B. LA SÉCURITÉ : UNE PRIORITÉ AUX MOYENS INCERTAINS

La sécurisation est présentée comme l'un des grands axes prioritaires du ministère. Elle se décline en plusieurs piliers :

- la coopération de défense et de sécurité, politique au fort effet de levier, constitue notre « premier bouclier au loin », illustration parfaite du continuum entre sécurité intérieure et sécurité extérieure,

- les crédits de sécurisation des emprises françaises à l'étranger pour la protection des communautés françaises et de l'ensemble du réseau.

1. La coopération de défense et de sécurité, levier essentiel du ministère

Les crédits de la coopération de défense et de sécurité (CDS), définie dans l'encadré suivant, stabilisés depuis quelques années, augmentent en 2019 pour atteindre 104 millions d'euros , retrouvant enfin quasiment le niveau de 2007.

Le budget de la coopération de défense et de sécurité est passé de 106,41 millions d'euros en 2007 à 83,52 millions d'euros en 2016 . Après une longue diminution de 51,4 % de ses crédits entre 2007 et 2016 et une diminution de 18,6 % pour la seule année 2016, que votre commission n'a pas manqué de le dénoncer avec force, la CDS a bénéficié de moyens en augmentation de 38 % en 2017. Depuis, une certaine stabilisation au niveau de 2017 semble de mise, 102,3 millions d'euros en 2018 et 104 millions d'euros en 2019 .

La coopération de sécurité et de défense

La coopération de sécurité et de défense, dite coopération « structurelle » - par opposition à la coopération « opérationnelle » en la matière, qui relève du ministère de la défense -, constitue un important outil diplomatique d'influence et de prévention des conflits. En effet, cette politique associe les enjeux de sécurité à ceux du développement : elle contribue au maintien de la paix par le renforcement des capacités des pays bénéficiaires à assumer eux-mêmes la lutte contre le terrorisme, la criminalité organisée, le trafic de stupéfiants ou l'insécurité des flux maritimes ; et elle tend à permettre à ces pays d'assurer en propre des missions, non seulement de type militaire, mais aussi de protection civile : lutte contre les catastrophes naturelles (inondations, sécheresse, cyclones...), déminage, dépollution, etc.

En pratique, cette action consiste en une aide à structurer, dans le long terme, les élites nationales concernées. Elle s'exerce :

- soit par des formations, au moyen de missions de renfort temporaire (MRT) et de stages en France ou dans les « écoles nationales à vocation régionale » (ENVR) soutenues par notre pays qui accueillent chaque année environ 2 500 stagiaires en provenance d'une trentaine de pays ;

- soit par le conseil qu'assurent, sur place, des coopérants intégrés dans les structures hiérarchiques des États partenaires.

Les dépenses engagées à ce titre sont considérées comme disposant d'un fort effet de levier . Par exemple, l'impact d'un directeur des études français dans une école régionale africaine s'avère très supérieur aux crédits nécessaires pour financer sa mission. Plus généralement, en organisant et en structurant leurs forces, en planifiant leurs opérations, la coopération de sécurité et de défense permet aux pays bénéficiaires d'accomplir de considérables progrès, dans la mesure où les capacités dans le domaine du génie, de la santé, du transport, de la logistique ou encore des transmissions, bien souvent, sont présentes sur le terrain, mais éparpillées.

Bien évidemment, ces réductions de crédits n'ont pas été sans conséquence sur l'ampleur de la coopération qui peut être conduite. Pour en réduire les incidences, l'action du ministère s'est recentrée, par force, sur certains axes prioritaires : le renforcement de l'architecture de paix et de sécurité en Afrique, les grands enjeux de sécurité 27 ( * ) , la formation et le conseil de haut niveau. Néanmoins, ces actions prioritaires elles-mêmes ne peuvent que pâtir de la baisse continue du nombre de coopérants engendrée par celle des crédits. Entre 2007 et 2016, la diminution du nombre de coopérants militaires a été de plus de 20 %. En 2008, on dénombrait encore 322 coopérants, dont près de 80 % se trouvaient dans des pays de l'Afrique subsaharienne. À partir de 2013 , le nombre des coopérants est symboliquement passé sous la barre des 300 coopérants .

