F. L'INDEMNISATION ET L'ACCOMPAGNEMENT DE LA FERMETURE DES CENTRALES NUCLÉAIRES ET THERMIQUES

1. Un premier décaissement pour la fermeture de la centrale de Fessenheim

Suite à la négociation, entre l'État et EDF, d'un projet de protocole d'indemnisation pour la fermeture anticipée de la centrale de Fessenheim, 446 millions d'euros d'autorisations d'engagements ont été inscrits en loi de finances pour 2016.

Ces 446 millions correspondent en réalité à un montant minimal : lors de son audition par votre commission en novembre 2016, la ministre avait fait état du versement de « 96 millions d'euros à la fermeture de la centrale, 350 à 390 millions d'euros , selon les modalités de paiement, en 2021, ainsi que, jusqu'en 2041, une part variable reflétant le manque à gagner pour EDF, le cas échéant, qui sera déterminée en fonction de l'évolution des prix et de la production constatée du parc de centrales 900 MW hormis Fessenheim ». L'an dernier, le Gouvernement avait confirmé à votre rapporteur que l'indemnisation comporterait :

- une part fixe anticipant les coûts de fermeture (dépenses liées à la reconversion du personnel, au démantèlement, à la taxe sur les installations nucléaires de base [INB] ainsi qu'à la « post-exploitation ») ;

- et une part variable donnant lieu, le cas échéant, à des versements ultérieurs , reflétant le manque à gagner pour EDF jusqu'en 2041.

Jusqu'à présent, aucun crédit de paiement n'avait été versé à l'exploitant bien qu'une nouvelle action budgétaire intitulée « Fermeture de la centrale de Fessenheim » ait été créée l'an dernier au sein du programme 345 pour les retracer.

C'est sur cette ligne budgétaire qu'est inscrit, en 2019, un premier versement de 91 millions d'euros de crédits de paiement au titre de la part fixe initiale.

Pour mémoire, et bien qu'aucune centrale ne fut nommément citée, le plafonnement par la loi de la capacité de production totale d'électricité nucléaire à 63,2 GW a eu pour effet de lier juridiquement, de fait, la fermeture de la centrale de Fessenheim à la mise en service de l'EPR de Flamanville , cette dernière devant, à l'époque, intervenir fin 2018 ou début 2019.

Après que la détection d'écarts de qualité sur des soudures a conduit au report d'un an du raccordement au réseau de l'EPR , désormais attendu au premier trimestre 2020, le ministre a fait état de sa volonté de découpler les deux dossiers . En octobre, EDF a indiqué à l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) 86 ( * ) qu'il n'envisageait pas de réaliser les travaux nécessaires à la prolongation des réacteurs de la centrale au-delà de leurs quatrièmes réexamens périodiques , prévus en septembre 2020 pour le réacteur 1 et en août 2022 pour le réacteur 2, ce qui acterait donc leur arrêt définitif au plus tard à ces échéances.

Bien que la fermeture de la centrale de Fessenheim soit désormais inéluctable, votre rapporteur ne peut s'empêcher de souligner :

- d'une part, le jugement porté par le président de l'ASN sur la sûreté de la centrale, selon lequel « Fessenheim est la centrale d'EDF qui présente les meilleurs résultats en termes de sûreté d'exploitation » 87 ( * ) ;

- d'autre part, l'annulation par le Conseil d'État 88 ( * ) du décret d'avril 2017 89 ( * ) par lequel le Gouvernement avait entendu, pour afficher le respect de l'engagement électoral d'une fermeture avant la fin du précédent quinquennat, abroger l'autorisation d'exploiter la centrale de Fessenheim sans attendre que son titulaire en ait fait la demande , et dont votre rapporteur avait dénoncé, avec d'autres, le caractère d'« OVNI juridique » sans portée opérationnelle.

2. La création d'un fonds de compensation des pertes fiscales : une péréquation entre collectivités sans aide supplémentaire de l'État

Pour répondre « notamment » aux importantes pertes de recettes fiscales pour les collectivités territoriales et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) concernés par la fermeture de la centrale de Fessenheim et, d'ici à 2022, par celles des quatre dernières centrales thermiques à charbon, l'article 25 du présent projet de loi de finances prévoit trois mesures :

- la modernisation du mécanisme existant de perte de bases de contribution économique territoriale (CET), qui passera entre autres par la suppression d'une disposition spécifique pour les collectivités appartenant à un pôle de conversion industrielle, un versement de la compensation la même année que la constatation de la perte, à compter de 2020, et une compensation des pertes exceptionnelles 90 ( * ) de recettes fiscales étendue à cinq ans au lieu de trois ans ;

- la création d'un mécanisme analogue de perte de bases d'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau (IFER) ;

- et la création d'un fonds de compensation horizontale pour l'accompagnement à la fermeture des centrales électriques nucléaires et thermiques , qui serait alimenté par un prélèvement annuel de 2 % sur le produit de l'IFER applicable aux centrales nucléaires ou thermiques perçu par les communes et les EPCI et qui compenserait les bénéficiaires sur dix ans, de façon intégrale pendant les trois premières années, puis dégressive.

Ce mécanisme de péréquation reviendra donc à organiser, non pas une véritable solidarité nationale où l'État - à l'origine de ces décisions - prendrait sa part, mais une solidarité entre les seules collectivités disposant sur leur territoire de centrales nucléaires ou thermiques , les collectivités conservant leur centrale devant compenser les pertes de celles qui les perdront. L'exposé des motifs de l'article le dit d'ailleurs très clairement puisqu'il est question d'un « fonds de compensation entre les communes et les EPCI bénéficiaires de l'IFER applicable aux installations de production d'énergie d'origine nucléaire et thermique à flamme ».

