015) pour les cours administratives d'appel et de 111 (120 en 2015) pour les tribunaux administratifs. Le nombre de postes d'assistants de justice au Conseil d'État représentait 12 ETPT.

Pour 2016, le coût total des assistants de justice s'est élevé à 2 178 515,76 euros.

Source : services du Conseil d'État

Les personnes rencontrées par votre rapporteur dans le cadre de la préparation du présent rapport se sont unanimement prononcées en faveur d'un recours accru aux assistants de justice pour alléger la charge de travail des magistrats, à condition de renforcer leur statut sur le modèle de celui des juristes assistants placés auprès des magistrats judiciaires .

Ces juristes assistants ont été créés par l'article 24 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXI e siècle afin de permettre aux magistrats de se recentrer sur leur métier et de constituer des équipes autour d'eux. Ce nouveau statut permet de recruter à plein temps des personnes qualifiées, des profils spécialisés, appelés à intervenir auprès des magistrats qui traitent certains contentieux bien spécifiques ; il permet également de recruter des juristes de terrain. Ce renfort est très apprécié par les magistrats de l'ordre judiciaire.

Votre rapporteur estime qu'un dispositif similaire pourrait bénéficier aux magistrats administratifs. Une proposition en ce sens pourrait être formulée à l'occasion de l'examen du projet de loi de programmation pour la justice, annoncé au premier semestre 2018.

b) L'encouragement du recours à la médiation

La loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXI e siècle précitée a étendu les possibilités de recours à la médiation administrative, jusqu'alors réservée aux différends transfrontaliers, à tous les litiges relevant de la compétence du juge administratif. La seule limite prévue à ce dispositif tient au fait que l'accord trouvé par les parties en médiation ne peut porter atteinte à des droits dont elles n'ont pas la libre disposition.

Le décret n° 2017-566 du 18 avril 2017 relatif à la médiation dans les litiges relevant de la compétence du juge administratif est venu préciser les modalités d'application de ce dispositif. Il prévoit que la médiation peut être mise en oeuvre à tout moment de la procédure pré-contentieuse ou contentieuse, qu'elle peut intervenir soit à l'initiative des parties, soit à l'initiative du juge. La saisine du médiateur interrompt les délais de recours et suspend les prescriptions jusqu'à ce qu'il soit mis fin à la médiation, soit par l'une des parties, soit par le médiateur.

Compte tenu de l'entrée en vigueur très récente de ces dispositions, votre rapporteur estime prématuré de dresser un bilan de leur impact sur l'activité des juridictions administratives. L'utilisation de ce nouvel outil fera donc l'objet d'une attention particulière, de la part de votre rapporteur, dans les années à venir.


* 15 Communes marquées par un déséquilibre entre l'offre et la demande de logements.

* 16 Dans la mesure où le montant horaire qui leur est alloué (9,58 €) est inférieur depuis le 1 er janvier 2015 au taux de rémunération horaire du salaire minimum légal (9,61 €), une indemnité différentielle leur est versée, dans l'attente de la modification de l'arrêté interministériel du 27 février 2003 fixant le montant de l'indemnité de vacation horaire allouée aux assistants de justice.

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