En 2018, il ne s'établissait plus qu'à 257. En 2019, la DCSD participera, par la diminution du nombre de ses coopérants (-5 ETP, 3 pris sur le groupe G4, militaires et 2 pris sur le groupe G3, personnels venant du ministère de l'intérieur) à l'effort demandé au ministère de réduction du réseau de ses agents à l'étranger 28 ( * ) . Celui-ci sera très certainement reconduit chaque année jusqu'en 2022, le portant à moins 15 ETP supplémentaires de 2020 à 2022 , soit moins 20 ETP de 2019 à 2022 .

L'effort demandé placerait la direction dans une situation intermédiaire, plus proche de 7 % de diminution de ses effectifs que des 10 % demandés en moyenne. On peut toutefois regretter que l'objectif ne soit cette fois pas exprimé en masse salariale mais en ETP. La DCSD aurait pu choisir de remplacer des colonels par des militaires moins gradés, réduisant ainsi sa masse salariale sans supprimer de nouveaux postes. Vos rapporteurs spéciaux souhaitent que la réduction soit exprimée en masse salariale et non en ETP. Vos rapporteurs pour avis seront attentifs à l'évolution des moyens consacrés à la coopération militaire structurelle, essentielle à la cohérence de la politique étrangère de la France . Le réseau de coopérants français, sans équivalent chez nos alliés, doit être renforcé par cette politique interministérielle rénovée au service de la réalisation des objectifs de notre pays en faveur de la paix. Votre commission veillera année après année à la préservation des moyens de ce formidable outil , souple, réactif, réorientable, qui a été malheureusement laminé ces dernières années.

La direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) 29 ( * ) gère l'attrition des effectifs. Elle a mis en place en 2017 une gouvernance interministérielle de la coopération de sécurité et de défense fondée sur un comité de direction (CODIR) 30 ( * ) . Il a vocation à se tenir deux à trois fois l'an. Il vise à mettre en oeuvre les décisions du comité d'orientation stratégique réunissant le MEAE, le ministère de l'intérieur et le ministère des armées.

Le CODIR a permis, alors que la situation internationale l'exigeait, de réorienter les priorités géographiques et thématiques. Ainsi, la liste des priorités comprend :

- l'appui à la force conjointe du G5 Sahel qui s'est vue doter d'un poste de commandement (PC),

- l'anticipation de la sortie de crise au Levant avec le Liban comme point focal. En 2018, 1,22 million d'euros devrait être consacré aux actions en faveur des forces de sécurité intérieure,

- enfin, la dernière priorité est la participation aux feuilles de routes migratoires .

Le CODIR a également permis de constater l'avancée de projets emblématiques tels que la mise en place de nouvelles écoles nationales à vocation régionale en 2018 dans les domaines suivants :

- « police judiciaire » : suite à la fermeture à l'été 2014 du centre de perfectionnement de la police judiciaire au Bénin, une étude pour la création, à Djibouti , d'une école de police judiciaire a été engagée ; elle est en passe d'être achevée ;

- « cybersécurité » : une école de cybersécurité ouvrira à Dakar fin 2018 afin de répondre à un besoin de renforcement des capacités des États africains dans un secteur où les enjeux sécuritaires et économiques sont cruciaux. Elle offrira à partir de 2019 des formations sur la dimension juridique et la gouvernance de la cybersécurité, la lutte contre la cybercriminalité et la sécurité des systèmes d'information et de communication.

- « forces d'intervention » : une académie internationale de lutte contre le terrorisme verra le jour à Abidjan dès la fin 2018 afin de répondre à une demande croissante des partenaires au Sahel comme dans le golfe de Guinée. Conduit dans un cadre interministériel, ce projet concernera autant les forces armées que les forces de sécurité intérieure et les ministères de la justice des pays participant.

Vos rapporteurs pour avis souhaitent que la DCSD soit en mesure de faire face à la montée en puissance de ces ENVR malgré la stagnation de ses crédits globaux et la réduction de ses effectifs .

Ils recommandent que la loi d'orientation et de programmation de l'aide publique au développement permette d'assurer le financement du continuum entre la sécurité et le développement. De nombreuses actions menées par la DCSD sur des crédits du programme 105 visent à renforcer les capacités des États partenaires dans les domaines de la sécurité intérieure et de la protection civile. Elles représentent près de 17 millions d'euros sur les 36 millions d'euros de l'action « Coopération de sécurité et de défense » du P105, hors titre 2. Votre commission appelle de ses voeux depuis de nombreuses années la remontée du financement de la DCSD par le programme 209 de la mission « Aide publique au Développement ». Les crédits prévus pour le financement des actions de la DCSD sur le Fonds de solidarité pour les projets innovants (FSPI) à hauteur de 2,5 millions d'euros devraient être portés au moins à 19,5 millions d'euros. Les 17 millions du P105 pourraient ainsi être réorientés vers des actions ne relevant pas de l'aide publique au développement selon les critères du comité d'aide au développement de l'OCDE.