Dans l'évaluation préalable de l'article, il est indiqué que l'alimentation du fonds par la création d'un prélèvement sur les recettes de l'État a été écartée au motif qu'elle « conduirait l'État, seul, à supporter financièrement la compensation des pertes de recettes fiscales des communes et des EPCI » alors que la solution retenue permettrait « la création d'un dispositif de compensation équilibré, partagé entre l'État et les collectivités locales », « le fonds de compensation horizontal e [permettant] de compléter l'effort financier de l'État réalisé au titre du mécanisme de perte de bases ».

Or, il ressort précisément de cette évaluation préalable que le niveau d'effort de l'État restera, en dépit des apparences, inchangé, voire même diminuerait de quelques centaines de milliers d'euros : la suppression de la disposition sur les pôles de conversion permettrait « une économie de 500 000 euros par an » dès cette année, quand l'extension de la compensation à l'IFER « ne coûterait rien à l'État en 2019 et 300 000 euros par an à compter de 2020 » et la concomitance entre la constatation de la perte et le versement de la compensation n'aurait pour effet que de décaler la charge, avec un surcoût de 15 millions jusqu'en 2022 strictement compensé par « une économie de même montant » entre 2023 et 2025.

À l'inverse, les collectivités disposant d'une centrale sur leur territoire contribueront collectivement à hauteur de 2,4 millions d'euros au fonds de compensation sur la base des données de 2017 (122 millions d'IFER perçus, pour des montants individuels compris entre 81 726 euros et 8,2 millions). En fonction des décisions de fermeture supplémentaires qui interviendront dans les prochaines années, le fonds et le prélèvement devraient être redimensionnés à la hausse : toutes les collectivités concernées seront donc solidairement perdantes.

3. Des contrats de transition écologique volontaristes mais sans moyens supplémentaires à ce jour

Présentés comme des « contrats “sur mesure” pour engager concrètement la transition dans les territoires », les contrats de transition écologique (CTE), qui devaient initialement être expérimentés dans vingt territoires en 2018, procèdent certes d'une démarche volontariste destinée à impliquer tous les acteurs autour d'un projet de territoire.

Le 11 octobre dernier, le premier CTE a ainsi été signé avec la Communauté urbaine d'Arras ; il prévoit de mobiliser « 48 millions d'euros pour 40 actions concrètes sur 4 ans ». Le 7 novembre, un deuxième contrat a été signé avec le territoire de la Sambre-Avesnois ; il vise cette fois 19 actions pour un « montant global de 38 millions d'euros » financé par les intercommunalités, les communes et les syndicats intercommunaux, pour 9 millions, le département, pour 2,1 millions, la région, pour 11,2 millions, l'État, pour 12,5 millions, et le secteur privé, pour 3,2 millions.

Si la démarche partenariale et l'adaptation aux réalités locales mise en oeuvre par les CTE mérite d'être saluée, votre rapporteur note que l'objectif de 20 CTE signés fin 2018 ne sera pas atteint , pas plus que sur le début d'année 2019 - cinq contrats devraient être signés d'ici à la fin de l'année et huit autres ont été initiés, dont quatre concerneront les territoires impactés par la fermeture des centrales à charbon.

Surtout, il observe qu' aucun moyen supplémentaire n'est à ce jour dédié aux CTE , qui consistent à mobiliser des fonds existants autour de projets locaux. Or, au moins pour les territoires concernés par la fermeture de sites énergétiques importants, des moyens dédiés seront indispensables.

4. La nécessité d'accompagner dès à présent la fermeture des quatre dernières centrales à charbon

Sur le modèle du dispositif dédié à la fermeture de la centrale de Fessenheim, qui a fait l'objet d'autorisations d'engagements dès 2016 pour une fermeture envisagée, à l'époque, fin 2018 ou début 2019, votre rapporteur juge nécessaire de créer dès cette année une nouvelle ligne budgétaire pour accompagner la fermeture des quatre dernières centrales électriques au charbon : il est en effet impératif d' engager dès à présent la transition industrielle des sites concernés.

Cette ligne nouvelle pourrait être dotée de 40 millions d'euros en autorisations d'engagement - même si l'évaluation des sommes requises devrait être affinée - et de 2 millions d'euros en crédits de paiement décaissables dès l'an prochain pour financer les premières études de faisabilité des projets.

Le fonds proposé financerait l' aide à la reconversion industrielle des sites, l'accompagnement social des salariés dans des bassins d'emplois déjà sinistrés et l'indemnisation des exploitants concernés pour la fermeture anticipée d'actifs industriels sur décision de l'État. Il complèterait ainsi l'article 25 du présent projet de loi de finances, qui ne traite aujourd'hui que de la compensation des pertes fiscales liées à ces fermetures, et pourrait être mis au service des actions identifiées dans les CTE de ces territoires .


* 86 Projet de décision de l'ASN modifiant certaines décisions applicables à la centrale nucléaire de Fessenheim exploitée par EDF, soumise à la consultation du public le 22 octobre 2018.

* 87 M. Pierre-Franck Chevet, entretien au Figaro, 26 octobre 2018.

* 88 Conseil d'État, décision n° 410109 du 25 octobre 2018.

* 89 Décret n° 2017-508 du 8 avril 2017 portant abrogation de l'autorisation d'exploiter la centrale nucléaire de Fessenheim.

* 90 Perte supérieure à 30 % par rapport à l'année précédente, représentant plus de 10 % des recettes fiscales.

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