2. L'effort particulier de sécurisation des postes : un contestable financement « à crédit » ?

Le réseau français doit répondre à plusieurs facteurs de risque en matière de sécurisation des réseaux français à l'étranger. Le premier est d'ordre structurel et tient à l'ampleur de la représentation française. Il s'agit en effet de sécuriser :

- le troisième réseau diplomatique et consulaire au monde, après ceux des États-Unis et de la Chine,

- le premier réseau culturel, avec près de 1 000 sites, instituts culturels, instituts français de recherche, Alliances françaises,

- et enfin le premier réseau scolaire au monde, avec 500 établissements scolaires.

La politique étrangère de la France, indépendante, affirmée et en cohésion avec sa politique de défense et le caractère laïc de la République française constituent l'autre facteur de risque, faisant de la France une cible des attaques terroristes.

Depuis dix ans, les représentations de la France à l'étranger, tant diplomatiques que consulaires ou culturelles, et les personnels qui y travaillent, ont ainsi fait l'objet de menaces ou de passages à l'acte qui impliquent de continuer d'affiner la veille sécuritaire, et de poursuivre la politique de sécurisation des implantations françaises à l'étranger. L'atteinte la plus grave subie par le réseau français au cours des douze derniers mois a été l'attaque terroriste du 2 mars 2018 contre l'ambassade française à Ouagadougou , menée par quatre assaillants munis de fusils d'assaut AK47 et de grenades, ainsi que de couteaux et d'appareils vidéo. Grâce aux personnels de sécurité et aux dispositifs de sécurité passive (d'importants travaux de sécurisation du site avaient été menés par le ministère en 2014 pour un montant total d'environ 3 millions d'euros), les terroristes n'ont pas pu pénétrer dans l'emprise et ont été neutralisés par des militaires français.

Le renforcement de la sécurisation du parc immobilier du ministère à l'étranger est un effort nécessaire, urgent et sans doute de long terme . Il est certain que l'on ne peut plus aujourd'hui se contenter de renforcer les postes dits exposés, l'action terroriste peut frapper n'importe quelle emprise. On ne peut que regretter dans ce contexte une différence entre la loi de finances initiale et l'exécution de plus de 10 millions en 2018 31 ( * ) , pour la seconde année consécutive.

Dans le cadre du PLF 2019, les crédits budgétaires consacrés à la sécurité des implantations diplomatiques, consulaires et culturelles (Instituts français) diminuent nettement , passant de 75,73 millions d'euros en LFI2018 à 44,23 millions d'euros . Cette réduction de crédits est présentée comme une contrepartie au financement sur deux ans du plan de sécurisation des emprises à l'étranger 32 ( * ) par une avance du compte d'affectation spéciale « gestion du patrimoine immobilier de l'État » 723 géré par le ministère de l'Action et des Comptes publics (MAC), dans la limite de 100 millions d'euros .

Ce mode de financement pose de nombreuses questions :

- sur le niveau de dépenses . Il est prévu de consacrer 100 millions d'euros sur les deux prochaines années aux dépenses de sécurisation alors qu'en 2017 et en 2018 une sous-exécution d'environ 10 millions d'euros a été observée. Lors de son audition devant votre commission, le ministre a d'ailleurs invité à aider à consommer cette avance de 100 millions d'euros en signalant les besoins de sécurité que les sénateurs pourraient être amenée à constater lors de leur mission à l'étranger. Il semble en fait que ce montant de 100 millions d'euros ait été déterminé de façon extrêmement théorique et ne corresponde nullement à un besoin avéré de financement, à des projets de travaux de sécurisation ou de dépenses de sécurité recensées . Vos rapporteurs pour avis souhaiteraient qu'un programme d'investissement soit rapidement défini afin que les crédits prévus soient utilisés de façon judicieuse ,

- sur les dépenses éligibles . Lors de leurs auditions, vos rapporteurs pour avis ont été alertés sur le fait que les dépenses actuellement éligibles au CAS 723, selon sa charte de gestion, ne comprennent pas les systèmes de vidéo-surveillance notamment qui constituent pourtant un outil essentiel de la mise en sécurité des emprises à l'étranger. La charte de gestion du CAS doit être adaptée au programme d'investissement qui aura été défini ,

- sur les modalités de remboursement . Le remboursement de ces avances devrait intervenir à compter de 2021 et jusqu'en 2025 grâce aux produits de cession touchés par le MEAE, notamment lors de la vente des biens immobiliers transférés à l'issue de la réforme du réseau de l'État, selon un programme que le ministère devra transmettre en 2019. En l'absence de charte de gestion toutefois, les modalités de remboursement restent incertaines , en particulier la question se pose de savoir si des mises en réserve pourraient être effectuées sur les cessions réalisées dès 2019 pour garantir le remboursement. Ce ne serait pas un principe de bonne gestion dans la mesure où les investissements nécessaires à l'entretien du parc immobilier à l'étranger pour 2019 ont déjà été programmés et dépendent de la mobilisation des produits de cession,

- sur la capacité même de remboursement du MEAE. Cette question se pose dans la mesure où le produit des cessions en 2017 et en 2018 était de l'ordre de 30 millions d'euros, ce qui correspond d'ailleurs aux prévisions pour 2019. Dans ce contexte, le remboursement de la dépense prendrait plus de trois ans et grèverait totalement la capacité du ministère des affaires étrangères de financer par les produits de cessions d'autres investissements sur cette durée . Votre commission veillera à ce que le MEAE ne se trouve pas contraint de céder certaines emprises à l'étranger pour rembourser l'avance du CAS. Le mécanisme mis en place ne doit en aucun cas donner au MAC la tentation de s'immiscer dans la programmation des cessions du MEAE. En ce sens, votre commission émet quelques réserves sur la recommandation de la Cour des comptes visant à « mettre à profit la création d'un outil interministériel de programmation pluriannuelle de l'ensemble des dépenses immobilières, pour apprécier, au plan physico-financier comme au plan de la pertinence, les dépenses et opérations (sur l'ensemble des programmes concernés-723 et 105) découlant de la stratégie d'implantation du ministère ». En effet, la politique d'implantation à l'étranger de l'État ne doit en aucun cas dépendre des seules considérations économiques. Les enjeux d'influence et de rayonnement ne doivent pas être relégués au second rang, ils doivent au contraire rester l'élément central des décisions prises dans ce domaine.


* 27 Tels que notamment la lutte contre le terrorisme, les trafics, la criminalité organisée ou la piraterie.

* 28 Sur 2015-2019, l'effort global de la DCSD s'élève à moins 35 ETP .

* 29 Elle est une direction interministérielle du MEAE : les agents du ministère y sont minoritaires (16 %), par rapport aux personnels issus des armées représentant (73 %) et ceux de l'intérieur (11 %). Cette direction anime une coordination interministérielle approfondie , en étant en liaison quotidienne avec les armées (via la DGRIS, mais aussi l'EMA) et le ministère de l'intérieur (essentiellement via DCI, mais pas exclusivement, en matière de protection civile par exemple), mais aussi avec le SGDSN, ou tout autre ministère en lien avec ses missions de coopération structurelle militaire, sécuritaire et de protection civile : douanes, justice...

* 30 Réunissant les directeurs généraux politiques du Quai, les personnels en charge des relations internationales de sécurité du ministère des armées et du directeur de la coopération internationale du ministère de l'intérieur. La direction générale des douanes y est observatrice.

* 31 Pour mémoire, en 2018, les principaux postes concernés (opérations engagés pour des montants supérieurs à 0,5 M€) étaient les suivants : Singapour, Centrafrique (Bangui), Togo (Lomé), Côte-d'Ivoire (Abidjan), Arabie Saoudite (Riyad), Oman (Mascate), Jérusalem, Liban (Beyrouth), Djibouti, Irak (Bagdad), Jordanie (Amman), Guinée Équatoriale (Malabo), Sri Lanka (Colombo), République Démocratique du Congo (Kinshasa), Tunisie (Tunis).

* 32 Ce plan concerne également les établissements scolaires du réseau de l'AEFE. En 2019, Les principales opérations concerneront :

- pour des opérations nouvelles : Afghanistan, Afrique du Sud, Algérie, Brésil, Burkina Faso, Canada, Chine, Cuba ;

- pour des poursuites d'opérations : Côte d'Ivoire, Djibouti, Guinée Équatoriale, Grèce, Libye, Mali, Mauritanie, Oman, Serbie, Soudan.

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